Maladies gingivales induites par la plaque
Cours de Médecine Dentaire
Définitions. Classification. Terminologie
:
La terminologie en parodontologie, comme dans
toutes disciplines médicales, est évolutive en fonction
des progrès des connaissances étiologiques et
pathogéniques.
De nombreux termes concernant les gingivites
sont ainsi devenus obsolètes.
À la lumière des dernières
classifications des maladies parodontales et
en particulier de celle d’Armitage, adoptée lors de
la Conférence internationale de consensus de
l’Académie américaine de parodontologie en 1999,
se dégage une orientation consensuelle à ce sujet.
Il existe deux grands types de maladies gingivales
(gingivopathies) : les maladies gingivales induites
par la plaque bactérienne dentaire (biofilm dentaire)
3 et les maladies gingivales non induites par la
plaque bactérienne dentaire.
Les gingivites au sens strict du terme sont actuellement
définies comme des maladies gingivales associées
uniquement à la plaque bactérienne sans
facteurs modifiants.
En effet, dans le groupe des
« maladies gingivales induites par la plaque », se
trouvent également les maladies gingivales modifiées
notamment par des facteurs systémiques ou
par des médicaments.
Les maladies gingivales induites par la plaque
dentaire se caractérisent par une inflammation gingivale
localisée à la seule fibromuqueuse gingivale.
C’est la forme la plus commune de maladies gingivales,
qui s’observe aussi bien chez l’enfant que
chez l’adulte.
L’aspect réversible des lésions tissulaires après
l’instauration d’un traitement étiologique en fait la
principale caractéristique par rapport à la parodontite.
Nous aborderons l’ensemble des maladies gingivales
induites par la plaque bactérienne dentaire :
dans un premier temps les gingivites, puis les maladies
gingivales modifiées par les différents facteurs sus-cités.
Nous ne manquerons pas de faire un
diagnostic différentiel d’avec les maladies gingivales
non induites par la plaque bactérienne et les
parodontites.
Diagnostic positif des gingivites
:
Le tableau de la gingivite est souvent discret ; son
installation passe fréquemment inaperçue.
Les premiers
signes de la gingivite sont une augmentation
du volume du fluide gingival, une tendance de la fibromuqueuse au saignement provoqué par un sondage
délicat à l’entrée du sillon gingivodentaire
(sulcus).
En effet, le saignement serait pour de
nombreux auteurs le premier signe à apparaître lors
de gingivite, avant même le changement de couleur
ou tout autre signe.
Le saignement gingival, ou
gingivorragie, déclenché par le brossage buccodentaire,
peut être évoqué par le patient ou recherché
par le praticien lors de l’entretien avec le patient.
Les gingivorragies spontanées sont rares, voire
inexistantes dans le tableau de la gingivite ; elles
signent dans la majorité des cas des troubles généraux,
comme des troubles de la crase sanguine.
La
gingivite évolue généralement en l’absence de douleur
; parfois les patients décrivent des agacements
gingivaux (prurit gingival) ou une sensibilité gingivale
accrue.
Les signes classiquement retenus pour
décrire la gingivite sont ceux liés à l’installation du
processus inflammatoire au sein d’un tissu, c’est-àdire
l’extravasation vasculaire entraînant oedème
et hyperhémie.
Il y a donc des modifications de
couleur, de consistance, de texture, de volume et
de contour gingival.
A - Modification de couleur
:
De rose pâle, couleur normale de la fibromuqueuse
gingivale, la couleur de celle-ci passe au rouge,
rouge violacé, rouge lie-de-vin.
L’intensité de
l’érythème varie en fonction de celle de l’inflammation
et donc de l’hyperhémie sous-jacente.
Elle
varie également en fonction du type de parodonte,
fin et festonné ou épais et plat, la densité collagénique
dans ce dernier cas masquant l’inflammation
sous-jacente.
B - Modification de consistance :
La fibromuqueuse gingivale saine est de consistance
ferme et élastique ; elle est fermement attachée aux plans dentaires et osseux sousjacents.
Au cours de l’installation de la gingivite, la fibromuqueuse gingivale devient molle, moins rénitente
à la pression digitale.
C - Modification de texture :
Le granité, ou piqueté en peau d’orange, présent
chez environ 40 % de la population qui présentent
une gencive normale, disparaît dans la gingivite
pour laisser place à des zones vernissées, lisses,
brillantes, qui témoignent d’une atteinte des fibres
du tissu conjonctif gingival.
