Hypertension gravidique Cours de
Gynécologie Obstétrique
Introduction
:
Les hypertensions gravidiques représentent un groupe d’affections
dont la nature et les mécanismes restent imparfaitement classifiés.
Une telle situation concerne 10 à 15 % des femmes enceintes, ce qui
est considérable.
Elle représente par ailleurs, sous nos climats, la
première cause de morbidité et de mortalité périnatales.
« Maladie des hypothèses », la prééclampsie a été aussi une
« maladie des dogmes » et nombre de vérités successives et
contradictoires ont été défendues avec une rare passion, au mépris
de tout étayage scientifique.
Avec le temps cependant, la recherche
physiopathologique a beaucoup progressé et des acquis essentiels
ont pu être obtenus.
Lorsque nous avons rédigé la précédente
édition de cette revue générale, quelques pièces éparses d’un puzzle
nouveau pouvaient être présentées.
Aujourd’hui, le puzzle n’est
certes pas complet, mais une logique d’ensemble se dessine de plus
en plus clairement.
Définitions et classification
:
Le terme d’hypertension gravidique regroupe des entités très
disparates.
Nous en envisageons successivement les faits cliniques
d’observation, puis les classifications qui en sont proposées.
A - SYMPTÔMES :
Les désordres hypertensifs de la grossesse s’articulent autour de
deux symptômes principaux, hypertension et protéinurie.
Le
troisième symptôme classique, les oedèmes, est aujourd’hui
abandonné dans les classifications.
1- Hypertension :
La définition de l’hypertension au cours de la grossesse n’est pas
aussi claire qu’en d’autres circonstances, puisque la pression
artérielle (Pa) baisse physiologiquement en début de grossesse.
Une Pa diastolique supérieure ou égale à 90 mmHg à au moins deux
mesures successives séparées d’au moins 4 heures est le critère
habituellement admis.
L’ancienne définition fondée sur une
augmentation de 30 mmHg ou plus à deux examens successifs n’est
plus retenue aujourd’hui.
La Pa systolique, bien plus labile chez la
femme enceinte, est un critère fragile.
Néanmoins, la dernière
recommandation du National High Blood Pressure Education
Program (NHBPEP), dont un groupe de travail sur l’hypertension
artérielle au cours de la grossesse a publié un rapport en 2000,
stipule des valeurs de 140 mmHg pour la systolique ou 90 mmHg
pour la diastolique.
Nous faisons régulièrement référence à cette
recommandation dans la mesure où elle fait autorité.
Les mesures de la Pa sont délicates chez la femme enceinte en raison
de sa labilité (rappelons que le débit cardiaque est accru de 30 %).
Il
est essentiel de pratiquer ces mesures sur un sujet aussi détendu
que possible, et à distance de l’examen gynécologique.
La position
la plus usitée est la position assise, après quelques minutes de mise
au calme et de conversation.
Des débats sans fin concernent le choix
de la phase IV ou V de Korotkoff.
Cette dernière a actuellement la
faveur, mais pas l’unanimité.
Les chiffres tensionnels sont très variables chez un même sujet, pour
cette raison les mesures doivent être itératives.
Dans cette variabilité
intervient le facteur de stress, dont la participation peut être
grossièrement estimée en mesurant la fréquence cardiaque.
Mais un
important facteur de variation est aussi introduit par le rythme
nycthéméral, très marqué, mais aussi inversé lors des hypertensions,
avec un maximum nocturne.
La mesure ambulatoire de pression artérielle (MAPA) n’est pas
reconnue comme critère du diagnostic.
Dans quelques cas, elle peut
néanmoins aider à reconnaître les hypertensions dites « de la blouse blanche ».
Les valeurs de normalité dans la grossesse en sont à peu
près établies.
Aucune valeur prédictive n’a pu lui être attribuée
jusqu’à présent.
2- Protéinurie
:
La protéinurie est, elle aussi, définie très diversement.
Dans la
pratique obstétricale (surtout outre-Atlantique), sa quantification se
limite souvent à un nombre de « croix » à la bandelette, estimation
entachée de nombreuses erreurs.
Un recueil des 24 heures n’est
malheureusement que rarement effectué.
La protéinurie est dite
« significative » si elle excède 1 g/L sur un échantillon ou 0,3 g sur
les urines de 24 heures.
Une telle protéinurie vient se surajouter à l’hypertension dans
quelque 10 % des cas.
Elle ne la précède pas, mais lui succède
pratiquement toujours, constituant le tableau de la prééclampsie.
Les quelques exceptions à cette règle révèlent
habituellement des néphropathies antérieures méconnues.
Cette protéinurie est de type glomérulaire et
comporte une albuminurie prédominante.
3- OEdèmes :
Ce troisième élément de la triade symptomatique caractérisant la
prééclampsie n’entre plus dans une définition pathologique
aujourd’hui.
De fait, des oedèmes surviennent à un moment ou
un autre dans 80 % des grossesses normales.
Il n’en reste pas moins que des oedèmes diffus, touchant les
membres inférieurs, mais aussi les mains (signe de la bague) et la
face, peuvent représenter un signe d’alarme, surtout s’ils sont
majeurs et de constitution brutale.
