Introduction
:
Le foie cardiaque désigne l’ensemble des lésions hépatiques
déterminées par des cardiopathies, qu’elles soient aiguës ou
chroniques.
Ces lésions peuvent être secondaires à une congestion
(foie congestif), à une diminution du débit sanguin hépatique
secondaire à la diminution du débit cardiaque (foie ischémique), ou
à l’association des deux.
Les manifestations du foie cardiaque sont
le plus souvent indissociables des manifestations hépatiques
observées au cours des états de choc (foie de choc) dont l’origine
n’est pas cardiaque (choc septique, choc anaphylactique ou choc
hémorragique).
Lorsque l’état de choc est secondaire à une
insuffisance cardiaque (choc cardiogénique), on peut parler
indifféremment de foie cardiaque ou de foie de choc.
Dans la littérature francophone, les termes « hépatite ischémique »
et « hépatite hypoxique » sont fréquemment utilisés pour désigner
les manifestations du foie cardiaque.
Dans la littérature anglosaxonne,
la terminologie équivalente est « ischemic hepatitis » ou
« hypoxic hepatitis ».
En fait, cette terminologie est inappropriée car
les lésions observées au cours du foie cardiaque ne correspondent
pas à celles d’une hépatite.
En effet, « l’hépatite », qu’elle soit aiguë ou chronique, désigne des lésions du parenchyme hépatique
caractérisées par une réaction inflammatoire avec des infiltrats
cellulaires périportaux et/ou centrolobulaires.
Les lésions du foie
cardiaque, à l’inverse, sont peu ou pas inflammatoires.
Dans la
suite de ce texte, nous utilisons donc la terminologie suivante :
ischémie hépatique, hypoxie hépatique ou foie cardiaque.
Physiopathologie
:
Le débit sanguin hépatique représente environ 25 % du débit
cardiaque.
Trente pour cent environ du volume du foie est
représenté par du sang.
Le foie a la particularité d’avoir un double
apport sanguin : l’artère hépatique et la veine porte.
À l’état normal,
20 à 30 % du flux sanguin hépatique proviennent de l’artère
hépatique et 70 à 80 % proviennent de la veine porte.
La saturation
en oxygène du sang de l’artère hépatique est identique à celle des
autres artères de l’organisme : entre 98 et 100 % à l’état normal.
La
saturation en oxygène du sang de la veine porte est plus basse :
entre 65 et 90 % à l’état normal et à jeun.
Elle diminue en période
postprandiale.
La régulation du flux artériel hépatique est assurée par :
– une autorégulation artérielle myogène, caractérisée par une
vasoconstriction de l’artère hépatique lorsque la pression artérielle
s’accroît et par une vasodilatation lorsqu’elle diminue ;
– une régulation réciproque, caractérisée par une vasodilatation de
l’artère hépatique lorsque le flux sanguin portal diminue et par une
vasoconstriction lorsque le flux sanguin portal augmente.
Expérimentalement, l’augmentation du débit sanguin artériel peut
compenser une baisse du débit sanguin portal de 25 % environ.
En période postprandiale, l’augmentation du débit sanguin portal
ne s’accompagne pas d’une diminution du débit sanguin artériel.
Dans cette situation, l’absence de vasoconstriction artérielle malgré
l’élévation du débit sanguin portal suggère la présence d’agents
vasodilatateurs susceptibles d’inhiber la régulation réciproque portoartérielle.
La perfusion veineuse du foie est liée à l’existence d’un gradient de
pression entre la veine porte et les veines sus-hépatiques.
Ce
gradient de pression, qui à l’état normal est inférieur à 5 mmHg,
détermine la pression de perfusion hépatique.
Une augmentation
isolée de la pression dans les veines sus-hépatiques s’accompagne
d’une diminution de la pression de perfusion hépatique et donc
d’une diminution du débit sanguin portal.
À l’inverse du flux
sanguin artériel, le flux sanguin portal ne subit pas de régulation
réciproque.
Ainsi, une diminution du débit sanguin artériel n’est pas
compensée par une augmentation du débit sanguin portal.
Les hépatocytes sont des cellules dont les capacités métaboliques
sont élevées.
