Grossesse au cours des maladies rénales chroniques Cours de Néphrologie
Introduction
:
La survenue d’une grossesse chez une femme atteinte de
néphropathie a longtemps constitué un sujet d’inquiétude.
En effet,
les études antérieures aux années 1980 faisaient état d’une
proportion anormalement élevée de retard de croissance foetale, de
prématurité, de mort foetale in utero et de mortalité périnatale, et
d’une aggravation de la maladie rénale maternelle sous l’influence
de la grossesse sans que les facteurs prédictifs d’une telle évolution
soient clairement identifiés.
Fort heureusement, au cours des deux dernières décennies, des
études portant sur de larges effectifs de patientes atteintes de
diverses variétés de néphropathies bien caractérisées ont permis
d’identifier les facteurs du pronostic foetal et maternel.
Elles ont montré que le niveau de la pression artérielle et surtout
celui de la fonction rénale au moment de la conception constituent les facteurs primordiaux du pronostic foetal et maternel, et qu’il
convient de distinguer les cas où la néphropathie est primitive de
ceux où elle s’inscrit dans le cadre d’une maladie systémique.
Il est aujourd’hui établi qu’une grossesse survenant chez une
patiente dont la fonction rénale est normale ou proche de la normale
a, en règle, une évolution favorable et ne s’accompagne d’aucune
aggravation de la maladie rénale maternelle.
À l’inverse, la présence
d’une hypertension artérielle (HTA) et surtout une altération
significative de la fonction rénale exercent une influence défavorable
sur le pronostic foetal et font courir un risque d’aggravation de la
néphropathie.
De plus, ces études ont permis de déterminer le
niveau de fonction rénale compatible avec l’espoir d’une grossesse
réussie et ont déterminé les règles de prise en charge des patientes
atteintes de néphropathie, avec ou sans insuffisance rénale
préexistante.
Elles permettent aujourd’hui de conseiller les jeunes
femmes et les couples avant la conception.
Nous envisagerons successivement les modifications physiologiques
de l’hémodynamique rénale entraînées par la grossesse, les facteurs
généraux du pronostic foetal et maternel chez les patientes atteintes
de néphropathie, les problèmes spécifiques qui se posent dans les
néphropathies primitives ou secondaires à une maladie systémique chez les femmes atteintes d’insuffisance rénale préexistante puis
chez les patientes dialysées ou transplantées, pour définir enfin les
règles de la prise en charge optimale de la grossesse des femmes
atteintes de néphropathie.
Modifications hémodynamiques
rénales induites par la grossesse :
Au cours de la grossesse, l’adaptation de l’organisme maternel aux
besoins du foetus se traduit par des modifications de
l’hémodynamique rénale et des volumes liquidiens de la mère.
Ces
modifications ont été caractérisées chez des femmes à fonction rénale
normale par des études répétées de clairances effectuées du
début à la fin de la grossesse.
Les données sur l’hémodynamique
rénale ont été obtenues grâce à des études de microponction sur des
rates gestantes.
A - MODIFICATIONS PHYSIOLOGIQUES CHEZ LA FEMME
:
Au cours de la grossesse normale, il se produit une augmentation
de la filtration glomérulaire de l’ordre de 40 à 50 %,
apparaissant dès la sixième semaine de gestation et se maintenant
jusqu’à la fin du troisième trimestre, avec une augmentation
proportionnelle du débit plasmatique rénal. Le débit
cardiaque maternel augmente de 30 % dès le premier trimestre de
manière à compenser l’augmentation du débit utéroplacentaire et
du débit sanguin rénal.
La protéinurie physiologique se majore et
peut atteindre jusqu’à 300 mg/j.
Ces modifications impliquent une
vasodilatation généralisée d’origine hormonale, expliquant la baisse
physiologique de la pression artérielle observée au cours des deux
premiers trimestres de la grossesse normale, où s’observe également
une diminution de la réactivité vasculaire aux stimuli presseurs tels
que l’angiotensine II.
Parallèlement, se développe une
augmentation du volume du secteur extracellulaire et du secteur
plasmatique, atteignant et dépassant 50 % au cours du troisième
trimestre.
L’augmentation du secteur plasmatique entraîne une
hémodilution, le taux de l’albuminémie s’abaissant au voisinage de
35 g/L en fin de grossesse.
L’augmentation de la filtration
glomérulaire se traduit par une diminution de la créatininémie, qui
passe d’une valeur moyenne de 75 ímol/L avant la grossesse à 50-
60 ímol/L au cours des deuxième et troisième trimestres, et par une
diminution proportionnelle de l’uricémie.
Ainsi, une
concentration de la créatinine plasmatique de 75 ímol/L, qui serait
normale en dehors de la grossesse, peut traduire une insuffisance
rénale débutante chez une femme enceinte.
Il est à noter que la
formule de Cockcroft et Gault, qui permet d’évaluer la clairance
de la créatinine à partir de la créatininémie, n’est pas applicable
pendant la grossesse, du fait de la modification du débit de filtration
glomérulaire et de l’expansion du secteur extracellulaire.
Cette
formule ne peut donc être utilisée qu’avant le début de la grossesse
et après la délivrance.
B - DONNÉES EXPÉRIMENTALES
:
L’expérimentation animale a apporté des informations intéressantes
quant à l’adaptation physiologique des reins à la grossesse.
Chez
la rate normale, la gestation entraîne une vasodilatation rénale due
à la réduction simultanée du tonus des artérioles afférentes et
efférentes des glomérules, si bien que l’augmentation du débit de
filtration glomérulaire se produit sans augmentation de la pression
capillaire glomérulaire.
De ce fait, aucune sclérose glomérulaire
ne se développe, même après des gestations répétées.
De plus, il
a été montré que la gestation n’exerce pas d’effet aggravant dans
divers modèles de néphropathies provoquées par la gentamicine
ou la doxorubicine ou une glomérulopathie expérimentale
normotensive. Même chez les rates ayant subi une néphrectomie
subtotale, la gestation n’entraîne pas d’aggravation de l’insuffisance
rénale.
Le rôle vasodilatateur du monoxyde d’azote (NO) dans
l’adaptation hémodynamique du rein a été prouvé, l’inhibition de la
production du NO étant associée au développement d’une
hypertension et d’une prééclampsie.
Influence de la néphropathie
sur l’évolution foetale :
Le cumul des observations publiées dans de grandes séries de la
littérature permet d’analyser plus de 900 grossesses survenues chez
des femmes atteintes de glomérulonéphrite chronique primitive,
près de 700 chez des patientes atteintes de néphropathie du reflux et
près de 500 chez des femmes atteintes de polykystose rénale
autosomique dominante.
