Volontiers
considérée comme bénigne, elle peut évoluer de façon
redoutable dans certains groupes à risque et prendre, lors
de certaines épidémies, l’allure d’un fléau à l’échelon planétaire
(15 à 20 millions de morts en 1918-1919).
Sous
l’angle virologique, elle illustre, au même titre que le sida
ou l’hépatite C, la très grande plasticité du génome des
virus à ARN.
Épidémiologie
:
A - À l’échelle du virus :
Les virus de la grippe sont dénommés myxovirus influenzæ
et appartiennent à la famille des Orthomyxoviridæ.
Ils comprennent
trois types A, B et C, d’importance décroissante (le type C est surtout responsable d’infections bénignes des
voies aériennes supérieures).
Ce sont des virus à ARN, de
capside hélicoïdale et porteurs d’une enveloppe.
Le génome
est fragmenté en 8 pièces.
L’enveloppe de nature phospholipidique
rend compte de la fragilité du virus dans le
milieu extérieur ; elle est hérissée de 2 types de projections
glycoprotéiques indispensables à l’infectiosité du virus :
l’hémagglutinine et la neuraminidase.
Les anticorps dirigés contre ces structures sont protecteurs.
L’essentiel de la variabilité du virus est portée par ces deux
antigènes.
On distingue des modifications mineures ou
« glissements antigéniques » et des modifications majeures
ou « sauts antigéniques ».
L’encadré 1 illustre les conséquences
de ces 2 types de variations antigéniques.
B - À l’échelle de l’environnement
:
Les virus grippaux sont ubiquitaires et peuvent infecter de
nombreuses espèces animales : porcs, chevaux, oiseaux
(peste aviaire)…
Les virus grippaux sont spécifiques d’espèce
: les souches qui infectent les animaux sont non pathogènes
pour l’homme et vice-versa.
Cependant, des réarrangements
entre génomes de souches humaines et
animales peuvent conduire à l’émergence de nouvelles
souches pathogènes pour l’homme.
Ainsi, on vient de
démontrer que le virus responsable de l’épidémie de grippe
espagnole avait une hémagglutinine très proche de celle
des souches porcines.
De même, en 1997, à Hong-Kong,
un jeune garçon est décédé d’une grippe
A dont le virus
présentait une hémagglutinine d’un type nouveau d’origine
aviaire.
C - À l’échelle de l’homme :
1- Mode de transmission :
La transmission de la grippe est essentiellement interhumaine
et directe, par le biais d’aérosols de gouttelettes
d’origine salivaire ou respiratoire.
Son extrême contagiosité
est liée au fait qu’un inoculum minime est suffisant pour provoquer une infection chez un sujet réceptif.
La
transmission indirecte, par des objets contaminés ou par
voie manuportée, est possible, en particulier dans les lieux
de soins (infections nosocomiales).
2- Diffusion :
• Pandémies : elles concernent seulement le type A
(encadré I).
Elles débutent en général dans le continent asiatique
et s’étendent rapidement aux autres parties du monde,
avec un taux de mortalité très élevé.
Elles surviennent de
façon périodique, tous les 10-20 ans environ. On a dénombré
7 grandes pandémies depuis le début du siècle, la dernière
remontant en 1977 (« grippe russe »).
• Épidémies : elles surviennent sur un mode annuel, avec
de très grandes différences d’amplitude d’une année à
l’autre ; plusieurs souches de virus grippaux appartenant à
différents types ou sous-types peuvent circuler simultanément
ou successivement la même année.
Dans les pays tempérés
la grippe A a une très nette recrudescence hivernale
alors que la grippe B se voit plus souvent au printemps.
Il
faut également insister sur les cas sporadiques et sur les
nombreuses infections inapparentes qui jouent un rôle
essentiel dans la diffusion du virus et dans l’entretien du
réservoir humain.
3- Coût individuel et socio-économique
:
Le nombre de décès annuel par grippe est estimé en
moyenne à 10 000 aux États-Unis et à 1 500 en France, mais
ce chiffre peut s’élever considérablement (18 000 décès en
France entre décembre 1969 et janvier 1970, dont 80 %
chez les sujets âgés de plus de 65 ans).
Sous l’angle socio-économique, on a pu estimer le coût
annuel de la grippe comme suit : 1 milliard de francs pour
les soins ambulatoires et à domicile, 80 millions de francs
pour les frais hospitaliers et 3 milliards de francs liés à l’absentéisme
à la charge de la Sécurité sociale.
4- Populations à risque :
La grippe s’observe avec la plus grande fréquence chez les
sujets jeunes dépourvus d’immunité antigrippale.
