Avec la leucémie myéloïde chronique, la thrombocytémie
essentielle et la myélofibrose primitive, la maladie
de Vaquez – ou polyglobulie essentielle – fait partie des
syndromes myéloprolifératifs.
Elle est donc caractérisée
par l’expansion clonale d’une cellule souche hématopoïétique
pluripotente, à l’origine d’une prolifération
non régulée du tissu myéloïde prédominant, dans le cas
particulier, sur la lignée érythrocytaire.
Contrairement aux polyglobulies secondaires, qui résultent
de l’hyperstimulation de progéniteurs érythroblastiques
normaux par de l’érythropoïétine produite en
excès, les progéniteurs dans la maladie deVaquez ont la
particularité de pouvoir se différencier indépendamment
de l’érythropoïétine ou en présence de quantités
infimes d’érythropoïétine , en inhibant les progéniteurs
normaux résiduels.
Il s’agit donc d’une anomalie cellulaire
intrinsèque.
Il n’existe pas dans la maladie de
Vaquez de mutation du récepteur de l’érythropoïétine
et l’hypersensibilité des progéniteurs à d’autres facteurs
de croissance que l’érythropoïétine laisse supposer une
anomalie d’un système de transduction commun à ces
facteurs.
En fait, il se développe probablement dans la
maladie de Vaquez plusieurs anomalies génétiques au niveau de la cellule souche pluripotente impliquée, qui
ont comme point commun d’affecter les voies de l’apoptose.
L’incidence de la maladie de Vaquez est de l’ordre de
1 cas pour 100 000 habitants par an en France mais la
prévalence n’est pas négligeable du fait de la lenteur de
l’évolution.
C’est une pathologie du sujet âgé avec un
âge moyen au diagnostic un peu supérieur à 60 ans, la
fréquence augmentant ensuite de façon linéaire.
Très
rare avant 40 ans, elle est tout à fait exceptionnelle chez
l’enfant. Le sex ratio est proche de 1.
Diagnostic positif
:
A - Signes cliniques :
• Le diagnostic de maladie de Vaquez est évoqué de
plus en plus souvent au vu d’un hémogramme fortuit.
• L’érythrose des muqueuses est rarement révélatrice.
• Des signes fonctionnels traduisant l’hyperviscosité
sanguine sont à rechercher à l’interrogatoire mais peuvent
se rencontrer dans toute polyglobulie : céphalées,
vertiges, acouphènes, troubles visuels, paresthésies.
Ils
sont retrouvés dans environ la moitié des cas.
Le prurit
à la balnéation chaude est inconstant mais hautement
évocateur .
Les crises érythromélalgiques des pieds
sont aussi très évocatrices de syndrome myéloprolifératif.
• Les complications vasculaires, essentiellement
thrombotiques et beaucoup plus accessoirement hémorragiques,
peuvent être révélatrices.
• Une splénomégalie est présente dans les deux tiers
des cas et constitue un élément essentiel du diagnostic.
En règle modérée, elle justifie la réalisation systématique
d’une échographie abdominale.
Cet examen a
également le mérite de ne pas méconnaître une néoformation
rénale, cause rare de polyglobulie secondaire.
B - Signes biologiques :
1- Diagnostic de polyglobulie vraie :
• L’élément d’orientation essentiel est représenté par la
constatation, à l’hémogramme, d’une élévation de la
numération rouge, du taux d’hémoglobine et de l’hématocrite.
Dans la maladie de Vaquez (et la plupart des
polyglobulies secondaires), cette élévation des paramètres
érythrocytaires est parallèle, sauf carence martiale
associée génératrice de microcytose et d’hypochromie (saignées, hémorragies digestives distillantes).
L’hématocrite est le paramètre clé. La limite supérieure
de la normale est de 45 % chez la femme et 50 % chez
l’homme.
En cas d’élévation modérée et isolée, entre 45 et 47 %
chez la femme et entre 50 et 52 % chez l’homme, seul
un contrôle est justifié.
Si l’hématocrite est supérieur à
55 % chez la femme et 60 % chez l’homme, la polyglobulie
est certaine et la détermination isotopique de
la masse sanguine inutile.
Pour des chiffres intermédiaires,
cette dernière exploration est nécessaire afin
d’éliminer une fausse polyglobulie par hémoconcentration.
Dans toute polyglobulie, la vitesse de sédimentation
globulaire est diminuée, voire nulle.