Dans ces collectifs, moins de 5 % des
patientes avaient une insuffisance rénale significative, c’est-à-dire
une créatininémie supérieure à 135 ímol/L.
A - APPRÉCIATION GLOBALE DU RISQUE FOETAL
:
La mortalité foetale globale apparaît plus élevée chez les femmes
atteintes de néphropathie que dans la population générale.
Elle
est de l’ordre de 20 % dans les glomérulonéphrites primitives et de
10 à 12 % dans les néphropathies du reflux et la polykystose rénale,
en excluant de l’analyse les interruptions thérapeutiques de
grossesse.
La mortalité foetale globale est décrite comme plus élevée
dans les hyalinoses segmentaires et focales et dans les
glomérulonéphrites membranoprolifératives (de l’ordre de 25 %) que
dans la glomérulonéphrite à dépôts mésangiaux d’immunoglobulines
(Ig)A ou dans la glomérulonéphrite extramembraneuse
(15 à 20 %).
Un syndrome néphrotique intense, une hypertension
et/ou une altération de la fonction rénale étaient plus souvent
présents au début de la grossesse dans les deux premières variétés
de glomérulonéphrite.
Cette surmortalité est due, pour moitié, à des
pertes foetales au cours des deux premiers trimestres de grossesse,
sachant que la fréquence des avortements spontanés au cours d’une
première grossesse, dans les pays industrialisés, est de l’ordre de
10 %.
Les morts foetales survenant après la 26e semaine
d’aménorrhée (SA) représentent environ la moitié des cas, tant dans
les glomérulopathies que dans les néphropathies interstitielles
chroniques.
B - FACTEURS DU PRONOSTIC FOETAL
:
Facteurs du pronostic foetal des grossesses associées à une
néphropathie
:
– Normotension spontanée ou HTA bien contrôlée par
monothérapie
– Albuminémie supérieure ou égale à 30 g/L
– Fonction rénale normale ou proche de la normale (créatininémie
£ 135 ímol/L)
– Maladie systémique en rémission stable
* : effet additif de ces facteurs.
Plus que le type de la néphropathie elle-même, il apparaît
aujourd’hui clairement que ce sont les facteurs de risque associés à
la néphropathie, c’est-à-dire l’existence d’un syndrome néphrotique,
d’une HTA ou d’une insuffisance rénale, qui jouent un rôle déterminant sur
l’évolution foetale.
L’intensité du syndrome néphrotique exerce une influence délétère
sur la croissance foetale lorsqu’il existe une hypoalbuminémie
marquée, inférieure à 25 g/L, surtout lorsqu’il est présent dès le
début de la grossesse.
Dans cette situation, on note une
proportion élevée de morts foetales in utero et d’hypotrophies
foetales. Une corrélation entre le poids de naissance de l’enfant et
l’hypoalbuminémie maternelle a été rapportée.
Lorsque les
corticostéroïdes sont indiqués et obtiennent une rémission au moins
partielle du syndrome néphrotique, la croissance foetale est
améliorée.
Un syndrome néphrotique d’apparition tardive au
cours de la grossesse n’a que peu d’influence sur l’évolution
foetale.
L’HTA est le facteur déterminant du pronostic foetal le plus
anciennement reconnu au cours des néphropathies, mais sa date
d’apparition conditionne ici encore le risque pour le foetus.
Une HTA
préexistante ou précoce, apparue dès le début de la grossesse, est
associée à une incidence élevée de mort foetale au-delà du premier
trimestre, d’hypotrophie foetale et de prématurité.
Cependant,
si cette HTA est parfaitement contrôlée par le traitement dès le début
de la grossesse, le pronostic foetal s’en trouve très nettement
amélioré.
En revanche, une HTA apparue uniquement en fin de
grossesse n’affecte que très peu le pronostic foetal.
Néanmoins, la
toxémie gravidique est 5 à 10 fois plus fréquente chez les femmes
atteintes de néphropathie et hypertendues que chez les femmes normotendues à fonction rénale normale.
Il faut donc surveiller de
manière particulièrement vigilante la pression artérielle de ces
patientes, surtout en fin de grossesse.
En pratique, si l’indication
d’un traitement antihypertenseur au cours d’une HTA isolée de la
grossesse, en dehors de toute néphropathie, reste discutée, le
traitement actif de toute HTA chez une patiente atteinte de
néphropathie sous-jacente est impératif pour améliorer le pronostic
foetal.
L’insuffisance rénale préexistante à la grossesse est le facteur
prédictif le plus sévère du pronostic foetal, ce d’autant qu’elle
s’accompagne le plus souvent d’HTA.
Toutefois, une amélioration
sensible du pronostic foetal a pu être obtenue au cours des dernières
années grâce aux progrès de l’obstétrique et de la néonatologie, et à
une meilleure prise en charge néphrologique des patientes atteintes
de néphropathie.
L’influence de l’insuffisance rénale est graduée
et il est possible de déterminer trois zones de risque foetal.
– Lorsque la créatininémie n’excède pas 160 ímol/L, ce qui
correspond environ à une clairance de la créatinine supérieure à
40 mL/min/1,73 m2, le pronostic foetal est dans l’ensemble bon,
dépendant principalement de la présence d’une HTA et de la qualité
de son contrôle.
– Lorsqu’elle est comprise entre 160 et 220 ímol/L, soit une clairance
de la créatinine comprise entre 25 et 40 mL/min/1,73 m2, le
pronostic foetal est plus réservé, avec un risque accru de retard de
croissance intra-utérin, de mort foetale in utero tardive et de grande
prématurité, mais la probabilité de la naissance d’un enfant vivant
reste de l’ordre de 80 à 90 %.
– Si la créatininémie excède 220 ímol/L, correspondant à une
clairance de la créatinine inférieure à 25 mL/min/1,73 m2, le risque
foetal s’accroît considérablement et se double du risque d’une
aggravation irréversible de la fonction rénale maternelle.
Le degré du risque foetal en fonction du niveau de la fonction rénale
maternelle, où la fonction rénale est
évaluée avant la grossesse par la clairance de la créatinine (Ccr),
calculée selon la formule de Cockroft et Gault appliquée à la femme :
Ccr = [140 – âge (ans) ´ poids (kg) ´ 1,05 créatininémie (ímol/L).
En pratique, il est recommandé aux patientes atteintes d’insuffisance
rénale légère ou modérée et progressive d’entreprendre une
grossesse de préférence avant que la créatininémie n’excède 160-
180 ímol/L.
Au-delà de ce niveau, le pronostic est bien plus
aléatoire et on peut conseiller à une patiente ayant déjà un ou
plusieurs enfants et dont la néphropathie est évolutive de renoncer
dans l’immédiat à une nouvelle grossesse et de ne l’envisager
qu’après une éventuelle transplantation rénale.
