Hypertension gravidique
(Suite) Cours de
Gynécologie
Obstétrique
D -
CONSÉQUENCES DE L’INSUFFISANCE PLACENTAIRE
:
Laissant de côté les conséquences foetales de l’insuffisance
placentaire, nous nous limitons à l’étude des mécanismes par
lesquels l’insuffisance placentaire est responsable d’une
hypertension, d’une maladie rénale à la fois anatomique et
fonctionnelle, et d’une CIVD.
1- Dysfonction endothéliale
:
La réduction de la perfusion placentaire consécutive à une
implantation défectueuse est suivie d’une cascade d’anomalies qui
témoignent d’une altération des fonctions endothéliales :
– une augmentation de la sensibilité aux hormones pressives : celle-ci
est connue de très longue date, manifestée entre autres par la perte
de « l’état réfractaire » à l’angiotensine, qui caractérise la grossesse
normale ;
– une activation de l’hémostase : la fréquence et l’étendue des dépôts
de fibrine dans le placenta et dans de nombreux organes ont fait
suspecter très précocement le rôle de troubles de l’hémostase dans
les manifestations de l’hypertension gravidique.
La prééclampsie a
ainsi été assimilée à un état de CIVD, et c’est cette dernière qui
expliquerait les manifestations polyviscérales observées, en
particulier au niveau du rein, du foie (syndrome HELLP), c’est elle
également qui expliquerait l’éclampsie.
En fait, à la lumière de
travaux plus récents, une véritable CIVD semble rare, si tant est
qu’elle existe, dans la prééclampsie. En revanche, une activation
plaquettaire précoce est certaine.
Une telle stimulation est
compatible avec une altération endothéliale précoce.
Elle pourrait
entraîner une activation secondaire de la coagulation et de la
fibrinolyse ;
– une production de prostacycline diminuée : il existe, très tôt
également, un déséquilibre de la production des eicosanoïdes.
Au
cours d’une grossesse normale, les productions de prostacycline et
de thromboxane A2 sont toutes deux vivement stimulées, avec
cependant un rapport très en faveur de la prostacycline.
Cette
stimulation est mise en évidence par une augmentation considérable
du taux de leurs métabolites, aussi bien dans le sérum que dans
l’urine.
Cela suggère que leur stimulation est un phénomène global
dans l’organisme.
De fait, la production de prostacycline est accrue
dans tous les territoires de la circulation, la production rénale est
également accrue et l’unité utéroplacentaire en synthétise
d’abondantes quantités.
Le mécanisme de cette stimulation est
actuellement inconnu et s’intègre dans une interrégulation complexe
de tous les systèmes hormonaux à activité vasomotrice directe ou
indirecte.
Toujours est-il que la production accrue de prostacycline
joue manifestement un rôle primordial dans la vasodilatation
systémique et rénale qui caractérise l’hémodynamique de la femme
enceinte.
Elle contre-balance largement l’effet vasoconstricteur et
procoagulant qui est celui du thromboxane.
Lors des grossesses avec hypertension, la stimulation du thromboxane est sensiblement identique à celle observée dans les
grossesses normales, alors que la prostacycline est peu ou pas
stimulée.
Le rapport est donc alors en faveur du thromboxane, c’est-à-
dire de l’élément vasoconstricteur et procoagulant.
Cette anomalie
témoigne probablement d’un trouble fonctionnel des endothéliums,
qui sont les principaux responsables de la production de prostacycline ;
– l’apparition de marqueurs biochimiques : des arguments
supplémentaires en faveur de cette hypothèse sont apportés par
l’élévation du taux circulant de fibronectine et de facteur VIII,
marqueurs de lésion endothéliale ;
– un activateur endothélial ? Certains auteurs ont mis en évidence
dans le plasma des patientes prééclamptiques une substance capable
d’induire une forte production de platelet derived growth factor
(PDGF) dans des cellules endothéliales en culture, témoignant d’une
intense activation de ces cellules.
2- Hypertension :
C’est dans ce contexte de dysfonction endothéliale qu’il convient
d’intégrer la vasoconstriction systémique et l’hypertension qui en
résulte.
L’hypertension est principalement due à la perte de la vasodilatation
caractéristique de la grossesse normale et à l’apparition, au contraire,
d’une vasoconstriction.
Normalement, la grossesse est caractérisée
par un état réfractaire aux hormones pressives et singulièrement
l’angiotensine II ; cette situation disparaît avant l’émergence
d’une prééclampsie.
Un test à l’angiotensine a même été utilisé en
prédiction de la prééclampsie.
Le mécanisme de la vasoconstriction reste débattu.
Le déséquilibre
entre prostacycline et thromboxane y joue certainement un rôle
important.
Il est possible également que le potentiel vasoconstricteur
d’autres substances (angiotensine, endothéline) soit amplifié par une
baisse d’activité de la NO synthase.
Les cellules endothéliales
elles-mêmes peuvent être altérées par l’action de cytokines proinflammatoires
(TNF a) et par un stress oxydatif accru.
Les études hémodynamiques ont été peu nombreuses et leurs
résultats sont contradictoires.
La grossesse normale est accompagnée
d’une augmentation de quelque 30 % du débit cardiaque.
En dépit
de celle-ci, la vasodilatation est telle que la Pa baisse
physiologiquement.
Le débit cardiaque reste généralement élevé dans les hypertensions
bénignes, mais s’abaisse dans la prééclampsie sévère.
Le volume plasmatique (normalement accru de près de 50 %) est
très abaissé dans les formes sévères, voire effondré dans les formes
dites « toxémie gravidique » avec protéinurie importante et retard
de croissance foetale.