En terme
de gravité, la grippe est redoutée aux 2 extrêmes de la vie
(nourrissons et surtout sujets âgés), chez les sujets porteurs
de tares organiques (insuffisance cardiorespiratoire, bronchite
chronique, emphysème, asthme, mucoviscidose, diabète…),
chez les sujets présentant une immunodépression
(quelle qu’en soit la cause) et chez la femme enceinte.
Diagnostic :
A - Diagnostic positif :
1- Forme typique : la grippe commune
L’incubation dure en moyenne 48 heures avec des extrêmes
de 1 à 4 jours.
Le début est très brutal avec installation
d’emblée du syndrome grippal : fièvre élevée souvent supérieure
à 39 °C, frissons, malaise général, asthénie, douleurs
variées (céphalées, myalgies, courbatures, rachialgies,
voire arthralgies).
La phase d’état se caractérise par la persistance de l’atteinte
de l’état général et du syndrome douloureux et l’apparition
d’un syndrome catarrhal des voies respiratoires supérieures
d’intensité variable qui peut comporter une hyperhémie
conjonctivale, une rhinorrhée, un énanthème pharyngé, une
laryngite se traduisant par une toux sèche et douloureuse
(ce dernier signe est presque constant).
En dehors de
quelques ronchus ou sibilances, l’examen clinique est sans
particularités.
La radiographie pulmonaire est normale ou subnormale avec de discrètes opacités hilifuges hétérogènes.
L’hémogramme
– inutile en pratique
– pourrait montrer
un aspect normal, une leuconeutropénie, une lymphopénie
ou une polynucléose même en l’absence de
surinfection bactérienne.
L’évolution est rapidement résolutive avec disparition de
la fièvre et de l’ensemble des signes d’accompagnement
en 2 à 4 jours ; une petite réascension thermique passagère
– bien inconstante
– réalise le classique V grippal. L’asthénie
rétrocède plus lentement.
2- Formes symptomatiques :
• Les formes atténuées ou inapparentes sont très fréquentes
et jouent un rôle majeur dans la dissémination de
la maladie (en particulier dans les lieux de soins).
• Les formes pleuropulmonaires sont également habituelles
; il peut s’agir :
– de pneumopathies atypiques caractérisées par une toux
et une petite expectoration muqueuse, des signes physiques
très discrets contrastant avec l’importance des signes radiologiques
à type d’opacités systématisées, bilatérales, asymétriques
et hétérogènes ; l’évolution est favorable spontanément
en 2 à 3 semaines ;
– d’épanchements pleuraux, en général associés à la pneumopathie,
parfois isolés à type de pleurésie sérofibrineuse ;
– très exceptionnellement d’un pneumothorax d’évolution
bénigne.
• Les autres formes symptomatiques sont rares mais trompeuses
:
– formes digestives avec douleurs abdominales, vomissements,
diarrhée, réalisant la « grippe intestinale » ne pouvant
être rattachées à une étiologie grippale que dans un
contexte épidémique ;
– formes méningées à type de méningite lymphocytaire
bénigne ;
– formes cardiaques à type de péricardite aiguë, voire de
myocardite ;
– formes cutanées à type d’érythème morbilliforme ou scarlatiniforme
;
– formes avec myalgies, en particulier chez l’enfant.
3- Formes graves :
• Complications respiratoires : elles sont au premier plan
pour expliquer la surmortalité due à la grippe.
– Conditions de survenue
Sont particulièrement exposés les sujets dont l’équilibre
hémodynamique et respiratoire est précaire :
. cardiopathies congénitales et mucoviscidose chez l’enfant,
. grossesse, valvulopathie chez l’adulte jeune,
. cardiopathie aiguë, insuffisance respiratoire chez le sujet
âgé.
Néanmoins, ces complications respiratoires graves peuvent
survenir chez un sujet en pleine santé.
Un à deux
jours après le début d’une grippe banale, apparaît une
défaillance respiratoire aiguë (avec ou sans expectoration
mousseuse sanglante), une altération majeure de l’état
général avec fièvre élevée et des troubles de la conscience
pouvant aller jusqu’au coma.
La radiographie pulmonaire
objective un oedème extensif.
Sous l’angle biologique, on
note une hyperleucocytose (même en l’absence de surinfection)
et un syndrome d’hypoxie avec acidose hypercapnique.
L’évolution est habituellement fatale malgré les
mesures de réanimation.
– Grippe surinfectée
Le virus grippal, par son action destructrice sur les épithéliums
respiratoires, favorise la greffe de surinfections bactériennes,
d’autant plus fréquentes et graves qu’elles surviennent
sur un terrain respiratoire fragile.