Influence de la grossesse
sur la néphropathie maternelle :
Chez une patiente atteinte de néphropathie sous-jacente, la grossesse
entraîne, le plus souvent, une majoration de la protéinurie et
l’extériorisation ou la majoration d’une HTA, pouvant aller jusqu’à
un tableau de toxémie gravidique (ou prééclampsie) surajoutée.
L’interprétation des modifications de la protéinurie, de la fonction
rénale et de la pression artérielle provoquées par la grossesse chez
une femme atteinte de néphropathie doit tenir compte des
modifications fonctionnelles rénales physiologiques induites par la
gravidité rappelées plus haut.
Toutefois, le problème crucial est de
savoir si la grossesse peut, chez les femmes atteintes de
néphropathie, provoquer une altération irréversible de la fonction
rénale maternelle ou l’aggravation anormalement rapide d’une
insuffisance rénale préexistante.
Il apparaît clairement aujourd’hui
que l’effet de la grossesse sur le cours de la néphropathie maternelle
est déterminé principalement par le niveau de la fonction rénale au
moment de la conception et par la coexistence éventuelle d’une
maladie systémique.
A - INFLUENCE DE LA GROSSESSE SUR LA PROTÉINURIE
ET LA PRESSION ARTÉRIELLE :
Une majoration transitoire et parfois considérable du débit de la
protéinurie est fréquente en cours de grossesse chez les femmes
atteintes de maladie rénale, notamment dans les néphropathies
glomérulaires où une augmentation significative de la protéinurie
est observée dans environ la moitié des cas.
Elle est due en
majeure partie aux modifications hémodynamiques induites par la grossesse, ce qui explique sa réversibilité après l’accouchement.
Cette anomalie, si elle reste isolée sans élévation de pression
artérielle ni abaissement franc de l’albuminémie, est banale et ne
doit donc pas être tenue pour un signe d’aggravation de la maladie
sous-jacente.
Par ailleurs, la grossesse par elle-même ne provoque
pas de reprise évolutive d’une néphrose lipoïdique ou de poussée
évolutive d’une glomérulonéphrite chronique primitive : la rechute
d’un syndrome néphrotique antérieur en rémission au moment de
la conception n’est habituellement pas observée au cours de la
grossesse.
La majoration d’une HTA préexistante, traitée ou non, est observée
dans près de 20 % des cas.
L’apparition d’une HTA (pression
artérielle ³ 140/90 mmHg) en cours de grossesse est plus rare,
observée dans 10 à 20 % des cas seulement : l’HTA tend alors soit à
persister après l’accouchement, soit à réapparaître quelques années
plus tard après un retour temporaire à des chiffres tensionnels
normaux.
À long terme, l’apparition d’une HTA permanente
est plus fréquente chez les patientes dont une ou plusieurs
grossesses ont été compliquées d’HTA que chez celles qui étaient
restées normotendues au cours de toutes leurs gestations.
La
grossesse apparaît ainsi comme révélatrice d’une tendance
hypertensive latente, ou comme facteur majorant d’une HTA déjà
établie, ce fait paraissant particulièrement fréquent au cours de la
glomérulonéphrite à IgA ou maladie de Berger.
Comment distinguer maladies rénales liées à la grossesse (toxémie
gravidique) et néphropathies permanentes lorsque les anomalies
sont découvertes pendant la grossesse ?
Schématiquement, la
constatation avant le sixième mois d’une protéinurie associée ou non
à une HTA, aussi bien chez une primipare que chez une multipare,
doit faire suspecter l’existence d’une néphropathie sous-jacente,
surtout si l’apparition ou la majoration de la protéinurie précède
celle de l’HTA, puisque dans la toxémie gravidique pure l’apparition
de l’HTA précède habituellement celle de la protéinurie. De
même, toute prééclampsie de début précoce suggère la possibilité
d’une néphropathie sous-jacente.
Enfin, la persistance d’une
protéinurie ou d’une HTA au-delà de 3 à 6 mois après la fin de la
grossesse suggère aussi vivement l’existence d’une néphropathie
préexistante à la grossesse ou ayant débuté au cours de celle-ci,
mais cette information n’est évidemment obtenue qu’a posteriori.
B - FACTEURS DU PRONOSTIC RÉNAL MATERNEL
:
1- Facteurs de pronostic réservé
:
– Glomérulonéphrite avec lésions histologiques sévères
– Normotension spontanée ou hypertension bien contrôlée
– Fonction rénale normale ou proche de la normale (créatininémie
£ 135 ímol/L)
– Maladie systémique en rémission spontanée ou obtenue par le
traitement
C - FACTEURS DU PRONOSTIC RÉNAL MATERNEL
INFLUENCE DE LA GROSSESSE SUR LA FONCTION
RÉNALE MATERNELLE :
Lorsque leur fonction rénale est normale ou proche de la normale
au moment de la conception, la grossesse n’entraîne pas d’altération
de la fonction rénale maternelle chez les femmes atteintes de
néphropathie primitive.
L’augmentation physiologique de la
filtration glomérulaire, reflétée par la diminution de la créatininémie,
s’observe le plus souvent comme chez la femme normale.
Une
élévation transitoire de la créatininémie peut se produire dans
quelques cas à la fin de la grossesse, notamment chez les patientes
atteintes de glomérulonéphrite primitive, mais elle est le plus
souvent modérée et réversible.
Aucune aggravation irréversible de
la fonction rénale maternelle n’est habituellement observée lorsque
la créatininémie est inférieure à 135 ímol/L au moment de la
conception.
Plusieurs études contrôlées ont établi ce fait rassurant.
Barcelo et al
ont montré que la fréquence d’apparition d’une HTA ou d’une
insuffisance rénale, chez des patientes atteintes de diverses variétés
de glomérulonéphrites primitives, ne différait pas au terme de 5 ans
d’observation entre 48 femmes ayant été enceintes et 36 femmes sans
grossesse.
De même, les valeurs du débit de filtration glomérulaire
initiales et mesurées 5 ans plus tard étaient identiques chez
36 patientes atteintes de glomérulonéphrite à IgA et ayant eu au
moins une grossesse et chez 35 autres n’ayant pas été enceintes.
La preuve la plus convaincante a été apportée par une étude au
long cours portant sur 360 femmes atteintes de différentes variétés
histologiques de glomérulonéphrite, suivies à l’hôpital Necker
pendant une durée moyenne de 15 ans et dont la fonction rénale
était normale au début de la grossesse, avec une créatininémie
inférieure ou égale à 110 ímol/L.
La courbe
actuarielle de survie rénale des 171 patientes ayant eu une
grossesse après le début clinique de la néphropathie ne différait
pas de celle des 189 patientes n’ayant jamais eu de grossesse après
le début apparent de leur maladie rénale.