Cette contraction volémique est en
corrélation directe avec le poids de naissance de l’enfant.
Elle
pourrait résulter, soit de la vasoconstriction elle-même, soit d’un
trouble plus subtil de l’excrétion sodée.
D’autres facteurs encore pourraient jouer un rôle dans la genèse ou
l’entretien de l’hypertension, le système nerveux sympathique, le
facteur atrial natriurétique, des facteurs calciotropiques, le
métabolisme du magnésium.
3- Néphropathie :
* Données fonctionnelles :
+ Fonction rénale :
L’évolution de la fonction rénale au cours de la grossesse normale a
fait l’objet de nombreuses revues dont nous retiendrons
essentiellement celles de Davison et d’Atherton.
Il existe
normalement un accroissement d’environ 50 % du flux plasmatique
rénal.
La filtration glomérulaire évolue d’une manière sensiblement
parallèle, conduisant à une clairance de la créatinine de l’ordre de
180 mL/min.
Ces deux paramètres sont généralement diminués
dans l’hypertension gravidique.
La diminution est le plus souvent
de l’ordre de 25 %, c’est-à-dire que les valeurs observées sont encore
au-dessus de celles considérées comme normales avant la grossesse.
Dans les formes les plus sévères, la filtration glomérulaire peut
cependant être beaucoup plus basse, et l’insuffisance rénale aiguë
est une complication heureusement rare, mais habituellement d’une
extrême gravité, de la prééclampsie sévère ou du syndrome HELLP.
+ Bilan du sodium :
Comme mentionné plus haut, une rétention de 900 à 1 000 mEq de
sodium se produit au fil de la grossesse.
Elle est nécessaire à
l’expansion volémique.
Elle s’opère en dépit de l’augmentation de
filtration glomérulaire, ce qui suppose un ajustement majeur de la
réabsorption sodée.
L’expansion volémique est défectueuse, voire
absente, dans les formes graves de l’hypertension gravidique.
Cette
anomalie est parfois, mais pas toujours, associée à un volume
extracellulaire globalement abaissé.
Un trouble de la perméabilité
vasculaire peut intervenir, contribuant à la formation des oedèmes.
+ Excrétion rénale de l’acide urique :
Au cours de la grossesse normale, l’uricémie s’abaisse de 30 % en
moyenne, alors que s’élèvent aussi bien la clairance et l’excrétion
fractionnelle de l’acide urique.
Une hyperuricémie est associée aux
formes graves de l’hypertension gravidique.
Elle est proportionnelle
à la sévérité de l’atteinte anatomique rénale et représente un index
réputé du pronostic foetal.
De fait, il existe une corrélation
négative entre les variations de l’uricémie et celles du volume
plasmatique, suggérant que la baisse de la clairance de l’acide
urique reflète la réponse physiologique du rein à l’hypovolémie.
* Données anatomiques :
Les lésions constatées peuvent être regroupées sous
trois rubriques.
+ Endothéliose glomérulaire
:
C’est la lésion la plus anciennement décrite.
Elle a été considérée
par la plupart des auteurs comme spécifique de la « prééclampsie ».
Elle est composée d’un gonflement des cellules endothéliales
glomérulaires, d’un épaississement irrégulier des membranes
basales et d’une fusion des pédicelles épithéliales.
Des dépôts sousendothéliaux
de fibrinogène peuvent être observés.
Quelques
auteurs ont mis en évidence par l’immunofluorescence des dépôts
d’IgG ou IgM.
La caractéristique essentielle de l’endothéliose
glomérulaire est son entière réversibilité en quelques semaines après
l’accouchement.
Tout au plus peut-elle laisser quelques infimes
irrégularités pariétales ou un discret épaississement du mésangium,
dont la signification pathologique est douteuse.
+ Lésions vasculaires
:
Elles sont probablement moins fréquentes, mais il est certain qu’elles
ont été largement sous-estimées dans le passé.
Il peut s’agir, soit
d’une endartérite fibroélastique, parfois sévère, touchant les artères
corticales de moyen calibre, soit de dépôts hyalins, éventuellement
occlusifs, dans la paroi des artérioles.
Dans l’ensemble, ces lésions
sont très similaires à celles observées après plusieurs années
d’hypertension artérielle permanente.
Elles sont souvent en contraste
frappant avec la normotension des patientes, et la brève période
hypertensive qui a marqué la fin de la grossesse.
Dans notre
expérience, ces lésions sont très souvent annonciatrices d’une
hypertension permanente à terme d’environ 5 ans.
+
Néphropathies indépendantes de la grossesse :
Diverses néphropathies, surtout glomérulaires, peuvent être
découvertes à l’occasion d’une hypertension gravidique : hyalinose
segmentaire et focale, maladie de Berger, glomérulonéphrite
membranoproliférative, etc.
Ces lésions sont manifestement
indépendantes de la grossesse, l’ont probablement précédée, et en
tout cas lui survivent.
Certaines observations indiquent néanmoins
que des lésions d’hyalinose segmentaire et focale peuvent se
constituer durant la prééclampsie elle-même.
En dehors de ce cas
très particulier, les néphropathies préexistantes peuvent être révélées
par une protéinurie de découverte précoce dans la grossesse,
souvent sans hypertension. Elles sont alors facilement suspectées.
Dans nombre de cas en revanche, le tableau clinique réalisé est celui
d’une hypertension avec protéinurie n’apparaissant que dans le
troisième trimestre.
La persistance de la protéinurie plusieurs mois
après l’accouchement peut être alors le seul symptôme évocateur,
encore peut-il manquer.
On comprend que le diagnostic reste
souvent méconnu dans ces cas, si l’indication d’une biopsie rénale
n’a pas été posée.