D - Modification du contour gingival
:
Le biseau franc et net du bord marginal d’une fibromuqueuse gingivale saine s’arrondit progressivement,
s’épaissit et se détache de la surface dentaire
adjacente, attestant une perte de tonicité
tissulaire.
Le sondage parodontal du sillon gingivodentaire
d’une fibromuqueuse gingivale saine varie entre
0,25 et 1,35 mm de profondeur.
Dans le cas d’une
gingivite, l’augmentation du volume gingival suite à
l’installation de l’oedème, c’est-à-dire l’apparition
d’une hyperplasie gingivale, entraîne un accroissement
de ce sillon par migration coronaire du rebord
marginal gingival avec respect de l’attache épithélioconjonctive.
L’augmentation de la profondeur
du sillon gingivodentaire donne naissance à une
poche gingivale ou fausse poche parodontale.
Aucune alvéolyse n’est mise en évidence à l’examen
radiographique rétroalvéolaire.
Formes cliniques
:
La gingivite peut être localisée à une dent, ou bien
généralisée à l’ensemble des dents d’une cavité
buccale.
Elle peut siéger sur la fibromuqueuse gingivale
interdentaire ou papille (papillite), sur la
gencive marginale (gingivite marginale), sur toute
la fibromuqueuse gingivale (gingivite diffuse).
L’intensité
de la réponse de l’hôte à l’agression d’origine
bactérienne, c’est-à-dire l’intensité de la réponse
inflammatoire, dépend du caractère de
virulence bactérienne et des capacités de défense
et de régénération de l’hôte ; il est ainsi classiquement
décrit des gingivites qui s’installent et évoluent
lentement, des gingivites aiguës, d’apparition
soudaine, des gingivites subaiguës et des
phases d’inflammation aiguë survenant sur une gingivite
déjà installée.
Épidémiologie des gingivites
:
Les enquêtes épidémiologiques ainsi que de nombreuses
études cliniques concernant les gingivites
requièrent l’utilisation d’indices épidémiologiques,
qui sont des valeurs chiffrées qui permettent de
quantifier des signes cliniques.
En ce qui concerne
les gingivites, les indices retenus sont les indices de
plaque bactérienne et les indices gingivaux.
Nous
ne décrirons que les indices épidémiologiques le plus fréquemment utilisés dans les études cliniques.
A - Indices de plaque
:
Les indices de plaque bactérienne permettent
d’apprécier le degré d’hygiène buccodentaire et la
qualité de l’élimination de la plaque bactérienne.
Ils ne permettent pas d’apprécier la qualité de
cette plaque et n’ont donc aucune valeur quant à la
virulence de celle-ci.
1- Indice de plaque de Quigley et Hein modifié par
Turesky et al. :
Cet indice requiert l’utilisation d’un révélateur de
plaque bactérienne, comme par exemple la fuchsine
basique ou l’érythrosine à 2 % en solution hydroalcoolique.
Après coloration de la plaque bactérienne
à l’aide d’une boulette de coton saturée
en révélateur de plaque et élimination de l’excédent
de révélateur par rinçage à l’eau, la plaque
est quantifiée sur les faces vestibulaires et linguales
des dents prises en compte, selon six scores
possibles :
• 0 : absence de plaque ;
• 1 : îlots de plaque dans la région cervicale
dentaire ;
• 2 : une fine et continue bande colorée de
plaque de moins de 1 mm de large est présente
au bord cervical des dents ;
• 3 : une bande colorée de plaque recouvre
moins d’un tiers de la couronne ;
• 4 : la plaque colorée recouvre entre un tiers et
deux tiers de la couronne ;
• 5 : la plaque colorée recouvre plus des deux
tiers de la couronne.
L’indice peut être calculé pour une seule dent,
un groupe de dents ou pour toutes les dents.
L’indice
de plaque de Turesky de toute une bouche est
la moyenne des faces examinées.
2- Indice de plaque de Silness et Löe (« plaque
index » [PI])
:
L’indice de plaque de Silness et Löe a été développé
parallèlement à l’indice gingival de Löe et
Silness.
Il prend en compte la quantité de plaque
bactérienne au contact de la fibromuqueuse gingivale
sur les faces vestibulaires, linguales et proximales.
Il ne tient compte que de la différence
d’épaisseur de plaque bactérienne et non pas de
l’extension coronaire de la plaque dentaire.