De plus, une analyse cas-témoins montre que
la grossesse par elle-même n’est pas un facteur de risque de
progression vers l’insuffisance rénale, cette dernière étant déterminée
par le type de la néphropathie et la présence d’une HTA.
En revanche, il en va tout autrement lorsqu’il existe une altération
significative de la fonction rénale au moment de la grossesse.
Celle-ci
peut induire une aggravation anormalement rapide de l’insuffisance
rénale maternelle, par comparaison avec l’évolution habituellement
observée dans le même type de néphropathie chez des femmes
ayant une insuffisance rénale de même degré mais n’ayant pas
entrepris de grossesse.
Ce risque reste faible tant que la créatininémie au moment de la conception ne dépasse pas 160 à
180 ímol/L, mais il augmente nettement au-delà de ce niveau, une
aggravation irréversible de la fonction rénale à l’occasion de la
grossesse survenant alors dans près de 30 % des cas.
Chez les
patientes dont la créatininémie dépasse 300 ímol/L, l’aggravation
est pratiquement constante, obligeant souvent à débuter une dialyse
de suppléance au cours même de la grossesse.
Problèmes posés par la grossesse
dans les différents types
de néphropathies primitives :
Des problèmes spécifiques se posent en fonction de la variété de la
néphropathie en cause.
Ils diffèrent sensiblement selon qu’il s’agit
d’une néphropathie primitive ou d’une atteinte rénale relevant d’une
affection systémique.
A - NÉPHROPATHIES GLOMÉRULAIRES
:
Dans les néphropathies glomérulaires, le pronostic foetal et maternel
est bon lorsqu’il n’existe ni syndrome néphrotique, ni HTA de contrôle difficile, ni altération significative de la fonction rénale au
moment de la conception.
Toutefois, il convient d’être prudent au
cours des glomérulonéphrites déjà évoluées, ce dont témoigne une
protéinurie abondante ou une HTA sévère, résistante à une
bithérapie, surtout lorsque la créatininémie est à la limite supérieure
de la normale.
Cette réserve est particulièrement valable en cas de
glomérulonéphrite à IgA associée à des lésions glomérulaires
segmentaires étendues et à des lésions vasculaires et tubulointerstitielles
marquées à la biopsie rénale.
Les mêmes réserves
s’expriment en cas d’hyalinose segmentaire et focale des glomérules
et, à un moindre degré, en cas de glomérulonéphrite
extramembraneuse en phase néphrotique.
B - NÉPHROPATHIE DU REFLUX
:
La persistance d’un reflux vésico-urétéral à l’âge adulte expose au
risque de pyélonéphrite aiguë, facteur de prématurité. Nombre de
néphropathies du reflux sont d’ailleurs découvertes au cours d’une
grossesse à l’occasion d’une complication pyélonéphritique, ou
d’une HTA sévère.
Il est donc de règle, chez toute femme ayant
présenté une pyélonéphrite aiguë en cours de grossesse, de
rechercher un reflux vésico-urétéral par cystographie rétrograde
après la fin de la grossesse.
Il peut être utile de proposer la
correction chirurgicale d’un reflux vésico-urétéral persistant avant
une future grossesse lorsque des épisodes de pyélonéphrite se sont
produits de manière répétée en dépit d’un traitement antibactérien
soigneusement conduit.
La découverte d’une insuffisance rénale
chronique à l’occasion d’une grossesse est une éventualité
relativement fréquente chez les femmes atteintes de néphropathie
du reflux, cette dernière étant la cause la plus fréquente
d’insuffisance rénale chronique chez les femmes âgées de 20 à 35
ans.
L’hypothèse d’une néphropathie du reflux doit ainsi être
systématiquement évoquée chez une femme jeune ayant une
insuffisance rénale.
C - NÉPHROPATHIES HÉRÉDITAIRES
:
Il est important de fournir un conseil génétique préconceptionnel
aux patientes atteintes de maladies rénales héréditaires.
Un
diagnostic anténatal est d’ores et déjà possible pour plusieurs de ces
maladies, permettant de guider la patiente et son conjoint quant à
l’indication éventuelle d’une interruption thérapeutique de grossesse
qui se discute dans les maladies les plus graves. Des précautions spécifiques
peuvent être utiles dans certaines variétés de néphropathie.
1- Polykystose rénale autosomique dominante
:
Au cours de la maladie polykystique rénale autosomique
dominante, l’insuffisance rénale apparaît rarement avant la
cinquième décennie, si bien que la grossesse pose, la plupart du
temps, peu de problèmes sinon celui d’une HTA éventuelle.
En
cas d’insuffisance rénale préexistante, les facteurs du pronostic sont
les mêmes que ceux définis pour les glomérulonéphrites ou la
néphropathie du reflux.
Il est rare que le volume des reins kystiques
soit tel qu’il constitue une gêne pour la poursuite de la grossesse.
Le nombre de grossesses ne paraît pas avoir d’influence sur la date
de survenue d’une insuffisance rénale terminale.
Avant la
grossesse, une recherche systématique d’anévrisme cérébral à l’aide
de l’angiographie par résonance magnétique nucléaire (angio-IRM)
est souhaitable chez les patientes ayant des antécédents familiaux
d’anévrisme intracrânien.
2- Autres maladies rénales héréditaires
:
Dans la forme classique du syndrome d’Alport, à transmission
dominante liée au chromosome X, un conseil génétique
préconceptionnel est indiqué pour aider les patientes à prendre la
décision d’une grossesse et pour définir leur attitude selon le sexe
de l’enfant, qui conditionne la probabilité d’être atteint ou non de la
même néphropathie, sachant que les filles sont habituellement
transmettrices asymptomatiques ou très modérément atteintes et
que seuls les garçons peuvent être sévèrement atteints.
Dans la sclérose tubéreuse de Bourneville, une hémorragie
rétropéritonéale par saignement d’un angiomyolipome peut
survenir au cours de la grossesse. Dans la maladie de von
Hippel-Lindau, la présence de phéochromocytomes peut entraîner
des complications sévères, notamment lors de l’accouchement.
Il
est indispensable, avant d’envisager une grossesse, de s’assurer, par
dosages hormonaux et tomodensitométrie ou IRM de l’absence de
phéochromocytome, de cancer rénal et d’hémangioblastome du
système nerveux central.
D - LITHIASE URINAIRE
:
La lithiase urinaire étant fréquente, elle peut entraîner des problèmes
chez une femme enceinte.
La grossesse n’augmente pas, par ellemême,
le risque de former des calculs, l’augmentation physiologique
de la charge filtrée de calcium étant compensée par une excrétion
accrue d’inhibiteurs de la cristallisation dans les urines.