Ces cellules contiennent de nombreuses mitochondries
dont le fonctionnement nécessite l’apport constant d’une quantité
importante d’oxygène.
En circulant de la région portale vers la
région centrolobulaire, le sang délivre l’oxygène aux hépatocytes qui
bordent les capillaires sinusoïdes.
Lorsqu’il atteint la région centrolobulaire, le sang est appauvri en oxygène.
Ainsi, les
hépatocytes proches de la région centrolobulaire sont plus sensibles
à l’hypoxie que les hépatocytes proches des espaces portes.
Les troubles cardiocirculatoires peuvent occasionner des lésions
hépatocytaires dans deux circonstances distinctes.
Il peut s’agir soit
d’une congestion, soit d’un défaut d’apport d’oxygène.
Un défaut
d’apport d’oxygène au foie peut lui-même résulter d’une diminution
du débit sanguin hépatique, d’une désaturation du sang destiné au
foie, ou des deux en même temps.
L’expérience clinique suggère que la nécrose massive
des hépatocytes, parfois responsable d’une insuffisance hépatique
aiguë, survient préférentiellement lorsqu’il existe en même temps
une congestion et une diminution de l’apport d’oxygène au foie.
Toutefois, cette hypothèse n’est pas clairement démontrée.
Étiologie
:
Toutes les cardiopathies qui peuvent s’accompagner d’une
augmentation significative des pressions dans les cavités droites
(congestion) et/ou d’une diminution du débit cardiaque, donc du
débit sanguin hépatique, peuvent également être à l’origine d’un
foie cardiaque.
On estime que parmi les malades qui ont un foie
cardiaque, 90 % environ ont une cardiopathie chronique et 10 %
environ ont une cardiopathie aiguë.
Les résultats de certaines
séries ont suggéré que les malades ayant des manifestations de foie
cardiaque en rapport avec une cardiopathie chronique avaient plus
fréquemment une insuffisance cardiaque gauche qu’une insuffisance
cardiaque droite.
Les résultats d’autres séries, au contraire, ont
suggéré qu’il s’agissait plus fréquemment d’insuffisance cardiaque
droite.
Il semble en fait que le foie cardiaque résulte le plus
souvent d’une insuffisance cardiaque globale.
L’insuffisance cardiaque droite peut être la conséquence d’une
insuffisance respiratoire chronique (coeur pulmonaire chronique),
d’embolies pulmonaires, d’une hypertension artérielle
pulmonaire primitive, ou de valvulopathies.
Parmi les valvulopathies, les atteintes mitrales sont plus fréquentes que les
atteintes tricuspides.
Les valvulopathies mitrales sont le plus
souvent secondaires à un rhumatisme articulaire aigu, alors que les
atteintes tricuspides sont principalement la conséquence d’anomalies
congénitales ou d’endocardites chez des toxicomanes.
Le plus
souvent, l’insuffisance cardiaque droite s’installe à la suite d’une
insuffisance cardiaque gauche, et elle entre alors dans le cadre d’une
insuffisance cardiaque globale.
Exceptionnellement, elle peut être
liée à une tumeur de l’oreillette droite.
L’insuffisance cardiaque gauche peut être la conséquence de
cardiopathies hypertensives, de cardiopathies ischémiques,
d’insuffisance ou de rétrécissement aortique et, plus rarement, de
cardiomyopathie aiguë.
Il est important de noter qu’au cours de
l’insuffisance cardiaque gauche, il peut exister un oedème
pulmonaire et par conséquent une hypoxémie qui contribue à la
diminution de l’apport d’oxygène au foie.
Chez les malades ayant une cardiopathie chronique, les
manifestations du foie cardiaque surviennent fréquemment à
l’occasion d’une décompensation brutale, liée par exemple à un
trouble du rythme (fibrillation ou flutter auriculaire, bloc auriculoventriculaire, dysfonctionnement nodal, tachycardie
auriculaire ou ventriculaire) ou à un infarctus du myocarde.
Les
cardiopathies chroniques peuvent être décompensées par des
affections non cardiaques telles que des infections bactériennes ou
une embolie pulmonaire.