4- Hémostase
:
Une thrombopénie est de loin l’anomalie hématologique la plus
fréquente dans les hypertensions de la grossesse.
Elle est modeste
dans la plupart des cas ; néanmoins, la baisse du compte des
plaquettes au-dessous (parfois très au-dessous) de 100 000/mm3 est
la marque des formes graves, nécessitant en général une intervention
rapide.
Elle peut s’accompagner de l’apparition de produits de
dégradation de la fibrine, voire de tous les stigmates d’une CIVD.
La coexistence d’une antithrombine III diminuée et d’une
fibronectine augmentée suggère qu’une souffrance endothéliale y est
associée.
5- Foie
:
Des anomalies histologiques du foie (hémorragies périportales,
lésions ischémiques et dépôts de fibrine) ont été rapportées sur des
séries autopsiques bien avant la description du syndrome HELLP.
Les anomalies hépatiques vont de la cytolyse modérée à un
hématome sous-capsulaire, voire une rupture hépatique, dont point
n’est besoin de souligner la gravité.
6- Cerveau :
L’éclampsie (phase convulsive de la prééclampsie) reste une
complication majeure.
Elle est le plus souvent attribuée à une
ischémie focale par dépôts de fibrine et/ou vasoconstriction.
Le classique oedème cérébral ou l’encéphalopathie hypertensive sont
des mécanismes bien plus improbables, d’autant que nombre
d’éclampsies apparaissent avec une hypertension bien modeste,
voire sans hypertension.
Divers aspects ont été décrits depuis l’usage
du scanner ou de l’imagerie par résonance magnétique (IRM).
La
localisation souvent postérieure de ces lésions expliquerait la
fréquence des troubles visuels précurseurs.
Surveillance d’une femme enceinte
hypertendue :
Si le pronostic foetal des hypertensions de la grossesse n’a cessé de
s’améliorer depuis une vingtaine d’années, la précision de la
surveillance en est certainement un facteur primordial.
Le but de
cette surveillance est d’obtenir une prédiction, aussi à distance
possible, du risque de complications, avant tout élément clinique.
Ainsi, les décisions thérapeutiques peuvent être prises dans des
conditions optimales.
A - SURVEILLANCE CLINIQUE MATERNELLE :
Une surveillance clinique accrue est nécessaire chez ces patientes en
raison, d’une part du risque de complications maternelles, d’autre
part des décisions thérapeutiques qui peuvent en découler.
L’idée
d’une surveillance pluridisciplinaire, associant (ou alternant) gynécologue-obstétricien et médecin spécialisé, s’est peu à peu
imposée dans tous les centres préoccupés par cette pathologie.
Compte tenu de la fréquence des hypertensions gravidiques et de
leur gravité très inégale, s’est également imposée l’idée d’une
hiérarchisation des soins, conduisant la patiente, en fonction du
degré de risque estimé, vers des centres de plus en plus équipés et
spécialisés.
Nous ne nous étendrons pas ici sur la surveillance de la Pa et des
divers paramètres cardiovasculaires.
Nous nous focalisons sur les
éléments du pronostic de la grossesse, dont la valeur est
décisionnelle.
B - SIGNES FOETAUX
:
Les symptômes d’une souffrance foetale chronique sont d’une
importance primordiale dans la surveillance d’une hypertension
gravidique.
Il est bien évident qu’une stagnation de la hauteur
utérine ou un ralentissement de la croissance foetale lors des
contrôles échographiques sont lourds de conséquences, aussi bien
diagnostiques que thérapeutiques.
C - VÉLOCIMÉTRIE DOPPLER :
L’apparition de la surveillance par doppler chez les femmes
enceintes a représenté un progrès majeur.
L’exploration au niveau
de l’artère ombilicale permet d’apprécier la vélocité sanguine dans
le compartiment foetal.
Celle-ci reflète assez bien le « bien-être
foetal ».
Son altération est toujours associée à un retard de croissance
foetale et annonce bien souvent un accident sévère.
L’exploration des
artères utérines donne des renseignements sur le versant maternel
de la circulation.
Son altération est habituellement le témoin d’un
état vasculaire maternel déficient. Une telle situation serait associée
à un risque accru d’HRP.
Enfin l’exploration des territoires
vasculaires cérébraux du foetus met en évidence les réflexes
autorégulateurs de défense.
Son altération témoigne d’une
souffrance foetale aiguë et souvent d’une complication imminente.
Aussi, ce dernier examen représente-t-il souvent un élément
décisionnel pour l’obstétricien.
D - SIGNES BIOLOGIQUES :
La protéinurie demeure le principal stigmate biologique à traquer.
Cette surveillance se fait en routine par des bandelettes réactives,
mais une quantification en laboratoire devient indispensable dès que
la recherche est positive.
Une surveillance de l’hémostase, pour le moins du compte des
plaquettes, est habituellement effectuée.
Une thrombopénie est
toujours un élément de pronostic péjoratif, et peut conduire à des
décisions thérapeutiques urgentes.
Une surveillance régulière des transaminases permet de dépister
précocement l’apparition d’un syndrome HELLP.
La créatinine doit être périodiquement vérifiée, surtout si une
protéinurie est apparue.
La mesure du volume plasmatique dans la prédiction de
l’hypotrophie foetale a été supplantée par le doppler et n’est plus
guère utilisée de nos jours.
Un simple hématocrite en donne une
estimation grossière.
Un hématocrite supérieur à 38 % témoigne
régulièrement d’une hémoconcentration avec hypovolémie.
Cette
situation peut néanmoins être masquée par une anémie d’autre
cause.
L’uricémie a été longtemps un autre grand marqueur du risque de
complications à court terme.