Il se
calcule en l’absence de toute coloration selon quatre
scores :
• 0 : absence de plaque bactérienne ;
• 1 : film de plaque bactérienne invisible à l’oeil
nu ;
• 2 : plaque bactérienne abondante dans le sillon gingivodentaire qui se voit à l’oeil nu ;
• 3 : plaque bactérienne abondante pouvant atteindre
une épaisseur de 2 mm.
Comme pour l’indice précédent, l’indice de plaque
se calcule de la même façon, soit pour une
dent, soit pour un groupe de dents, soit pour toutes
les dents d’une cavité buccale.
B - Indices gingivaux :
Les indices gingivaux sont utilisés pour décrire
l’état relatif du degré de santé et/ou de maladie
des tissus gingivaux.
La plupart de ces indices ont
une échelle graduée avec des limites supérieure et
inférieure définies.
Ces indices sont en relation
avec un ou plusieurs des critères suivants : couleur,
contour, saignement, étendue, fluide gingival.
1- Indice gingival de Löe et Silness (« gingival
index » [GI])
:
L’indice gingival permet d’apprécier la sévérité et
la localisation des gingivites.
Il se calcule sur les
quatre unités gingivales d’une dent, vestibulaire,
distale, linguale et mésiale, selon quatre scores :
• 0 : fibromuqueuse gingivale normale ;
• 1 : légère inflammation gingivale avec un léger
changement de couleur, aucun saignement
provoqué ;
• 2 : inflammation modérée ; fibromuqueuse gingivale
de couleur rouge, rouge bleuté ;
oedème, aspect vernissé ; il existe un saignement
provoqué au sondage ;
• 3 : inflammation sévère, oedème important,
tendance à l’ulcération et à l’hémorragie spontanée.
Cet indice peut également être utilisé dans le
contrôle de l’efficacité d’une thérapeutique visant
à réduire ou à éliminer l’inflammation gingivale.
Une gingivite légère présente un GI compris entre
0,1 et 1, une gingivite modérée un GI compris entre
1,1 et 2, et une gingivite sévère un GI compris entre
2,1 et 3.
2- Indice de saignement de Mühlemann (« sulcus
bleeding index » [SBI])
:
Cet indice combine les signes cliniques de l’inflammation
et le saignement provoqué, premier signe
de la gingivite.
Suite à un sondage délicat du sillon gingivodentaire, le saignement provoqué au niveau
de la papille et au niveau de la fibromuqueuse
gingivale est relevé selon quatre scores :
• 0 : gencive normale, absence d’inflammation ;
• 1 : les papilles et la fibromuqueuse marginale
sont d’apparence normale ; le sondage avec
une sonde parodontale peut faire apparaître un
point de saignement ;
• 2 : inflammation de la papille et de la gencive
marginale pouvant s’étendre à la gencive attachée
; l’oedème est discret et il existe un
saignement provoqué au sondage ;
• 3 : oedème, inflammation importante, changement
de couleur de la gencive et saignement
au sondage ;
• 4 : des ulcérations surajoutées sont relevées.
Selon Stamn, la gingivite marginale commence
dès la plus petite enfance, vers l’âge de 5 ans,
progresse en fréquence globale et en sévérité
jusqu’à l’adolescence puis tend à se stabiliser.
Il
est difficile d’évaluer la fréquence de la gingivite
dans la population étant donné la pauvreté des
études épidémiologiques dans ce domaine. Selon
les études et les critères pris en compte, la fréquence
des gingivites chez l’adulte varie de 50 à
100 %.
Dans les pays industrialisés, les gingivites
affectent la quasi-totalité des adolescents et 40 à
50 % des adultes.
Une étude épidémiologique conduite en Suède
sur une population âgée de 20 à 70 ans et suivie sur
une période de 30 ans montre une décroissance du
nombre d’individus porteurs de parodontites superficielles
au profit d’une augmentation du nombre
d’individus sains ou porteurs de gingivite.
Cette
étude comme d’autres du même genre atteste que,
dans les pays industrialisés, un système de prise en
charge médicale évolué et un haut niveau d’hygiène
buccodentaire permettent de réduire la fréquence
des gingivites.
À l’exception de la période de la puberté, les
femmes semblent avoir une fréquence globale et
une sévérité de gingivite moindre que les hommes.
De par l’influence des cycles hormonaux sur le
terrain, les femmes présentent une gingivite plus
prononcée durant les périodes de grossesse et de
règles.