• La détermination isotopique des volumes sanguins,
par dilution des hématies marquées au chrome 51
(51 Cr) couplée à l’étude de la volémie plasmatique par
dilution de la sérum-albumine marquée à l’iode 125
(125 I), ne s’exprime plus en fonction du poids (sousestimation
chez les obèses) mais par rapport à des
valeurs théoriques pour un sujet de même poids et de
même taille.
Une polyglobulie vraie se définit par un
volume globulaire total supérieur à 25 % du volume
globulaire total théorique, le volume plasmatique total
étant par ailleurs compris dans les limites de la normale.
2- Éléments en faveur du diagnostic de maladie
de Vaquez :
• À l’hémogramme, la constatation d’une inflation de
la lignée granulocytaire et (ou) de la lignée plaquettaire
constitue un argument très fort.
Dans environ la moitié
des cas, il existe une hyperleucocytose supérieure à
12.109/L, avec polynucléose neutrophile.
Des chiffres
supérieurs à 20.109/L sont rares.
Il peut se voir une discrète
basophilie. L’observation d’une réaction myélémique
est évocatrice d’une évolution myélofibrosante
(de même qu’une anisopoïkilocytose avec hématies en
larmes).
L’élévation du score des phosphatases alcalines
leucocytaires est dénuée d’intérêt.
Dans la moitié des cas également, est constatée une hyperplaquettose supérieure à 450.109/L.
Des chiffres
supérieurs à 800.109/L sont rares et surtout rencontrés
en cas de carence martiale associée.
Comme dans les
autres syndromes myéloprolifératifs, une thrombopathie
peut se traduire par une hypoagrégabilité à l’adrénaline
et à l’ADP (adénosine diphosphate)
• Le myélogramme est dénué de valeur diagnostique en
ne montrant qu’une moelle riche et bien équilibrée.
Il
permet cependant le prélèvement d’un caryotype
médullaire, qui peut être une aide au diagnostic.
• La biopsie médullaire est davantage contributive
mais n’est pas non plus de réalisation systématique.
La
richesse cellulaire est augmentée, touchant les trois
lignées myéloïdes.
L’hyperplasie de la lignée mégacaryocytaire,
avec dystrophies, constitue un signe caractéristique.
Il existe dans un quart à la moitié des cas
une densification du réseau de réticuline mais la fibrose
collagène est en principe absente au diagnostic.
Il est aussi constaté une absence d’hémosidérine dans les
macrophages.
• Le taux d’érythropoïétine sérique n’apporte pas une
aide vraiment décisive au diagnostic.
Certes, ce taux est
soit diminué, soit normal alors qu’il devrait être augmenté
dans les polyglobulies secondaires.
Il existe
cependant d’assez fréquents chevauchements dans les
valeurs normales.
• La cytogénétique sur caryotype médullaire peut
apporter une aide tout à fait intéressante au diagnostic
en montrant une anomalie clonale non spécifique mais
très évocatrice de syndrome myéloprolifératif.
Néanmoins,
ces anomalies clonales, susceptibles d’être aussi
observées dans la thrombocytémie essentielle et la
myélofibrose primitive, ne se voient que dans 15 à 20
% des cas en cytogénétique conventionnelle.
Les taux
de détection sont plus élevés en recourant aux techniques
d’hybridation fluorescente in situ.
Le chromosome
Philadelphie, spécifique de la leucémie myéloïde
chronique, n’est jamais observé.
Les anomalies les plus
fréquentes sont représentées par la del 20q, la del 13q,
et les trisomies 1, 8 et 9.
L’implication de délétions
suggère l’existence d’inactivation de gènes qui pourraient
jouer un rôle pathogénique important.
• La culture in vitro des progéniteurs érythroblastiques
représente la technique la plus performante pour
affirmer le diagnostic devant l’absence de signes de
myéloprolifération évidents.
Les méthodes sont maintenant
standardisées mais nécessitent le recours à des
laboratoires spécialisés.
L’examen est le plus souvent
réalisé sur sang.
La pousse spontanée des progéniteurs
érythroblastiques, en l’absence d’adjonction d’érythropoïétine
au milieu de culture (colonies érythroïdes
endogènes), est sensible et spécifique.
• D’autres investigations ont un intérêt tout à fait
secondaire.
La sidérémie est à tendance diminuée.
Il
existe fréquemment une discrète hyperuricémie. La
vitaminémie B12 peut être augmentée.
• Les techniques moléculaires d’étude de la clonalité
myéloïde chez la femme ne sont pas disponibles à
usage diagnostique.
