Infections uro-génitales à gonocoques et à Chlamydia (en dehors de la maladie de Nicolas Favre)
Cours de dermatologie
Épidémiologie
:
L’OMS estimait en 1995 à 90 millions le nombre de cas
d’infection génitale à Chlamydia trachomatis dans le
monde et à 60 millions le nombre de cas de gonococcie.
L’incidence des infections à chlamydia est voisine dans
tous les pays (entre 2 000 et 4 000 cas pour 100 000 habitants
par an).
L’incidence des gonococcies est, en revanche,
répartie de manière très disparate, environ 500 cas pour
100 000 habitants par an dans les pays développés contre
plus de 6 000 en Afrique Noire.
L’incidence des gonococcies
a très fortement diminué dans les pays développés
depuis 1985.
L’incidence des infections à Chlamydia trachomatis
commence seulement à baisser.
Ces baisses sont
facilement explicables par les mesures de protection utilisées
contre l’infection par le VIH.
Diagnostic :
Neisseria gonorrhoeæ et Chlamydia trachomatis sont des bactéries
responsables d’infections génitales basses (urétrite chez
l’homme, cervico-vaginite chez la femme).
Leur méconnaissance
peut conduire à des complications (orchi-épididymite
chez l’homme, salpingite et stérilité tubaire chez la
femme, conjonctivite et pneumopathie chez le nouveau-né).
A - Urétrites masculines
:
L’urétrite masculine est une inflammation de l’urètre dont
la définition est cytologique (au moins 10 polynucléaires
neutrophiles sur l’examen du premier jet d’urine au grossissement
400 ou au moins 5 polynucléaires neutrophiles
sur le frottis urétral au grossissement 1 000).
La symptomatologie
clinique est variable : écoulement urétral purulent
ou séreux ou symptômes moins spécifiques (prurit canalaire, brûlures mictionnelles, pollakiurie, dysurie).
On distingue classiquement les urétrites gonococciques et
les urétrites non gonococciques (UNG).
1- Urétrite gonococcique
:
Le gonocoque est une bactérie gram-négative, intracellulaire
dont la transmission est toujours sexuelle.
L’incubation est courte (environ 48 h, toujours moins de
cinq jours).
La symptomatologie est, le plus souvent, bruyante avec un
écoulement urétral purulent, jaunâtre, une dysurie marquée
(chaude-pisse, blennorragie).
Dans les formes non compliquées,
il n’existe ni adénopathie, ni fièvre et le reste de
l’examen clinique est normal.
Plus rarement, l’écoulement
est clair, exceptionnellement, il n’existe aucun écoulement
(seulement quelques signes fonctionnels, voire, rarement
un portage asymptomatique).
Anorectite et pharyngite chez les homosexuels.
Le diagnostic est facilement fait par l’examen direct du
frottis de l’écoulement étalé sur lame et coloré au Gram ou
au bleu de méthylène.
Les résultats sont immédiats.
La sensibilité
de cet examen est proche de 100 %. Seule la présence
de diplocoques intracellulaires apporte la quasi-certitude
du diagnostic d’urétrite gonococcique.
La certitude absolue est apportée par la culture sur milieux
spéciaux (gélose chocolat ou milieu de Thayer-Martin au
sang cuit, en atmosphère riche en CO2, avec et sans addition
d’antibiotiques) dont les résultats sont obtenus en 24
à 48 h.
La culture permet, également, de faire un antibiogramme
et de rechercher la production d’une b-lactamase.
Il n’existe pas de sérologie fiable des infections gonococciques.
2- Urétrite à Chlamydia trachomatis
:
Chlamydia trachomatis est une bactérie intracellulaire obligatoire
dont les sérotypes D à K sont responsables d’urétrite
à transmission sexuelle (les sérotypes L sont responsables
de la maladie de Nicolas Favre).
Chlamydia trachomatis est la bactérie le plus souvent responsable
d’UNG (20 à 50 %).
C’est également la première cause
d’urétrite.
L’incubation est variable (quelques jours à quelques mois,
en moyenne 10 à 15 jours).
Dans la majorité des cas, l’infection est totalement asymptomatique.
Le portage asymptomatique de Chlamydia trachomatis
atteint 10 % dans les populations les plus à risque
(adolescents et adultes jeunes).
Lorsqu’il existe des symptômes, il s’agit, le plus souvent,
d’une urétrite avec écoulement transparent, modéré ou de
symptômes urétraux sans écoulement.
Chez l’homosexuel : anorectite et pharyngite (souvent
simple portage).
Le diagnostic d’urétrite à Chlamydia trachomatis est difficile.
L’examen direct sur lame est impossible.