B - CLASSIFICATION
:
L’apparition d’une hypertension au cours d’une grossesse n’a pas
une signification univoque.
Une première classification rationnelle
en a été publiée en 1972 sous l’égide de l’American College of
Obstetricians and Gynecologists (ACOG) ; elle a subi par la suite
des modifications mineures.
Une autre classification a été proposée
en 1988 par un comité de la Société internationale pour l’étude de
l’hypertension de la grossesse (ISSHP).
La dernière en date est
celle du NHBPEP dont nous avons déjà évoqué le récent rapport.
C’est celle-ci que nous résumons ici, pour des raisons d’actualité
plus que de fiabilité ou de nouveauté.
En réalité, toutes tournent
autour des mêmes termes et comportent les mêmes faiblesses.
1- Classification du NHBPEP :
Cette classification sépare les hypertensions de la grossesse en quatre
grandes catégories.
– Hypertension chronique : il s’agit d’une hypertension qui est
présente avant la grossesse, ou constatée avant la 20e semaine de
grossesse.
La valeur seuil de définition de l’hypertension est
140/90 mmHg.
Toute hypertension constatée durant la grossesse et
qui ne disparaît pas en post-partum relève de la même rubrique.
– Prééclampsie-éclampsie : c’est un syndrome spécifique de l’état
gravide.
Il apparaît le plus souvent après la 20e semaine et associe
hypertension et protéinurie, selon les valeurs seuils indiquées plus
haut.
Les auteurs reconnaissent qu’aux valeurs seuils, la spécificité de
cette définition est médiocre.
Le « niveau de certitude du
diagnostic » est plus élevé en cas de Pa systolique de 160 mmHg ou
plus, Pa diastolique de 110 mmHg ou plus, protéinurie de 2 g/24 h
ou plus, créatininémie de 12 mg/L ou plus, thrombopénie, céphalées
ou troubles visuels, douleur en barre épigastrique.
Ces critères
définissent en réalité les formes graves de la prééclampsie, assorties
d’un risque particulièrement élevé d’accidents maternels et/ou
foetaux.
L’éclampsie consiste en la survenue, chez une femme prééclamptique, de convulsions sans autre cause individualisable.
– Prééclampsie surajoutée : c’est l’apparition d’une protéinurie
significative chez une femme atteinte d’une hypertension chronique.
Le pronostic rejoint alors celui de la prééclampsie.
Le même
diagnostic est admis en cas de majoration brutale d’une
hypertension jusqu’alors sans problème, de thrombopénie ou de
cytolyse hépatique.
– Hypertension gestationnelle (ou gravidique) : il s’agit d’une
hypertension constatée pour la première fois après la 20e semaine.
Puisque la protéinurie peut toujours apparaître secondairement, ce
diagnostic n’est définitivement établi qu’en post-partum.
Si par
ailleurs l’hypertension régresse complètement dans les 12 semaines
qui suivent l’accouchement, il s’agit d’une hypertension transitoire
de la grossesse.
Nous mentionnons enfin le tableau particulier (non inclus dans cette
classification) de la protéinurie sans hypertension, ou au moins la
précédant largement.
Une protéinurie discrète peut relever de la
seule augmentation physiologique de la filtration glomérulaire.
Une
protéinurie supérieure à 1 g/24 h relève très probablement d’une
néphropathie autonome, découverte à l’occasion de la grossesse.
2- Situation confuse :
Si les définitions données plus haut sont supposées faire autorité,
elles ne sauraient satisfaire ni le clinicien ni le chercheur.
La
littérature fait du reste état de définitions largement divergentes qui
rendent les études difficilement comparables entre elles.
Qui plus
est, diverses sociétés scientifiques nationales ont établi leur propre
classification et défini leurs propres critères, ce qui génère une
confusion considérable.
Il est vrai que le même vocable désigne des situations dont la gravité
peut être très différente. Les classificateurs reconnaissent avoir
cherché des définitions « minimalistes » pour éviter les erreurs de
diagnostic par défaut, quitte à en faire par excès.
Cette attitude
suggère des « correctifs ».
Ainsi l’on parle d’hypertension « sévère » si :
– la Pa diastolique est mesurée ne serait-ce qu’une fois à 120 mmHg
ou plus ;
– ou si elle est mesurée à 110 mmHg ou plus à au moins deux
occasions séparées de plus de 4 heures.
De même, la prééclampsie est séparée en deux formes, « légère » et
« sévère ».
La distinction est d’importance car si le pronostic de la
première n’est pas trop éloigné de celui d’une hypertension
gravidique simple, celui de la seconde est d’une extrême gravité et
nécessite des mesures thérapeutiques immédiates, doublées du
recours à une maternité de niveau 3.
Malheureusement, il n’existe
pas de critères stricts pour tracer la limite entre ces deux formes, et
chacun peut donc se référer à son seul jugement personnel.
Dans ce désordre, le rapport du NHBPEP admet qu’il faudrait une
définition réservée à la recherche (ne prenant en compte que les
formes majeures de valeur pronostique sans ambiguïté), et une autre
réservée à la clinique (admettant des formes moins graves et moins
différenciées) !