Si les manifestations du foie cardiaque sont
sévères, et bien qu’il s’agisse à l’origine d’une cardiopathie
chronique, il peut apparaître une insuffisance hépatique aiguë.
Manifestations
:
Les manifestations du foie cardiaque sont liées d’une part aux
conséquences hépatiques de l’insuffisance cardiaque et d’autre part
aux anomalies cardiocirculatoires sous-jacentes.
Il est important de
noter que les manifestations cardiaques et hépatiques peuvent être
décalées dans le temps.
Ainsi, les manifestations hépatiques peuvent
être au premier plan, évoquant alors une hépatite aiguë.
Il est
donc essentiel de reconnaître précocement les manifestations du foie
cardiaque afin de ne pas méconnaître l’affection cardiaque
sous-jacente.
Chez les malades ayant un foie cardiaque, l’examen clinique permet
dans 75 % des cas environ de retrouver une dyspnée, des oedèmes
des membres inférieurs ou d’autres signes d’insuffisance cardiaque
apparus dans les jours qui précèdent les manifestations
hépatiques.
Lorsque la cardiopathie sous-jacente n’est pas connue,
le diagnostic de foie cardiaque peut être difficile.
L’apparition récente d’une altération de l’état général, de nausées, de douleurs
de l’hypocondre droit ou d’un ictère égare parfois le diagnostic et
retarde la mise en route d’un traitement adapté de la cardiopathie
sous-jacente.
A - MANIFESTATIONS HÉPATIQUES
:
Les manifestations hépatiques du foie cardiaque varient selon qu’il
existe ou non une congestion et selon qu’il existe ou non une
insuffisance hépatique.
1- Clinique
:
Lorsqu’il existe une congestion, conséquence d’une insuffisance
cardiaque droite ou globale, les manifestations associent une
hépatomégalie, des hépatalgies et un reflux hépatojugulaire.
Les
hépatalgies sont caractérisées par des douleurs de l’hypocondre
droit, spontanées ou déclenchées par la palpation et aggravées par
l’effort.
Le reflux hépatojugulaire doit être recherché, chez un malade
en position demi-assise, en appliquant une pression manuelle
constante sur l’hypocondre droit pendant 10 secondes environ.
Pendant la compression, ainsi qu’au cours de plusieurs cycles
cardiaques après l’arrêt de celle-ci, on observe une turgescence des
veines jugulaires externes.
On peut également observer un
comblement du triangle de Sédillot, traduisant la turgescence de la
veine jugulaire interne.
En plus de l’hépatomégalie, des hépatalgies
et du reflux hépatojugulaire, des manifestations non spécifiques
telles qu’une anorexie ou des nausées sont fréquemment observées.
Lorsque la maladie s’est installée brutalement, ce qui est le cas
le plus souvent, l’ictère est absent ou discret.
Une ascite est présente
dans 25 % des cas environ.
Il s’agit d’une ascite riche en protides et
parfois, hémorragique.
2- Biologie
:
Au cours du foie cardiaque congestif, les anomalies biologiques
restent le plus souvent modérées.
Moins de 30 % des malades ont
une augmentation des transaminases.
L’augmentation des
transaminases prédomine sur l’aspartate aminotransférase (ASAT),
et ne dépasse souvent pas deux fois la limite supérieure de la
normale.
L’activité de la gammaglutamyl-transpeptidase (c-GT) est
augmentée dans 30 à 60 % des cas et atteint en moyenne 1,5 à 2 fois
la limite supérieure de la normale.
De même, l’activité de la
phosphatase alcaline est augmentée dans 30 à 50 % des cas et atteint
1,2 à 1,5 fois la limite supérieure de la normale.
La bilirubinémie est
souvent élevée. Elle peut dépasser 50 µmol/L, en particulier lorsque
l’index cardiaque est inférieur à 1,5 L/min/m2.
Chez les malades
qui ont une insuffisance cardiaque grave, l’albuminémie peut être
abaissée.
Une baisse des facteurs de la coagulation, traduisant une
insuffisance hépatique, une coagulopathie de consommation ou
l’association des deux, est observée chez 25 % des malades environ.