L’examen de référence est la culture sur milieux cellulaires
(cellules HeLa 229 ou MacCoy) dont la spécificité est de
100 % mais dont la sensibilité n’est pas parfaite (80-90 %).
En outre, cet examen est long (3 à 7 jours), coûteux et
réservé à des laboratoires spécialisés.
Enfin, il nécessite un
grattage de l’épithélium urétral à l’aide d’un écouvillon de
plastique (examen mal accepté par les patients).
Les examens rapides (immunofluorescence sur lame ou
techniques immunoenzymatiques) ont une spécificité et
une sensibilité moindres.
Enfin, les techniques d’amplification génomique de type Polymerase Chain Reaction (PCR) ou Ligase Chain Reaction
(LCR) ont une excellente sensibilité et sont réalisables
sur le premier jet d’urine. Malheureusement, elles ne sont
pas, actuellement, disponibles en routine.
Les sérologies de Chlamydia trachomatis n’ont aucun intérêt
dans le diagnostic des infections génitales basses non
compliquées à Chlamydia trachomatis (mauvaise spécificité,
mauvaise sensibilité et réactions croisées avec Chlamydia
pneumoniæ).
D’autres pathogènes sont, également, responsables d’UNG
(Trichomonas vaginalis parasite facilement mis en évidence
par un examen direct à l’état frais, Ureaplasma urealyticum
mis en évidence par des cultures sur milieux spéciaux
et Mycoplasma genitalium mis en évidence
seulement par des techniques de PCR) mais Chlamydia trachomatis
est la première cause des UNG.
C’est, également,
au sein des UNG, le seul micro-organisme responsable de
complications graves.
En l’absence d’un laboratoire fiable,
il est donc indispensable de traiter tous les patients atteints
d’urétrite par une antibiothérapie efficace contre Chlamydia trachomatis.
B - Cervico-vaginites
:
Neisseria gonorrhoeæ et Chlamydia trachomatis sont responsables
de cervicites muco-purulentes associant :
– une exocervicite avec un col érythémateux et friable ;
– une endocervicite ;
– un écoulement muco-purulent par le col, responsable de
leucorrhées, motif habituel de la consultation.
Dans les formes non compliquées, le reste de l’examen est
normal : pas de fièvre, pas de douleur abdominale, pas
d’adénopathie et toucher vaginal normal.
Une anorectite et
une pharyngite sont possibles.
1- Cervicite gonococcique
:
Les infections gonococciques basses sont fréquemment
asymptomatiques.
Le diagnostic repose non pas tant sur l’examen direct d’un
frottis endocervical, sur lame avec coloration au bleu de
méthylène et surtout au Gram (présence de polynucléaires,
disparition des bacilles de Doderlein).
Cet examen est difficile
à interpréter du fait de la présence à l’état normal de
polynucléaires neutrophiles au col et de la richesse de la
flore cervico-vaginale normale.
La sensibilité du frottis ne
dépasse pas 20 à 30 %.
Signalons par ailleurs, qu’une
recherche de gonocoque doit être systématiquement faite
également à l’urètre, au rectum et au pharynx, et surtout
sur les cultures sur milieux spéciaux à la recherche de Neisseria
gonorrhoeæ (voir plus haut).
2- Cervicite à Chlamydia trachomatis
:
Chlamydia trachomatis est la première cause de cervicite
muco-purulente.
Elle est en tout point identique à la cervicite
gonococcique.
Le plus souvent, il n’existe aucun
symptôme et les examens clinique et gynécologique sont
parfaitement normaux (environ 10 % des femmes jeunes
hébergent Chlamydia trachomatis dans leurs voies génitales
de manière asymptomatique).
Le diagnostic repose sur la recherche de Chlamydia trachomatis
par culture sur milieux spéciaux (voir plus haut)
aux deux sites (col utérin et urètre).
Les examens rapides, immunofluorescence et immunoenzymologie
sont moins sensibles.
Les PCR ne sont pas disponibles en routine mais ont une
bonne sensibilité.
La PCR du premier jet d’urine permet
de remplacer avantageusement la culture à l’urètre.
Évolution, complications
:
A - Chez l’homme
:
1- Infections gonococciques
:
Une infection gonococcique non diagnostiquée et non traitée
peut se compliquer de :
• orchi-épididymite : grosse bourse douloureuse inflammatoire,
atteinte unilatérale, fièvre élevée, augmentation
de volume de l’épididyme.
Le risque de l’orchi-épididymite
est l’obstruction épididymaire avec azoospermie uni-,
plus rarement, bilatérale ;
• prostatite : fièvre, élevée, douleurs périnéales, prostate
ramollie et douloureuse au toucher rectal, dysurie majeure ;
• plus rarement, cowperite, tysonite, balanite ;
• septicémie gonococcique (voir encadré).