Les sujets d’ethnie noire ont en général
davantage d’inflammation gingivale que les sujets
d’ethnie blanche.
La tendance au développement d’une gingivite
est plus marquée chez les adultes que chez les
enfants ; une résistance plus marquée à la plaque
bactérienne expliquerait une inflammation moindre
chez les enfants.
Étiologie et pathogénie des gingivites
:
A - Étiologie :
Les gingivites, comme d’ailleurs les parodontites,
sont indubitablement des maladies infectieuses
provoquées par des bactéries qui colonisent les
surfaces dentaires qui sont au contact de la fibromuqueuse
gingivale, aussi bien en juxtagingival
qu’en sous-gingival, dans le sillon gingivodentaire.
Ces bactéries, en colonisant les surfaces dentaires,
vont constituer la plaque dentaire bactérienne
maintenant appelée biofilm dentaire.
Löe et
al. dans une étude menée chez l’homme, la première
du genre, à partir d’un protocole de gingivite
expérimentale sur 21 jours démontrent le rôle indiscutable
du biofilm dentaire dans l’apparition
d’une gingivite après suspension des manoeuvres
d’hygiène buccodentaire.
La reprise des manoeuvres
d’hygiène buccodentaire visant à éliminer le biofilm dentaire permet de retrouver une fibromuqueuse
gingivale cliniquement saine.
De
très nombreuses autres études de gingivites expérimentales
conduites chez l’homme et chez l’animal
ont confirmé le rôle des bactéries dans le
déclenchement et le maintien des gingivites.
Les gingivites ainsi associées au biofilm dentaire
peuvent être favorisées par des facteurs locaux
aggravants qui agissent soit comme facteurs de
rétention de plaque bactérienne, soit comme cofacteurs.
Des facteurs généraux peuvent également
intervenir en modifiant la réponse inflammatoire
dans la fibromuqueuse gingivale suite à l’agression
bactérienne.
1- Biofilm associé à la santé parodontale
:
En présence d’une fibromuqueuse gingivale saine,
4 heures après un nettoyage minutieux des surfaces
dentaires, 103 à 104 bactéries par millimètre carré
de surface dentaire colonisent la pellicule acquise
de la région cervicale des dents.
Le biofilm
dentaire supragingival commence alors à se former.
Les premières bactéries qui colonisent la pellicule
acquise sont des streptocoques, en particulier Streptococcus mitis, S. sanguis, S. milleri et S. mutans.
Le biofilm supragingival s’enrichit progressivement
en certaines bactéries qui se multiplient à
la surface sous forme de colonies bactériennes homogènes
ou hétérogènes.
Une des caractéristiques
fondamentales de ces bactéries est leur capacité à
pouvoir adhérer soit aux surfaces dentaires, soit à
d’autres bactéries pouvant à leur tour adhérer aux
surfaces dentaires.
Il existerait dès ce stade une
véritable coopération bactérienne, soit sous forme
d’interactions nutritionnelles, soit sous forme de coagrégations bactériennes spécifiques dont
l’exemple le plus caractéristique est la formation
en épi de maïs qui correspond à la croissance de
cocci à la surface d’une bactérie filamenteuse.
Le biofilm supragingival, s’il n’est pas correctement
éliminé, donne naissance à un biofilm sousgingival
dans le sillon gingivodentaire.
Ce biofilm
est plus complexe dans son organisation ; il
contient des formes bactériennes non adhérentes,
c’est-à-dire des bactéries mobiles.
L’environnement sous-gingival influence les conditions de
croissance de certaines bactéries.
Les bactéries à
Gram positif, aérobies/anaérobies facultatives,
prédominent dans le biofilm supragingival, tandis
que le biofilm sous-gingival contient essentiellement
des bactéries à Gram négatif anaérobies.
Il y a
donc une évolution vers une anaérobiose (dérive
anaérobie de la plaque).
À côté de cette notion de biofilm dentaire, les
notions de flores bactériennes associées aux différentes
maladies parodontales ont été développées ;
elles rendent mieux compte du caractère infectieux
des maladies parodontales et de la nature
complexe de la flore bactérienne parodontale.
Ainsi, il existe une flore compatible avec la santé
parodontale et une flore ou des flores associées à la
gingivite.
La flore associée à la santé parodontale est une
association complexe d’espèces bactériennes.
Il
est possible de trouver plus de 300 espèces bactériennes
différentes dans un biofilm dentaire supragingival.
