Une infection parasitaire, surtout liée aux helminthes,
est la première cause à évoquer devant une hyperéosinophilie.
Celle-ci peut être associée à une hyperleucocytose
et surtout à une augmentation des IgE sériques.
L’hyperéosinophilie
est souvent importante (> 1 x 109/L),
notamment lorsqu’il s’agit d’une impasse parasitaire
(infestation accidentelle de l’homme par des parasites
d’animaux qui restent à l’état larvaire, exemple de
Toxocara canis).
Ces larves d’helminthes « égarées », immatures et à migration erratique, peuvent induire des
réactions inflammatoires locales, diffuses et sévères, et
provoquer des hyperéosinophilies massives (syndrome
de larva migrans viscérale).
L’hyperéosinophilie est
également très élevée lors de la phase invasive des helminthiases.
Elle est alors liée aux effets des médiateurs
de la réponse inflammatoire consécutive à la phase de
migration larvaire dans les tissus (rôle des cytokines).
En revanche, cette hyperéosinophilie
peut être modérée (0,5 à 1 x 109/L), voire
absente, à la phase d’état puis à la phase chronique de
l’infection ou encore lorsqu’un organe creux (tube
digestif) constitue la niche écologique du parasite.
En dehors des parasitoses et hormis l’aspergillose
broncho-pulmonaire allergique (ABPA), les autres cas
d’hyperéosinophilie postinfectieuses sont rares, souvent
modérées, et transitoires.
Une hyperéosinophilie associée
à une infection doit faire rechercher un éventuel
déficit immunitaire ou une réaction d’hypersensibilité
faisant suite à un traitement antibiotique.
A - Éléments d’orientation :
1- Aspect de l’hyperéosinophilie sanguine
:
Elle peut être fluctuante (classique « courbe en archet »
de Lavier) avec une ascension majeure (distomatose
hépatique, ascaridiose, ankylostomose, filarioses,
bilharzioses) ou plus modérée (oxyurose), suivie d’une
décroissance plus ou moins rapide de l’hyperéosinophilie
avec ou sans normalisation du taux d’éosinophiles sanguins.
Elle peut être persistante (réinfestation) et massive
(trichinose, toxocarose, poumon éosinophile tropical ou
syndrome de Weingarten), ou cyclique et oscillante
(anguillulose : cycle interne d’auto-infestation).
2- Données ethno-géographiques :
Les notions de sites à risque pour les autochtones et de
séjours à l’étranger, brefs ou anciens, doivent être prises
en considération.
Si le sujet a séjourné en pays tropical, affections principales doivent être évoquées : bilharzioses,
filarioses, ankylostomose et anguillulose.
Si le sujet n’a pas quitté la France métropolitaine,
on doit rechercher en priorité devant une hyperéosinophilie
élevée : une distomatose hépatique à
Fasciola hepatica, une ascaridiose, une toxocarose, une trichinose.
3- Mode de vie
:
Il permet également d’orienter le diagnostic.
On doit
s’intéresser en particulier aux conditions d’hygiène
comme le contact avec des animaux (notion de géophagie
chez l’enfant avec l’exemple de la toxocarose ; la
parasitose liée au péril fécal avec l’exemple de la trichocéphalose)
ou les bains en eaux douces (bilharzioses) ;
aux habitudes alimentaires comme l’ingestion de végétaux
contaminants (tels le cresson, avec l’exemple de la distomatose
hépatique) ; l’ingestion d’aliments ou d’eaux
souillés (exemples de l’ascaridiose et de l’hydatidose) ; la
consommation de viande peu cuite ou crue de porc ou de
cheval (trichinose), de viande peu cuite de boeuf (tæniase
à Tænia saginata), ou de harengs crus (anisakiase).
4- Manifestations respiratoires :
Elles peuvent être évocatrices, tel le syndrome de Löffler (migration de larves à travers le parenchyme pulmonaire
à l’origine d’infiltrats labiles sur les clichés
radiologiques : exemples de la toxocarose, de l’ascaridiose,
de l’ankylostomose).