3- Imagerie et autres explorations
:
L’échographie abdominale peut mettre en évidence une
hépatomégalie homogène et parfois une dilatation des veines sushépatiques,
traduisant la congestion.
Il est parfois possible de mettre
en évidence une distension de la veine cave inférieure.
En cas de
congestion sévère, le signal doppler dans les veines sus-hépatiques
est caractérisé par flux systolique inversé.
Une étude récente
suggère que l’enregistrement du signal doppler dans la veine porte
pourrait constituer un marqueur de gravité au cours de l’insuffisance
cardiaque.
En effet, une diminution du ratio de pulsatilité semble
significativement corrélée au degré de l’insuffisance cardiaque et à
la congestion hépatique.
S’il est réalisé, un cathétérisme veineux
peut mettre en évidence une élévation de la pression dans l’oreillette
droite et dans les veines sus-hépatiques, traduisant également une
congestion.
La pression sus-hépatique bloquée, reflet de la pression
dans les capillaires sinusoïdes, est élevée.
Toutefois, à l’inverse de ce
que l’on observe chez les malades atteints de cirrhose, il n’existe pas
d’élévation du gradient de pression sinusoïdal hépatique (c’est-àdire
du gradient entre la pression sus-hépatique libre et la pression
sus-hépatique bloquée, normalement inférieur à 5 mmHg).
L’absence
d’élévation des pressions droites ne permet pas d’écarter une
congestion transitoire, qui a disparu au moment de l’examen.
4- Formes aiguës
:
Lorsque le foie cardiaque s’accompagne d’une insuffisance
hépatique aiguë, les transaminases sont constamment élevées.
Elles
sont parfois supérieures à 100 fois la limite supérieure de la normale.
L’élévation des transaminases est brutale et le pic sérique apparaît
dans les 24 à 48 heures qui suivent l’événement hémodynamique
causal.
Si l’anomalie hémodynamique est corrigée, la diminution des
transaminases est rapide. L’activité de l’ASAT est habituellement
supérieure à celle de l’alanine aminotransférase (ALAT).
La
diminution de l’ASAT est plus rapide que celle de l’ALAT, qui se
normalise en 10 jours environ. Ainsi, lorsque les malades sont
vus tardivement après l’événement hémodynamique causal,
l’activité de l’ALAT peut être supérieure à celle de l’ASAT.
Il peut
également exister une élévation brutale et transitoire des lacticodéshydrogénases (LDH).
Il a été suggéré qu’un rapport ALAT/LDH inférieur à 1,5 pourrait permettre de différencier
l’insuffisance hépatique qui accompagne le foie cardiaque de celle
qui peut accompagner une hépatite virale.
Il peut exister une
élévation modérée et non spécifique de l’activité de la GGT.
L’activité de la phosphatase alcaline est habituellement normale ou
discrètement augmentée.
De même, la bilirubinémie est
habituellement normale ou modérément élevée. Ainsi, dans une
série de 142 épisodes d’hypoxie hépatique, la bilirubinémie ne
dépassait 17 µmol/L que dans 3,5 % des cas environ.
L’augmentation de la créatininémie, témoin des conséquences
rénales du trouble cardiaque causal, est quasi constante.
Ainsi,
l’absence d’insuffisance rénale est un argument devant remettre en
question le diagnostic de foie cardiaque, même si elle ne permet pas
de l’exclure formellement.
Il peut exister une augmentation des
créatines phosphokinases (CPK) traduisant l’ischémie musculaire.
S’il est pratiqué, l’examen tomodensitométrique met en évidence des
anomalies comparables aux anomalies échographiques, avec une
hépatomégalie homogène, une dilatation des veines sus-hépatiques
et de la veine cave inférieure.
Après injection de produit de
contraste, le rehaussement hépatique peut être inhomogène avec un
aspect en mosaïque.
L’examen tomodensitométrique du foie n’est
pas nécessaire pour faire le diagnostic de foie cardiaque.
De plus,
l’injection de produit de contraste iodé est fortement déconseillée
lorsqu’il existe une insuffisance rénale, car elle risque de l’aggraver.