Diagnostic différentiel
:
A - Fausses polyglobulies
:
Ce sont des situations où une élévation des paramètres
érythrocytaires ne correspond pas à une polyglobulie
vraie.
Certaines sont évidentes et ne nécessitent pas le
recours à une étude isotopique de la masse sanguine.
D’autres nécessitent cette investigation.
1- Thalassémies hétérozygotes
:
L’ethnie est bien entendu évocatrice.
L’hémogramme
est caractéristique du fait de la constitution d’une micropolycythémie très hypochrome et microcytaire.
Si
la numération rouge est augmentée, le taux d’hémoglobine
et l’hématocrite sont à tendance diminuée.
L’examen
à privilégier dans les b-thalassémies hétérozygotes
est l’électrophorèse de l’hémoglobine (élévation du
taux de l’hémoglobine A2).
Le seul problème diagnostique
concerne une maladie de Vaquez en état de carence
martiale profonde mais le bilan ferrique et les circonstances
cliniques feront la distinction.
L’étude isotopique
de la masse sanguine est inutile (elle montrerait un
volume globulaire total normal ou diminué).
2- Hémoconcentrations aiguës
:
Elles sont consécutives à des brûlures étendues, une
déshydratation aiguë, un usage excessif de diurétiques.
L’élévation des paramètres érythrocytaires est due à une hypovolémie plasmatique.
Le caractère évident du diagnostic
ne justifie bien entendu pas une étude isotopique
de la masse sanguine.
3- Pseudo-polyglobulie dite « de stress »
:
Elle est aussi dénommée syndrome de Gaisbock.
À la
différence des deux précédentes, cette situation peut poser un problème diagnostique réel avec la maladie de
Vaquez.
Elle n’est pas rare chez l’homme d’âge mûr,
pléthorique et hypertendu.
L’étude isotopique de la
masse sanguine est déterminante en ne montrant pas de
polyglobulie vraie (volume globulaire total normal ou
discrètement augmenté) mais une diminution de la
volémie plasmatique.
Il existe un risque thrombotique.
B - Polyglobulies secondaires :
Ce sont des polyglobulies vraies dues à un excès de
production d’érythropoïétine .
Il n’y a pas de signes de myéloprolifération. Leur diagnostic est souvent évident.
Deux grands groupes peuvent être distingués : les
polyglobulies par hypoxie tissulaire, dont certaines
causes sont très fréquentes, et les polyglobulies tumorales.
1- Polyglobulies par hypoxie tissulaire
:
L’hyperproduction d’érythropoïétine est compensatrice
ou appropriée. La gazométrie artérielle est l’examen
clé.
Il est beaucoup plus rarement nécessaire de devoir
déterminer la carboxyhémoglobinémie , la méthémoglobinémie,
l’affinité de l’hémoglobine pour l’oxygène
(p50) ou le taux de 2,3 DPG intra-érythrocytaire.
• Les polyglobulies par désaturation artérielle en oxygène
se caractérisent cliniquement par une cyanose et
non par une érythrose.
Elles sont affirmées devant une
SaO2 < 92 % et une PaO2 < 65 mmHg.
La cause majeure
en est l’insuffisance respiratoire chronique par bronchopneumopathie
chronique obstructive ou bronchoemphysème.
Viennent ensuite les pneumoconioses et
les fibroses pulmonaires.
Les hypoventilations alvéolaires
(syndrome de Pickwick) peuvent nécessiter des
enregistrements continus de la gazométrie (épisodes de
désaturation oxyhémoglobinée nocturnes).
Les causes
cardiovasculaires sont représentées par les cardiopathies
congénitales avec shunt droite-gauche, les fistules
veino-artérielles pulmonaires.
• Les polyglobulies par défaut de transport d’oxygène
aux tissus ont une cause prédominante : le tabagisme.
En cas d’intoxication tabagique, il est fréquemment
constaté une tendance polyglobulique qui, associée à
une discrète polynucléose neutrophile, pourrait laisser
planer un doute sur une maladie de Vaquez débutante.
L’origine de la polyglobulie consiste, tout au moins en
partie, en un excès de carboxyhémoglobine.
Les autres causes sont aussi classiques qu’exceptionnelles
: hémoglobinopathies avec hémoglobine hyperaffine
pour l’oxygène (caractère familial), déficit en 2, 3
DPG, méthémoglobinémies.