Pour la plupart des auteurs, la valeur
de 350 µmol/L représente un seuil critique au-delà duquel le risque
de mort in utero augmente de façon presque linéaire, approchant
100 % à partir de 600 µmol/L.
En cas de doute sur les valeurs
antérieures, c’est essentiellement le gradient d’uricémie au fil des
dosages successifs qui doit être pris en considération.
En fait, si
l’uricémie est un marqueur de forte spécificité, sa sensibilité est
faible et donc la valeur qui lui est attribuée a beaucoup diminué.
Là
encore, les données de l’examen doppler apportent des
renseignements plus sensibles et fiables.
Traitement :
La thérapeutique de l’hypertension gravidique n’est pas le point le
moins débattu et c’est assurément le plus décevant.
Le problème le
plus controversé est celui de l’opportunité et des modalités d’un
traitement antihypertenseur.
A - MESURES GÉNÉRALES :
Le repos physique et psychique est l’une des rares mesures dont
l’utilité ne fasse aucun doute.
Le repos au lit, de préférence en
décubitus latéral gauche, abaisse les chiffres tensionnels, est souvent
associé à une décroissance de l’uricémie et semble bénéfique à la
croissance foetale.
L’explication donnée en est le dégagement de
l’aorte et de la veine cave inférieure, qui augmenterait le débit
sanguin utérin et le débit cardiaque.
Ce mode thérapeutique est
évidemment tributaire des possibilités matérielles de la patiente
(conditions de logement, présence d’autres enfants...).
B - TRAITEMENT MÉDICAL DE L’HYPERTENSION
ARTÉRIELLE
:
Si l’on se réfère à ce qui a été dit plus haut du rôle initiateur de
l’ischémie placentaire, dont l’hypertension ne serait qu’une
conséquence, il n’est pas évident que le traitement antihypertenseur
soit bénéfique ni au placenta, ni à la croissance foetale.
On peut, au
contraire, soupçonner qu’un abaissement de la pression au sein d’un
circuit résistif conduise à une baisse du débit, ce qui serait le
contraire du but recherché.
1- Données animales
:
Expérimentalement, divers médicaments antihypertenseurs ont été
utilisés par Brinkman et Assali chez l’animal hypertendu gravide.
Une réduction abrupte de la Pa, telle qu’elle est obtenue avec une
injection de diazoxide, est accompagnée d’une chute
impressionnante du débit sanguin utérin.
Il en est de même après
l’injection intraveineuse de furosémide.
En revanche, l’abaissement
progressif de la Pa par de la méthyldopa n’altère que peu le débit
utérin.
Si cet abaissement de pression est accompagné d’une
augmentation du débit cardiaque, comme c’est le cas avec
l’hydralazine, le débit utérin est totalement respecté, voire un peu
amélioré.
2- Hypertension artérielle chronique ou hypertension
artérielle gravidique modérée :
Il s’agit de situations dans lesquelles le pronostic obstétrical est le
plus souvent favorable.
Le traitement antihypertenseur dans ces
situations n’apporte aucun bénéfice.
Une méta-analyse de ces études a été réalisée par Magee et al.
Elle montre que dans l’ensemble, le traitement a quelques effets
positifs chez la mère : moins d’hypertensions dépassant 160/100, et
moins d’hospitalisations.
En revanche, il n’a aucun effet sur le
pronostic de la grossesse et sur le pronostic foetal en particulier.
Au
contraire, il y a une tendance à une plus forte incidence de
l’hypotrophie foetale sous traitement.
Von Dadelszen et al ont
précisé dans une autre méta-analyse qu’il existe une corrélation
significative entre la baisse de Pa et le pourcentage d’enfants
hypotrophes.
Ce fait avait déjà été constaté dans quelques études
individuelles où le traitement en cause était un bêtabloquant.
Magee
et al ont confirmé le fait en reprenant spécifiquement ces études.
L’effet des variations de pression sous bêtabloquant a été
occasionnellement documenté à court terme par le doppler
ombilical.
Enfin, la comparaison entre différentes classes
d’antihypertenseurs n’a montré aucun avantage décisif d’une classe
par rapport à une autre.
Il est à noter une étude, restée isolée, indiquant que l’usage d’un
bêtabloquant chez des patientes à débit cardiaque très élevé pourrait
avoir un effet bénéfique et même prévenir la prééclampsie.
La conclusion est que le traitement antihypertenseur apporte un très
modeste bénéfice maternel dont l’intérêt pratique n’est pas évident.
Les hospitalisations en excès en l’absence de traitement ne sont pas
dues à une complication objective mais à la seule inquiétude
médicale.
Le traitement antihypertenseur n’améliore en rien le
pronostic foetal, mais peut au contraire être responsable
d’hypotrophie s’il est trop intense.
Il faut cependant convenir avec Sibai que les effectifs des études n’ont jamais été suffisants pour
qu’un effet sur la mort foetale ou l’HRP (incidence de l’ordre de 2 %)
puisse être mis en évidence.
En effet, une réduction de 50 % de l’un
de ces accidents demanderait un effectif de 2 000 patientes par
groupe.
Aucune étude n’a atteint un tel effectif et la méta-analyse
n’est pas forcément une méthode infaillible pour pallier cette
insuffisance.
Même si l’on admet cette marge d’incertitude, le
traitement antihypertenseur dans ces indications n’est
manifestement pas un acte thérapeutique bien intéressant.
3- Hypertensions sévères :
Le cas est ici beaucoup moins simple dans la mesure où il n’y a pas
eu d’études contrôlées, pour des raisons évidentes.