Weinstein a décrit, en 1982, un syndrome essentiellement biologique
qu’il a nommé HELLP, associant une hémolyse intravasculaire
modérée, une élévation des transaminases (le plus souvent modérée,
deux à quatre fois la normale), et une thrombopénie s’aggravant
progressivement.
Les signes cliniques en surviennent dans le
troisième trimestre et associent un malaise général (90 %), une
douleur en barre épigastrique, ou limitée à l’hypocondre droit
(90 %), des nausées et vomissements (50 %).
Ce syndrome est associé
à un très mauvais pronostic foetal, voire maternel et, en dépit de
quelques tentatives thérapeutiques héroïques (immunoglobulines
[Ig], échanges plasmatiques...), la plupart des auteurs s’accordent à
considérer comme seule issue une terminaison rapide de la
grossesse.
Ce syndrome est mentionné ici car il est souvent (mais pas toujours)
associé à une hypertension et une protéinurie.
Il a ainsi été considéré alternativement, soit comme une complication de la prééclampsie,
soit comme une variante symptomatique de celle-ci.
Sa pathogénie
demeure l’objet de spéculations.
Épidémiologie :
L’incidence de l’hypertension gravidique est estimée entre 10 et 15 %
des grossesses.
La fréquence en est voisine dans la plupart des pays
d’Europe et aux États-Unis, hormis quelques études qui
surévaluent cette fréquence du fait d’une définition plus laxiste.
Quelque 10 % de ces femmes (2 à 3 % de la population) ont une prééclampsie (selon la définition ci-dessus).
Le pourcentage de prééclampsie, et surtout de prééclampsie grave, est en fait bien plus
variable suivant les pays, avec une incidence nettement plus élevée
dans les pays en voie de développement.
La prééclampsie est
assortie d’une mortalité maternelle, variable suivant les pays, entre
0,1 et 5 pour 1 000 cas, voire plus.
Cette mortalité est largement
concentrée chez les patientes ayant un syndrome HELLP.
Même
si l’éclampsie (crise convulsive) est devenue un accident rare
(0,56‰ naissances), du moins sous nos climats, elle reste une
éventualité particulièrement grave.
Une mortalité maternelle de 5 %
a été rapportée en Australie en cas d’éclampsie.
Les hypertensions gravidiques apparaissent volontiers dès la
première grossesse, l’âge de celle-ci n’étant pas fondamentalement
différent de celui des grossesses normales.
La classique distribution
en « double-bosse » (un pic chez les très jeunes femmes de moins de
20 ans, un second pic au-delà de 37-40 ans) n’est plus observée
actuellement sous nos climats, mais le reste dans certains pays en
voie de développement.
En France, la fréquence de l’hypertension et de la prééclampsie ne
diffère pas suivant les groupes ethniques. Des données plus
discordantes ont été rapportées aux États-Unis.
Les différences
entre catégories socioprofessionnelles sont modestes et les catégories
dites « défavorisées » ne sont pas plus exposées que d’autres.
Dans
une étude française, il a été observé une fréquence en excès chez les
cadres supérieurs et professions libérales, mais aussi chez les
personnels de service, par rapport aux employées de bureau et de
commerce, ou aux ouvrières.
La fréquence apparaissait plus basse
chez les femmes « sans profession ».
Ces faits permettent de
supposer que le risque d’avoir une hypertension gravidique soit
plus élevé chez les femmes qui ont une activité physique ou
intellectuelle importante, et/ou une couverture sociale médiocre.
L’obésité est un facteur favorisant retrouvé dans toutes les études.
De même, la fréquence de la prééclampsie est plus basse chez les
fumeuses.
L’explication de ce dernier fait n’est pas connue.
Tableaux cliniques :
A - HYPERTENSION SIMPLE :
Une hypertension isolée au cours de la grossesse n’obère donc que
modestement le pronostic de celle-ci, avec un risque relatif variant
de 1 à 3.
Selon les classifications ci-dessus, cette hypertension peut
être « gravidique » ou « chronique » ; la différence n’est pas toujours
aisée à faire sur l’instant, même si le classique critère des
20 semaines est habituellement utilisé comme repérage.
Quelques
études assignent un pronostic un peu plus péjoratif aux
hypertensions gravidiques, d’autres aux hypertensions chroniques.
Ces hypertensions sont presque toujours asymptomatiques.
Il
convient cependant de ne pas oublier que ce type de situation n’est
pas figé, et qu’à tout moment une protéinurie peut venir compléter
le tableau, majorant alors sensiblement le risque.
B - PRÉÉCLAMPSIE « MODÉRÉE »
:
Dès lors qu’une protéinurie significative est associée à
l’hypertension, le risque se situe à un niveau nettement plus élevé.
Il demeure modeste lorsque les chiffres tensionnels sont
modérément élevés et facilement contrôlables, coexistant
habituellement avec une protéinurie de moins de 1 g/24 h.
Dans ces
cas, une surveillance renforcée, tant foetale que maternelle, est
néanmoins nécessaire.
Il n’est pas exceptionnel qu’une issue
prématurée de la grossesse s’avère indiquée, soit du fait d’un
ralentissement ou d’un arrêt de la croissance foetale, soit du fait
d’une quelconque menace sur le pronostic maternel.
