Limitation de l’ouverture de la bouche

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Diagnostic positif :

La limitation d’ouverture buccale est un symptôme subjectif qui amène le patient à consulter.

Elle n’est pas toujours corrélée avec la mesure réelle de l’ouverture buccale effectuée par le praticien, au pied à coulisse, entre les bords libres des points inter-incisifs supérieur et inférieur.

L’ouverture buccale normale est comprise entre 40 et 54 mm.

Seule la limitation d’ouverture buccale mesurée par le praticien a une valeur diagnostique.

Elle est « limite » en dessous de 40 mm et certaine en dessous de 30 mm.

La confirmation clinique de la limitation d’ouverture buccale doit déclencher un bilan étiologique basé sur l’examen stomatologique standard, clinique puis paraclinique.

1- Interrogatoire :
Limitation de l’ouverture de la bouche

• Caractère : il faut faire préciser la date et le mode de début (progressif ou brutal) de la limitation de l’ouverture de la bouche, les circonstances de survenue (soin dentaire, accident, intoxication, plaie même minime, intervention…), le mode d’évolution (continu ou paroxystique), les signes associés, fonctionnels (douleur, dysphonie, dysphagie…) ou généraux (fièvre, asthénie, insomnie…).

• Antécédents : la recherche des antécédents fait préciser l’âge, la profession, les antécédents personnels et familiaux, notamment les traumatismes et les vaccinations (vaccination antitétanique obligatoire depuis 1940).

2- Examen clinique :

L’examen de l’ouverture buccale au pied à coulisse placé entre les incisives homologues confirme la limitation :

– normale : au-dessus de 40 mm ;

– limite : 30 à 40 mm ;

– certaine : inférieure à 30 mm.

• Examen du cou et de la face : il porte sur tous les éléments anatomiques concernés, directement ou indirectement, dans l’ouverture et la fermeture de la bouche : téguments, articulations temporo-mandibulaires (ATM) et muscles masticateurs, os mandibulaires et zygomatiques, glandes salivaires, aires ganglionnaires.

L’inspection note l’éventuelle présence d’une tuméfaction, d’une ecchymose, d’une plaie, ou d’une asymétrie faciale.

La palpation précise :

– la contracture uni- ou bilatérale des muscles masticateurs ;

– les points douloureux osseux ou articulaires ;

– les adénopathies cervico-faciales. L’exploration neurologique est centrée sur le nerf trijumeau (sensibilité des V1, V2 et V3) et le nerf facial.

• Examen de la cavité buccale et du pharynx : il explore la cavité buccale proprement dite (muqueuses, dents et occlusion dentaire), l’oropharynx (muqueuse, amygdales et voile), le nasopharynx (cavum).

• Examen général : toujours complet, il comporte un examen neurologique approfondi.

3- Bilan paraclinique :

Dans un premier temps, seul un panoramique dentaire est nécessaire. Selon l’orientation clinique, d’autres explorations (bilan rhumatologique, prélèvements histologiques, fibroscopie naso-pharyngée, scanographie, imagerie par résonance magnétique) seront demandées.

Diagnostic différentiel :

Certains patients se plaignent de ne pas ouvrir la bouche, mais la mesure de l’ouverture buccale au pied à coulisse suffit le plus souvent à redresser le diagnostic.

Il est parfois nécessaire d’avoir recours à des artifices pour éliminer certains patients simulateurs dans un contexte psychiatrique ou médico-légal.

Dans ces cas de pseudo-trismus, la limitation de l’ouverture de la bouche cède à la provocation du réflexe nauséeux (à l’aide d’un abaisse-langue) ou, sinon, au cours d’une anesthésie générale effectuée à titre diagnostique.

Diagnostic étiologique :

Le diagnostic étiologique des limitations de l’ouverture buccale regroupe deux grands cadres qui s’opposent et qu’un simple interrogatoire permet de distinguer :

– les limitations passagères ou trismus, évolutives, dues à une contracture des muscles élévateurs de la mandibule ; elles sont très fréquentes ;

– les limitations permanentes ou constrictions permanentes, non évolutives.

Assez rares, elles sont d’origine osseuse, musculaire, cutanée ou muqueuse.

A – Trismus :

Il se définit comme une limitation d’ouverture buccale passagère en rapport avec un spasme des muscles élévateurs de la mandibule.