Toutefois, des calculs préexistants peuvent migrer dans l’uretère et
compliquer la grossesse.
En cas de difficulté à obtenir l’expulsion
spontanée du calcul malgré la dilatation physiologique des voies
excrétrices, et sachant que la lithotritie extracorporelle par ondes de
choc est contre-indiquée au cours de la grossesse, la technique
généralement adoptée est la mise en place d’une sonde urétérale à
demeure pendant la durée de la grossesse, sous couvert d’un
traitement antibactérien prolongé en utilisant des agents antiinfectieux
inoffensifs pour le foetus, en fonction du terme de la
grossesse.
Chez une femme atteinte de lithiase cystinique, les
dérivés thiolés (D-pénicillamine et tiopronine) doivent être
interrompus dès l’arrêt de la contraception, en raison de leur risque
tératogène.
Néphropathies secondaires
à une maladie systémique :
Au cours des maladies systémiques, le pronostic de la grossesse est
plus réservé qu’au cours des maladies rénales primitives.
En effet,
aux facteurs de risque généraux que constituent la protéinurie,
l’HTA et l’atteinte de la fonction rénale, s’ajoutent les manifestations
extrarénales de la maladie de système et, éventuellement, le risque
de déclenchement d’une poussée évolutive.
A - NÉPHROPATHIE DIABÉTIQUE
:
Au cours du diabète sucré de type I et de type II, en l’absence
d’atteinte rénale patente, les progrès de la diabétologie et de
l’obstétrique sont allés de pair avec une réduction de la prématurité
et du taux de malformations foetales graves ; si une euglycémie a été
obtenue dans la période périconceptionnelle et les 4 premières
semaines de vie embryonnaire, le taux de malformations est
identique à celui de la population générale. Les risques de
macrosomie et d’immaturité pulmonaire sont également atténués
par le bon contrôle glycémique.
Chez la mère, une majoration
de la microalbuminurie est fréquemment observée en cours de
grossesse.
Lorsqu’il existe avant la conception une atteinte rénale
patente définie par une protéinurie supérieure à 0,3 g/j, un
syndrome néphrotique ou surtout une altération de la fonction
rénale, une prééclampsie complique environ la moitié des grossesses
et simultanément le pronostic foetal est plus réservé.
Lorsque
la créatininémie dépasse 130 à 150 ímol/L, c’est-à-dire une valeur
inférieure à la valeur seuil au cours des néphropathies primitives, il
existe un risque élevé d’aggravation irréversible de l’insuffisance
rénale maternelle.
B - NÉPHROPATHIE LUPIQUE
:
Au cours du lupus érythémateux disséminé (LED), la fertilité des
femmes est diminuée pendant les poussées sévères de la maladie et
après usage de cyclophosphamide.
L’aménorrhée prolongée observée après l’usage de ce médicament par voie veineuse est liée
à l’âge et à la dose cumulative.
Dans une série, la proportion
d’aménorrhée avant l’âge de 25 ans est de 0 % si le traitement a
compté moins de huit emboles de cyclophosphamide, 12 % au-delà
de ce seuil, mais s’élève à 62 % chez les femmes âgées de plus de
30 ans.
La grossesse pose un problème tout différent selon qu’il existe ou
non des signes d’activité de la maladie au moment de la conception.
Chez les patientes antérieurement atteintes d’une néphropathie
lupique, même dans sa forme initialement la plus sévère,
proliférative diffuse, le pronostic foetal et maternel est bon et le
risque de reprise évolutive du LED est très faible à condition que la
rémission soit stable depuis au moins 6 mois à 1 an.
En
revanche, lorsque la grossesse survient en période d’évolutivité
lupique, notamment lorsque le LED débute au cours d’une grossesse
ou si celle-ci survient alors que le lupus n’est pas contrôlé, le
pronostic foetal est beaucoup plus réservé, avec un risque élevé de
mort foetale in utero et de prématurité ; le pronostic vital maternel
peut également être mis en jeu.
Dans cette situation, la
corticothérapie à forte dose, éventuellement associée au cyclophosphamide à partir du deuxième trimestre de gestation, peut
permettre d’améliorer le pronostic et d’obtenir la naissance d’un
enfant vivant tout en préservant l’état rénal maternel.
L’influence de la grossesse sur la maladie lupique est plus discutée.
Une poussée lupique est observée environ une fois sur deux, à
n’importe quel terme de la grossesse ou dans le post-partum. Une
fois sur dix il s’agit d’une poussée sévère, éventuellement associée à
une toxémie ou à un syndrome HELLP.
Comme beaucoup, nous
sommes favorables à ce qu’une corticothérapie soit utilisée pendant
la deuxième partie de la grossesse et maintenue pendant 3 à 4 mois
après l’accouchement afin d’éviter une poussée lupique.
Le
consensus n’est pas fait sur la posologie de cette corticothérapie
destinée à prévenir les poussées.
En l’absence de signe clinique
d’évolutivité lupique, 10 mg/j semble une dose appropriée.
Le
risque de bloc auriculoventriculaire foetal ou néonatal chez les
enfants de mère lupique ayant un anticorps anti-Ro (anti-SSA) est
très faible, et ne justifie pas une corticothérapie importante.
En
revanche, le risque de perte foetale chez les lupiques ayant un
syndrome des anticorps antiphospholipides est considérablement
réduit par l’association d’aspirine à faible dose et d’héparine.
C - AUTRES MALADIES DE SYSTÈME
:
Dans les autres maladies de système, notamment au cours des vasculites telles que la maladie de Wegener ou la polyangéite
microscopique, ou au cours de la sclérodermie systémique, le
pronostic de la grossesse est beaucoup plus réservé.
Bien que
quelques succès aient pu être rapportés au prix de traitements
associant des corticoïdes à fortes doses et des immunosuppresseurs,
il paraît préférable de renoncer à la grossesse en période d’activité
de ces maladies.
Les autres faits particuliers concernant les patientes
atteintes de maladies systémiques ont été détaillés dans une revue
générale récente.
Grossesse chez les femmes
insuffisantes rénales,
dialysées ou transplantées :
A - GROSSESSE ET INSUFFISANCE RÉNALE CHRONIQUE
:
Un problème particulièrement difficile est celui des patientes
atteintes d’insuffisance rénale préexistante significative, c’est-à-dire
dont la créatininémie atteint ou dépasse 160 ímol/L au moment de
la conception.
Une évolution foetale favorable, sans risque excessif
d’aggravation de la fonction rénale maternelle, peut être espérée tant
que la créatininémie ne dépasse pas 200 à 220 ímol/L, selon le poids
corporel de la patiente.