Un tableau de fièvre avec
altération de l’état général, précédant un syndrome
bronchique, voire le développement d’une fibrose endomyocardique,
évoquent un poumon éosinophile tropical ou syndrome de Weingarten.
Celui-ci serait lié à un état
d’hypersensibilité vis-à-vis de microfilaires.
La survenue
de douleurs thoraciques, avec toux, expectoration
« rouillée » liée à la présence de sang et d’oeufs rougeâtres,
est très évocatrice de la distomatose pulmonaire
ou paragonimose.
5- Manifestations cutanées ou musculaires :
Les signes sont évocateurs devant un prurit anal vespéral
(oxyurose), des signes de larva currens cutanée
(anguillulose), de « gale » filarienne avec nodules
(onchocercose), de prurit avec oedèmes migratoires
(oedème fugace de Calabar dans la loase), de myalgies
isolées (cysticercose) ou associées à un oedème (trichinose),
de tuméfaction sous-cutanée avec extériorisation
à la peau d’une larve (myiase), de lymphangite avec
éléphantiasis (filariose lymphatique).
6- Signes hépatodigestifs :
Ils peuvent évoquer une tumeur hépatique (hépatomégalie
de l’hydatidose, avec le risque d’infection ou de rupture
de kyste), une angiocholite (distomatose hépatique), une
duodénite (anguillulose, ankylostomose), ou des signes
intestinaux variés (tæniase, bilharziose intestinale,
distomatose intestinale, trichocéphalose), voire un
granulome éosinophile intestinal (anisakiase).
7- Signes neuroméningés ou oculaires
:
Il s’agit de signes d’atteinte cérébrale (hydatidose),
d’épilepsie (cysticercose), de méningite à éosinophiles
(angiostrongylose à Angiostrongylus cantonensis),
d’atteintes oculaires (filarioses). Devant de telles manifestations,
d’autres parasitoses doivent également être
recherchées, notamment la toxocarose, la myiase.
8- Signes urogénitaux :
Devant une hématurie, une hydronéphrose, on évoque la
bilharziose urinaire.
Ces signes peuvent être associés à
une atteinte génitale dans la filariose lymphatique.
B - Examens complémentaires
:
En l’absence d’éléments évocateurs ou pour confirmer
le diagnostic, les examens paracliniques suivants sont pratiqués.
Le
sérodiagnostic parasitaire est souvent très utile, notamment à
la phase précoce de l’invasion tissulaire (réponse anticorps,
réponse éosinophile) surtout quand il s’agit d’une impasse
parasitaire.
ans des
délais retardés, souvent de plusieurs semaines, les examens
répétés des selles, réalisés à la phase d’état, permettent la
mise en évidence d’oeufs ou de larves (diagnostic rétrospectif).
Certaines
explorations plus spécifiques sont parfois indispensables.
Si l’enquête parasitologique demeure infructueuse, un
traitement antihelminthique d’épreuve, réalisé sous surveillance
(suivi de l’hyperéosinophilie) peut être proposé.
En revanche, toute corticothérapie aveugle est à proscrire
(risque de syndrome d’hyperinfection parasitaire).
Hyperéosinophilie et allergie
:
Il s’agit d’une hyperéosinophilie liée à une réaction
d’hypersensibilité dépendant des IgE vis-à-vis de différents
allergènes (aéroallergènes, allergènes alimentaires,
venins d’hyménoptères, mais aussi certains médicaments).
A - Éléments d’orientation
:
Au cours des processus allergiques, l’hyperéosinophilie
est souvent modérée (0,5 à 1 x 109/L), voire absente
(disparition lors des infections bactériennes intercurrentes).
Elle peut être associée à une élévation,
inconstante et rarement importante, des taux sériques
des IgE totales.
Les données de l’anamnèse (antécédents
d’atopie) et le contexte clinique (asthme, rhinite,
conjonctivite, dermatite atopique, urticaire) sont
souvent très évocateurs.
