Hypertension artérielle de la grossesse Cours de
Gynécologie
Définitions et classification
:
L’hypertension artérielle (HTA) gravidique se définit
simplement par l’existence chez une femme enceinte d’une
hypertension artérielle (pression artérielle > 140 mmHg
pour la systolique et [ou] 90 mmHg pour la diastolique).
Sa fréquence est élevée (10 % en France ).
La prééclampsie se définit par l’association à l’hypertension
artérielle gravidique d’une protéinurie > 0,3 g/ 24 h.
Sa
fréquence est d’environ 3 % des grossesses. Les oedèmes
(au niveau des membres et du visage) sont un signe
clinique classique mais facultatif.
On parle de prééclampsie sévère lorsque les chiffres
tensionnels sont supérieurs à 180/120, la protéinurie
supérieure à 3 g/24 h et (ou) lorsqu’il existe des signes
cliniques (signes fonctionnels neurologiques, oligo-anurie,
barre épigastrique) et (ou) biologiques (thrombopénie,
cytolyse hépatique ) de gravité.
Il est classique de définir 4 types d’hypertension artérielle
gravidique :
– la prééclampsie pure de la femme primipare sans antécédent
vasculo-rénal, survient principalement au
cours du 3e trimestre, guérit dans le post-partum et ne
récidive pas.
Il s’agit d’une maladie exclusivement
gravidique ; les modifications histologiques disparaissant
rapidement après l’accouchement ;
– l’hypertension artérielle chronique ;
– l’hypertension artérielle chronique avec prééclampsie
surajoutée ;
– l’hypertension labile ou transitoire apparaît uniquement
lors des grossesses.
Retentissement de cette ischémie
placentaire sur la mère et le foetus :
L’insuffisance placentaire, élément essentiel de la maladie,
a un retentissement maternel et foetal très variable selon
les cas.
De plus, la maladie peut prédominer soit chez le
foetus soit chez la mère.
A - Retentissement foetal :
L’insuffisance placentaire entraîne un défaut d’apport
des substances nécessaires à la croissance foetale et une
diminution de l’oxygénation foetale aboutissant plus ou
moins rapidement à une souffrance foetale chronique
plus ou moins sévère.
Le débit placentaire est réduit
bien avant l’apparition des signes cliniques de souffrance
foetale chronique.
Celle-ci se traduit par l’apparition
d’un retard de croissance intra-utérin, le plus souvent dysharmonieux (affectant principalement la circonférence
abdominale), parfois harmonieux, si le retentissement
placentaire est très précoce.
Parfois, si le tableau
est très sévère ou si le traitement est trop tardif, on
assiste à une mort in utero.
Le dépistage du retard de croissance intra-utérin est
basé sur la mesure de la hauteur utérine et l’échographie
obstétricale.
Une diminution de la quantité de liquide
amniotique (oligoamnios) est également un facteur de
souffrance foetale (par diminution de la diurèse foetale).
L’appréciation de la souffrance foetale chronique
comprend l’enregistrement du rythme cardiaque foetal,
le score de Manning (étude du bien-être foetal) et le
doppler ombilical (traduisant la qualité de l’écoulement
sanguin au niveau des artères ombilicales, témoignant
du degré de résistance placentaire).
Lorsque l’index
diastolique devient nul, a fortiori en cas de flux
inverse (reverse flow), la situation hémodynamique
foetale devient précaire.
Enfin, le doppler cérébral pathologique
témoigne d’une hypoxie sévère avec réponse
extrême, aux limites des possibilités
d’adaptation du foetus.
L’extraction foetale doit alors
être effectuée avant que l’hypoxie ne soit trop sévère.
S’agissant d’un foetus fragile (à risque d’accident
vasculaire cérébral, d’insuffisance myocardique,
hépatique), des mesures de réanimation néonatales
parfaitement appropriées sont nécessaires, d’où l’intérêt
d’un transfert in utero dans un centre de réanimation
néonatale spécialisé.
B - Retentissement maternel :
1- Maladie de l’endothélium
:
L’insuffisance placentaire entraîne donc une ischémie
placentaire avec libération de substances activant et (ou)
altérant l’endothélium maternel et foetal (fibronectine,
laminine, cytokines, endothéline, prostaglandines,
thrombomoduline, facteur Willebrand…).