Parmi ces espèces, certaines sont des
bactéries présentes occasionnellement, d’autres
sont considérées comme des bactéries normalement
résidentes Une flore compatible avec la santé
parodontale contient une majorité de bactéries
aérobies, 85 % de bactéries à Gram positif, une
bactérie mobile pour 40 immobiles et une richesse
en cocci, essentiellement sous forme de streptocoques.
Des bâtonnets à Gram positif anaérobies
facultatifs sont également trouvés comme des Actinomyces
(A. naeslundii, A. viscosus) ou des Lactobacillus
(L. casei, etc.). Quelques Bacteroides peuvent
également être isolés.
La présence de
bâtonnets à Gram négatif, anaérobies facultatifs,
comme Haemophilus sp., Eikenella sp. et Actinobacillus
actinomycetemcomitans, a été rapportée
dans la littérature.
Il est également noté, dans des proportions nettement
moindres, la présence d’une flore anaérobie,
surtout dans l’épaisseur du biofilm supragingival
de plusieurs jours, comme des cocci anaérobies
à Gram positif (Streptococcus sp., Peptostreptococcus
sp.), des bâtonnets anaérobies à Gram positif
(Eubacterium sp., Propionibacterium sp.) et des
bâtonnets anaérobies à Gram négatif (Fusobacterium
sp., Leptotricia sp.).
Au fur et à mesure que le biofilm se forme sur les
surfaces supragingivales et au contact de la fibromuqueuse
gingivale, sa composition bactérienne,
varie permettant ainsi la croissance de formes et
des colonies bactériennes déclenchant une inflammation
gingivale.
2- Flore bactérienne associée à la gingivite
:
Une accumulation de bactéries et/ou une concentration
en germes pathogènes avec au moins 105
bactéries/mm2 de surface dentaire est nécessaire
pour déclencher une gingivite.
Toutes les maladies
infectieuses ne répondent pas à ce schéma d’un
nombre critique de bactéries pour déclencher un
tableau clinique.
En ce qui concerne les maladies
parodontales, il est impossible dans l’état actuel de
nos connaissances de montrer que ces maladies
sont déclenchées par telle bactérie plutôt que par
telle autre, au vu de la complexité de la flore
bactérienne sous-gingivale.
Ainsi, suite à des prélèvements
de plaque sous-gingivale, on parle de « flores
associées aux maladies parodontales » à l’égard
des bactéries le plus fréquemment rencontrées.
La flore associée à la gingivite passe d’une prédominance
de formes à Gram positif à une flore plus
complexe incluant des bactéries à Gram négatif et
des formes spiralées.
De nombreuses études en
microscopie montrent trois phases dans les changements
de la composition bactérienne de la plaque
bactérienne dentaire durant les 2 premières semaines
de l’installation d’une gingivite.
Durant la première
phase, les cocci et les bâtonnets à Gram
positif prédominent.
Des espèces filamenteuses apparaissent
ensuite et enfin des spirochètes, qui sont
observés dans la portion la plus apicale de la plaque
adjacente à la fibromuqueuse gingivale.
Moore et al. rapportent dans leur étude sur la
gingivite expérimentale que la composition bactérienne
est relativement constante d’un sujet à
l’autre lors des 4 premiers jours d’accumulation du biofilm dentaire.
Dans les jours qui suivent, il existerait
en revanche des variations de composition
d’un sujet à l’autre.
Comme dans le cas d’une microflore compatible
avec la santé parodontale, les bactéries anaérobies
facultatives à Gram positif des genres Actinomyces
sp., Streptococcus sp. sont retrouvées, mais dans
des proportions moindres.
Elles vont laisser la place
à des bactéries anaérobies facultatives à Gram
négatif comme Neisseria sp., Eikenella corrodens,
Capnocytophaga et Campylobacter.
L’installation
de la réaction inflammatoire et en particulier l’installation
d’un oedème entraîne la formation d’une
poche gingivale.
C’est ainsi que les conditions environnementales
deviennent favorables à une dérive
anaérobie de la microflore.
La proportion de bactéries
anaérobies augmente. Dans cette catégorie,
les bâtonnets prédominent avec Prevotella sp. (P.
intermedia, P. denticola, P. gingivalis), Bacteroides
sp., Fusobacterium sp. (F. nucleatum) et Leptotricia.
Des bâtonnets anaérobies à Gram positif
comme Actinomyces israelii coexistent à côté de
ces bâtonnets anaérobies à Gram négatif.