B - Examens complémentaires
:
Le bilan allergologique confirme le diagnostic et oriente
la conduite à tenir.
L’interrogatoire guide les choix pour
la réalisation des tests cutanés vis-à-vis de différents
allergènes (pollens, acariens, moisissures, phanères
d’animaux). Ces tests cutanés (prick tests) demeurent
l’examen clé de l’enquête étiologique.
Si nécessaire, les
dosages des IgE sériques totales et surtout des IgE
sériques spécifiques sont demandés en tenant compte
des éléments d’orientation diagnostique antérieurs.
L’intérêt de tests complémentaires évaluant la libération
de médiateurs (histaminémie, tests d’histamino-libération)
est discuté.
Hyperéosinophilie iatrogénique
:
De nombreux médicaments peuvent induire une hyperéosinophilie : héparine sous-cutanée, sulfamides,
sels d’or, mais aussi psychotropes, hypoglycémiants
oraux, cytolytiques et cytostatiques,
antibiotiques et antifungiques, antalgiques et antiinflammatoires.
L’hyperéosinophilie est de niveau
variable, souvent retardée par rapport à la prise du médicament.
Elle peut être d’origine allergique (pénicillines,
sulfamides), comme nous l’avons précédemment évoqué.
Elle peut aussi dépendre de réactions « pseudoallergiques
» liées à une histamino-libération non
dépendante des IgE (anesthésiques généraux, vancomycine)
ou à une activation du complément (produits de
contraste iodés utilisés en radiologie).
Certains facteurs
favorisants ont été incriminés (acétyleur lent ou rapide,
insuffisance hépatique ou rénale…).
Des facteurs de
croissance (GM-CSF pour granulocyte macrophage colony stimulating factor) ou des cytokines (IL-2 pour
interleukine 2), utilisés en thérapeutique, peuvent induire
des hyperéosinophilies massives avec activation des
éosinophiles, aux conséquences parfois sévères (cardiopathies).
Une hyperéosinophilie peut aussi apparaître après dialyse péritonéale ou hémodialyse,
après splénectomie, dans les suites d’une radiothérapie,
après intoxications chroniques (sulfate de
cuivre, vapeur de mercure, phosphore, sulfate de carbone,
benzène…) ou dans la réaction du greffon contre l’hôte.
A - Éléments d’orientation
:
L’hyperéosinophilie sanguine d’origine médicamenteuse
est souvent associée à des anomalies biologiques (manifestations
hépatiques ou rénales) ou à des signes cliniques
révélateurs.
Les signes cutanés sont fréquents et variés (prurit, rash,
urticaire), isolés ou associés à d’autres manifestations (vascularite d’hypersensibilité, arthralgies, myalgies…).
Une origine médicamenteuse peut être suspectée devant
un syndrome respiratoire aigu ou subaigu (dyspnée,
toux sèche, image radiologique d’infiltrats plus ou
moins fugaces), parfois fébrile. Des signes associés
peuvent être retrouvés (urticaire, rash, arthralgies,
signes hépatobiliaires).
Le tableau clinique peut évoquer
un syndrome de Löffler, une pneumonie interstitielle.
La liste des médicaments qui peuvent être incriminés est
régulièrement actualisée.
La notion d’intolérance à l’aspirine avec hyperéosinophilie,
asthme, polypose nasale évoque un syndrome de Widal.
B - Examens complémentaires
:
Dans le cas des hyperéosinophilies d’origine médicamenteuse,
différents examens complémentaires ont été
proposés : tests cutanés, recherche d’IgE spécifiques,
tests d’histamino-libération in vitro, tests de transformation
lymphoblastique.
Ils n’ont qu’une valeur indicative
limitée. Le plus souvent, c’est la régression des signes à
l’arrêt du traitement, parfois après 4 à 6 semaines, qui
confirme l’origine de cette hyperéosinophilie.
Hyperéosinophilie et tumeurs
solides
:
Une hyperéosinophilie peut annoncer ou accompagner
la survenue d’un cancer, avec ou sans métastases associées.