Ces perturbations
des différentes fonctions (complexes) des endothéliums
de l’organisme (coagulation, contractilité des
fibres musculaires lisses...) entraîne une hypertension
artérielle, due à l’augmentation des résistances
vasculaires périphériques par déséquilibre entre les
taux circulants d’hormones vasoconstrictives et
vasodilatatrices, une thrombopénie, une chute du
facteur III, une augmentation du complexe antithrombine
III-thrombine, une augmentation de la
sécrétion de thromboxane A2.
Tous ces phénomènes
aboutissent à l’apparition de micro-angiopathies
thrombotiques, principalement au niveau des reins
(protéinurie, oedèmes) et du foie (syndrome HELLP
pour Hæmolysis, Elevated liver enzyme, Low platelet
count).
2- Conséquences anatomopathologiques :
Des zones d’infarctus (plus ou moins étendues) au
niveau du placenta sont caractéristiques de la maladie,
témoignant ainsi de l’ischémie placentaire.
Il faut bien
comprendre que ces lésions placentaires ne sont pas la
cause de la maladie mais la conséquence de la diminution
du débit utéro-placentaire.
Au niveau des reins, on note
des lésions endothéliales glomérulaires (dépôts de fibrine) et au niveau du foie, on observe de nombreuses microthromboses
capillaires périlobulaires (dans les espaces
portes).
Quant au cerveau, il est le siège également
d’une microangiopathie thrombotique (dépôts de fibrine,
oedèmes, hémorragies).
3- Conséquences cliniques
:
L’hypertension artérielle gravidique est une affection
sérieuse par le biais des nombreuses complications
mettant en danger la vie de la mère.
En France, de 1981
à 1991, 189 morts maternelles ont été dues à des prééclampsies, représentant 18,7 % de la mortalité
maternelle. Ces complications sont de diverses sortes.
• L’hématome rétroplacentaire (HRP) est un accident
imprévisible et brutal dont la fréquence reste élevée
malgré la meilleure prise en charge actuelle de ces
patientes.
• L’éclampsie est un accident prévisible dont la
fréquence a nettement diminué avec les progrès obstétricaux.
Sa fréquence est d’environ 1/50 prééclampsies.
• Le syndrome HELLP a été individualisé dans les
années 1980.
Son extrême gravité nécessite impérativement
la terminaison de la grossesse (quel que soit le
terme).
Il complique environ 10 % des prééclampsies
mais il peut apparaître d’emblée sans hypertension
artérielle, source de nombreuses erreurs diagnostiques.
Il comporte un risque hémorragique majeur : l’hématome sous-capsulaire du foie.
• Les troubles de la coagulation, notamment de la coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) présentent
des D-dimères augmentés, un effondrement du fibrinogène
et une thrombopénie
• Les autres complications possibles sont l’accident
vasculaire cérébral, le décollement rétinien, l’insuffisance
rénale aiguë (fonctionnelle puis organique), l’oedème
aigu du poumon (OAP), l’ascite.
4- Évolution :
La mortalité reste importante (1 % des prééclampsies)
en rapport principalement avec le risque hémorragique
(accident vasculaire cérébral, coagulation intravasculaire
disséminée majeure, rupture d’un hématome souscapsulaire
du foie).
L’évolution très variable de la
maladie, avec son risque potentiel d’extrême gravité,
interdit donc tout traitement ambulatoire de la prééclampsie.
Une hospitalisation est donc obligatoire
avec instauration d’une surveillance maternofoetale,
adaptation des traitements plus ou moins lourds et
intervention rapide au besoin.
Cette hospitalisation
doit se faire dans un service spécialisé de grossesses
pathologiques, proche d’un service de réanimation
néonatale (surtout si le terme est < 32 semaines d’aménorrhée).
Une surveillance et un traitement ambulatoire
de l’hypertension artérielle gravidique ne peuvent
être envisagés que si l’hypertension artérielle est
modérée, sans souffrance foetale chronique associée, ni
protéinurie.
Diagnostic
:
Étant donné la gravité potentielle de la maladie pour le
foetus et la mère et l’évolution extrêmement variable de
la maladie, 3 points fondamentaux doivent être bien
compris par le médecin traitant :
– penser à la prééclampsie devant des tableaux atypiques,
peu alarmants (syndrome HELLP sans hypertension
artérielle par exemple) et demander les examens
complémentaires (simples et rapides) indispensables au
diagnostic ;
– la surveillance et le traitement ambulatoire d’une
hypertension artérielle gravidique ne peuvent être
entrepris que si l’hypertension artérielle est modérée,
isolée (sans protéinurie et sans signe de souffrance
foetale chronique) ;
– adresser toute patiente prééclampsique à la maternité
la plus proche ou la plus adaptée selon le terme de la
grossesse (niveau 3 si grande prématurité).