Le raisonnement
par analogie avec d’autres hypertensions indique que le bénéfice
d’un traitement pour une hypertension de courte durée chez une
femme jeune n’est probablement pas négligeable, même s’il n’est
pas majeur.
Ce traitement est susceptible d’éviter des complications
maternelles, au premier rang desquelles l’oedème pulmonaire.
La
classique assertion du risque d’accident vasculaire cérébral est peu
crédible dans ce même raisonnement par analogie.
En effet, les cas
en sont rares et l’imputabilité des chiffres tensionnels n’a jamais été
convenablement étayée. Néanmoins, la pratique générale est de
traiter ces hypertensions dès lors que les chiffres dépassent
régulièrement 160 à 180 et/ou 110 mmHg.
Il est certainement aussi
important que précédemment, voire plus encore, d’agir avec doigté,
et de ne pas ramener les chiffres au-dessous de 140 et 90 mmHg.
4- Quels médicaments antihypertenseurs ?
Les diurétiques, largement utilisés en un temps, sont aujourd’hui
complètement abandonnés. En effet, ils diminuent le volume
plasmatique, déjà souvent déficitaire, et peuvent de ce fait aggraver
la souffrance foetale chronique.
Ils diminuent la perfusion placentaire
et de nombreuses études cliniques ont montré qu’ils étaient associés
à des poids de naissance plus bas.
Les antihypertenseurs centraux (méthyldopa, clonidine) ont été
largement utilisés dans la grossesse.
Ce sont certainement les
produits pour lesquels l’expérience est la plus grande et le recul le
plus long. Leur efficacité est convenable et leur innocuité semble
largement établie.
Ce sont également les seuls pour lesquels on
dispose d’une surveillance pédiatrique sur des années, démontrant
l’absence d’effets indésirables à long terme chez les enfants, tant en
ce qui concerne la croissance que la performance intellectuelle et
scolaire.
L’hydralazine bénéficie d’un recul comparable.
Son efficacité est
remarquable à doses assez élevées et elle a de plus l’avantage
théorique de ne pas franchir, ou très peu, la barrière placentaire.
Malheureusement, la contre-partie de cette efficacité est une
tolérance clinique médiocre (palpitations, céphalées intenses
pouvant en imposer pour une menace d’éclampsie), due à
l’augmentation du débit cardiaque déjà élevé chez ces patientes, et
qui en limite l’usage.
La prazosine est également utilisée.
Elle jouit même d’une faveur
certaine aux États-Unis.
Son efficacité antihypertensive est bonne et
sa tolérance sans problème.
Comme l’hydralazine, la prazosine a une
forte liaison protéique et son passage transplacentaire est faible.
Les bêtabloquants sont largement utilisés dans la grossesse.
Contrairement à ce que l’on pouvait craindre, ils n’augmentent pas
la motricité utérine.
Comme ils franchissent le placenta, ils
comportent en principe un risque d’hypoglycémie, de
bronchospasme et de bradycardie néonataux.
En fait, au fil des
années, ce risque est apparu plus théorique que réel, et les avantages
du traitement bêtabloquant semblent l’emporter sur ce risque.
Ces
données rassurantes ne changent rien à ce qui a été dit plus haut du
risque d’hypotrophie si le traitement est trop intense.
Il est par
ailleurs évident qu’il convient d’assurer une surveillance néonatale
très soigneuse des enfants nés sous bêtabloquants, surtout s’ils sont
prématurés et hypotrophes.
Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion sont responsables chez
l’animal d’une fréquence accrue de morts foetales.
Ce risque n’est
pas apparu dans les observations humaines rapportées, mais
celles-ci restent anecdotiques.
En revanche, des complications
néonatales ont été rapportées, en particulier des anuries, dont
plusieurs ont été mortelles.
Ces produits sont contre-indiqués
dans les deux derniers trimestres de la grossesse.
À noter en revanche qu’aucune tératogénicité n’a été observée.
Aucune
inquiétude particulière n’est donc justifiée lorsqu’une grossesse
débute sous un médicament de cette classe.
Enfin à ce jour, tout
indique que les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II ont
les mêmes effets que les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et en
partagent la contre-indication.
Les bloqueurs calciques sont très utilisés, du moins en France, chez
la femme enceinte. Pourtant, leur dossier est remarquablement
pauvre.
Il y a peu de certitudes sur leur absence de tératogénicité.
Leur action tocolytique, précieuse en cas de menace d’accouchement
prématuré, peut être source de difficultés lors de l’accouchement,
voire en post-partum.
Seules de solides études, qui manquent encore
à ce jour, pourraient leur conférer un niveau de preuve raisonnable.
5- Diététique :
Le régime désodé a été largement utilisé pendant plusieurs dizaines
d’années et l’on y a même vu en un temps une panacée.
La preuve
de son inutilité et même de sa nocivité a été apportée en 1958 par
une remarquable étude de Robinson, et après d’innombrables
tergiversations, la communauté scientifique internationale l’a banni
définitivement de la panoplie des mesures utiles chez une femme
enceinte au début des années 1970.
En effet, il limite l’expansion volémique et risque donc de majorer la souffrance foetale ; il n’a par
ailleurs aucun effet préventif de la prééclampsie comme on l’avait
escompté en un temps.
Le doute qui subsiste encore chez quelquesuns
après 40 ans de preuves est donc difficilement compréhensible !
La plupart des autres tentatives de manipulation diététique se sont
avérées infructueuses et ont été abandonnées à leur tour.
L’intérêt
d’un apport calcique accru demeure débattu, mais garde des
partisans convaincus.
Il est probablement utile au moins dans les
populations à apport calcique carencé.