Des spirochètes
du type Treponema denticola vont pouvoir
également coloniser l’environnement sousgingival.
Il existerait une proportionnalité directe
entre le nombre de formes mobiles et le degré
d’érythème des tissus gingivaux.
La flore associée à la gingivite de l’adulte est
différente de la flore associée à la gingivite de
l’enfant.
Chez l’enfant, il existe une plus grande
proportion de Leptotricia sp., Capnocytophaga sp.,
Selenomonas sp., et des bactéries ayant besoin de
formate et de fumarate pour leur croissance ; il y
aurait chez l’enfant une corrélation entre l’importance
de la gingivite, le volume du biofilm dentaire
et la quantité de bactéries à pigments noirs (Prevotella
intermedia) et de spirochètes.
Des modifications de flore bactérienne s’observeraient
sous l’influence de différents principes
actifs médicamenteux, comme par exemple sous
l’influence de psychotropes.
La composition bactérienne varie également en
fonction du cycle hormonal de la femme.
Dans le
cas de gingivite chez la femme, le nombre de
bactéries hormonodépendantes comme Prevotella
intermedia serait proportionnel aux taux plasmatiques
d’oestrogènes et de progestérone.
3- Hypothèse de la flore spécifique et notion
de gingivite à risque :
Parmi les plus de 300 espèces bactériennes présentes
dans une microflore parodontale associée à la
santé parodontale, il existe des bactéries qui sont
considérées comme étant présentes normalement
et d’autres comme étant présentes occasionnellement.
L’étude de la microflore associée aux parodontites
agressives a permis d’isoler le rôle de
certaines bactéries qui semblent être systématiquement
associées aux destructions tissulaires observées.
Ces associations impliquent le rôle de Actinobacillus actinomycetemcomitans, Porphyromonas
gingivalis, Prevotella intermedia, Eikenella
corrodens, Campylobacter rectus, Eubacterium
sp., Selenomonas sp., Tannerella forsythus (anciennement
Bacteroides forsythus), Treponema
denticola.
Si les connaissances actuelles ne permettent
pas d’affirmer le rôle de ces bactéries dans
les destructions tissulaires, une association ne signifiant
pas automatiquement une cause, il existe
suffisamment de preuves, comme la possession de
puissants facteurs de virulence bactérienne, pour
considérer ces bactéries comme potentiellement parodontopathogènes.
C’est ainsi qu’un patient
porteur d’une gingivite et dont la microflore
contient ces bactéries parodontopathogènes semble
présenter un risque plus important de faire une
parodontite.
Cependant, cette notion de risque
attachée à la composition de la microflore ne doit pas occulter les autres éléments impliqués dans
l’initiation d’une parodontite, comme les facteurs
liés aux capacités de défense et à leur adaptation
face à la nature de l’agression bactérienne.
4- Facteurs locaux aggravant les gingivites
:
Les gingivites associées au biofilm dentaire sont
initiées et entretenues par une microflore supra- et
sous-gingivale.
En fonction des conditions environnementales,
la nature de cette microflore, mais
aussi le nombre total de bactéries et les proportions
de chacune des espèces qui la composent, sont
susceptibles de varier et donc de modifier l’intensité
de la réponse de l’hôte.
Ces modifications
qualitatives et quantitatives dans l’écologie orale
vont se traduire par une aggravation de la gingivite
contribuant à augmenter localement le risque parodontal.
Les facteurs qui peuvent faire varier les conditions
environnementales vont agir comme rétenteurs
de plaque bactérienne (« pièges à plaque ») et
entraver le contrôle de plaque.
Ils modifient les
conditions physicochimiques de croissance bactérienne.
Les facteurs de rétention de plaque classiquement
décrits et repris dans la classification d’Armitage
sont :
• les facteurs anatomiques (les points de contact interproximaux défectueux, les malpositions
dentaires) ;
• les restaurations débordantes, les limites cervicales
mal ajustées, les appareillages orthodontiques ;
• les fractures radiculaires ;
• les lésions cervicales radiculaires et les défauts cémentaires.
Le tartre, produit de la minéralisation de la
plaque bactérienne dentaire, ne peut affecter par
lui-même la santé gingivale, mais sa surface rugueuse
et poreuse, constamment recouverte d’une
fine couche de plaque bactérienne, même après un
brossage minutieux, en fait un facteur aggravant
une gingivite.
La respiration buccale a tendance à aggraver une
gingivite des secteurs antérieurs en se comportant
comme irritant physique.