On observe :
. des surinfections ORL (sinusites, laryngites, otites), surtout
chez l’enfant,
. des suppurations bronchiques, particulièrement sévères
en cas d’insuffisance respiratoire chronique,
. des pleurésies purulentes, volontiers enkystées, au décours
de l’épisode grippal, à l’origine de séquelles tardives,
. des pneumonies bactériennes, extrêmement fréquentes,
mettant en jeu des germes de la flore oro-pharyngée
(Hæmophilus influenzæ, Streptococcus pneumoniæ, Staphylococcus
aureus…), voire des bacilles à Gram négatif
(Klebsiella pneumoniæ, Pseudomonas aeruginosa…) ;
elles peuvent être concomitantes de la pneumonie atypique
grippale mais, le plus souvent, elles sont retardées de 6 à
8 jours ; elles réalisent un syndrome de condensation clinique
et radiologique et s’accompagnent d’une hyperleucocytose
marquée ; leur pronostic est considérablement
amélioré par un traitement antibiotique adapté.
L’encadré 3
compare ces pneumonies bactériennes à la pneumopathie
virale décrite plus haut, les deux pathologies pouvant
d’ailleurs s’associer.
• Autres complications : elles sont beaucoup plus exceptionnelles
:
– complications neurologiques à type de méningoencéphalite
ou de polyradiculonévrite (aux États-Unis, une épidémie
de syndromes de Guillain et Barré avait fait suite à
une campagne de vaccination ; il semble que cette complication
ait été consécutive à une purification insuffisante du
vaccin) ;
– myocardite ;
– cytolyse hépatique et insuffisance rénale fonctionnelle ;
– myosite avec rhabdomyolyse et myoglobinurie, en particulier
chez l’enfant avec le type B ; la récupération se fait
habituellement sans séquelles ;
– syndrome de Reye associant une encéphalopathie oedémateuse
et une dégénérescence graisseuse du foie ; ce syndrome,
de pronostic redoutable, serait dans 10 % des cas
consécutif à une infection grippale, en général de type B ;
on discute le rôle d’une perturbation transitoire des
enzymes mitochondriales hépatiques.
4- Formes selon le terrain
:
Chez le nourrisson, la grippe est plus rare que d’autres
viroses ; elle peut se traduire par une rhinopharyngite banale
ou par une forme plus sévère : laryngite ou laryngotrachéite,
bronchiolite, bronchopneumopathie dyspnéisante.
La
fièvre peut être à l’origine de convulsions hyperthermiques.
Chez la femme enceinte, la fréquence des grippes graves
est très augmentée.
La grippe est responsable d’avortements
spontanés au premier trimestre de la grossesse ; son
rôle tératogène n’est pas établi.
Les vaccinés peuvent avoir une grippe atténuée.
B - Diagnostic différentiel :
Le diagnostic de grippe est souvent posé de façon abusive
car la clinique est insuffisante pour affirmer l’origine
grippale d’un syndrome parfois peu spécifique.
Il existe
en effet de nombreuses autres maladies infectieuses qui
peuvent simuler la grippe, au moins dans leur phase initiale
: fièvre typhoïde, méningite aiguë, endocardite, leptospirose,
septicémie, paludisme, etc.
En se retranchant
derrière le diagnostic de grippe, en particulier dans un
contexte épidémique, on risque de méconnaître de telles
affections qui nécessitent un traitement spécifique parfois
urgent.
En dehors de la grippe, il existe de nombreuses viroses pouvant
associer des signes généraux et une atteinte respiratoire
plus ou moins marquée ; les agents en cause sont les virus parainfluenzæ, le virus respiratoire syncytial, les adénovirus,
les rhinovirus, les entérovirus, etc.
En cas de pneumopathie atypique, il faut évoquer les bactéries
à tropisme intracellulaire pour lesquelles il existe un traitement
antibiotique : Mycoplasma pneumoniæ, Chlamydia
pneumoniæ, Legionella pneumophila ou Coxiella burnetii.
C - Diagnostic étiologique
:
Les examens virologiques sont indispensables pour poser
le diagnostic précis de grippe dans les formes graves ; ils
sont également utiles pour confirmer les premiers cas d’une
épidémie, en particulier sous l’angle épidémiologique.
Les prélèvements (écouvillonnage nasal profond ou lavage
rhinopharyngé) doivent être réalisés dans les premiers jours
car le virus disparaît rapidement de l’arbre respiratoire
supérieur.
En quelques heures, les antigènes du virus grippal
peuvent être décelés par immunofluorescence ou par
technique immunoenzymatique à l’aide d’anticorps monoclonaux,
permettant un diagnostic de type ou de sous-type.
La culture cellulaire, plus lente et délicate, est surtout utile
pour l’épidémiologie et la mise à jour des vaccins.