C - PRÉÉCLAMPSIE « GRAVE »
:
Tout différent est le tableau de la prééclampsie « grave ».
L’hypertension est alors majeure, menaçante, et remarquablement
insensible aux traitements antihypertenseurs.
La protéinurie est de
plusieurs grammes, voire dizaines de grammes par 24 heures, avec
un syndrome néphrotique.
Il existe habituellement des oedèmes
diffus, infiltrant les membres supérieurs et inférieurs, les lombes, la
face.
La croissance foetale se ralentit puis s’interrompt. Les patientes
sont souvent céphalalgiques et photophobiques.
C’est dans de tels
cas qu’un syndrome HELLP vient souvent compléter le tableau, et
la thrombopénie, rapidement progressive, crée une menace majeure
à court terme. Dans cette situation, la seule issue est la terminaison
de la grossesse, presque toujours par une césarienne.
Cette décision
est relativement aisée si le terme est suffisamment avancé pour
permettre une chance raisonnable de survie du nouveau-né dans
des conditions de sécurité acceptables.
Dans le cas contraire, on peut
être tenté de temporiser pour obtenir un peu plus de maturité
foetale, mais cette temporisation ne se fait qu’au prix d’une
majoration de l’hypotrophie, et le risque de complications
maternelles est alors très élevé.
L’extrême gravité de la situation
peut parfois justifier une césarienne dite « de sauvetage maternel »
sur un enfant non viable.
C’est bien entendu dans de tels cas que les complications
maternelles hémodynamiques (oedème pulmonaire...) ou
l’insuffisance rénale aiguë apparaissent le plus volontiers ; c’est
également dans ces cas que le pronostic vital maternel est le plus
sévèrement menacé.
D - ACCIDENT INAUGURAL :
Dans le cas précédemment décrit, peuvent survenir des accidents
maternels ou foetaux, compliquant une situation dont la gravité était
déjà patente.
Il est d’autres circonstances dans lesquelles une grossesse qui semblait normale (ou si peu pathologique) tourne
brusquement au drame lorsque survient un hématome rétroplacentaire (HRP) ou une éclampsie, souvent doublés d’une
mort foetale.
C’est alors après l’accident que surviennent
l’hypertension, la protéinurie, et tout le cortège de complications
maternelles qui vont en majorer la gravité.
Notons également que
près d’un tiers des syndrome HELLP et un quart des éclampsies
surviennent dans le post-partum.
E - COMPLICATIONS :
Nous venons de le voir, le risque encouru est à la fois maternel et
foetal. Pour la mère, c’est la possible survenue d’un HRP ou d’une
éclampsie.
Rappelons qu’ils sont souvent accompagnés d’une coagulopathie de consommation (coagulation intravasculaire
disséminée [CIVD]) majeure, surtout en cas de syndrome HELLP, et
peuvent être suivis d’une insuffisance rénale aiguë, voire d’une
nécrose corticale.
C’est dire que pour rares qu’ils soient devenus, ils
gardent une signification pronostique très sérieuse, voire
dramatique.
Ainsi, dans une série de 442 grossesses avec syndrome HELLP, Sibai et al font état d’une CIVD dans 21 % des cas, d’un
HRP dans 16 %, d’une insuffisance rénale aiguë dans 7,7 %, d’un
oedème pulmonaire dans 6 % ; 55 % des patientes ont nécessité des
transfusions et 2 % ont eu une laparotomie en raison d’un syndrome
hémorragique.
La mortalité maternelle a été de 1,1 %.
Pour le foetus, le risque est celui d’un retard, voire d’un arrêt de la
croissance par défaut de perfusion, aboutissant au maximum à la
mort in utero.
Nous renvoyons le lecteur au traité de gynécologieobstétrique
pour une description détaillée de ces complications.
Physiopathologie :
A - MODÈLES EXPÉRIMENTAUX
:
L’hypertension gravidique n’est presque jamais observée
spontanément dans le règne animal et il est difficile d’obtenir un
modèle expérimental ayant quelques points communs avec la
maladie observée dans l’espèce humaine.
1- Modèles d’hypertension :
Chez les rats génétiquement hypertendus, gestation et parturition
ne sont pas affectées par l’hypertension.
Celle-ci tend d’ailleurs à
s’estomper durant la gestation.
La morphologie placentaire et rénale
des animaux gestants est normale, de même que le poids des
nouveau-nés.
Dans l’ensemble, les études expérimentales consistant à créer une
hypertension (essentiellement sténose artérielle rénale, ou perfusion
de vasopresseurs) chez l’animal gestant ont montré une poursuite
normale de la gestation et l’absence de conséquences de
l’hypertension sur la survie ou le poids de naissance des petits.
Le
débit sanguin utéroplacentaire n’était pas altéré, ou de manière très
transitoire.
Ces données retirent quelque crédit à l’idée selon laquelle
l’élévation des chiffres tensionnels serait la cause d’un
dysfonctionnement placentaire ou d’une souffrance foetale.
Il faut
relever cependant que dans un modèle de sténose artérielle rénale,
le débit sanguin utérin s’est avéré très dépendant du niveau de la Pa, et très sensible à une réduction de celle-ci par des produits
antihypertenseurs.