• Conjonctivite gonococcique : simple expression du manuportage.
2- Infections génitales basses à Chlamydia trachomatis
:
La fréquence des formes asymptomatiques rend compte
d’une fréquence plus importante de complications qu’au
cours des infections gonococciques :
• orchi-épididymite (Chlamydia trachomatis est responsable
de 50 % des orchi-épididymites aiguës avant 40 ans).
Les sérologies sont ici intéressantes (titres élevés) ;
• prostatite (discuté) ;
• syndrome de Fiessinger-Leroy-Reiter (encadré).
B - Chez la femme
:
1- Infections gonococciques
:
• Bartholinite : abcès d’une petite lèvre, fièvre élevée.
• Salpingite : les salpingites gonococciques sont rares
actuellement.
Douleurs pelviennes et fièvre élevée dans la
salpingite aiguë.
Vagues douleurs abdominales et fièvre
discrète dans la salpingite subaiguë.
Risque dans les deux
cas d’évolution vers l’obstruction tubaire avec comme
conséquences, stérilité tubaire et grossesse extra-utérine.
• Périhépatite (syndrome de Fitz-Hugh-Curtis) : tableau de
cholécystite aiguë avec atteinte péritonéale dont le diagnostic
est fait par laparoscopie.
• Septicémie gonococcique subaiguë : (voir plus haut).
La
septicémie gonococcique est plus fréquente chez la femme
que chez l’homme du fait de la plus grande fréquence de
gonococcies génitales non diagnostiquées.
2- Infections uro-génitales
à Chlamydia trachomatis :
• La complication majeure est la salpingite, beaucoup plus
souvent subaiguë ou chronique qu’aiguë, de diagnostic tardif
et difficile sur de vagues douleurs abdominales, en particulier,
au moment des règles, avec un risque majeur de
stérilité tubaire.
Chlamydia trachomatis est responsable de
50 % des salpingites de la femme jeune et de 70 % des stérilités
tubaires.
À l’examen, il existe une douleur latérale au toucher vaginal
et un empâtement d’un cul-de-sac.
Les sérologies de Chlamydia trachomatis montrent un titre
élevé d’anticorps de classe IgG, la présence d’IgM anti-Chlamydia trachomatis et une ascension des anticorps à
quinze jours d’intervalle :
• périhépatite de Fitz-Hugh-Curtis : (voir plus haut) ;
• bartholinite : rare ;
• syndrome de Fiessinger-Leroy-Reiter : rare chez la
femme.
C - Chez le nouveau-né
:
Le nouveau-né peut se contaminer lors de l’accouchement
lorsque la mère est infectée par Neisseria gonorrhoeæ ou
Chlamydia trachomatis.
1- Gonococcies néonatales
:
• Ophtalmies néonatales avec conjonctivite purulente pouvant
conduire à la cécité.
• Prévention systématique lors de tout accouchement par
l’instillation conjonctivale de nitrate d’argent ou d’antibiotiques.
2- Infections néonatales à Chlamydia trachomatis
:
• Conjonctivite : survenant chez environ un tiers des nouveau-nés de mère ayant une infection génitale à Chlamydia trachomatis.
Il s’agit, en général, d’une conjonctivite bénigne.
• Pneumopathie néonatale : Chlamydia trachomatis est
l’étiologie principale des pneumopathies néonatales.
Il
s’agit de « pneumopathies atypiques » bilatérales dont le
diagnostic repose sur la mise en évidence de Chlamydia trachomatis en culture et sur les sérologies.
Traitement
:
A - Grands principes
:
1- Les MST sont souvent associées
:
Ne jamais oublier de rechercher d’autres MST (herpès génital,
condylomes, par exemple).
Toujours associer un traitement antichlamydien lorsque
l’on est en présence d’une infection gonococcique (associations
fréquentes).
Toujours proposer une sérologie de la syphilis et une sérologie VIH.
Toujours s’enquérir du statut vaccinal vis-à-vis de l’hépatite
B et proposer une vaccination, éventuellement.
2- Prévention :
Un épisode de MST est l’occasion d’insister sur la gravité
potentielle des MST, sur les risques encourus, sur la nécessité
d’une prévention en modifiant les comportements
sexuels (en particulier, préservatifs).
3- Recherche des partenaires
:
Bien insister sur la nécessité de convoquer et de traiter l’ensemble
des partenaires lorsque cela est possible.
4- Visites de suivi :
Une visite de contrôle est indispensable au bout d’une
semaine pour constater la guérison clinique et communiquer
les résultats des examens biologiques aux patients.
Des prélèvements
bactériologiques pour constater la guérison microbiologique
ne sont, en général, pas nécessaires. Refaire une
sérologie VIH deux à trois mois après la MST actuelle.