2- Polyglobulies tumorales :
Il existe une hyperproduction inappropriée d’érythropoïétine
par le tissu tumoral dans l’étiologie la plus fréquente
qui est le carcinome rénal à cellules claires, d’où
la règle, devant toute polyglobulie, de réaliser une
échographie abdominale afin d’apprécier le volume de
la rate et de ne pas méconnaître une néoformation
rénale.
La polyglobulie disparaît après exérèse du tissu tumoral et réapparaît en cas de métastases.
Des tumeurs
rénales bénignes ont aussi été incriminées.
La seconde cause tumorale est classiquement représentée
par l’hémangioblastome cérébelleux, où l’on a pu
aussi démontrer une sécrétion inappropriée d’érythropoïétine
.
Nous ne ferons que citer les hépatomes sur cirrhose,
certains volumineux fibromes utérins.
Les phéochromocytomes, certaines tumeurs des surrénales
peuvent entraîner de fausses polyglobulies par
hémoconcentration.
Mentionnons, enfin, les tendances polyglobuliques que
peuvent entraîner des prises prolongées d’androgènes à
fortes doses.
C - Autres syndromes myéloprolifératifs :
Même s’ils sont très proches sur le plan nosologique de
la maladie de Vaquez, leur présentation est très différente.
• Les formes polyglobuliques de leucémie myéloïde
chronique sont tout à fait exceptionnelles.
Le tableau
reste celui d’une leucémie myéloïde chronique dans sa
variété habituelle et il n’existe donc aucun problème
diagnostique.
La recherche du chromosome Philadelphie
ou de ses équivalents moléculaires est positive.
• Il existe des formes de chevauchement entre thrombocytémie
essentielle et maladie de Vaquez : un malade
présentant un tableau de thrombocytémie essentielle
avec polyglobulie affirmée par l’étude isotopique de la
masse sanguine, éventuellement après correction d’une
carence martiale associée, est classé dans le cadre de la
maladie de Vaquez .
• L’existence de formes polyglobuliques de myélofibrose
primitive est très controversée.
Il existe en fait de
très rares maladies de Vaquez s’accompagnant d’emblée
d’une importante splénomégalie et d’une nette
fibrose médullaire, en partie collagène.
Ces formes sont
longtemps stables et proches de la maladie de Vaquez
classique.
D - Érythrocytoses pures
:
Il s’agit d’un diagnostic d’élimination devenu très rare.
Elles sont définies par l’existence d’une polyglobulie
vraie strictement isolée, sans arguments en faveur d’une
polyglobulie secondaire et ne remplissant pas non plus
les critères de la maladie de Vaquez.
Certaines érythrocytoses pures correspondent à un syndrome
myéloprolifératif comme le montrera l’évolution.
Les hypothèses ne manquent pas pour tenter d’expliquer
le mécanisme des autres mais aucune n’est
décisive.
Signalons l’existence d’exceptionnelles érythrocytoses
familiales bénignes caractérisées par un
récepteur de l’érythropoïétine tronqué dans son site
cytoplasmique.
Évolution
:
L’évolution de la maladie de Vaquez est menacée par
deux types de complications : vasculaires, liées à l’absence
de contrôle efficace de la polyglobulie ; hématologiques, liées en partie aux traitements mis en oeuvre.
Pour autant, si la prise en charge est appropriée, l’espérance
et la qualité de vie sont devenues, dans les
tranches d’âges habituelles, proches de celles d’une population-témoin.
A - Complications vasculaires :
1- Complications hémorragiques :
Elles sont essentiellement imputables aux anomalies
fonctionnelles plaquettaires, parfois majorées par la
prise intempestive de salicylés à fortes doses.
Il s’agit
surtout d’hémorragies de section, voire digestives qui
feront alors rechercher une cause locale de saignement.
2- Complications thrombotiques
:
Elles sont beaucoup plus redoutables.
Elles peuvent
être veineuses ou artérielles.
• Les thromboses veineuses peuvent intéresser les
membres inférieurs et se compliquer d’embolie pulmonaire.
Très spécifiques et de mauvais pronostic sont les
thromboses des veines sus-hépatiques (syndrome de Budd-Chiari) et portales.
Ces dernières peuvent venir
compliquer une maladie de Vaquez typique.
Elles peuvent
aussi être révélatrices d’un syndrome myéloprolifératif
atypique chez des femmes jeunes présentant un
tableau hématologique peu évocateur.
Le diagnostic
repose alors en grande partie sur la pousse spontanée
des précurseurs érythroblastiques.
• Les thromboses artérielles sont représentées par des
accidents vasculaires cérébraux, des oblitérations artérielles
des membres inférieurs, des infarctus myocardiques,
plus rarement par des infarctus mésentériques
ou des thromboses de l’artère centrale de la rétine.