Lié à une atteinte évolutive de l’appareil manducateur ou de son innervation, son diagnostic positif est assez simple.

Le diagnostic étiologique est dominé en fréquence par les causes locorégionales et, en gravité, par le tétanos dont toute suspicion impose le transfert en réanimation.

La conduite à tenir consiste à rechercher la cause du trismus dont dépendra le traitement.

Le plus souvent, le trismus est une découverte d’examen et s’intègre dans un tableau clinique dominé par une douleur et (ou) une tuméfaction maxillo-faciale et (ou) des signes généraux.

Plus rarement, il s’agit d’une gêne isolée de l’ouverture buccale.

1- Causes locales :

Elles représentent 95 % des cas et peuvent être d’origine infectieuse, traumatique, tumorale ou dysfonctionnelle [syndrome algo-dysfonctionnel de l’appareil manducateur (SADAM)].

• Trismus d’origine infectieuse : ces trismus, les plus fréquents, sont dus au contact directe entre un foyer infectieux et les muscles masticateurs élévateurs.

Dans les trismus serrés associés à une fièvre, l’examen clinique difficile peut être normal et seule une scanographie centrée sur les loges masticatrices permettra de retrouver la collection suppurée profonde, souvent d’origine dentaire.

– En cas d’infection aiguë, le diagnostic est évident.

Les causes sont bucco-dentaires : . péricoronarite sur dent de sagesse (inférieure surtout) : algie en regard de la dent de sagesse, fièvre modérée, trismus léger, capuchon muqueux congestif avec ou sans pus à la pression ; . abcès et phlegmon périmaxillaires sur molaires : signes fonctionnels et généraux marqués, trismus serré, tuméfaction inflammatoire pouvant siéger dans différentes régions par rapport à la branche montante (en dehors, en dedans, en haut, en bas, en arrière ou en avant).

Le risque est représenté par la diffusion de l’infection aux régions cervicales puis thoraciques ; . ostéites mandibulaires : dents postérieures mortifiées et mobiles, anesthésie labio-mentionnière ; . thrombophlébites surtout ptérygoïdiennes : . oropharyngée : abcès péri-amygdalien ; . temporo-mandibulaire : arthrite aiguë, rarissime ; . ganglionnaire : adénophlegmon sous-angulo-mandibulaire ; . salivaire : parotidite, sous-maxillite.

– En cas d’infection chronique, le diagnostic est moins évident : . abcès et ostéites chroniques ou décapitées par les antibiotiques ; . lésions musculaires actinomycosiques.

• Trismus d’origine traumatique :

– évidents en cas de traumatismes latéro-faciaux : . fractures de la mandibule située à proximité des muscles élévateurs (angle, branche montante, coroné), ou agissant par mécanisme réflexe (condyle) ; . fractures du massif facial (os zygomatique, arcade zygomatique, fracture de Le Fort) ; . traumatismes des muscles temporal ou masséter ;

– classiques en cas de traumatismes iatrogènes : voie d’abord neurochirugicale transtemporale (drainage d’hématome extradural) ;

– moins évidents en cas de : . ponction du sinus maxillaire avec perforation de la paroi postérieure et effraction de la fosse ptérygo-maxillaire ; . contusion simple de l’articulation temporo-mandibulaire ; . fracture du pôle interne du condyle mandibulaire (intérêt de la scanographie).

• Trismus d’origine tumorale : lié à l’infiltration des muscles masticateurs par une tumeur maligne et par sa surinfection associée, ce type de trismus, de pronostic sombre, doit être pris en compte dans les indications thérapeutiques :

– évidents en cas de carcinome buccopharyngé évolué : vélopalatin, amygdalien, rétromolaire, jugal postérieur, pelvibuccal postérieur ou basilingual ;

– moins évident en cas de tumeur profonde de la région ptérygo-maxillaire, du rhinopharynx, du sinus maxillaire à évolution postérieure, du lobe profond de la parotide ou encore dans le cadre d’un terrain irradié.

Tomodensitométrie, imagerie par résonance magnétique et endoscopie avec biopsies sous anesthésie générale permettent le diagnostic.

• Trismus d’origine dysfonctionnelle.

Le syndrome algique et dysfonctionnel de l’appareil manducateur (SADAM) est un syndrome que l’on rencontre de plus en plus fréquemment.

Il prédomine chez la femme de 20 à 40 ans.