B - Traitement des gonococcies
:
Le traitement idéal des gonococcies doit être efficace, administrable
en une prise unique, si possible par voie orale,
être peu coûteux et bien toléré.
La sensibilité du gonocoque aux antibiotiques varie en permanence
dans le temps et selon les pays.
En France, actuellement,
10 à 20 % des gonocoques sont des Neisseria
gonorrhoeæ producteurs de pénicillinase (NGPP) et ont,
également, acquis des résistances aux tétracyclines et à
d’autres antibiotiques.
1- Antibiothérapie :
• Antibiotiques recommandés
– Ceftriaxone : une injection unique intramusculaire de ceftriaxone
(Rocéphine) 125 mg.
Cet antibiotique est actif non
seulement sur les gonococcies génitales mais également
sur les gonococcies pharyngées.
– Cefixime : une prise orale unique de 400 mg de cefixime
(Oroken). Ce traitement a été moins bien évalué sur les
gonococcies pharyngées.
– Ciprofloxacine : une prise unique orale de 500 mg de ciprofloxacine
(Ciflox). Effets secondaires : photosensibilité.
– Spectinomycine : une injection intramusculaire unique
de 2 g de spectinomycine (Trobicine).
Ce médicament est
un peu moins efficace que les précédents mais a un coût
très peu élevé.
Il est inefficace dans le traitement des gonococcies
pharyngées.
• Un traitement antichlamydien doit être systématiquement
adjoint au traitement antigonococcique du fait de la
fréquence des associations (environ 30 %).
Ces traitements sont efficaces sur les urétrites gonococciques,
les cervicites gonococciques, les rectites gonococciques.
2- Traitement des autres atteintes
:
• La pharyngite gonococcique doit être traitée par ceftriaxone.
• La conjonctivite gonococcique de l’adulte doit être traitée,
également, par ceftriaxone 1 g intramusculaire.
• Les septicémies gonococciques sont traitées par ceftriaxone
1 g/24 h IM ou i.v. jusqu’à l’apyrexie avec relais
une semaine par cefixime ou ciprofloxacine.
• L’ophtalmie gonococcique néonatale est traitée par ceftriaxone
25 à 50 mg/kg i.v. ou IM, dose unique (ne pas
dépasser 125 mg).
• Les orchi-épididymites gonococciques sont traitées par
ceftriaxone 250 mg IM, dose unique avec relais par doxycycline
pendant 10 jours.
• Les salpingites gonococciques sont traitées par une polyantibiothérapie
comportant un antibiotique efficace contre le gonocoque et un antibiotique efficace contre Chlamydia
trachomatis (pour le gonocoque, ceftriaxone ou autre
céphalosporine de troisième génération).
C - Traitement des infections génitales
à Chlamydia trachomatis :
Le traitement de référence est constitué par les tétracyclines
pour une durée de sept jours dans les formes non compliquées
(urétrite, cervicite), de 10 jours pour les orchi-épididymites,
de 15 jours pour les infections génitales hautes
féminines.
• Schémas thérapeutiques possibles
– Tétracyclines 500 mg x 4 ou 100 mg x 2 de doxycycline
ou 100 mg/jour de minocycline.
Aucune résistance de Chlamydia trachomatis à ces antibiotiques n’a été décrite.
Des
échecs cliniques peuvent être constatés (mauvaise observance
thérapeutique ou recontamination).
Effets secondaires
: troubles digestifs, photosensibilité (sauf pour la minocycline).
Interdiction d’administrer ces antibiotiques
pendant la grossesse et chez l’enfant de moins de 8 ans.
– Azithromycine : une prise orale unique d’1 g d’azithromycine
(Zithromax).
Ce nouveau macrolide à demi-vie très
longue, à forte diffusion tissulaire est aussi efficace que
7 jours de tétracyclines.
La tolérance est excellente
(quelques troubles digestifs) mais le coût est élevé.
– Les anciens macrolides, érythromycine en particulier,
n’ont pas d’intérêt sauf en cas d’impossibilité d’administrer
des traitements plus actifs.
Ils conservent une indication
chez la femme enceinte et chez l’enfant.
– Ofloxacine : 300 mg x 2/jour pendant 7 jours.
L’activité
de l’ofloxacine est moindre que celle des tétracyclines. Les
indications sont exceptionnelles.
• Traitement des ophtalmies néonatales à Chlamydia trachomatis
: érythromycine per os pendant 15 jours.
• Pneumopathies néonatales à Chlamydia trachomatis :
érythromycine per os pendant 15 jours.
• Le traitement du syndrome de Fiessinger-Leroy-Reiter
rejoint celui des polyarthrites rhumatoïdes et des spondylarthrites
ankylosantes (anti-inflammatoires non stéroïdiens,
chrysothérapie).