Les hyperéosinophilies paranéoplasiques sont
souvent associées à des anomalies affectant d’autres
cellules sanguines (thrombocytose, polynucléose neutrophile).
Celles qui accompagnent les néoplasies sont le
plus souvent réactionnelles, liées à la production de
facteurs de croissance comme le GM-CSF et l’interleukine
3, ou de cytokines telles que l’interleukine 5,
identifiées dans des extraits tumoraux ou dans les cellules
transformées.
A - Éléments d’orientation :
L’hyperéosinophilie peut être sanguine et (ou) tissulaire,
parfois à un niveau très élevé.
Les principales tumeurs
incriminées sont les carcinomes, notamment le carcinome
pulmonaire à grandes cellules (hyperéosinophilie sanguine),
ou le cancer du col utérin, dans la forme kératinisante
à grandes cellules (hyperéosinophilie tissulaire).
D’autres localisations primitives peuvent également être
incriminées : rein, surrénale, thyroïde, vésicule biliaire,
pancréas, sein.
B - Examens complémentaires :
Après un examen clinique rigoureux, une enquête
biologique (protéines de l’inflammation, calcémie), une
radiographie de thorax, une échographie abdominopelvienne,
voire un scanner du corps entier peuvent être
proposés à la recherche du processus néoplasique.
Hyperéosinophilie et hémopathies
:
Il est souvent difficile de distinguer une hyperéosinophilie
impliquée dans le processus leucémogène (leucémie à
éosinophiles) d’une hyperéosinophilie réactionnelle à
une hémopathie maligne associée.
En effet, une hémopathie
clonale peut affecter une cellule multipotente ou
une cellule engagée dans une voie de différenciation.
Elle peut intéresser directement la lignée éosinophile,
cas rarement décrit, ou une autre lignée hématopoïétique
dont le dérèglement retentit sur les étapes de l’éosinopoïèse.
Nous verrons que
dans certains cas, la lignée lymphoïde est plus particulièrement
concernée (prolifération Th2).
Dans d’autres
cas, c’est la lignée myéloïde qui paraît affectée.
A - Éléments d’orientation
:
Les hyperéosinophilies médullaires et (ou) sanguine
s’observent parfois dans des hémopathies malignes aux
cadres nosologiques bien définis.
C’est le cas d’hyperéosinophilies
associées à des leucémies telles que la leucémie
myéloïde chronique (LMC), les leucémies aiguës
lymphoblastiques (LAL), ou myéloblastiques, notamment
la leucémie aiguë myélomonocytaire (M4) à éosinophiles
médullaires anormaux, la leucémie aiguë de
l’adulte liée au rétrovirus HTLV-1 (Human T-cell lymphoma
virus type 1).
C’est aussi le cas des hyperéosinophilies
associées à des lymphomes tels que la maladie
de Hodgkin, les lymphomes malins non hodgkiniens, les
lymphomes épidermotropes (syndrome de Sézary, mycosis
fungoïde) ou pléomorphes. Dans d’autres circonstances,
l’hyperéosinophilie ne s’inscrit dans aucun cadre nosologique
précis.
En revanche, elle est associée à un
tableau évocateur d’un syndrome myéloprolifératif ou
lymphoprolifératif ou myélodysplasique (état préleucémique
?).
Certaines formes cliniques de syndrome d’hyperéosinophilie
essentielle peuvent évoquer une « leucémie à
éosinophiles ».
Il s’agit d’une situation exceptionnelle
avec l’apparition d’éosinophiles immatures dans le sang
et la moelle, une blastose médullaire, une anémie et une
thrombopénie importantes, et des anomalies chromosomiques.
La distinction entre hyperéosinophilie essentielle
et syndrome myéloprolifératif est aussi difficile
lorsque l’hyperéosinophilie est élevée, associée à une
myélofibrose et à des anomalies du caryotype.