Au-delà de ces valeurs, le pronostic, tant
foetal que maternel, est beaucoup plus aléatoire et il apparaît
préférable de déconseiller la grossesse à ce stade.
Toutefois, plusieurs études récentes ont montré que chez des
patientes atteintes d’insuffisance rénale de ce degré, à condition
d’une prise en charge coordonnée entre néphrologues, obstétriciens
et néonatologistes, dans des maternités ayant l’expérience du
traitement de patientes à haut risque, la grossesse pouvait être
couronnée de succès.
Dans une étude récente de
l’hôpital Necker, la survie foetale observée au cours de la période
1986-1995 s’est élevée à 91 % (compte non tenu des avortements
spontanés ou thérapeutiques du premier trimestre), alors qu’elle
était seulement de 65 % au cours de la décennie précédente.
Cependant, si la proportion des morts foetales in utero et de la
mortinatalité a diminué, la proportion des grands prématurés a
augmenté au cours de la période récente, imposant une prise en
charge en unité de soins intensifs néonataux dans plus de la moitié
des cas.
Un risque particulièrement élevé d’aggravation irréversible de la
fonction rénale maternelle existe lorsque la créatininémie dépasse
220 ímol/L, soit une clairance de la créatinine inférieure à
25 mL/min/1,73 m2, notamment lorsque coexistent une HTA et une
protéinurie abondante.
Chez les femmes abordant une grossesse
avec une créatininémie supérieure à 300-400 ímol/L, il n’est pas rare
qu’une dialyse de suppléance, par hémodialyse ou dialyse
péritonéale, doive être instituée au cours même de la grossesse et
soit à poursuivre indéfiniment au-delà, la réversibilité étant rare ou
transitoire.
B - GROSSESSE CHEZ LES FEMMES DIALYSÉES
:
La grossesse chez une femme traitée par dialyse de suppléance est
rare, du fait de la diminution de fertilité associée à l’état urémique.
Toutefois, les progrès de la qualité de l’hémodialyse et de la
dialyse péritonéale de suppléance sont tels que de plus en plus de
femmes dialysées ont, désormais, des cycles ovulatoires, si bien que
la grossesse est actuellement un événement nettement moins
exceptionnel qu’autrefois.
Il en résulte qu’une contraception
appropriée est nécessaire chez les patientes dialysées, pour éviter
une grossesse non planifiée ou non désirée.
Le diagnostic de
grossesse est souvent difficile, du fait des irrégularités menstruelles
fréquentes, et est souvent fait à un stade tardif.
Dans plusieurs cas,
le diagnostic a été porté sur l’apparition d’une résistance apparente
à l’érythropoïétine recombinante (EPO).
Jusqu’à un passé récent, l’évolution de la grossesse chez les patientes
dialysées était le plus souvent défavorable, la proportion des
naissances d’enfants vivants étant inférieure à 20 %.
Toutefois,
deux enquêtes ont fait état d’une proportion de succès de l’ordre de
50 % aux États-Unis et en Belgique au cours des dernières années,
grâce à une prise en charge interactive très étroite entre les équipes
néphrologique et obstétricale, bien qu’une grande prématurité et une
sévère hypotrophie foetale restent très fréquentes :
l’accouchement survient en moyenne entre la 30e et la 32e semaine,
avec un poids de naissance moyen d’environ 1 600 g, en rapport
avec le terme.
L’intensification des hémodialyses, jusqu’à cinq ou
six séances par semaine au lieu des trois séances hebdomadaires
habituelles, ou de la dialyse péritonéale, voire la combinaison
temporaire de ces deux méthodes, est un facteur majeur de succès.
En effet, le taux de l’urée sanguine maternelle doit être
maintenu au-dessous de 15 mmol/L pour éviter le développement
d’un hydramnios attribué à la diurèse osmotique produite par les
reins foetaux, dont la fonction est normale, sous l’effet d’un taux
d’urée sanguine élevé chez la mère, et par conséquent chez le foetus.
L’institution ou le renforcement d’un traitement par EPO permet
d’améliorer le bien-être de la mère et la vascularisation foetale, en
ramenant le taux d’hémoglobine maternel au voisinage de 10-
11 g/dL, en sachant que le besoin en EPO s’accroît d’environ 50 %
en cours de grossesse.
Les modalités pratiques de la prise en
charge d’une dialysée pendant sa grossesse ont été détaillées
récemment, et sont résumées dans l’encadré ci-après.
En
conclusion, bien que des succès plus fréquents aient été relatés, la
grossesse chez une femme dialysée reste très aléatoire dans ses
résultats et très contraignante dans sa réalisation.
Optimisation de la grossesse chez les patientes dialysées
:
* Dialyse prophylactique : urée sanguine< 15 mmol/L (pour éviter
l’hydramnios)
Hémodialyse : quatre à six dialyses par semaine avec tampon
bicarbonate, héparinisation minimale et ultrafiltration lente (pour
éviter hypotension dialytique et contraction extracellulaire)
* Dialyse péritonéale : diminuer le volume des échanges à 1,5 L en
augmentant leur fréquence
* Apport protidique (³ 1,2 g/kg/j) et calorique (30-35 kcal/kg/j)
suffisant, supplémentation en vitamines hydrosolubles
* Adaptation du traitement antihypertenseur
* Correction de l’anémie : supplémentation en fer et en acide
folique ; institution ou renforcement du traitement par
érythropoïétine recombinante, de manière à maintenir
l’hémoglobine entre 10 et 11 g/dL
* Prévention de l’acidose métabolique
* Prévention de l’hypocalcémie par supplémentation en carbonate
de calcium, en évitant toute hypercalcémie en fin d’hémodialyse
* Traitement des contractions prématurées : utilisation des bêtaagonistes
en première intention ; anti-inflammatoires non
stéroïdiens à éviter, ou à utiliser avec précaution et pour une
durée très limitée
* Renforcement du monitorage foetal dès le terme de viabilité atteint.
C - GROSSESSE CHEZ LES FEMMES TRANSPLANTÉES
:
Tout différent est le problème de la grossesse chez les patientes ayant
bénéficié d’une transplantation rénale.
À l’heure actuelle, plusieurs
milliers de grossesses ont été observées chez des patientes
transplantées, plusieurs centaines d’entre elles ayant eu deux
grossesses ou plus.
Sur plus de 3 500 grossesses recensées chez
des patientes porteuses d’un greffon rénal, 93 % des gestations
poursuivies au-delà de la 20e semaine se sont terminées par la
naissance d’un enfant vivant, quoique au prix d’une incidence
élevée de prématurité (50 %) et de retard de croissance foetale (40 %),
avec un pourcentage élevé de nouveau-nés de faible poids.