Les effets du tabac sur les signes cliniques de la
gingivite et sur son devenir sont bien connus et très
complexes.
Le tabac agit aussi bien localement que
sur le terrain immunitaire de l’hôte.
À ce titre,
l’impact du tabagisme sur le parodonte est développé
dans le paragraphe concernant les gingivites
associées à la plaque et modifiées par des facteurs
généraux.
B - Anatomopathologie
:
Les modifications microscopiques liées à la formation
d’une gingivite apparaissent bien avant toute
modification clinique.
Au plan anatomopathologique,
il faut pouvoir différencier un parodonte sain
d’un parodonte qui commence à devenir pathologique
et dans lequel une inflammation gingivale commence
à s’installer.
En d’autres termes, il est très
difficile de déterminer avec exactitude quand débute
précisément une inflammation gingivale.
Dans
une fibromuqueuse gingivale cliniquement saine, la
portion la plus coronaire du tissu conjonctif gingival
(de 3 à 5 % de ce tissu conjonctif) contient un petit
infiltrat de cellules inflammatoires composé de
lymphocytes, de granulocytes neutrophiles, de
monocytes/macrophages qui sont au contact de
l’épithélium de jonction. De rares plasmocytes sont
visibles parmi ces cellules inflammatoires.
Des granulocytes
neutrophiles migrent depuis le plexus
vasculaire dentogingival à travers l’épithélium de
jonction vers le sillon gingivodentaire ou la gencive
marginale.
Dans des conditions drastiques de
contrôle de plaque et en l’absence de tout traumatisme,
il est possible d’obtenir chez l’animal un
parodonte qualifié d’« histologiquement sain » dépourvu
d’infiltrat inflammatoire : un petit nombre
de cellules leucocytaires isolées se retrouve dans le
tissu conjonctif gingival au voisinage des vaisseaux.
Suite à l’accumulation du biofilm au contact de
la fibromuqueuse gingivale, un infiltrat inflammatoire
s’installe progressivement dans le tissu
conjonctif gingival, s’accompagnant de la réduction
du nombre de fibroblastes et de la densité des
fibres collagéniques.
La classification pionnière de
Page et Schroeder (1976) rend compte de la modification
des tissus parodontaux suite à cette accumulation
de plaque bactérienne.
Elle décrit quatre
stades d’évolution : les lésions initiale, précoce et
établie qui sont des lésions gingivales, et la lésion
avancée qui est une lésion parodontale, c’est-àdire
une lésion qui affecte l’ensemble des tissus
parodontaux.
La lésion initiale apparaît 2 à 4 jours après une
accumulation de plaque ; la lésion précoce apparaît
entre 4 et 14 jours ; elle correspond au plan clinique
à une gingivite en phase aiguë.
Les principales
caractéristiques anatomopathologiques de ces
deux premiers stades d’évolution sont : altération
de l’épithélium de jonction qui commence à proliférer
latéralement dans la portion la plus coronaire
; hyperhémie et exsudat de protéines plasmatiques
; augmentation de la migration des
granulocytes neutrophiles au travers de l’épithélium
de jonction en direction du sillon gingivodentaire
; accumulation de cellules lymphoïdes, de
monocytes et de macrophages ; altérations cytoplasmiques
de certains fibroblastes gingivaux ;
perte de collagène dans la zone infiltrée ; prolifération
vasculaire.
La lésion établie fait suite et se développe entre
2 et 3 semaines après une accumulation de plaque,
mais peut très bien se développer plus lentement
en plusieurs mois.
Cette dernière situation peut
persister de nombreuses années sans aucune évolution.
Elle correspond à un stade de gingivite installée.
Les altérations cellulaires et tissulaires observées
au cours des deux précédents stades se
poursuivent, entraînant une augmentation du volume
du tissu gingival qui s’accompagne d’une augmentation
de la profondeur du sillon gingivodentaire
et la formation d’une fausse poche
parodontale, encore appelée poche gingivale.
La
taille de l’infiltrat inflammatoire augmente ; sa
composition évolue vers une prédominance de cellules
plasmatiques et de lymphocytes T.
Ces trois stades de lésions gingivales présentent
comme caractéristique commune une absence de
lésion de l’os alvéolaire et un respect du niveau
d’attache.
C - Mécanismes pathogéniques :
La fibromuqueuse gingivale est constamment exposée
à l’environnement bactérien.