B - MANIFESTATIONS CARDIAQUES
:
Elles varient en fonction de la nature de la cardiopathie causale.
Au cours de l’insuffisance cardiaque droite décompensée, les
principales manifestations sont une turgescence jugulaire spontanée,
des oedèmes des membres inférieurs, ainsi qu’une hépatomégalie
lisse et douloureuse à la palpation.
En cas d’insuffisance tricuspide,
on peut exceptionnellement percevoir une expansion systolique du
foie.
Au cours de l’insuffisance cardiaque gauche décompensée, les
principales manifestations sont une tachycardie, une dyspnée et une
orthopnée.
L’auscultation pulmonaire peut retrouver des râles
crépitants bilatéraux traduisant un oedème pulmonaire.
Lorsque des troubles du rythme paroxystiques ont été à l’origine de
l’insuffisance cardiaque, on peut retrouver à l’interrogatoire la notion
de palpitations ou de lipothymies.
Des manifestations traduisant une
syncope peuvent être rapportées par l’entourage.
Il est important de
noter que les manifestations cardiocirculatoires sont parfois très
frustes et peuvent dans certains cas contraster avec des
manifestations hépatiques sévères.
La radiographie thoracique apporte fréquemment des arguments en
faveur d’une cardiopathie sous-jacente.
L’anomalie la plus fréquente
est une cardiomégalie avec un élargissement de la silhouette
cardiaque.
Selon les cas, la cardiomégalie peut être développée aux
dépens du ventricule gauche, du ventricule droit ou des deux.
En cas d’insuffisance cardiaque gauche décompensée, il peut exister un
oedème pulmonaire, caractérisé par des opacités alvéolaires
bilatérales à prédominance périhilaire.
Il peut également exister une
redistribution vasculaire vers les sommets pulmonaires, une
augmentation du diamètre des artères pulmonaires et un
élargissement des hiles.
Les anomalies électrocardiographiques varient également en fonction
de la cardiopathie sous-jacente.
Au cours des insuffisances
cardiaques droites, on observe fréquemment une tachycardie
sinusale, une déviation vers la droite de l’axe de QRS, un aspect
d’onde S en D1 et Q en D3, un bloc de branche droit ou une
repolarisation anormale dans les dérivations précordiales droites (V1
et V2).
Au cours des insuffisances cardiaques gauches, on observe
fréquemment une déviation vers la gauche de l’axe QRS et une
repolarisation anormale dans les dérivations précordiales gauches (V5 et V6).
L’échographie
cardiaque est l’examen le plus fiable pour faire le diagnostic de
l’insuffisance cardiaque et en évaluer la gravité.
Elle est
particulièrement utile lorsque la cardiopathie n’était pas connue
auparavant et lorsque les manifestations en rapport avec
l’insuffisance cardiaque sont frustes.
Les anomalies
échographiques varient en fonction de la nature de la cardiopathie
sous-jacente.
Chez les malades
pour lesquels on suspecte des troubles du rythme cardiaque
paroxystiques, un enregistrement Holter peut être utile.
Anatomopathologie :
Macroscopiquement, le foie cardiaque « congestif » est augmenté de
volume.
L’hypertrophie du foie est homogène et sa surface est lisse.
À la coupe, le parenchyme a classiquement l’aspect d’une noix de
muscade, avec une alternance de zones de congestion violacées et
de zones non congestives plus claires.
Les veines sus-hépatiques
peuvent être dilatées.
Microscopiquement, il existe une dilatation des veines
centrolobulaires, associée à une dilatation et une congestion des
sinusoïdes adjacentes.
La congestion est caractérisée par
l’accumulation d’hématies dans les sinusoïdes dilatées, des
altérations des hépatocytes de la région centrolobulaire et,
éventuellement, une atrophie des travées hépatocytaires.
Cette
congestion peut être associée à une nécrose hépatocytaire
prédominant également dans la région centrolobulaire.
La
nécrose est caractéristique par le fait qu’elle n’est pas ou peu
inflammatoire.
Dans la région médiolobulaire, on peut observer un
oedème et, parfois, une stéatose macrovacuolaire.