Les techniques
d’amplification génomique (PCR) sont encore expérimentales
dans le diagnostic de la grippe mais s’avèrent
prometteuses.
Le sérodiagnostic repose sur une variation significative du
titre des anticorps entre 2 sérums prélevés à 2 ou 3 semaines
d’intervalle.
La fixation du complément et l’inhibition de
l’hémagglutination sont les techniques les plus utilisées.
Il
faut connaître l’existence de résultats faussement négatifs
chez le jeune enfant.
Traitement :
Il n’existe pas de traitement curatif spécifique de la grippe,
en dehors de la ribavirine antiviral actif sur un large spectre
de virus à ARN, qui peut s’avérer utile dans les grippes
malignes.
L’amantadine n’a pas d’effet à titre curatif.
Dans la forme commune, on recommande le repos au lit,
une bonne hydratation et on prescrit des salicylés contre la
fièvre et le syndrome algique et éventuellement un sédatif
de la toux.
Les antibiotiques à titre prophylactique ne sont justifiés
que chez le sujet âgé ou porteur de tare ; on préconise un
macrolide ou une bêtalactamine par voie orale.
Les formes
surinfectées doivent faire l’objet d’une antibiothérapie
adaptée selon les résultats de l’examen bactériologique des
expectorations.
Les formes pulmonaires graves nécessitent une prise en
charge de réanimation respiratoire.
Prévention
:
A - Prévention non spécifique :
1- Surveillance épidémiologique :
Dans le but d’isoler et d’identifier le plus rapidement possible
les virus faisant l’objet de variations antigéniques, la
grippe fait l’objet d’une surveillance épidémiologique
constante en différents points du globe.
Deux centres internationaux,
l’un à Londres, l’autre à Atlanta (Géorgie, États-
Unis), colligent l’ensemble des données.
La France est
découpée en 2 secteurs sous la responsabilité de 2 centres
nationaux à l’Institut Pasteur de Paris et à Lyon.
Les différents
indicateurs utilisés pour cette surveillance sont :
– le pourcentage de sujets présentant un syndrome grippal
dans une population visitée par des médecins sentinelles ;
– le recueil de données virologiques à partir des laboratoires
hospitaliers de virologie ;
– la consommation d’antibiotiques, bien corrélée avec la
progression des épidémies de grippe ;
– l’absentéisme dans certaines collectivités (écoles, entreprises)
déclaré par les médecins scolaires ou du travail.
2- Mesures d’hygiène :
Compte tenu de sa grande contagiosité et de son incubation
très courte, la grippe est difficile à maîtriser par des
mesures d’hygiène classiques.
En milieu hospitalier, il
convient de procéder à un isolement des patients de type
« gouttelettes » préconisant l’utilisation d’un masque par
le personnel pour les soins rapprochés ; pour prévenir la
transmission manuportée, une hygiène correcte des mains
est exigée.
Une sectorisation des patients infectés, toujours
souhaitable, est difficile en cas d’épidémie.
B - Prévention spécifique :
1- Antiviraux
:
À titre préventif l’amantadine et la rimantadine possèdent
un certain intérêt lors des épidémies dues au virus de la
grippe A (voir encadré).
2- Vaccination
:
C’est la clé de la prophylaxie antigrippale.
Les modalités
de cette vaccination sont définies dans l’encadré correspondant.
L’efficacité de ce vaccin – en terme de séroconversions
– est estimée à 70 % chez le sujet jeune.
Au fil
des années, la réponse humorale diminue mais le vaccin
conserve un pouvoir protecteur satisfaisant, même chez le
grand vieillard, sans doute du fait de la répétition annuelle
des injections et peut-être du rôle adjuvant mal connu de
l’immunité cellulaire. Les limites des vaccins actuels sont
liées aux facteurs suivants :
– variabilité des antigènes viraux nécessitant un réajustement,
toujours a posteriori, des souches qui composent le
vaccin ;
– fragilité de l’immunité conférée par les virus grippaux et
a fortiori par les vaccins ;
– difficulté de susciter une protection locale, au niveau du
site de l’infection, pour une maladie virale qui reste en
général localisée à l’appareil respiratoire.
Les voies de recherche concernant les vaccins antigrippaux
sont multiples :
– vaccins préparés sur cultures cellulaires ;
– vaccins à base de mutants atténués thermostables (ts) ou
adaptés au froid (ca) ;
– vaccins recombinants ;
– vaccins à base de peptides de synthèse ou d’ADN nu ;
– vaccination par voie intranasale.
Quelle que soit la stratégie privilégiée dans les années à
venir, il est sûr que l’éradication de la grippe dans l’espèce
humaine ne peut passer que par la vaccination généralisée ;
Dans cette attente, la protection