Comme
dans les néphropathies primitives, l’HTA et le niveau de la fonction
rénale constituent les principaux facteurs du pronostic foetal, la
proportion des issues foetales favorables diminuant nettement
lorsque la créatininémie dépasse 160 ímol/L au moment de la
conception.
Il est à noter qu’aucune incidence anormalement
élevée d’anomalies du développement foetal n’a été observée chez
les nouveau-nés dont la mère était traitée au cours de toute la
grossesse soit par l’azathioprine à une dose ne dépassant pas
2 mg/kg/j ou par la ciclosporine A à une dose n’excédant pas
5 mg/kg/j.
Il est apparu, à l’expérience, que le meilleur
pronostic était obtenu lorsque la grossesse survenait après un
intervalle d’au moins 2 ans après une transplantation réussie.
Conditions optimales pour une grossesse chez les patientes
transplantées
:
* Bon état général depuis au moins 2 ans après la transplantation
* Absence de
signe de rejet du transplant
* Créatininémie inférieure ou égale à 135 ímol/L
* Protéinurie
nulle ou minime
* Normotension ou hypertension modérée et aisément contrôlée
* Absence de dilatation pyélocalicielle
* Traitement immunosuppresseur à dose d’entretien modérée
(prednisone £ 15 mg/j, azathioprine < ou = 2 mg/j, ciclosporine A
< ou = 5 mg/kg/j)
Un fait rassurant est la démonstration, dans plusieurs études
contrôlées, de l’absence d’effet défavorable de la grossesse sur la
fonction du greffon, du moins lorsque la créatininémie au début de
la grossesse est normale ou à peine élevée.
Dans ces
conditions, aucune différence dans l’évolution de la fonction du
greffon n’est apparue entre les femmes ayant eu une ou plusieurs
grossesses et celles n’ayant eu aucune grossesse au cours d’une
période de temps comparable après leur transplantation rénale, avec
des reculs supérieurs à 10 ans.
En revanche, un risque élevé de
détérioration de la fonction du greffon existe lorsque la créatininémie excède 160 ímol/L.
Prise en charge pratique
de la grossesse chez une femme
atteinte de néphropathie :
La principale leçon tirée des études récentes est que toute grossesse
chez une femme atteinte de néphropathie, tout particulièrement
lorsqu’il existe une HTA ou une insuffisance rénale, est une grossesse
à haut risque.
L’optimisation du pronostic foetal et maternel
implique une approche multidisciplinaire, avec prise en charge de
la patiente dans une unité d’obstétrique expérimentée et disposant
d’une unité de néonatologie attenante, en coopération étroite avec
l’équipe néphrologique. Les principales recommandations
concernant le suivi de ces patientes sont résumées ci-dessous.
Règles du traitement et de la surveillance néphro-obstétricale
chez les patientes atteintes de néphropathie
:
* Conseil préconceptionnel, grossesse planifiée
* Prise en charge coordonnée entre néphrologue et obstétricien dès
le début de la grossesse
* Prise en charge en maternité à haut risque avec unité de
néonatologie attenante
* Contrôle optimal des chiffres tensionnels dès la période de la
conception : éviction des inhibiteurs de l’enzyme de conversion et
des diurétiques, utilisation de l’alpha-méthyldopa et des bêta-bloquants.
* Pression artérielle diastolique ciblée entre 80 et 90 mmHg
* Prévention ou correction de l’anémie : supplémentation martiale
et en acide folique (5 mg/j) ; traitement par érythropoïétine
recombinante si l’hémoglobine est inférieure à 9 g/dL
* Prévention de l’acidose métabolique et de l’hypocalcémie
* Apport protéique et calorique adéquat (apport protéique
= 1 g/kg/j en cas d’insuffisance rénale)
* Surveillance régulière de la tension artérielle, de la créatininémie,
de l’urée sanguine et de l’uricémie.
* Institution de la dialyse de
suppléance si la créatininémie excède 400 ímol/L ou si l’urée
sanguine excède 20 mmol/L
* Surveillance foetale renforcée à partir du terme de viabilité foetale
(26e semaine).
* Hospitalisation de la patiente en milieu obstétrical
en cas de majoration de l’HTA ou de contractions prématurées
* Surveillance de la tension artérielle et de la fonction rénale
maternelle dans le post-partum
A - CONSEIL PRÉCONCEPTIONNEL
:
Dans l’idéal, la grossesse doit être planifiée de telle sorte que la
conception se produise à un moment où les risques prévisibles sont
réduits au minimum.
La grossesse peut être autorisée sans arrièrepensée
chez une patiente atteinte de maladie rénale primitive dont
la fonction rénale est normale ou proche de la normale, c’est-à-dire
lorsque la créatininémie est inférieure à 135 ímol/L.
Les patientes
atteintes de maladie de système telle qu’un LED ne doivent
envisager une grossesse qu’après une période de rémission stable,
obtenue après cessation totale des corticostéroïdes ou utilisation
d’une dose quotidienne ne dépassant pas 10 mg, depuis au moins
1 an.
Dans les maladies rénales héréditaires, telles que la polykystose
rénale, et plus encore au cours du syndrome d’Alport ou de la
maladie de von Hippel-Lindau, un conseil génétique
préconceptionnel est souhaitable.
Le problème le plus difficile concerne les patientes ayant une
insuffisance rénale chronique.
Une évolution favorable au plan rénal
et maternel peut habituellement être espérée lorsque la créatininémie
n’excède pas 160 à 180 ímol/L, mais le pronostic tant foetal que
maternel est plus réservé au-delà de cette limite.
La patiente et son
conjoint doivent être clairement et complètement informés des
possibilités et des risques de la grossesse dans ces circonstances.
En
cas d’insuffisance rénale évoluée, il peut être souhaitable de retarder
le projet de grossesse à une date ultérieure, après une
transplantation rénale réussie, de manière à permettre à la patiente
de bénéficier de la plus longue période d’autonomie rénale possible.
Toutefois, lorsqu’une patiente nullipare désire impérativement
tenter une grossesse en dépit d’une insuffisance rénale déjà avancée,
son désir l’emporte souvent et toutes les mesures destinées à
optimiser le déroulement de la grossesse doivent être mises en
oeuvre si elle maintient sa décision, après avoir été informée du
double risque d’échec de l’évolution foetale et de dégradation de sa
fonction rénale avec nécessité d’entreprendre une dialyse de
suppléance avant la date qui aurait été nécessaire en l’absence de
grossesse.
B - DIAGNOSTIC D’UNE NÉPHROPATHIE RÉVÉLÉE
EN COURS DE GROSSESSE :
Le conseil préconceptionnel n’est pas possible lorsque la
néphropathie est découverte ou débute au cours d’une grossesse.