Lorsque la
congestion est prolongée, on peut observer une fibrose développée
à partir des régions centrolobulaires.
L’extension de la fibrose peut
conduire à la constitution de ponts réunissant entre elles les veines centrolobulaires.
Occasionnellement, lorsque la congestion est
particulièrement prolongée, l’extension de la fibrose peut conduire à
la constitution d’une cirrhose avec une fibrose annulaire.
Lorsque le foie cardiaque résulte d’une ischémie aiguë isolée, les
lésions de congestion sont absentes.
Il existe essentiellement une
nécrose hépatocytaire à prédominance centrolobulaire, non
inflammatoire, et parfois responsable d’un collapsus des travées.
Formes cliniques
:
A - FOIE CARDIAQUE COMPLIQUÉ D’UNE INSUFFISANCE
HÉPATIQUE AIGUË
:
L’insuffisance hépatique aiguë est une complication rare de
l’insuffisance cardiaque.
Elle apparaît le plus souvent au décours
d’une cardiopathie chronique et résulte alors d’une décompensation
brutale.
Sa prévalence a été estimée à 0,2 % environ dans une série
de 18 000 malades hospitalisés dans une unité d’urgences et entre
0,5 % et 1,5 % parmi les malades admis dans une unité de soins
intensifs cardiologiques.
Dans une série de 38 malades ayant un foie cardiaque compliqué
d’une insuffisance hépatique aiguë, une hépatomégalie était
observée dans 50 % des cas, des hépatalgies dans 40 % des cas, un
ictère dans 20 % des cas environ ; 48 % des malades ont
développé une encéphalopathie.
B -
FOIE CARDIAQUE COMPLIQUÉ D’ASCITE :
Au cours de l’insuffisance cardiaque chronique, il est habituellement
facile de mettre en évidence des manifestations correspondant à la
survenue d’un foie cardiaque.
L’hépatomégalie est présente dans 90 à 95 % des cas.
Une ascite peut être présente dans 25 % des cas.
Elle est alors, dans plus d’un tiers des cas, riche en protides et peut
être hémorragique.
L’ascite se corrige habituellement avec le
traitement de l’insuffisance cardiaque.
Diagnostic différentiel
:
A - HÉPATITES AIGUËS VIRALES
:
Lorsque les manifestations hépatiques sont au premier plan et/ou
lorsque la cardiopathie sous-jacente n’est pas connue, le foie
cardiaque peut être confondu avec une hépatite aiguë, virale en
particulier.
Les perturbations des tests hépatiques observées au
cours du foie cardiaque peuvent en effet être comparables à celles
que l’on observe au cours des hépatites aiguës virales.
L’insuffisance
rénale, quasi constante lorsque le foie cardiaque est compliqué
d’insuffisance hépatique aiguë, est habituellement absente au cours
des hépatites virales (sauf lorsque celles-ci sont compliquées d’une
insuffisance hépatique majeure).
Le diagnostic d’hépatite virale A
(VHA) ou B (VHB) repose sur la mise en évidence dans le sérum
des marqueurs sérologiques d’infection récente par ces virus
(anticorps anti-VHA de type immunoglobulines [Ig] M et anticorps
anti-HBc de type IgM, respectivement).
La mise en évidence par
l’échographie d’une dilatation des veines sus-hépatiques est un
argument en faveur du foie cardiaque.
B - FOIE DE CHOC NON CARDIOGÉNIQUE
:
Un foie de choc peut s’observer au cours de tous les types de chocs,
qu’ils soient d’origine cardiaque ou non.
Les principales causes
de choc non cardiogénique sont le choc septique, le choc
hémorragique et le choc anaphylactique.
En dehors des signes de
congestion (hépatomégalie, hépatalgies, reflux hépatojugulaire), les
manifestations cliniques et biologiques du foie de choc non
cardiogénique sont indissociables de celles d’un foie cardiaque.
Le
diagnostic est donc celui du choc qui est à l’origine des
manifestations hépatiques.
C - HYPOXÉMIE
:
Rarement, des hépatites hypoxiques ont été rapportées chez des
malades ayant une désaturation profonde en oxygène, en l’absence
de toute insuffisance cardiaque.