B - Examens complémentaires
:
Outre la numération formule sanguine (NFS), le médullogramme
est un complément d’étude souvent indispensable
car il permet l’analyse des autres lignées hématopoïétiques
et permet d’apprécier la quantité et la qualité des
éosinophiles médullaires (en particulier dans le cas des
leucémies aiguës myélomonocytaires avec éosinophiles
anormaux).
La biopsie de moelle à la recherche d’une myélofibrose et l’enquête biologique
– uricémie, lacticodéshydrogénase
(LDH)
– peuvent également être
contributives.
L’étude du caryotype médullaire et les
analyses cytogénétiques complémentaires ou de biologie
moléculaire (étude de clonalité) peuvent avoir une valeur indicative dans le cadre d’hyperéosinophilies
associées à une hémopathie maligne (cas du chromosome
Philadelphie ou Ph1, avec translocation t(9,22) dans la
leucémie myéloïde chronique, inversion du 16 dans la
leucémie aiguë myélomonocytaire).
Dans d’autres circonstances,
plus rares, les anomalies cytogénétiques
observées permettent d’expliquer les mécanismes
inducteurs de l’hyperéosinophilie.
C’est le cas lorsque le
réarrangement chromosomique intéresse le chromosome
5, où sont situés les gènes codant GM-CSF,
l’interleukine 3 et 5.
Ainsi, la
translocation du fragment 5q, placé sous le contrôle des
promoteurs des gènes des immunoglobulines, peut favoriser
une expression non contrôlée de ces gènes de
cytokines [leucémie aiguë lymphoblastique de la lignée
B, avec t(5;14) ; hémopathies myéloïdes, avec t(5;12)].
D’autres anomalies chromosomiques, observées dans ce
contexte [trisomie 8, t(8;21)…] n’apportent pas, à ce
jour, d’élément instructif sur les relations qui existent
entre l’hyperéosinophilie et le processus leucémogène,
mais témoignent d’un contrôle génétique de l’hyperéosinophilie.
Autres cas d’hyperéosinophilies
:
Chaque spécialité médicale connaît au moins une affection
associée à une hyperéosinophilie sanguine et (ou)
tissulaire.
Cette hyperéosinophilie peut être au premier
plan, et apparaître comme un élément caractéristique de
la maladie (affections liées à une éosinophilie tissulaire)
ou n’être qu’un épiphénomène accompagnant des affections
très diverses (hyperéosinophilie contingentes).
Éléments d’orientation
:
L’hyperéosinophilie peut s’intégrer dans le cadre d’affections
bien identifiées comme une vascularite, une
maladie auto-immune ou un déficit immunitaire.
Dans
la périartérite noueuse, l’hyperéosinophilie est rare.
En
revanche, dans l’angéite de Churg et Strauss (notion
d’asthme ancien qui s’aggrave, de rhinite associée, d’une
hyper-IgE sérique, d’atteintes digestives, cardiaques,
neurologiques), l’hyperéosinophilie est constante et
souvent élevée (> 5 x 109/ L).
Dans les maladies autoimmunes,
l’hyperéosinophilie est rare, hormis les maladies
bulleuses comme la pemphigoïde.
Une hyperéosinophilie
peut également être observée dans différents
déficits immunitaires.
Dans le syndrome de Wiskott-
Aldrich, par exemple, l’hyperéosinophilie ne représente
qu’un élément accessoire du tableau clinique et biologique.
En revanche, l’hyperéosinophilie associée à
une élévation considérable des IgE sériques (30 à
50 000 UI/mL) oriente d’emblée vers le syndrome hyper-
IgE décrit par Buckley. Une hyperéosinophilie massive
peut également s’observer dans le syndrome d’Omenn,
déficit immunitaire rare, à transmission autosomique
récessive, qui apparaît dès les premiers mois de vie.
L’hyperéosinophilie peut aussi être associée à un
ensemble de symptômes révélateurs d’une affection.
1- Signes respiratoires :
Nous avons déjà évoqué les principales causes d’hyperéosinophilie
avec atteinte pulmonaire que sont l’asthme,
les causes médicamenteuses, les parasitoses, une tumeur
(carcinomes, métastases, lymphangite carcinomateuse)
ou l’aspergillose bronchopulmonaire allergique.