C - PRÉÉCLAMPSIE SÉVÈRE
:
Nous ne nous attardons guère sur ce sujet, qui relève en fait d’unités
de réanimation spécialisées.
La sévérité habituelle de l’hypertension
rend son traitement indiscutable.
Celui-ci est généralement
parentéral.
Le nombre de médicaments utilisables est ici plus limité.
Si aux États-Unis l’hydralazine reste le traitement favori, d’autres
produits sont plus utilisés en Europe.
Une méta-analyse récente n’a
montré aucune supériorité de l’hydralazine sur les autres
médicaments d’usage parentéral.
Le labétalol a été l’objet de
nombreuses études de bonne qualité, et son efficacité aussi bien que
son innocuité peuvent être tenues pour certaines.
L’urapidil a été
moins étudié, mais semble se comparer favorablement à
l’hydralazine.
La nicardipine, grand favori en France, n’a donné lieu
à aucune étude contrôlée acceptable.
Enfin, les formes rapides de nifédipine, proposées en un temps, sont actuellement contreindiquées
dans tout traitement antihypertenseur selon l’ensemble
des recommandations, françaises et internationales.
Ce traitement doit être conduit avec douceur malgré la gravité de la
situation.
Un palier doit être atteint en quelques heures visant à une
diastolique qui ne soit pas inférieure à 100 mmHg.
Une décroissance
aux alentours de 90 mmHg ne doit être faite que secondairement et
plus lentement.
Un traitement trop agressif expose aussi bien à des
complications maternelles qu’à une mort foetale rapide.
Certaines mesures d’appoint ont été proposées dans les formes très
sévères.
Leur efficacité est difficile à juger car elles sont appliquées
tardivement, dans des indications où le pronostic est généralement
très péjoratif.
Ainsi, l’héparinothérapie et l’expansion du volume
plasmatique ont été utilisées avec des fortunes diverses. Leurs
indications doivent être mûrement pesées en milieu spécialisé.
D - TRAITEMENT OBSTÉTRICAL :
Tout ce qui vient d’être exposé indique clairement que le traitement
médical de l’hypertension gravidique est le plus souvent décevant.
Il ne change rien aux formes dont le pronostic est spontanément
bénin, et ne permet de gagner que très peu de terrain dans les
formes sévères.
Si le pronostic maternel et foetal dans l’hypertension
gravidique s’est amélioré de manière importante depuis deux
décennies, ce n’est donc pas lui qui peut en être crédité, mais les
progrès réguliers qui ont été réalisés en matière de surveillance et
de tactique obstétricale.
L’arrêt de la grossesse est en effet la seule
mesure qui mette fin aux manifestations hypertensives et protéinuriques maternelles.
C’est donc cette décision qui doit être
prise sans hésitation dans les formes graves lorsque s’annonce une
souffrance foetale, sans placer dans le traitement médical un espoir
qui a toutes les chances d’être déçu.
Agir ainsi n’est cependant
possible qu’à un terme suffisamment avancé pour que le risque
néonatal soit acceptable.
Et sur ce point, les progrès réguliers de la
néonatologie ont permis d’aborder presque sereinement des
extractions foetales à des termes inconcevables il y a encore peu.
C’est avant ce terme limite que toutes les ressources médicales
doivent être mises en jeu, dans le but de gagner quelques précieuses
semaines de maturité foetale.
Nous ne nous étendons pas ici sur les
méthodes obstétricales, pas plus que nous n’envisageons le
traitement de l’éclampsie et de l’HRP.
Traitements préventifs
:
Si le primum movens de l’hypertension gravidique est l’ischémie
placentaire, la déception apportée par le traitement médical n’est
pas surprenante conceptuellement, puisqu’il s’agit d’un traitement
symptomatique, agissant en aval du phénomène moteur.
Agir sur ce
phénomène n’est concevable qu’à titre préventif, avant que les
lésions placentaires irréversibles soient constituées et
qu’apparaissent les symptômes qui en sont la conséquence.
A - PRINCIPES :
Idéalement, un traitement préventif devrait :
– être institué très précocement, c’est-à-dire lorsque les anomalies
dues à l’invasion trophoblastique défectueuse commencent à
apparaître ;
– avoir une action antithrombotique, voire peut-être
anti-inflammatoire ;
– rétablir la balance convenable entre prostacycline et thromboxane,
par une inhibition relativement sélective de ce dernier.
L’aspirine à faible dose représente une solution cohérente du
problème.
Elle exerce sur les artères placentaires in vitro une action
comparable à celle montrée dans d’autres systèmes-inhibition de la
synthèse de thromboxane avec respect relatif de celle de
prostacycline.
In vivo, de faibles doses d’aspirine entraînent, chez la
femme enceinte, une réduction de l’élimination urinaire de thromboxane B2, sans modification de l’élimination de 6-kétoprostaglandine
F1a.
La production de thromboxane est également
inhibée chez le foetus.
B - ÉTUDES :
Nous avons rapporté en 1985 une première étude contrôlée de
traitement par l’aspirine au cours de grossesses « à haut risque » du
fait d’antécédents obstétricaux pathologiques.
Cette étude pilote
avait montré une prévention pratiquement totale de la prééclampsie
et du retard de croissance foetale.
Dans les années qui ont suivi,
plusieurs autres études contrôlées sont venues corroborer la nôtre.
Ces études avaient toutes en commun d’avoir impliqué, en dépit de
critères d’inclusion très différents, des patientes à risque élevé.
En
témoigne pour chacune le taux élevé de prééclampsie et d’accidents
foetaux dans la série témoin.
Une seconde série d’études, à très vaste échelle, a été entreprise, sur
des patientes cette fois-ci non ou très peu sélectionnées.