2- Modèles d’ischémie placentaire
:
Une ischémie placentaire aiguë peut être aisément produite par la
ligature des artères utérines.
Cette manoeuvre entraîne une
hypertension, une protéinurie et la mort foetale.
Hypertension et
protéinurie disparaissent aussitôt après la parturition.
Abitbol et al
ont réalisé un modèle d’ischémie placentaire chronique chez la
guenon et chez la lapine, par striction de l’aorte sous-rénale au
moyen d’un clamp gonflable dont la pression peut être réglée de
l’extérieur.
Une réduction de 40 % du débit sanguin entraîne une
hypertension artérielle immédiate, et une protéinurie apparaît au
cinquième jour.
La lésion rénale observée est superposable à la lésion
dite « endothéliose » observée dans la maladie humaine.
Ce
syndrome est réversible si le clamp est relâché après un laps de
temps suffisamment court.
Enfin, il n’apparaît que chez l’animal en
gestation, la même manoeuvre n’ayant aucun effet sur l’animal non
gravide.
3- Inflammation et endotoxines
:
Une injection d’endotoxine bactérienne permet de reproduire d’assez
près chez l’animal les manifestations d’une prééclampsie.
De très
faibles doses doivent être injectées, sous peine de choc et d’arrêt de
la gestation.
Dans ces conditions, on observe chez l’animal gestant
une augmentation de la Pa, une protéinurie, une coagulopathie et
des dépôts glomérulaires de fibrinogène avec infiltration
monocytaire.
Il y a simultanément une activation des
polynucléaires circulants, et l’ensemble reproduit un modèle complet
de réaction inflammatoire.
La même manoeuvre est inopérante chez l’animal non
gestant.
4- Transgenèse :
Takimoto et al ont rapporté un modèle fascinant de prééclampsie
chez des souris transgéniques pour des composants du système
rénine-angiotensine humain.
Le croisement d’une femelle porteuse
du transgène de l’angiotensinogène avec un mâle porteur du
transgène de la rénine (rien ne se produit si c’est l’inverse) aboutit à
une hypertension sévère en fin de gestation, avec une protéinurie et
perte foetale fréquente.
Les lésions histologiques rénales sont
comparables à celles décrites dans l’espèce humaine.
Enfin, le tout
est régressif après la parturition.
B -
CLÉ : TROUBLE DE LA PLACENTATION
1- Étapes précoces de la placentation : physiologie
La reconnaissance du fait que le primum movens des pathologies
hypertensives de la grossesse était une anomalie très précoce de la
placentation a stimulé considérablement les recherches sur les
mécanismes et les possibles anomalies de celle-ci.
La placentation dite « hémochoriale » telle qu’elle a lieu dans
l’espèce humaine requiert une connexion entre le placenta naissant
et les vaisseaux maternels.
Ces derniers doivent par ailleurs acquérir un calibre suffisant pour assurer le débit sanguin nécessaire à des
échanges de bonne qualité.
Cette connexion s’opère par une invasion
des structures maternelles par le trophoblaste, qui se comporte un
peu comme une tumeur invasive.
L’une des particularités de ce
phénomène est qu’il est normalement autolimité, ce qui suppose de
puissants facteurs de régulation.
Les principales exceptions à cette
autolimitation sont les môles hydatiformes et le choriocarcinome.
La môle résultant d’une diploïdie pour le génome paternel induit
une prééclampsie et une invasion trophoblastique agressive, de type
néoplasique.
Quelques jours à peine après la fécondation, le cytotrophoblaste
villeux se différencie en périphérie du blastocyste en
syncytiotrophoblaste aux propriétés très invasives, qui permet la
pénétration et l’ancrage du blastocyste dans l’endomètre.
Puis le cytotrophoblaste extravilleux colonise la masse syncytiale et envahit
la decidua jusqu’aux artères spiralées.
C’est la première phase,
interstitielle, d’invasion trophoblastique.
La seconde phase, plus
tardive, est l’invasion endovasculaire des artères spiralées du
myomètre, qui va remonter jusqu’au tiers environ de celui-ci.
Durant
cette phase, les cellules trophoblastiques subissent une profonde
transformation leur conférant un phénotype de type endothélial.
Cette invasion est une condition indispensable à l’établissement
d’une circulation maternofoetale convenable.
L’invasion se fait grâce à des enzymes protéolytiques,
principalement des métalloprotéases.
Sa progression est initiée et
contrôlée par divers facteurs de croissance et cytokines.
Dans tous
ces phénomènes, la tension en oxygène ainsi que la production de
NO semblent jouer un rôle majeur, ainsi peut-être que des facteurs
hémodynamiques directs.
La decidua est infiltrée par de nombreuses cellules.
Si les
lymphocytes B et T y sont relativement rares, les monocytes/
macrophages et les cellules natural killer (NK) y sont d’une
particulière abondance.
Le trophoblaste extravilleux (et lui seul)
exprime une combinaison particulière de molécules du human
leukocyte antigen (HLA) de classe I, HLA C, E et G (le HLA G est
totalement spécifique du trophoblaste).