Ainsi, des hypoxies hépatiques
sévères ont été rapportées au cours de syndromes d’apnées du
sommeil.
Les manifestations sont comparables à celles d’un
foie de choc avec une élévation brutale des transaminases au-delà
de 20 fois la limite supérieure de la normale, une bilirubinémie
normale ou modérément élevée, une élévation importante des LDH
et une baisse des facteurs de coagulation traduisant l’insuffisance
hépatique.
La biopsie hépatique a mis en évidence une nécrose centrolobulaire associée à une congestion minime. Des
observations similaires ont été rapportées au cours d’intoxications
par le monoxyde de carbone.
Comme pour le foie de choc,
l’évolution est rapidement favorable avec la correction de
l’hypoxémie.
Le diagnostic repose sur la reconnaissance de
l’hypoxémie et de sa cause.
D - ISCHÉMIE HÉPATIQUE NON CARDIOGÉNIQUE
:
Habituellement, les thromboses isolées de l’artère hépatique ne se
compliquent pas d’ischémie significative ni d’infarctus car l’arrêt de
l’apport sanguin artériel est rapidement compensé par l’apport
sanguin portal.
Cependant, sur une série de 942 malades opérés
d’anévrysme de l’aorte abdominale, le clampage de l’aorte audessus
du tronc coeliaque a entraîné, dans 0,3 % des cas, une
ischémie hépatique.
Il a été rapporté des cas d’ischémie et
d’infarctus hépatique lors d’obstruction du tronc coeliaque associée
à une obstruction de l’artère mésentérique.
Là encore, les
manifestations hépatiques sont comparables à celles du foie
cardiaque.
Le diagnostic repose sur l’identification de l’anomalie
vasculaire en cause.
E - HÉPATITES MÉDICAMENTEUSES
:
Chez les insuffisants cardiaques, des anomalies des tests hépatiques
peuvent être en rapport avec une affection non cardiaque.
En
particulier, certains médicaments utilisés pour traiter l’insuffisance
cardiaque peuvent être à l’origine d’une hépatite.
Les principaux
médicaments potentiellement hépatotoxiques utilisés en pathologie
cardiovasculaire sont l’amiodarone, l’alpha-méthyldopa,
l’hydralazine, le vérapamil, la quinidine et les inhibiteurs de
l’enzyme de conversion de l’angiotensine.
Une augmentation modérée des c-GT et/ou des transaminases
s’observe chez 15 à 50 % des patients traités par l’amiodarone,
médicament antiarythmique largement utilisé en cardiologie.
À
l’inverse des manifestations observées au cours du foie cardiaque
congestif, il n’existe pas d’hépatomégalie ni d’hépatalgies.
Lorsqu’une biopsie hépatique est réalisée, elle met en évidence des
lésions proches de celles que l’on observe au cours des hépatites
alcooliques avec une stéatose, des infiltrats inflammatoires
comportant des polynucléaires neutrophiles et des corps de Mallory.
L’alpha-méthyldopa, antihypertenseur central, peut être responsable
d’hépatites qui sont le plus souvent cytolytiques mais parfois
cholestatiques.
On estime que l’incidence de ces hépatites est de 6 %
environ chez les malades traités.
L’hépatite survient généralement
dans les 4 premières semaines du traitement.
Parmi les malades qui
ont une hépatite cytolytique, certains développent une insuffisance
hépatique fulminante ou subfulminante.
La poursuite du
médicament après la survenue des premiers symptômes de
l’hépatite favorise l’apparition d’une insuffisance hépatique.
L’hydralazine, antihypertenseur vasodilatateur, peut être
responsable d’hépatites cytolytiques ou choléstatiques.
Ces hépatites
peuvent s’accompagner de manifestations d’hypersensibilité telles
qu’une une fièvre, une éruption cutanée ou une hyperéosinophilie,
ce qui suggère un mécanisme immunoallergique.
Le vérapamil, antihypertenseur et antiarythmique appartenant à la
famille des inhibiteurs calciques, peut également être la cause
d’hépatites cytolytiques ou cholestatiques.