Pour le praticien donc, plusieurs étapes existent dans
le diagnostic, le traitement et la surveillance d’une
hypertension artérielle gravidique.
S’il respecte les
3 points fondamentaux ci-dessus, rien de fâcheux
ne peut arriver.
A - Affirmer l’hypertension artérielle
gravidique :
1- Diagnostic :
• Chez toute femme enceinte, l’interrogatoire
recherche les facteurs de risque d’hypertension artérielle
gravidique en notant les antécédents familiaux et
personnels (hypertension artérielle, obstétricaux : hypertension
artérielle gravidique, retard de croissance intrautérin,
mort in utero, hématome rétroplacentaire,
oedèmes, prise de poids excessive… ).
Il n’existe pas de
signes précurseurs de l’apparition d’une hypertension
artérielle gravidique.
C’est la raison pour laquelle il faut
mesurer la pression artérielle des femmes enceintes tous
les mois afin de dépister sa survenue.
Des chiffres tensionnels supérieurs à 140 pour la pression artérielle
systolique et 9 pour la pression artérielle diastolique
chez une patiente enceinte affirment, tout simplement, le
diagnostic d’hypertension artérielle gravidique.
Naturellement, certaines précautions sont indispensables
pour ne pas porter un faux diagnostic.
Il existe
une variabilité normale en fonction de l’âge (les mêmes
chiffres tensionnels n’ont pas la même signification à
16 ans ou 44 ans).
Il existe aussi une variabilité tensionnelle
en fonction du poids de la patiente : chez une
patiente obèse, il faut vérifier des chiffres tensionnels
élevés avec un brassard adéquat pour obèse ; la tension
doit être prise évidemment au repos, aux 2 bras, en position
allongée.
De grandes variations existent en fonction du
stress, du temps passé en salle d’attente, de l’activité, de
l’émotivité de la patiente ; les chiffres tensionnels
doivent être vérifiés à 3 reprises (si possible au domicile
de la patiente) ; enfin, en cas de doute, la réalisation d’un Holter tensionnel permet d’infirmer ou de confirmer l’hypertension
artérielle gravidique (intérêt prédictif de
chiffres tensionnels élevés nocturnes).
Si le diagnostic d’hypertension artérielle gravidique est
porté, l’examen clinique recherche l’absence d’autre
anomalie : hauteur utérine insuffisante pour le terme,
prise de poids excessive brutale, oedèmes, troubles fonctionnels
(acouphènes, phosphènes, troubles visuels,
céphalées, épigastralgies).
• Un bilan biologique simple et rapide est demandé :
protéinurie (< 0, 30 g/24 h) ; uricémie à jeun (< 60 mg/L) ;
transaminases hépatiques (transaminase glutamooxalo-acétique [TGO] et transaminase glutamo-pyruvique
[TGP]) ; numération sanguine (à la recherche
d’une thrombopénie).
• Une échographie obstétricale avec doppler utérin et
ombilical est demandée, dans un délai rapide (< 2 j).
2- Conduite à tenir
:
Si l’ensemble du bilan (clinique, biologique et échographique)
conclut à l’existence d’une hypertension
artérielle gravidique isolée non compliquée et si la
patiente n’a aucun antécédent obstétrical lourd (éclampsie,
hématome rétroplacentaire, syndrome HELLP…), un
traitement antihypertenseur est instauré.
• Le traitement idéal est le labétalol (Trandate), à la
posologie initiale de 1 demi-comprimé x 2/j ; posologie
qui est augmentée en fonction de la réponse thérapeutique
(posologie maximale : 3 comprimés/j).
En cas de
contre-indication (asthme sévère), le traitement de
2e intention est la clonidine (Catapressan), à la posologie
de 1 à 3 comprimés/j.
• Une surveillance rigoureuse et régulière est obligatoire,
comprenant une surveillance clinique et
biologique hebdomadaire, en l’absence d’anomalie
surajoutée.
L’arrêt de travail et le repos sont obligatoires.