Le terrain anxio-dépressif et le stress sont des facteurs favorisants.

Il peut associer à la limitation de l’ouverture buccale, des douleurs de l’appareil manducateur (muscles masticateurs et articulations temporo-mandibulaires) et des bruits articulaires à la mastication.

Le syndrome algique et dysfonctionnel de l’appareil manducateur comprend des signes musculaires et articulaires :

– muscles masticateurs : myalgies avec trismus par spasme (cf. PA1) ;

– articulations temporo-mandibulaires : arthralgies, bruits articulaires (claquements avec ressaut par déplacement discal réductible, crépitations par arthrose), limitation de l’ouverture de la bouche par obstacle discal.

Le bilan paraclinique repose sur :

– l’orthopantomogramme : il est le plus souvent normal, ce qui permet d’éliminer une autre pathologie (dentaire, tumorale…).

Dans les atteintes articulaires évoluées, les contours du condyle mandibulaire sont déformés ;

– l’imagerie par résonance magnétique, utile dans le cadre des pathologies articulaires rebelles, est rarement indiquée.

Elle permet de montrer les pathologies des différents composants articulaires : synoviale (épanchement), disque (déplacement), os (arthrose).

2- Causes générales :

Rares, de diagnostic difficile, elles doivent être évoquées dès que l’examen local est négatif.

Il faut d’abord penser au tétanos, maladie grave, encore mortelle dans 20 % des cas et justifiant une hospitalisation en service de réanimation avant la survenue des contractures généralisées.

Les autres trismus de cause générale sont d’origine toxique, métabolique ou neurologique.

• Tétanos : c’est une toxi-infection due au bacille anaérobie de Nicolaïer qui pénètre dans l’organisme par une plaie, se développe localement et agit par toxine.

Celle-ci diffuse surtout le long des neurones et se fixe très vite sur les synapses médullaires et ganglionnaires pour une durée de 3 semaines à un mois.

– Le trismus constitue à la fois le premier signe et le maîtresymptôme : la gêne à l’ouverture buccale s’installe insidieusement puis devient douloureuse et irréductible.

Ce trismus, intense et isolé pendant parfois plusieurs jours, impose la recherche :

– d’une porte d’entrée retrouvée dans 90 % des cas : plaie (rarement importante car la prévention est alors pratiquée), échardes, ulcère variqueux, injections intramusculaires, avortement, chirurgie ;

– d’une absence de vaccination ou de rappel antitétanique depuis plus de 10 ans (80 % des cas de tétanos après 40 ans), d’une profession exposée (agricole) ;

– de signes généraux : malaise, fébricule, gêne respiratoire, dysphagie.

Ces signes imposent l’hospitalisation urgente en réanimation avant l’apparition de la phase d’état caractérisée par :

– l’extension des contractures : à la face (faciès sardonique), à la nuque et aux muscles paravertébraux (opisthotonos), aux membres, au diaphragme ;

– les caractères douloureux, invincible et permanent des contractures ;

– les paroxysmes à la moindre excitation (bruit, lumière…) sources de troubles respiratoires (apnée) et ostéo-musculaires (risque de fracture) ;

– l’apparition de troubles généraux et végétatifs : température variable, photophobie, hydrophobie, rougeur, sueur, hypersécrétion bronchique, tachycardie, syncope ;

– des complications éventuelles (encombrement bronchopharyngé, thrombose veineuse, embolie pulmonaire).

À côté de cette forme classique existent de nombreuses formes cliniques : formes subaiguës à incubation longue (normalement 4 à 15 jours) et début progressif, formes frustes localisées (griffe de la main), formes céphaliques secondaires à une plaie de la face et associées à des paralysies faciales ou oculaires, formes splanchniques (rares touchant les nouveau-nés en Afrique).

En cas de tétanos déclaré, l’hospitalisation en réanimation permettra de mettre en route la thérapeutique étiologique, symptomatique et préventive.

• Trismus d’origine toxique et médicamenteuse :

– neuroleptiques (chlorpromazine, Largactil ou halopéridol, Haldol…) : le trismus, peu intense, s’intègre dans un syndrome extrapyramidal généralisé (par hyperactivité dopaminergique) : fièvre élevée, paresthésie linguale, tremblements et signe de Babinski.