Les signes révélateurs sont la constatation d’une protéinurie, d’un
syndrome néphrotique, d’une HTA et/ou d’une élévation de la
créatininémie.
La conjonction de ces signes peut faire discuter une pré-éclampsie, lorsqu’ils apparaissent en fin de grossesse.
L’échographie rénale permet de reconnaître les anomalies
morphologiques des reins maternels ; le contexte clinique et les
examens de laboratoire spécifiques permettent d’identifier une
maladie de système telle qu’un LED.
En cas de syndrome néphrotique franc découvert au cours des deux premiers trimestres
ou d’insuffisance rénale progressive, une biopsie rénale peut être
utile préférentiellement avant la fin du septième mois pour identifier
la néphropathie responsable et décider si une corticothérapie est
indiquée.
C - TRAITEMENT DE L’HYPERTENSION ARTÉRIELLE
:
Le seul facteur modulable du pronostic foetal étant l’HTA, la
pression artérielle des patientes atteintes de néphropathie doit être
étroitement surveillée.
Une baisse physiologique de la pression
artérielle s’observe dans nombre de cas ; le traitement
antihypertenseur doit alors être temporairement allégé.
Lorsque
l’HTA est présente dès la conception, tous les néphrologues sont
actuellement d’accord pour préconiser son traitement immédiat et
actif, en cherchant à maintenir la pression artérielle systolique audessous
de 160 mmHg et la diastolique entre 80 et 90 mmHg.
Une correction plus poussée expose aux risques d’hypoperfusion
foetale et de retard de croissance intra-utérin, tandis que des chiffres
plus élevés exposent à la prééclampsie.
Le choix des agents antihypertenseurs à utiliser au cours de la
grossesse est important.
L’usage en première intention de
l’alpha-méthyldopa à la dose de 500 à 1 500 mg/j reste recommandé par les
experts, du fait de son innocuité établie par un long usage.
Le labétalol, qui combine une action
alpha et bêta-bloquante, peut également
être utilisé en première intention, seul ou associé à l’alpha-méthyldopa.
Les autres b-bloqueurs tels que le pindolol, le métoprolol,
l’acébutolol ou l’oxprénolol peuvent également être utilisés en
première ou en seconde intention, associés ou non à l’alpha-méthyldopa,
à dose modérée pour éviter de favoriser un retard de croissance
foetale ; un essai a suggéré que l’aténolol favorisait l’hypotrophie
foetale, de sorte que son emploi doit être évité.
L’usage
des inhibiteurs des canaux calciques s’est largement répandu en
raison de leur bonne tolérance maternofoetale apparente.
Leur effet
hypotenseur est possiblement supérieur à celui des bêtabloqueurs.
En fait, les informations précises de pharmacovigilance sur les
conséquences de leur emploi à long terme sont très sommaires.
Notre préférence va à l’usage des anticalciques dont l’effet n’est pas
excessivement brutal, isradipine ou nicardipine par exemple.
En cas
d’HTA particulièrement résistante, leur emploi devient
incontournable.
À l’inverse, la nifédipine sublinguale ne doit pas
être utilisée et les inhibiteurs de l’enzyme de conversion sont
formellement contre-indiqués, en particulier au cours des 2 derniers
trimestres de la grossesse, en raison du risque d’induction d’une
anurie néonatale irréversible.
Les antagonistes des récepteurs
de l’angiotensine II sont également contre-indiqués.
L’usage des
diurétiques doit être restreint aux situations où le volume
extracellulaire est manifestement excessif.
D - PRÉVENTION DE LA PRÉÉCLAMPSIE
:
L’utilisation d’aspirine à faible dose pour prévenir la survenue d’une
prééclampsie surajoutée chez les femmes souffrant de néphropathie
chronique est encore discutable.
Aucune étude prospective
spécifique ne leur a été consacrée.
Cependant, un consensus existe
pour que ce traitement soit proposé aux femmes à haut risque de prééclampsie.
Les experts incluent dans ce groupe les patientes
ayant une néphropathie chronique avec protéinurie, HTA
permanente ou insuffisance rénale.
Le risque de prééclampsie est
particulièrement élevé chez ces patientes si plusieurs de leurs
grossesses antérieures ont été compliquées de retard de croissance
intra-utérin ou de prééclampsie.
À ces femmes, il apparaît légitime
de recommander l’usage d’une faible dose d’aspirine, de l’ordre de
1,5 à 2 mg/kg/j dès la 12e semaine de grossesse. La même
attitude est recommandée chez les diabétiques en cas de
néphropathie ou d’HTA préconceptionnelle.
Les faits particuliers
aux patientes atteintes de syndrome des antiphospholipides primitif
ou associé au LED ont été détaillés plus haut.
E - SURVEILLANCE FOETALE ET DÉLIVRANCE
:
La surveillance régulière de la croissance foetale est fondamentale
chez les patientes atteintes de maladie rénale, en raison du risque
accru de retard de croissance intra-utérin.
Elle implique au
minimum la réalisation d’une échographie entre 12 et 14 SA, puis
entre 22 et 24 SA, et encore entre 32 et 34 SA.
Si un retard de
croissance intra-utérin est décelé, des évaluations répétées de l’état
foetal, comprenant la tococardiographie, l’index amniotique et
l’enregistrement doppler de l’artère ombilicale et des artères
cérébrales du foetus aident à reconnaître une souffrance foetale et à
décider l’extraction foetale.
Il n’existe pas de consensus sur la
fréquence des enregistrements.
L’enregistrement des ondes
artérielles utérines entre la 20e et la 24e semaine de gestation est
utile pour la prédiction du risque de prééclampsie et de retard de
croissance intra-utérin.
Si un accouchement prématuré est
pressenti, l’administration anténatale de glucocorticoïdes pendant
2 jours pour hâter la maturation foetale réduit l’incidence des
détresses respiratoires néonatales, des hémorragies cérébrales et de
la leukomalacie périventriculaire.
Conclusion
:
Les progrès de l’obstétrique, de la néonatologie et de la prise en charge
néphrologique au cours des dernières années se sont traduits par une
amélioration sensible du pronostic foetal et maternel de la grossesse chez
les femmes atteintes de néphropathie.
Les facteurs du pronostic foetal
sont aujourd’hui bien définis et le conseil préconceptionnel permet
d’entreprendre une grossesse dans les meilleures conditions.
L’absence
d’effet délétère de la grossesse sur la fonction rénale maternelle, lorsque
celle-ci est normale ou encore proche de la normale, est bien établie.
Même chez les patientes ayant une insuffisance rénale préexistante, le
pronostic foetal peut être amélioré de manière significative grâce à une
prise en charge coordonnée entre néphrologues et obstétriciens,
condition indispensable d’une évolution favorable.