• Un traitement par l’aspirine 100 mg n’est efficace
que s’il est prescrit avant 23 semaines d’aménorrhée.
Passé ce terme, l’aspirine n’a aucun intérêt et est source
de désagréments pour la conduite à tenir purement
obstétricale.
B - Survenue d’une prééclampsie :
La mise en évidence d’une protéinurie > 0,3 mg/24 h
signe le diagnostic de prééclampsie, même en l’absence
d’oedème.
Dans cette situation, le médecin traitant doit
adresser la patiente à son obstétricien ou à la maternité
la plus proche.
En fonction du résultat du bilan réalisé à
la maternité, la patiente est soit hospitalisée définitivement,
soit (si la situation est stable avec une protéinurie
inférieure à 1g/24 h) bénéficie d’une hospitalisation de
jour hebdomadaire, comprenant un bilan biologique, un
examen clinique, un écho-doppler et un enregistrement
du rythme cardiaque foetal. Dans cette 2e hypothèse, une
collaboration étroite entre l’obstétricien et le médecin
traitant est indispensable et fructueuse.
C - Dépistage les complications
:
La mise en évidence d’une anomalie, quelle qu’elle soit
(hyperuricémie, aggravation de la protéinurie [> 1 g/24 h],
cytolyse hépatique, thrombopénie, signes fonctionnels,
oedèmes diffus) signe une aggravation de la maladie
nécessitant le transfert immédiat de la patiente dans un
service spécialisé pour une hospitalisation définitive.
Le
tableau classique de la prééclampsie (hypertension artérielle,
oedèmes, protéinurie) n’est pas toujours rencontré
et le médecin traitant doit être extrêmement méfiant
devant toute anomalie surajoutée, aussi minime soit-elle.
1- Hématome rétroplacentaire :
Ce grave et imprévisible accident obstétrical, dont la fréquence
reste encore élevée malgré les progrès réalisés
dans la prise en charge des patientes prééclampsiques,
se définit comme un hématome plus ou moins volumineux
situé entre le placenta (normalement inséré) et l’utérus,
entraînant une interruption plus ou moins complète des
échanges materno-foetaux, avec risque de mort in utero.
La physiopathologie exacte de la constitution de l’hématome rétroplacentaire n’est pas encore totalement
expliquée.
Enfin, son retentissement sur la coagulation
sanguine maternelle (risque de coagulation intravasculaire
disséminée majeure) en fait l’un des diagnostics les
plus redoutés en obstétrique.
Le pronostic foetal est
catastrophique tandis que le pronostic maternel reste
sérieux, voire dramatique, en l’absence de prise en charge
adéquate ou retardée.
Le diagnostic est parfois facile,
devant un tableau typique.
Parfois, la symptomatologie
fonctionnelle étant fruste, le diagnostic est plus difficile.
Le tableau clinique classique est riche et comprend : l’apparition d’une douleur abdominale brutale, au
niveau de l’utérus ; une hémorragie minime, noirâtre ;
un état de choc (pâleur, sueur, hypotension, pouls accéléré)
; une hypertonie utérine ( ventre de bois ) ; la
disparition des bruits du coeur foetaux (mort in utero) ;
un tableau de prééclampsie (hypertension artérielle ,
oedèmes , protéinurie).
La conduite à tenir est simple : hospitalisation dans un
délai le plus court possible (surtout si le foetus est encore
vivant).
La prise en charge à la maternité dépend de
nombreux critères (terme de la grossesse, état du foetus
et de la mère).
Une césarienne en urgence est réalisée
dans 2 circonstances : foetus vivant ou état maternel
gravissime contre-indiquant un accouchement par voie
basse, plus long.
Dans tous les autres cas, un déclenchement
par prostaglandines est réalisé, sous couvert d’une
réanimation adéquate.
2- Syndrome HELLP :
Décrit pour la première fois par Weinstein en 1981, ce
syndrome récent (et donc parfois méconnu) est d’une
extrême gravité nécessitant impérativement la terminaison
de la grossesse (quel que soit le terme).
Il complique
environ 10 % des prééclampsies mais il peut apparaître
d’emblée sans hypertension artérielle, source de nombreuses
erreurs diagnostiques. Sa définition est purement
biologique : hæmolysis (hémolyse), elevated liver
enzyme (augmentation des transaminases hépatiques),
low platelets (thrombopénie).