Deux études
américaines, impliquant des primipares non sélectionnées, ont
confirmé une prévention significative de la prééclampsie.
Deux
autres études n’ont pas montré d’effet.
Elles ont impliqué des patientes sélectionnées sur la base d’un risque qualifié de « moyen »,
avec des critères assez flous.
Les patientes jugées à risque élevé en
étaient exclues car à l’époque, la conviction était acquise que le
traitement par l’aspirine apportait à ces dernières un bénéfice très
réel.
Témoigne de cette « contre-sélection » le pronostic
particulièrement favorable des grossesses, y compris dans la série
témoin.
En revanche, ces études ont permis d’acquérir des données
extrêmement rassurantes sur la sécurité d’emploi de l’aspirine, tant
pour la mère que pour l’enfant.
Ces dernières études, en particulier la gigantesque étude CLASP
avec ses presque 10 000 patientes, ont néanmoins jeté le trouble dans
les esprits et l’utilité de l’aspirine a été remise en doute.
La
publication de Caritis et al a achevé de semer le trouble car elle a
concerné des patientes à haut risque (hypertendues, diabétiques,
grossesses gémellaires, antécédents de prééclampsie...).
L’incidence
de la prééclampsie a été de l’ordre de 20 %, aussi bien dans le
groupe témoin que sous aspirine.
Après cette publication, quelques
auteurs (principalement les plus enthousiastes auparavant) ont
considéré que l’affaire était close et l’aspirine inefficace.
C - ASPIRINE, MODE D’EMPLOI :
Sans entrer dans le détail de l’argumentation, il est apparu que les
récentes études négatives avaient pâti d’une sélection très
hétérogène, de délais d’instauration du traitement allant jusqu’à
32 semaines et de doses d’aspirine trop basses (en général 60 mg/j).
Il en ressort que globalement, en dépit des études
négatives d’effectifs considérables, le traitement demeure actif sur la
croissance foetale (une dernière méta-analyse pratiquée après la
publication de Caritis et al montre que cette situation est toujours
inchangée).
Si la dose d’aspirine est au moins égale à 100 mg/j,
l’efficacité apparaît très supérieure, et même un effet significatif sur
la mortalité périnatale est observé, ce qu’aucune étude individuelle
n’avait montré, du fait de l’heureuse rareté de cette complication.
L’efficacité est également très renforcée si le traitement est commencé
avant 17 semaines.
Quoi qu’il en soit, les odds-ratios apparaissant dans cette métaanalyse
parlent d’eux-mêmes contre l’accusation d’inefficacité ou
d’efficacité marginale dont l’aspirine est aujourd’hui l’objet.
Une
étude rétrospective des patientes ayant reçu de l’aspirine dans notre
département a confirmé l’importance décisive d’un traitement
précoce et montré qu’un allongement du temps de saignement sous
aspirine était également un facteur important de succès de ce
traitement.
Par analogie avec d’autres situations où l’aspirine s’est avérée
efficace, un traitement de plus en plus précoce, voire préconceptionnel, pourrait être envisagé.
L’adjonction de faibles
doses de corticoïdes est une autre possibilité.
Ces attitudes
relèvent pour le moment, soit d’observations anecdotiques, soit de
courtes séries, et ne sauraient donc être recommandées à plus large
échelle avant que des preuves plus consistantes aient été apportées.
L’association d’aspirine et d’héparine, ou la substitution de l’aspirine
par l’héparine, est également discutée, avec un niveau de preuve
qui reste encore très en deçà du minimum souhaitable.
Néanmoins,
ces différentes hypothèses en cours de test laissent entrevoir la
possibilité de sérieux changements de stratégie dans la prochaine
décennie.
D - PRÉDIRE POUR POUVOIR PRÉVENIR :
Le fait de disposer d’un traitement préventif pose le problème de
ses indications.
La nécessité d’un traitement très précoce, largement
antérieur à tout symptôme maternel, centre la question sur une
prédiction précoce.
Ce problème n’est pas résolu à l’heure actuelle.
La connaissance des antécédents de la patiente a montré une bonne
efficacité, mais d’une part elle reste relativement empirique, d’autre
part elle n’est applicable qu’après que des accidents se soient déjà
produits, ce qui n’est pas satisfaisant. Nous ne disposons d’aucun
marqueur biochimique fiable à un stade aussi précoce.
Certains
travaux laissent espérer qu’une étude doppler pourrait avoir une
bonne valeur discriminative entre les primipares qui auront ou non
une prééclampsie.
Cette discrimination, si elle semble se confirmer,
demeure actuellement plus tardive que le terme souhaitable de
début du traitement.
Cette prédiction précoce demeure donc l’un
des principaux challenges dans les années à venir.
L’avenir à long terme :
A - PRONOSTIC OBSTÉTRICAL :
La tradition veut que les patientes ayant eu une hypertension isolée
et/ou précoce au cours d’une grossesse soient exposées à une
récidive presque systématique au fil des grossesses suivantes.
Ce
fait, bien qu’inconstant, s’explique aisément par le fait que ces
patientes ont un risque vasculaire élevé et un terrain familial
d’hypertension.
Cela n’implique pas nécessairement une
aggravation du pronostic de ces grossesses, ces hypertensions
restant généralement bénignes.
Plus débattue est la signification qu’il faut accorder à la prééclampsie
« pure » de la primipare.
Nous avons étudié les grossesses
ultérieures chez 221 patientes qui étaient dans ce cas.
On peut constater que
moins de 30 % des grossesses sont normales.
La moitié d’entre elles
sont marquées par une hypertension isolée, et la récidive de la prééclampsie elle-même n’est pas exceptionnelle.