La pathogénie des complications thrombotiques de la
maladie de Vaquez n’est qu’imparfaitement élucidée.
L’âge, les antécédents thrombotiques, les facteurs de
risque associés jouent un rôle favorisant.
L’hyperviscosité
sanguine corrélée à l’hématocrite, l’hyperplaquettose
et l’activation plaquettaire sont les facteurs directement
incriminés.
Il pourrait par ailleurs être important
de rechercher chez ces malades un déficit en anticoagulants
naturels.
B - Complications hématologiques :
1- Myélofibrose secondaire
:
Il s’agit de l’évolution naturelle de la maladie de
Vaquez, d’installation retardée, et la moitié des malades
bénéficiant d’une survie très prolongée, c’est-à-dire de
20 ans ou plus, auront développé cette complication.
Elle se manifeste très progressivement.
Avant la constitution
du tableau caractéristique de myélofibrose,
superposable à celui de la myélofibrose primitive (volumineuse
splénomégalie, anémie avec anisopoïkilocytose
et notamment hématies en larmes, érythromyélémie,
fibrose médullaire collagène, métaplasie myéloïde
hépatosplénique mise en évidence par scintigraphie à
l’111In), s’installe parfois une phase intermédiaire
(spent phase) marquée par une augmentation de volume
de la splénomégalie et une minoration de la polyglobulie
par hypervolémie plasmatique.
Au stade de myélofibrose
constituée, les possibilités thérapeutiques sont
restreintes, comme dans la myélofibrose primitive, et
les complications terminales sont les mêmes que dans
cette affection.
La carence martiale prolongée, telle celle induite par
des saignées au long cours à usage thérapeutique, joue
un rôle favorisant indéniable dans la précocité du développement
d’une myélofibrose secondaire.
Il semble
par ailleurs important que le traitement myélofreinateur
normalise en permanence la numération plaquettaire, le
rôle de cytokines relarguées par les mégacaryocytes
dans la genèse de la myélofibrose étant bien établi.
2- Transformation leucémique aiguë :
Elle s’observe, dans les grandes séries de maladie de
Vaquez, chez 10 à 15 % des malades à la 10e année suivant
le diagnostic, et ce risque continue à augmenter
constamment avec le temps.
Cette complication apparaît tributaire du traitement
délivré pour contrôler la maladie de Vaquez.
Le risque
est très faible chez les malades traités par saignées
exclusives, même s’il n’est pas inexistant.
Le rôle favorisant
du radiophosphore et des alkylants est indubitable.
Cette constatation a entraîné l’usage intensif, ces
dernières années, de produits supposés peu leucémogènes
comme l’hydroxyurée (Hydréa) et le pipobroman (Vercyte), notamment chez les sujets relativement
jeunes (moins de 65 ans).
En fait, les délais d’observation
sont maintenant suffisants pour conclure au caractère
non anodin de ces agents.
Tant avec l’hydroxyurée
que le pipobroman, le risque leucémique serait d’environ
10 % à la 13e année.
Les leucémies aiguës venant terminer le cours évolutif
de la maladie de Vaquez traitée par myélofreination ont
toutes les caractéristiques des leucémies aiguës induites.
Elles sont le plus souvent précédées d’une phase de myélofibrose et (ou) de myélodysplasie.
Il s’agit de leucémies
aiguës myéloïdes difficilement classables.
Le
caryotype est dit défavorable : caryotypes complexes
avec –5/del 5q et (ou) -7/del 7q chez les malades préalablement
soumis au radiophosphore ou aux alkylants,
del 17p en cas de traitement préalable par hydroxyurée
ou pipobroman (notion récente).
Une fois installée, la transformation leucémique aiguë
de maladie de Vaquez est fatale dans un délai très bref
et ne reconnaît aucun traitement.
Il est exceptionnel, du
fait de l’âge, qu’une allogreffe de moelle osseuse puisse
être proposée.
Traitement
:
Son but est la normalisation permanente de l’hématocrite
(qui doit être le plus proche possible de 45 %) et
de la numération plaquettaire (qui ne doit pas franchir
la barre des 500.109/L), afin de réduire le risque vasculaire.
Il doit par ailleurs jouer un rôle inducteur le plus
faible possible à l’égard des complications hématologiques.
A - Saignées :
Les tentatives de traitement exclusif, au long cours, de
la maladie de Vaquez par des saignées entraînent des
inconvénients tels que la moitié des malades auront
abandonné à 5 ans et la quasi-totalité à 10 ans.