L’asthme
avec hyperéosinophilie élevée et persistante doit faire
rechercher d’autres causes (parasitose, aspergillose
bronchopulmonaire allergique, hyperéosinophilie essentielle),
et surtout une maladie systémique (angéite de
Churg et Strauss).
L’aspergillose bronchopulmonaire allergique présente
plusieurs signes évocateurs.
Elle survient dans un
contexte d’asthme ancien avec la notion de toux et
d’expectoration de « moules bronchiques » (émission de
bouchons mycéliens).
Les images radiologiques sont
variées : épaississement des parois bronchiques, impactions mucoïdes, atélectasies, infiltrats et surtout bronchectasies
proximales prédominant aux lobes supérieurs.
On
retrouve par ailleurs une élévation très marquée des IgE
sériques (> 1 500 U/mL), avec hyperéosinophilie massive.
Il est possible de mettre en évidence des IgE spécifiques
d’Aspergillus fumigatus.
Avec l’examen radiologique,
l’évaluation de la concentration des IgE totales est utile
à la surveillance médicale.
Ce taux diminue quand la
corticothérapie s’avère efficace, alors qu’une nouvelle
élévation précède une nouvelle poussée.
Toute cause d’épanchement pleural peut aussi entraîner
un afflux local d’éosinophiles (pleurésie à éosinophiles
post-traumatique notamment).
Dans certaines circonstances, aucune cause n’est retrouvée
: c’est le cas devant certains tableaux cliniques
évoquant un syndrome de Löffler, ou surtout devant une
pneumonie chronique à éosinophiles, ou maladie de
Carrington.3 Celle-ci se traduit par des manifestations
variées (dyspnée, toux sèche) avec altération de l’état
général (perte de poids, fièvre, sueurs nocturnes).
Elle
survient le plus souvent chez la femme.
C’est une alvéolite
à éosinophiles associée à une hyperéosinophilie sanguine
de niveau variable.
Le tableau clinique, les images
radiologiques (opacités alvéolaires plurifocales, parfois
migratrices) sont très évocateurs ainsi que l’efficacité
très spectaculaire de la corticothérapie.
2- Signes cutanéo-muqueux :
Des signes cutanés variés s’inscrivent dans un contexte
évocateur dans le cas des vascularites (angéite de Churg
et Strauss), de réactions d’hypersensibilité (dermatite
atopique, urticaire, angioedème, dermatites parasitaires,
réaction médicamenteuse), dans les lymphomes (lymphomes
T, mycosis fungoïde, syndrome de Sézary, ou
papulose lymphomatoïde), dans les dermatoses bulleuses
(pemphigoïde, pemphigoïde gestationis, incontinentia
pigmenti, dermatite herpétiforme), dans les mastocytoses
systémiques, ou dans les hyperéosinophilies
associées à des proliférations tumorales bénignes (le
granulome éosinophile des tissus mous, ou maladie de
Kimura, l’hyperplasie angiolymphoïde avec éosinophilie).
Le prurit est un signe fréquent d’alarme ou
d’accompagnement de l’hyperéosinophilie (prise médicamenteuse, allergie, parasitose, hémopathie…).
Certaines dermatoses éosinophiliques ont été individualisées.
Parmi celles-ci on peut citer : la folliculite pustuleuse
à éosinophiles décrite par Ofuji qui présente certaines
analogies avec les folliculites rencontrées chez des
patients infectés par le virus de l’immunodéficience humaine
ou présentant un lymphome ; le syndrome de Wells,
cellulite à éosinophiles d’évolution bénigne, où l’on peut
observer à l’examen histologique des images classiques
dites en« flammèche ».
Dans ces affections rares, l’hyperéosinophilie
sanguine est inconstante, et les données
conjuguées de l’examen clinique et histologique sont
souvent indispensables au diagnostic.