Les cellules NK qui infiltrent
la decidua sont en contact étroit avec le trophoblaste invasif et
contiennent des récepteurs qui reconnaissent ces antigènes HLA I.
Cette interaction pourrait être un élément clé de la régulation de
l’invasion, par une modulation de l’effet cytolytique des cellules NK.
Le HLA G signale la présence du placenta et protège le
trophoblaste en inhibant l’effet lytique des NK.
Contrairement à
l’immunité dite adaptative des cellules T et B, qui reconnaissent le
self du non-self, cette immunité « native » reconnaît le missing self
puisque les cellules NK ne sont cytotoxiques qu’en l’absence du
HLA G.
Il est aussi à remarquer que ce phénomène doit prendre en compte
des composants paternels dont l’agression doit être évitée pour
empêcher le rejet de l’allogreffe foetale.
Ce pourrait être le rôle
dévolu au HLA C.
De leur côté, les monocytes favorisent une apoptose du trophoblaste,
via le tumor necrosis factor (TNF) a.
Celle-ci est certainement un autre
élément régulateur essentiel.
Toujours est-il que les artères spiralées du myomètre sont colonisées
vers 15 semaines par du trophoblaste qui remplace l’endothélium
(acquisition des cadhérines spécifiques) et détruit les structures
musculaires.
Ces artères sont donc transformées en chenaux dont le
diamètre est multiplié par 4 à 6, et qui n’ont plus de fonction
résistive mais seulement conductive.
Cette « transformation » des
artères spiralées est manifestement une condition indispensable à
une irrigation suffisante du placenta et du foetus.
2- Anomalie de l’invasion trophoblastique :
L’existence d’une anomalie de cette invasion trophoblastique a été
une étape majeure dans la compréhension physiopathologique de la prééclampsie.
Il a été montré dès les années 1970 sur des biopsies
de lit placentaire que l’invasion trophoblastique est défectueuse
lorsqu’une prééclampsie doit survenir dans le troisième trimestre,
ou lors de retards de croissance foetaux isolés.
Cette anomalie
consiste, soit en une absence de transformation des artères spiralées,
soit en une transformation incomplète sur une longueur insuffisante.
Cette anomalie de placentation précède donc de plusieurs mois les
premières manifestations d’hypertension ou de protéinurie, mais
tout porte à croire que dès ce moment, la partie est jouée.
La
vascularisation du placenta étant insuffisante, l’ischémie se
développe progressivement, et c’est seulement à partir d’un seuil
critique d’ischémie, atteint bien plus tardivement, qu’apparaît
l’hypertension.
3- Inflammation :
De nombreux arguments suggèrent qu’une réaction inflammatoire
modérée, impliquant le placenta mais aussi d’autres structures
vasculaires de l’organisme maternel, serait présente dans la
grossesse normale.
Cette réaction apparaît considérablement
majorée, et plus diffuse encore, dans la prééclampsie.
Cette dernière
représenterait en quelque sorte une « décompensation » de cette
réaction inflammatoire due, soit à un stimulus immunologique trop
intense, soit à une réaction maternelle exagérée.
Ce processus
inflammatoire serait étroitement lié à l’infiltration cellulaire déjà
évoquée dans le placenta, et les anomalies qui concourent à
l’insuffisance de l’invasion trophoblastique en seraient un stimulus
puissant.
On admet, sans preuve bien solide, que le facteur
déclenchant de cette réaction inflammatoire serait immunologique.
4- Libération de cellules trophoblastiques :
Le placenta, à la fois ischémique et inflammatoire, libère dans la
circulation maternelle une quantité très accrue de cellules
trophoblastiques nécrosées, éventuellement dégradées et limitées à
des vésicules ; ce fait est bien acquis.
In vitro, ces vésicules sont
capables d’inhiber puissamment la prolifération de cellules
endothéliales et même de rompre la couche cellulaire de la
culture.
L’hypothèse a donc été émise que ces cellules ou vésicules
libérées en large excès par un placenta ischémique et en apoptose
provoqueraient des ruptures endothéliales, majorées encore par
l’activation des monocytes (et des polynucléaires, via le TNF a), déclenchant la
cascade classique de vasoconstriction, activation de l’hémostase,
etc.
5- Peroxydation lipidique et radicaux libres
:
Dans ce phénomène de souffrance endothéliale, un rôle important a
été attribué au stress oxydatif, dont les manifestations apparaissent
aussi bien à l’échelon placentaire que systémique.
Le taux circulant
des acides gras libres est très précocement augmenté avant une prééclampsie, et l’incorporation de ces acides gras dans les cellules
endothéliales est accrue.
Le sérum de ces patientes a une activité lipolytique élevée.
Des anomalies lipidiques maternelles
pourraient potentialiser la génération de radicaux libres.
C - FACTEURS ÉTIOLOGIQUES DE L’INSUFFISANCE
PLACENTAIRE
:
Son mécanisme a peu de chances d’être univoque.
Il est au contraire
hautement probable que ce soit à cette étape que s’expriment la
diversité et l’hétérogénéité de la maladie « hypertension
gravidique ».
Les hypothèses envisagées ci-dessous ne sont donc pas
exclusives les unes des autres, et d’autres hypothèses encore seront
sans doute formulées dans les années à venir.