Ce syndrome s’accompagne d’une mortalité maternelle
élevée (2 à 10 %) et d’une mortalité foetale très importante
(10 à 50 %).
Si le diagnostic est facile devant
l’association des anomalies biologiques qui le définissent,
encore faut-il penser à demander le dosage des
plaquettes sanguines, de l’hémoglobine et des transaminases
hépatiques devant une symptomatologie
fonctionnelle peu évocatrice.
En effet, le seul signe
fonctionnel quasiment toujours retrouvé est la douleur
vive de l’hypocondre droit ou de l’épigastre (correspondant
à la fameuse « barre épigastrique de Chaussier »).
Malheureusement, dans environ 40 % des cas, le syndrome HELLP peut survenir de façon isolée chez une
patiente enceinte non hypertendue, rendant le diagnostic
particulièrement difficile.
De nombreuses patientes
traitées initialement pour une « gastrite » présentent un
véritable syndrome HELLP biologique isolé.
La gravité
de la situation est identique, même en l’absence d’hypertension
artérielle ou de protéinurie.
Ce syndrome
témoigne d’une souffrance hépatique dont la complication
extrême est la rupture d’un hématome sous-capsulaire
du foie, responsable d’une hémorragie massive, souvent
fatale dans un contexte de coagulation intravasculaire
disséminée.
Ainsi, devant toute douleur vive de l’épigastre ou de
l’hypocondre droit même isolée, chez une femme
enceinte, le médecin traitant doit évoquer ce diagnostic
et demander le bilan biologique adéquat et, en cas de
diagnostic positif, adresser immédiatement la patiente
dans un service spécialisé.
3- Éclampsie
:
Accident aigu paroxystique et prévisible de la prééclampsie
dont la fréquence a nettement diminué avec
les progrès obstétricaux, sa fréquence est d’environ
1/50 prééclampsies.
Il correspond à un état convulsif
survenant par accès à répétition, suivi d’un état comateux.
Le médecin traitant ne devrait plus être confronté à
cet accident qui ne devrait survenir que chez des
patientes hospitalisées dans des services spécialisés en
raison d’une prééclampsie très sévère, en attendant un
terme plus satisfaisant pour l’extraction foetale.
Cependant, si un médecin traitant est confronté à cette
situation, le tableau clinique ressemble à celui d’une
crise d’épilepsie (sans perte d’urines cependant).
L’absence d’antécédent comitial, l’existence d’une
grossesse et d’une hypertension artérielle plus ou
moins connue permettent d’affirmer le diagnostic
de crise d’éclampsie.
La conduite à tenir est la même
que pour une crise d’épilepsie : en attendant le transfert
à la maternité la plus proche, on administre en intraveineux
direct une ampoule de Valium (diazépam) ou
de Rivotril (clonazépam), relayée par une perfusion du
même produit.
Une mise en place d’une canule de Guédel est souhaitable pour éviter l’asphyxie éventuelle
et la patiente doit être installée dans une pièce sombre
et paisible.
4- Autres complications :
Les troubles de la coagulation, notamment la coagulation intravasculaire disséminée, sont du domaine du
service spécialisé où la patiente est adressée (voire
d’un service de réanimation), de même que les autres
complications possibles (accident vasculaire cérébral,
insuffisance rénale aiguë, oedème aigu du poumon,
ascite).
D - Conduite à tenir
:
Devant une prééclampsie et (ou) ses complications,
la conduite à tenir est assez simple pour le médecin
traitant : il doit immédiatement adresser la patiente
dans un service spécialisé, au besoin par l’intermédiaire
du SAMU, si la situation lui semble grave.
Les éventuels
gestes d’urgence à réaliser ont été étudiés dans
le chapitre précédent concernant les différentes
complications possibles de la maladie.
Traitement en milieu hospitalier :
A - Surveillance foetale :
La gravité foetale tient à la souffrance foetale chronique
due à la diminution du débit utéro-placentaire.
Le
traitement idéal consisterait en l’administration d’une
thérapeutique visant à améliorer ce débit (remplissage vasculaire maternel ?).
Il ne semble pas exister de
diminution du débit placentaire par les traitements
antihypertenseurs mais on note une augmentation de la
mortalité néonatale si les chiffres tensionnels maternels
descendent trop bas (120/70).
Enfin, tous les
médicaments traversent le placenta et sont donc
potentiellement capables de produire des effets sur le
foetus.