Le diagnostic est
parfois difficile à établir entre certaines dermatoses à
éosinophiles et une hyperéosinophilie essentielle dont
les signes cutanés dominent parfois le tableau clinique.
L’angioedème cyclique avec hyperéosinophilie (prise de
poids avec oedèmes volumineux d’apparition brutale et de
résolution plus ou moins rapide associés à une élévation
massive, transitoire de l’hyperéosinophilie sanguine)
doit être différencié des hyperéosinophilies essentielles.
3- Signes hépatodigestifs :
Outre les parasitoses, il existe de nombreuses affections
inflammatoires du tube digestif qui s’accompagnent
d’hyperéosinophilie locale (maladie coeliaque) et (ou)
sanguine (rectocolite hémorragique, maladie de Whipple,
maladie de Crohn).
D’autres affections (hémopathies à
localisation digestive, vascularite) doivent être recherchées.
La gastro-entérite à éosinophiles s’observe souvent dans
un contexte d’atopie (allergie alimentaire ?) avec parfois
des taux élevés d’IgE sériques, surtout chez l’enfant.
La disposition particulière de l’infiltrat d’éosinophiles
au niveau de chacune des structures pariétales intestinales
entraîne des manifestations variées.
Ainsi, l’atteinte
de la séreuse peut s’accompagner d’un tableau de pseudo-péritonite avec une ascite riche en éosinophiles,
l’atteinte de la musculeuse peut donner un tableau de
subocclusion identique à celui que l’on peut observer dans
l’anisakiase (formations pseudo-tumorales).
L’infiltration
de la muqueuse est fréquente avec entéropathie sévère et
syndrome de malabsorption.
La distinction entre gastroentérite
à éosinophiles et hyperéosinophilie essentielle à
localisation digestive peut être difficile.
Des signes
d’atteinte hépatique avec hyperéosinophilie se rencontrent
dans de nombreuses circonstances (parasitose, médicaments,
cancer, hémopathies, cholangite sclérosante
primitive, hyperéosinophilie essentielle…).
4- Signes musculaires :
En dehors des parasitoses (notamment la trichinose) ou
des infections bactériennes (myosite staphylococcique),
un tableau de myalgies avec hyperéosinophilie se rencontre
parfois dans les polymyosites mais surtout dans
le syndrome « myalgie-éosinophilie » associé à la prise
de L-tryptophane ou plutôt de contaminants associés à
sa préparation, ou dans la fasciite de Shulman (hyperéosinophilie
sanguine avec douleur et gonflement des
muscles, limitation des mouvements et induration des
tissus sous-cutanés, hémopathie associée).
5- Signes cardiaques :
On évoque, en premier lieu, l’hyperéosinophilie essentielle.
L’association cardiopathie-hyperéosinophilie
existe dans d’autres circonstances (lymphomes, vascularites,
parasitoses, utilisation thérapeutique de facteurs de
croissance ou de cytokines…).
6- Autres signes focalisés :
Des atteintes osseuses (granulome éosinophile), vésicales
(cystites à éosinophiles parfois d’origine médicamenteuse)
ou ORL (rhinite non allergique ou NARES)
ont été décrites.
L’hyperéosinophilie sanguine est très
inconstante.
Syndrome d’hyperéosinophilie
essentielle
:
C’est un diagnostic d’exclusion qui ne doit être évoqué
qu’après une enquête étiologique rigoureuse (liste des
maladies associées à une hyperéosinophilie chronique).
Selon les critères de Chusid,
l’hyperéosinophilie essentielle associe une hyperéosinophilie
massive, persistante (> 1,5 x 109/L), inexpliquée,
évoluant depuis au moins 6 mois, associée à des
atteintes multiviscérales, surtout cardiaques.
A - Éléments d’orientation
:
Il existe une nette prédominance masculine (80 % des
cas), avec un âge de survenue situé habituellement entre
20 et 50 ans.
Les formes de l’enfant sont rares, et
seraient plus sévères.
La découverte d’une hyperéosinophilie
essentielle est fortuite (numération formule sanguine
systématique) dans 10 % des cas, ou liée à la survenue
de complications sévères (cardiopathies, neuropathies).