1- Hypothèse mécanique
:
Dans cette hypothèse, la plus ancienne et la plus simple de toutes,
l’ischémie placentaire résulterait de la compression mécanique de
l’aorte et/ou des artères utérines par l’utérus.
Le rôle favorisant bien
connu de la gémellarité et de l’hydramnios serait ainsi facilement
expliqué.
La preuve artériographique directe d’une réduction
importante du calibre de l’aorte sous-rénale pendant la grossesse a
d’ailleurs été apportée dans quelques cas anecdotiques.
2- Pathologie vasculaire préexistante :
Nombre de patientes atteintes d’hypertension gravidique sont en fait
porteuses de lourds facteurs de risques vasculaires, au plan génétique et/ou métabolique.
Ces patientes ont toutes les raisons
d’avoir des altérations vasculaires préalables à la grossesse.
De fait,
des lésions vasculaires rénales, parfois impressionnantes, ont été
trouvées histologiquement, alors même que les patientes étaient normotendues.
On peut aisément concevoir que de telles lésions
vasculaires, probablement ubiquitaires, soient un obstacle majeur à
une placentation normale.
Dans ce cas, la répétition des accidents
au fil des grossesses successives se comprendrait sans peine.
3- Pathologie thrombophilique préexistante
:
Dekker et al ont rapporté une fréquence très accrue de
pathologies thrombophiliques chez des jeunes femmes atteintes de
prééclampsie précoce et sévère.
Ces anomalies étaient
principalement un anticoagulant circulant ou antiphospholipide, un
déficit en protéine C ou S, une résistance à la protéine C activée
(dite mutation Leiden du facteur V), ou une hyperhomocystéinémie.
Une mutation du gène codant la prothrombine (facteur II) a été plus
tard ajoutée à la liste.
Ces données ont été assez largement recoupées
par divers auteurs, et certains admettent que plus de 50 % des
femmes ayant présenté une prééclampsie sévère seraient porteuses
d’au moins une de ces anomalies.
S’il paraît probable que ces anomalies peuvent être impliquées dans
la genèse d’une prééclampsie, au moins au titre de facteur
aggravant, il faut néanmoins se souvenir que la distribution
géographique de ces mutations est très variable, et n’est en rien
parallèle à celle de la prééclampsie.
4- Facteurs immunologiques
:
Le foetus, dont le capital génétique est pour moitié d’origine
paternelle, représente l’équivalent d’une greffe semi-allogénique,
dont la survie requiert un état de tolérance immunitaire maternelle.
Au cours de la grossesse, il existe une reconnaissance par la mère
d’antigènes paternels et une immunisation contre ces antigènes.
Ainsi, 20 % des primipares et 50 % des multipares ont des anticorps
circulants dirigés contre des composants du HLA paternel.
Un
système de facilitation humorale a ainsi été mis en évidence et
largement étudié dans les années 1970.
Ce mécanisme a été trouvé
totalement absent dans les cas d’avortements itératifs et fortement
diminué dans la prééclampsie.
Un second facteur de tolérance serait l’induction de cellules T
suppressives.
Un rôle supplémentaire pourrait être joué par le
passage de lymphocytes foetaux (probablement T suppresseurs) dans
la circulation maternelle.
Enfin, nous avons évoqué plus haut
l’importance accordée actuellement aux cellules NK et à leur
interaction avec les antigènes HLA I portés par le trophoblaste.
Le
HLA G, peu polymorphe et spécifique du placenta, signalerait la
présence de celui-ci et inhiberait la cytotoxicité.
Le HLA C traduirait
surtout un signal allogénique d’origine paternelle, et le E
déclencherait l’effet inhibiteur des cellules NK.
En définitive, la cytotoxicité dépendrait de la balance et de l’interaction entre ces trois
éléments.
Le défaut d’invasion trophoblastique, et donc la prééclampsie,
pourrait être lié à une agression immune du placenta.
Dans les
années 1970, a été largement développée l’idée d’une absence de
facilitation immunologique humorale en cas de degré élevé
d’histocompatibilité entre père et mère.
Ce fait expliquerait pour une
part la constatation que l’hypertension gravidique apparaissant pour
la première fois chez une multipare est souvent associée à un
changement de partenaire, et également que des transfusions
préalables se soient montrées douées d’un effet protecteur vis-à-vis
de l’hypertension gravidique.
Même si cette idée est passée de
mode aujourd’hui, des publications viennent périodiquement
rappeler que les faits constatés il y a 20 ou 30 ans sont toujours
exacts.
Le processus d’immunisation antipaternelle est probablement un
peu plus subtil que ce qui était imaginé à l’époque, mais sa présence
et son importance demeurent.
Le degré et le mode d’exposition au
sperme semblent y jouer le rôle prédominant.
Robillard et al ont
montré que le risque de prééclampsie est plus élevé en cas de
conception précoce dans un couple récent qu’en cas de conception
plus tardive dans un couple établi depuis plus longtemps,
phénomène qualifié peu poétiquement de « durée de la cohabitation
sexuelle ».
De même, en cas d’insémination artificielle, le risque
de prééclampsie est plus élevé si le sperme provient d’un donneur
étranger plutôt que du conjoint.