La surveillance foetale classique comprend
plusieurs points.
• Le bruit du coeur foetal doit être surveillé avant
25 semaines d’aménorrhée.
• Le rythme cardiaque foetal doit être enregistré, de
façon classique ou informatisée (type Oxford) ; la
fréquence de réalisation est bien sûr variable, en
fonction du terme et de la gravité de l’atteinte foetale
et (ou) maternelle (1 à 6/j).
• Une échographie obstétricale hebdomadaire est
réalisée (biométrie foetale, quantité de liquide amniotique ;
un oligoamnios
– diminution significative de la quantité
de liquide amniotique
– traduit une diminution de la
diurèse foetale, témoignant de la souffrance foetale
chronique).
• Un doppler ombilical et un cérébral sont réalisés,
à rythme hebdomadaire ou bihebdomadaire en cas
d’altération.
Le doppler ombilical traduit la qualité de
l’écoulement sanguin au niveau des artères ombilicales,
témoignant du degré de résistance placentaire. Lorsque
l’index diastolique devient nul, a fortiori en cas de flux
inverse (reverse flow), la situation hémodynamique
foetale devient précaire.
Enfin, le doppler cérébral pathologique
témoigne d’une hypoxie sévère avec réponse
extrême, aux limites des possibilités d’adaptation du
foetus.
• Le score de Manning (5 critères notés sur 10)
étudie le bien être foetal (mouvements respiratoires,
tonus musculaire… ).
• Les mouvements actifs foetaux sont comptés.
L’examen est intéressant mais anxiogène pour la patiente.
• Des cures de corticoïdes (Célestène, Soludécadron)
sont systématiquement administrées entre 25 et 34
semaines d’aménorrhée car la prématurité provoquée est
très fréquente (3 cures au maximum).
B - Prise en charge maternelle
:
La guérison repose sur l’extraction foetale mais l’indication
de cette extraction peut être difficile à porter, en
fonction de la gravité de l’atteinte maternelle et foetale et
surtout du terme de la grossesse.
Souvent, une surveillance
stricte est nécessaire en raison du terme trop
précoce de la grossesse.
Cette surveillance doit être
réalisée dans un service spécialisé en pathologies
maternelles et foetales, proche d’un service de réanimation
néonatale (services d’autant plus spécialisés que le
terme est faible : < 32 semaines d’aménorrhée).
L’essentiel
est qu’une collaboration étroite entre sages-femmes,
obstétriciens, pédiatres néonatologistes et anesthésistes
soit assurée.
1- Surveillance
:
Elle comprend :
• une surveillance horaire (ou automatique type Dynamap) des chiffres tensionnels ;
• un fond d’oeil ;
• une surveillance clinique à la recherche de signes
fonctionnels évoquant une aggravation de la maladie
(céphalées, barre épigastrique, troubles visuels, acouphènes,
phosphènes, altération de l’état de conscience) ;
• une surveillance de la diurèse par le recueil des
urines ou le sondage vésical à demeure ;
• la mise en place d’une voie veineuse profonde (pour
la mesure de la pression veineuse centrale et le
remplissage vasculaire) ;
• un bilan biologique dont la fréquence varie selon
la gravité de la situation (bihebdomadaire à biquotidien,
voire toutes les 6 h) : bilan de coagulation standard ou
approfondi en cas d’anomalie, numération formule
plaquettes, ionogramme sanguin (urée, créatininémie,
uricémie, enzymes hépatiques, protidémie) et urinaire,
dosage des LDH (lactic dehydrogenase), de l’haptoglobine
des schizocytes (témoins de l’hémolyse).
2- Traitement symptomatique :
• Un repos strict au lit et au calme est préconisé, si
possible en décubitus latéral gauche qui améliore les
perfusions placentaire et rénale, ainsi que l’hémodynamique
maternelle.
• Les antihypertenseurs sont les produits le plus couramment
utilisés tels que le labétalol (Trandate) et la
nicardipine (Loxen). Ils sont administrés per os ou en
seringue autopulsée.
Le Trandate (a- et b-bloquant) est
le médicament de référence car efficace et sans effet
secondaire.
Le Loxen (antagoniste du calcium) est plus
efficace encore mais il peut entraîner des effets hémodynamiques
néfastes chez le prématuré de très petit
poids.