Les signes d’appel sont en fait multiples avec des signes
généraux (asthénie, fébricule), respiratoires (toux, dyspnée),
cutanés (sueur, prurit, rash, angioedème), musculaires
(myalgies), digestifs (nausées, diarrhées).
L’hépatosplénomégalie
serait observée dans 50 % des cas.
Les signes cardiaques associés à une hyperéosinophilie
chronique sont très évocateurs d’une hyperéosinophilie
essentielle.
Ils sont fréquents (50 à 70 % des cas), parfois
révélateurs (signes d’insuffisance cardiaque), et très
divers (choc cardiogénique, adiastolie, troubles du rythme,
insuffisance tricuspide ou mitrale).
Ils sont le témoin
d’une myocardite à éosinophiles, ou surtout du développement
d’une fibrose endomyocardique.
Les signes
neurologiques peuvent se traduire par une atteinte
centrale (confusion mentale, ataxie, convulsions, amnésie,
coma) ou périphérique (mononévrite sensitive) qui
paraît liée à des phénomènes vasculaires (vascularite) et
(ou) thrombo-emboliques.
Ils sont fréquents et des
examens complémentaires (électroencéphalogramme,
scanner…) peuvent s’avérer très utiles.
L’hyperéosinophilie peut être isolée.
Comme nous
l’avons évoqué précédemment, elle peut aussi être associée
à d’autres signes hématologiques pouvant faire suspecter
un état préleucémique (hyperéosinophilie massive, atteinte d’autres lignées, anomalies du caryotype) ou un
syndrome myéloprolifératif, dans lequel on observe une
hépatosplénomégalie, une myélofibrose, une élévation
très franche de la vitamine B12, des transcobalamines I
et III.
Le pronostic est ici plus réservé en raison d’une
fréquente résistance à la corticothérapie et d’un risque
accru d’atteintes viscérales.
L’hyperéosinophilie peut
aussi être associée à d’autres signes.
Les signes cutanés
sont fréquents et très variés à type de nodules, de rash
érythémateux ou maculopapuleux, d’angioedème ou
d’urticaire.
Ces derniers signes, parfois associés à une hyper-IgE sérique, seraient plus volontiers rencontrés
dans les formes de bon pronostic, sensibles à la corticothérapie.
Le diagnostic d’hyperéosinophilie essentielle
peut être discuté lorsque les signes sont focalisés au
niveau pulmonaire ou intestinal.
Quelle que soit la forme
clinique de cette hyperéosinophilie, une surveillance
régulière s’impose devant toute hyperéosinophilie chronique inexpliquée en
raison de 2 risques majeurs qui sont la survenue possible d’une
hémopathie maligne ou d’une atteinte viscérale où domine la
cardiopathie.
B - Éléments de surveillance :
Il existe des formes paucisymptomatiques d’hyperéosinophilie
essentielle qui se résument à l’expression d’une
hyperéosinophilie sanguine isolée, parfois associée à
des manifestations cutanées ou à une hépatosplénomégalie.
S’il existe des formes « stables », la survenue
de complications, souvent imprévisibles, qui engagent
le pronostic vital nécessite :
– la recherche systématique de signes en faveur d’une
hémopathie sous-jacente (vitamine B12 sérique très
élevée, score variable des phosphatases alcalines, uricémie
élevée, folatémie abaissée), et indique la recherche
d’anomalies chromosomiques par la réalisation d’une
biopsie ostéomédullaire et l’étude du caryotype sur sang
périphérique ou sur moelle ;
– la recherche obligatoire et répétée d’une atteinte
cardiaque par nécrose, thrombose ou fibrose (électrocardiogramme,
échocardiographie bidimensionnelle
renouvelée tous les 6 mois, parfois associée à une
biopsie endocardique) ou de lésions vasculaires (examen
du fond d’oeil, manifestations de thrombose, de microembolies,
bilan de coagulation, bilan neurologique).