Par ailleurs, chez
ces patientes, la survenue d’accidents majeurs (HRP, mort foetale,
retard de croissance) est, elle aussi, d’une fréquence très supérieure
aux normes.
Il ne s’agit donc manifestement pas d’une pathologie
spécifique de la première grossesse et ne faisant courir aucun risque
pour les grossesses ultérieures.
Il convient d’en tenir le plus grand
compte pour la gestion de ces grossesses.
Sibai et al ont étudié les grossesses ultérieures de 406 femmes
ayant eu une prééclampsie sévère de la primipare.
Une prééclampsie est apparue lors de la seconde grossesse dans 46 %
des cas (contre 7,6 % dans une population contrôle appariée).
Les
mêmes auteurs ont étudié 223 patientes ayant eu une éclampsie ;
22 % des grossesses ultérieures ont été compliquées de prééclampsie,
1,9 % par une éclampsie, 2,5 % par un HRP, 2,7 % se sont terminées
par une mort foetale.
Dans cette étude, le risque pour les grossesses
était nettement plus élevé chez les femmes dont l’éclampsie avait eu
lieu avant 30 semaines.
Pour notre part, nous n’avons pas constaté
cette différence entre prééclampsies précoces et tardives.
D’autres études, portant sur des effectifs moindres, ont confirmé que
les femmes ayant eu une prééclampsie lors de la première grossesse
sont fortement exposées à des grossesses compliquées
ultérieurement.
B - PRONOSTIC VASCULAIRE
:
La survenue d’une hypertension au cours de la grossesse a, en
réalité, peu de chances d’être indépendante du risque vasculaire de
fond, et par conséquent l’avenir vasculaire de ces jeunes femmes y
est inscrit.
Nous avons étudié l’avenir tensionnel de 941 patientes ayant
bénéficié d’un bilan 3 mois après une hypertension de la
grossesse.
Parmi elles, 33 % sont restées hypertendues par
la suite (26 % si l’on se limite à celles connues comme normotendues
avant la grossesse).
Ce chiffre est en large excès sur celui de la
population témoin qui compte 1,79 % de femmes hypertendues dans
cette tranche d’âge.
Parmi les patientes qui sont restées
hypertendues, 78 % étaient primipares et 40 % avaient eu une
hypertension du troisième trimestre, avec (20 %) ou sans (20 %)
protéinurie.
Les différents facteurs de risque évoqués plus haut
étaient répartis de manière identique entre primipares et multipares,
et entre hypertensions précoces et tardives.
Un suivi prolongé a
montré que 20 % des patientes qui étaient restées normotendues
après la grossesse sont devenues hypertendues dans les années qui
ont suivi.
Fisher et al ont étudié l’incidence d’une hypertension artérielle
ultérieure chez les patientes ayant présenté une prééclampsie
« pure » de la primipare, ce diagnostic clinique étant confirmé par
l’absence de toute autre lésion en histologie rénale.
Cette fréquence
est similaire à celle observée dans la population témoin féminine de
même âge.
En revanche, si l’on isole de cette population témoin les
femmes ayant eu une ou plusieurs grossesses, toutes normotensives,
la fréquence de l’hypertension est extrêmement basse.
Cela
revient à dire que les hypertendues sont, dans cette tranche d’âge,
des femmes qui ont eu une hypertension gravidique ou bien qui
n’ont pas eu de grossesses.
Sibai et al ont également montré une fréquence très accrue de
l’hypertension permanente chez les femmes ayant eu une
prééclampsie, surtout si celle-ci avait été précoce (avant
30 semaines) ou récidivante.
D’autres études rétrospectives de très longue durée ont confirmé ces
faits.
Il est impossible ici de ne pas évoquer la grande étude
longitudinale de Chesley, unique par sa durée (plus de 40 ans !),
qui a montré que la mortalité cardiovasculaire des femmes ayant eu
une éclampsie dans le passé était très accrue, plus élevée encore
lorsqu’il s’agissait d’une multipare que lorsqu’il s’agissait d’une
primipare.
En d’autres termes, il peut être tenu pour certain que l’hypertension
au cours de la grossesse (prééclamptique ou non, première grossesse
ou non) démasque dans un très grand nombre de cas une tendance
hypertensive qui se révélera à plus ou moins long terme.
Ce fait est
essentiel pour le suivi médical ultérieur de ces jeunes femmes.
Conclusion :
L’hypertension de la grossesse est fréquente et reste une cause majeure
de mortalité et morbidité maternelle et foetale.
C’est de loin la première
cause dans les pays développés et la troisième dans les pays en voie de
développement (après l’infection et l’hémorragie).
La connaissance de sa
physiopathologie, encore incomplète, est actuellement en progrès
rapides et une certaine logique d’ensemble se dessine progressivement.
Pour la résumer en deux mots, la base en est un trouble, très précoce, de
l’invasion trophoblastique, compromettant l’apport sanguin à l’unité foetoplacentaire, avec pour conséquence une pathologie diffuse de
l’endothélium.
Cette dernière est responsable d’une vasoconstriction
intense et d’une tendance thrombotique qui conditionne les diverses
manifestations ou complications viscérales.
Le traitement symptomatique de l’hypertension n’apporte aucune
amélioration au pronostic de ces grossesses, mais peut protéger les
mères contre des accidents aigus si l’hypertension est particulièrement
sévère.
Les traitements préventifs, en particulier l’aspirine à faible dose,
à condition d’être utilisés très tôt dans la grossesse, peuvent améliorer
sensiblement le pronostic.
Enfin, nombre des patientes ayant souffert de
cette affection auront des accidents récidivants au fil des grossesses, et
sont de futures hypertendues.