Un biofilm dentaire
supragingival, si minime soit-il, est toujours
présent sur les surfaces dentaires ; dans ce
contexte, une fibromuqueuse gingivale histologiquement saine ne peut exister dans des conditions
naturelles.
L’exposition constante aux
bactéries, à leurs composés et aux produits de leur
métabolisme stimule un ensemble de réactions de
défense et en particulier une migration de granulocytes
neutrophiles depuis le compartiment sanguin dentogingival vers le sillon gingivodentaire au travers
de l’épithélium de jonction.
Ces granulocytes
neutrophiles qui vont se retrouver ainsi dans le
sillon gingivodentaire sont parfaitement fonctionnels.
Ils s’opposent à la pénétration des bactéries
et de leurs composés dans l’épithélium de
jonction et dans le tissu conjonctif sous-jacent.
Cette ligne de défense est renforcée par l’intégrité
des structures épithéliales qui jouent le rôle de
barrière, par le flux du fluide gingival qui permet un
nettoyage du sillon gingivodentaire et par l’action
de certains composés immunologiquement actifs,
comme des anticorps spécifiques et des protéines
du complément présents dans le fluide gingival.
De
plus, le turn-over élevé de l’épithélium de jonction
et de l’épithélium oral sulculaire permet une cicatrisation
rapide en cas de lésions épithéliales microscopiques.
La croissance du biofilm dentaire au contact de
la fibromuqueuse gingivale entraîne alors l’activation
d’une réponse inflammatoire locale comprenant
entre autres des modifications vasculaires de
la microcirculation parodontale, un exsudat plasmatique
et l’installation d’un oedème.
Les granulocytes
neutrophiles, grâce à un gradient chimiotactique,
migrent en plus grand nombre depuis
cette microcirculation parodontale vers le tissu
conjonctif gingival, l’épithélium de jonction et le
sillon gingivodentaire.
Ils forment une importante
barrière dans le sillon gingivodentaire, le long de
l’épithélium ; ils préviennent ainsi l’extension latérale
et apicale du biofilm dentaire et de ses effets
délétères.
La nature des leucocytes (leucocytes mononucléés,
granulocytes neutrophiles) présents dans le
tissu conjonctif gingival semble être fonction de la
nature de l’expression d’adhésines à la surface des
cellules endothéliales comme la molécule d’adhésion
cellulaire endothéliale 1 (ECAM-1) ou comme la
molécule d’adhésion cellulaire vasculaire (VCAM-
1).
Ces molécules assurent une régulation de la
migration de ces cellules de défense depuis la microcirculation
parodontale jusqu’au tissu conjonctif
gingival.
L’activation des granulocytes neutrophiles et des
macrophages permet ensuite une activation des
protéines plasmatiques, comme les protéines du
complément, qui amplifie la réponse inflammatoire
locale.
Ce processus d’amplification va conduire à
de nouveaux recrutements de cellules leucocytaires
et de monocytes, à l’activation de macrophages
et à la production in situ de nombreux médiateurs
de la réponse inflammatoire et immunitaire comme
des interleukines 1bêta, 6, 10, 12, le tumor necrosis
factor a, le prostaglandine E2, les métalloprotéines.
L’activation des réactions immunitaires spécifiques
de l’hôte comme la production d’anticorps
par les cellules plasmatiques et les lymphocytes T
complètent la réaction de défense.
L’ensemble de
ces réactions concourre à la phagocytose des bactéries,
à l’élimination des substances toxiques bactériennes
et in fine s’oppose à la pénétration et à
l’action délétère des bactéries et de leurs composés
dans le tissu conjonctif gingival.
La présence constante d’un biofilm au contact de
la fibromuqueuse gingivale entretient ces réactions,
maintient la présence d’un oedème gingival
et contribue à augmenter le volume du fluide gingival.
Ces modifications de l’environnement peuvent
favoriser l’établissement d’une microflore
bactérienne anaérobie et à Gram négatif, et en
particulier l’acquisition de bactéries parodontopathogènes
comme Porphyromonas gingivalis, Tanerella
forsythus, Actinobacillus actinomycetemcomitans,
Treponema denticola.
Si la réponse
inflammatoire locale et humorale est ou devient
inadéquate, les bactéries parodontopathogènes et
les antigènes bactériens, en particulier le lipopolysaccharide,
pénètrent alors dans l’épithélium de
jonction et le tissu conjonctif gingival, et enclenchent
une série des réactions qui aboutissent à des
destructions tissulaires et à l’installation d’une parodontite.