Ce
défaut d’observance tient aux contraintes liées au geste
mais aussi au développement d’une carence martiale
profonde et souvent mal tolérée, qu’il convient pourtant
de respecter.
En fait, le seul avantage des saignées est de s’accompagner
d’un risque leucémogène très faible.
Par contre,
elles contrôlent mal le risque vasculaire en raison du
caractère souvent aléatoire de leur réalisation au bout
d’un certain temps, et aussi du fait de l’exacerbation de
l’hyperplaquettose par la carence martiale.
Elles facilitent
enfin une évolution rapide vers la myélofibrose.
Les saignées ne sont plus réservées qu’au traitement
d’urgence de la maladie de Vaquez, afin de normaliser
rapidement l’hématocrite quand celui-ci est supérieur à
55 % chez la femme et à 60 % chez l’homme.
Elles
sont réalisées à raison de 300 mL/j ou 1 jour sur 2.
B - Traitement myélofreinateur :
1- Radiophosphore ou 32P
:
Il a pendant longtemps été la référence. Il est délivré
par voie veineuse, à raison de 0,1 mCi/kg pour une dose maximale de 7 mCi.
Parfaitement toléré, il se
solde par une réponse complète au terme de 3 à 4 mois.
La durée de cette réponse complète est de l’ordre de 3
ans.
La répétition des cures de 32P se traduit par des
réponses de plus en plus brèves mais la radiorésistance
est rare.
Le 32P contrôle de façon satisfaisante le risque vasculaire.
Il ne facilite pas particulièrement l’évolution
naturelle myélofibrosante. Par contre, son rôle inducteur
leucémogène est bien établi.
Il a été récemment
démontré que la mise en oeuvre de l’hydroxyurée après
32P, en maintenance, était plus leucémogène que le 32P
seul.
Le 32P doit maintenant être réservé aux sujets les plus
âgés.
Compte tenu de l’augmentation constante de l’espérance
de vie générale, il n’est pas illogique de fixer la
barre à 70 ans.
2- Agents alkylants :
Il s’agit essentiellement du busulfan (Misulban). Ce
produit n’est plus guère utilisé car il est considéré
comme revêtant un risque d’induction leucémogène
identique à celui du 32P, auquel se surajoute un risque
aplasique grave.
3- Hydroxyurée et pipobroman :
Ces deux médicaments non radiomimétiques, dépourvus
de résistance croisée, sont actuellement les produits
les plus utilisés. Leur maniement est superposable.
L’obtention d’une réponse complète
est quasi constante.
Celle-ci devra être entretenue par
un traitement de maintenance, à la dose la plus faible
possible.
La tolérance de ces deux produits est bonne ; les cytopénies
sont rares et rapidement résolutives.
L’hydroxyurée
peut entraîner des troubles cutanéo-muqueux à type
d’ulcères de jambe ou de stomatite.
Le pipobroman, à
posologie d’attaque, peut entraîner des troubles digestifs
à type d’épigastralgies et de diarrhée.
La survenue
sous hydroxyurée d’une grande macrocytose est
constante et dénuée de signification pathologique.
Il est maintenant établi que le risque d’induction leucémogène
est bien réel avec ces médicaments, même s’il est probablement plus réduit qu’avec le 32P et les alkylants.
Le risque de facilitation de l’évolution myélofibrosante
apparaît élevé avec l’hydroxyurée, probablement
parce que la normalisation permanente de la
numération plaquettaire est plus difficile à obtenir
qu’avec le pipobroman.
Un contrôle stable de l’hématocrite
est aussi parfois plus difficile à obtenir avec l’hydroxyurée
qu’avec le pipobroman.
Ce dernier produit
mérite donc d’être privilégié.
C - Interférons alpha
:
Ils sont assez souvent efficaces en matière de contrôle
de la maladie de Vaquez et sont peut-être dépourvus
d’effet d’induction leucémogène.
Néanmoins, leurs très
nombreuses manifestations d’intolérance rendent leur
usage exceptionnel.
Ils peuvent avoir une place dans les très rares formes
réfractaires à l’hydroxyurée et au pipobroman.
Ils ont la
particularité de bien contrôler le prurit et peuvent être
prescrits chez la femme enceinte.
D - Salicylés
:
Leur intérêt à faibles doses (100 mg/j), en association
avec le traitement myélofreinateur, pour un meilleur
contrôle du risque thrombotique, est à démontrer.