La clonidine (Catapressan) peut également être
utilisée en complément ; plus rarement la dihydralazine
(Népressol).
• L’expansion volémique a pour but de corriger l’hémoconcentration
et la réduction du volume plasmatique et
de maintenir une protidémie satisfaisante (hypoprotidémie
par fuite urinaire des protéines).
Elle diminue également
les résistances vasculaires systémiques et les oedèmes.
Enfin, elle relance la diurèse et prévient la diminution
excessive de la pression veineuse centrale lors du traitement
antihypertenseur.
Les produits les plus utilisés sont la sérum-albumine diluée (2-4 flacons /24 h) et la sérumalbumine
concentrée (2-4 flacons/24 h).
Le risque important
est celui de surcharge vasculaire (oedème aigu pulmonaire)
par excès de remplissage, nécessitant impérativement la surveillance
de la pression veineuse centrale.
L’inconvénient
est la perturbation de la surveillance de la protéinurie, car la
sérum albumine diluée et la sérum albumine concentrée
se retrouvent en grande partie dans les urines.
• Les anticonvulsivants sont rarement employés (traitement
préventif d’une crise d’éclampsie imminente, en
cas de chiffres tensionnels très élevés et [ou] de signes fonctionnels évocateurs : phosphènes, amaurose, acouphènes).
Les produits utilisés sont le sulfate de magnésie
et les benzodiazépines (Valium, Rivotril).
• L’aspirine 100 mg est prescrite à la posologie quotidienne
de 100 mg avant 22 semaines d’aménorrhée et
augmente la perfusion placentaire.
• La dopamine permet de lutter contre la défaillance
cardiaque.
3- Traitement obstétrical :
Il repose sur l’extraction foetale, seul véritable traitement
étiologique.
Avant 34 semaines d’aménorrhée, la
voie d’accouchement est la césarienne.
Après cette date,
si les conditions obstétricales sont favorables, un accouchement
par voie basse peut être envisagé, d’autant que
la situation ne revêt pas un caractère d’urgence.
Naturellement, tout au long de l’accouchement, la
surveillance maternofoetale est maintenue, voire
augmentée.
Il faut éviter les efforts expulsifs excessifs
(aide à l’expulsion) et l’anesthésie péridurale est
souhaitable si le taux de plaquettes est supérieur à
100 000/mm3 et si la patiente n’est pas traitée par aspirine.
Parfois, le recours à une interruption de grossesse d’indication
médicale, en raison de la sévérité du tableau
maternel et du terme trop prématuré (< 24 semaines
d’aménorrhée) est nécessaire.
Le seul traitement étiologique, donc idéal, est
l’extraction ; mais à quel terme ?
Il faut mettre en
balance les avantages et les risques de l’interruption de
grossesse d’où la nécessité d’une discussion collégiale
au cours de laquelle chaque intervenant (obstétricien,
pédiatre et anesthésiste) peut confronter ses souhaits à
ceux de ses collègues, aboutissant ainsi au meilleur
compromis souhaitable pour la mère et son enfant.
De
grandes lignes thérapeutiques sont, bien entendu,
établies ; cependant, des discussions au cas par cas sont
très fréquentes et la décision finale dépend de nombreux
facteurs (cures de corticoïdes, antécédents, parité,
âge maternel, âge gestationnel, enregistrement du
rythme cardiaque foetal, données échographiques :
poids foetal estimé (PFE), quantité de liquide amniotique,
arrêt de croissance, dopplers perturbés, souhait du
couple…).
Un traitement conservateur est adopté si le
terme est trop précoce (24 semaines d’aménorrhée) et en
l’absence de complications graves maternelle et foetale.
Le risque de cet attentisme est la survenue d’une mort in
utero ou d’une complication maternelle gravissime.
La
question clé est « Quand interrompre ce traitement
conservateur ? ».
En règle générale, l’extraction est réalisée
si la maturité foetale est obtenue (> 35-36 semaines
d’aménorrhée), en cas de survenue d’une complication
maternelle (poussée hypertensive réfractaire au traitement
médical, syndrome HELLP, coagulation intravasculaire
disséminée, hématome rétroplacentaire,
éclampsie, insuffisance rénale aiguë, ascite volumineuse
mal supportée, oedème aigu pulmonaire mettant en jeu le
pronostic vital maternel et en cas d’altération sévère du
rythme cardiaque foetal.