La pratique de la fellation, selon
plusieurs auteurs, serait associée à une meilleure protection contre
la prééclampsie que les seuls rapports sexuels par voie vaginale.
Selon certains auteurs également, l’usage d’une contraceptionbarrière
telle que des préservatifs serait associé à une incidence
accrue de prééclampsie.
5- Aspects génétiques
:
Une certaine agrégation familiale des cas de prééclampsie est
classiquement admise.
Chez certaines patientes ayant eu une
éclampsie, on retrouve des soeurs, la mère, ou une grand-mère ayant
eu le même accident.
Une analyse soigneuse de ces familles avait
naguère permis d’estimer qu’il s’agirait d’une transmission monogénique.
De nos jours, l’éclampsie se fait rare.
La maladie
« hypertension gravidique » est bien plus hétérogène qu’on ne le
pensait à l’époque, et les données des études génétiques
apparaissent moins claires.
Tout laisse penser au contraire que divers
gènes impliqués dans la régulation de la Pa, la régulation du volume
plasmatique, le remodelage vasculaire, et divers facteurs plus
spécifiquement placentaires, interviennent à des titres divers comme
« gènes de susceptibilité » de la prééclampsie.
Les études de cohorte suggèrent bien une transmission génétique de
la prééclampsie.
Ainsi, Cincotta et Brennecke ont étudié 368 jeunes
primipares.
Dix-huit d’entre elles avaient leur mère ou une soeur
(ou les deux) ayant eu une prééclampsie.
Parmi ces 18 femmes, cinq
(27,8 %) ont eu une prééclampsie, contre 29 (8,3 %) de celles qui
n’avaient pas d’antécédents familiaux, ce qui correspond à un risque
relatif de 3,4 (intervalle de confiance [IC] 95 % : 1,5-7,6).
Ce risque
est encore plus élevé pour la prééclampsie « grave ».
Arngrimsson
et al ont étudié 94 familles islandaises (population très homogène)
sur quatre générations dans la descendance de femmes ayant eu une
prééclampsie grave ou une éclampsie dans les années 1931 à 1947.
La fréquence de la prééclampsie a été plus élevée (23 %) chez les
filles que chez les belles-filles (10 %) des patientes atteintes.
La
prédisposition était transmise aussi bien par les hommes que par les
femmes.
Néanmoins, dans une étude de 99 couples de jumelles monozygotes,
dix ont développé une prééclampsie et tel n’a été le cas pour aucune
de leurs jumelles.
Sur une série plus étendue, les mêmes auteurs
ont estimé la transmission génétique de la prééclampsie à 0 % et
celle de l’hypertension gravidique à 25 %.
Des résultats
contradictoires ont cependant été rapportés.
Peu nombreux sont les gènes-candidats plausibles.
Une association
entre la prééclampsie et le variant M235T du gène de
l’angiotensinogène a été rapportée, mais n’a pas été retrouvée par
tous les auteurs.
Néanmoins, cette mutation semble associée à une
moindre dilatation des artères spiralées, ce qui établirait un lien
entre une anomalie génétique et le défaut d’invasion trophoblastique.
Nous avons évoqué les anomalies thrombophiliques volontiers associées à la prééclampsie.
La mutation Leiden du facteur V a été la plus étudiée et les résultats
ont été quelque peu discordants. Nous noterons par ailleurs que
cette mutation, assez fréquente en Europe, est virtuellement absente
dans d’autres contrées (Japon) où l’incidence de la prééclampsie
n’est pas plus basse.
Les études génomiques ont permis des suggestions assez diverses.
La plus consistante porte sur la région du chromosome 7q36, codant
la eNOS.
Un tel gène de susceptibilité serait physiologiquement
très pertinent.
6- Aux confins entre immunologie et génétique : le père
La prééclampsie n’est pas simplement le problème d’un individu,
c’est aussi celui d’un couple.
Le père peut intervenir dans la genèse
de cette pathologie de deux manières : un « conflit » immunologique
entre père et mère, ou la transmission paternelle d’un gène (ou autre
facteur) responsable du dysfonctionnement placentaire.
Lie et al, s’appuyant sur un registre des naissances norvégien de
1,7 million d’entrées, ont étudié les grossesses suivant une grossesse préeclamptique selon les individus impliqués.
Lorsqu’une grossesse
a été prééclamptique dans un couple, une nouvelle procréation entre
le même père et une femme différente double pratiquement le risque
de prééclampsie pour cette dernière.
Le risque de prééclampsie est
également accru dans les mêmes proportions chez la demi-soeur
d’une femme ayant eu elle-même une prééclampsie, si les deux
femmes sont de même père et de mère différente.
D’autres publications montrent qu’un homme issu d’une grossesse prééclamptique majore le risque de prééclampsie pour son épouse.
Dizon-Townson et al ont trouvé une fréquence élevée de mutation
Leiden en cas de fausses couches itératives avec nécrose placentaire.
La mutation était présente plus souvent dans l’acide
désoxyribonucléique (ADN) foetal que dans l’ADN maternel,
indiquant clairement que dans certains cas, le gène était d’origine
paternelle.