Ces signes disparaissent après élimination du produit ;

– strychnine (« mort aux rats ») avec crise tonique de type tétanique, troubles sensoriels (coloration verte de la vision), et risque d’arrêt respiratoire.

Le traitement repose sur la ventilation assistée et le diazépam (Valium) ;

– hyperthermie maligne avec spasme massetérin après utilisation de curares ou de gaz halogénés au cours d’une anesthésie générale ;

– barbituriques.

• Trismus d’origine métabolique et carentielle :

– au cours de l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke, par carence aiguë en vitamine B1 chez l’alcoolique, caractérisée par des troubles du tonus, des troubles psychiques, un syndrome cérébelleux et des paralysies oculomotrices qui cèdent à la vitaminothérapie B1 à forte dose ;

– au cours des crises d’hypoglycémie ;

– au cours des crises de tétanie (signe de Chvostek).

• Trismus d’origine neurologique : le trismus a une valeur localisatrice (lésion du nerf trijumeau) dans certaines atteintes neurologiques : épilepsie, encéphalites, lésions vasculaires, tumeurs et malformations ou syndromes parkinsoniens.

B – Constriction permanente des mâchoires :

Séquelles d’un processus de cicatrisation ou de sclérose, elles sont fixées et ne cèdent jamais sous anesthésie générale.

L’origine de la constriction peut être articulaire (ankylose temporo-mandibulaire) ou extra-articulaire.

1- Atteintes articulaires : ankylose temporo-mandibulaire

Chez l’adulte, la constriction permanente des mâchoires a des conséquences essentiellement fonctionnelles par impossibilité d’ouvrir la bouche.

Chez l’enfant, les conséquences sont également morphologiques en raison des troubles de croissance mandibulo-faciale qu’elles entraînent.

• Clinique :

– signes d’appel. Ils sont représentés par une limitation d’ouverture de la bouche sévère, parfois nulle, avec gêne pour l’alimentation et pour l’hygiène bucco-dentaire.

Chez l’enfant, s’y associe des conséquences morphologiques, d’autant plus qu’elle a débuté tôt et évolue depuis longtemps ;

– signes d’examen.

Il doit préciser le degré de limitation d’ouverture de la bouche, parfois nulle (ouverture buccale à 0 mm) et le type de déformation de la mandibule (dans les formes apparues pendant l’enfance) : unilatérale : latérodéviation mandibulaire par atrophie du ramus du côté pathologique, bilatérale : rétromandibulie par micromandibulie.

Il appréciera également le retentissement local et général de la limitation de l’ouverture de la bouche : lésions dentaires (malposition, caries…), troubles de l’occlusion (classe II) voire de la morphologie mandibulaire, uni- ou bilatéraux, et atteintes de l’état général avec hypotrophie.

• Paraclinique :

– le bilan est représenté par l’orthopantomogramme, les téléradiographies tridimensionnelles, la scanographie avec reconstruction tridimensionnelle ;

– il permet d’apprécier : . le bloc d’ankylose temporo-mandibulaire, uni- ou bilatérale, fibreuse ou osseuse, d’extension variable dans le plan frontal : partielle externe ou totale ; dans le plan sagittal : stade I : limité à l’ATM, stade 2 : étendu à l’échancrure sigmoïde, stade 3 : étendue au coroné ; . les déformations squelettiques secondaires : latéro-mandibulie, micromandibulie par diminution de hauteur du ramus, accentuation de l’encoche préangulaire, hypertrophie du coroné.

• Causes : elles sont :

– post-traumatiques le plus souvent (fracture du condyle intra-articulaire) ;

– postinfectieuses plus rarement (otite, mastoïdite, septicémie) ;

– inflammatoires (rhumatisme psoriasique, polyarthrite rhumatoïde, maladie de Still) exceptionnellement.

On en rapproche les ankyloses après injection de corticoïdes intraarticulaires.

Le traitement chirurgical est suivi d’une rééducation fonctionnelle prolongée.

2- Atteintes extra-articulaires :

Elles sont relativement rares et concernent les atteintes de toutes les structures extra-articulaires qui peuvent être impliquées durant l’ouverture de la bouche : osseuse (ostéome du coroné, hypertrophie des coronés, cal coronoïdo-zygomatique), cutanées (séquelles de brûlures, sclérodermie, noma), musculaires (rétractions cicatricielles, radiothérapie, ostéomes), muqueuse (rétractions cicatricielles, nomas).

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