La quinidine, médicament antiarythmique, peut occasionner des
hépatites mixtes, cytolytiques et choléstatiques, survenant en
moyenne 6 à 12 jours après le début du traitement.
Le mécanisme
de ces hépatites est probablement immunoallergique.
Occasionnellement, d’autres molécules utilisées au cours de
l’insuffisance cardiaque, telles que le captopril, la flécaïnide, le
spironolactone, le diltiazem, la nifédipine et la ticlopidine, peuvent
également entraîner des hépatites cholestatiques.
De façon générale, chez un malade recevant un traitement pour une
insuffisance cardiaque, le diagnostic d’hépatite médicamenteuse est
suggéré par :
– l’introduction récente d’un nouveau médicament, en particulier si
son hépatotoxicité est connue ;
– l’existence de manifestations d’hypersensibilité (hyperéosinophilie,
éruption cutanée ou fièvre) ;
– l’absence d’insuffisance rénale ;
– l’absence de signes de congestion (hépatomégalie, hépatalgies,
turgescence jugulaire).
Lorsque le diagnostic est incertain, une biopsie hépatique peut être
nécessaire.
F - CHOLESTASE SEPTIQUE
:
Au cours des infections bactériennes graves, environ 1 % des
malades développent une cholestase septique.
Cette cholestase
s’accompagne d’une élévation de l’activité de la phosphatase
alcaline et de la GGT, et parfois d’un ictère avec une élévation de la
bilirubine conjuguée.
Il s’agit d’une cholestase intrahépatique et qui
ne s’accompagne donc pas d’une dilatation des voies biliaires.
Les
infections bactériennes graves sont parfois associées à une
insuffisance rénale et à une élévation modérée des transaminases.
Toutefois, l’existence d’un sepsis et l’absence de signes d’insuffisance
cardiaque doivent permettre de différencier la cholestase septique
du foie cardiaque.
Concernant le diagnostic différentiel, il est important de noter que
les manifestations hépatiques du foie cardiaque sont parfois au
premier plan, et dans ce cas peuvent masquer la cardiopathie sousjacente.
Chez un malade
ayant des perturbations des tests hépatiques compatibles avec une
hépatite aiguë, les arguments en faveur d’un foie cardiaque sont :
– l’élévation
importante et brutale des transaminases, pouvant dépasser 100 fois
la limite supérieure de la normale ;
– l’absence
d’élévation de la bilirubinémie ou son élévation très modérée ;
– l’insuffisance
rénale associée et la correction rapide des anomalies biologiques
avec la correction des troubles circulatoires sous-jacents.
La dilatation
des veines sus-hépatiques à l’échographie est également un argument
précieux.
Traitement
:
Le traitement du foie cardiaque est celui de la cardiopathie sousjacente.
Le foie cardiaque compliqué d’insuffisance hépatique aiguë
doit être reconnu et traité en urgence.
Le retard de diagnostic et de
traitement expose d’une part à l’aggravation de l’insuffisance
hépatique et, d’autre part à l’aggravation de la cardiopathie sousjacente.
Lorsque le foie cardiaque est lié à la décompensation brutale
d’une cardiopathie chronique, les facteurs déclenchants (tels qu’un sepsis, des troubles du rythme, une ischémie myocardique) doivent
rapidement être reconnus pour une prise en charge thérapeutique
adaptée.
Le traitement du foie cardiaque congestif repose également sur le
traitement de l’insuffisance cardiaque sous-jacente.
Dans tous les cas,
les médicaments hépatotoxiques et/ou néphrotoxiques sont à
proscrire.
Pronostic
:
Le pronostic du foie cardiaque est sous-tendu par le pronostic de
l’affection cardiaque qui en est la cause.
Les lésions hépatiques sont
dans la quasi-totalité des cas réversibles et elles se corrigent
rapidement si le traitement de l’insuffisance cardiaque est efficace.
L’insuffisance cardiocirculatoire est la principale cause de décès.
Toutefois, l’insuffisance hépatique est un facteur de mauvais
pronostic.
La mortalité des malades ayant un taux de prothrombine
inférieur à 20 % au décours d’une hypoxie hépatique a été estimée à
75 %.
La prise de médicaments hépatotoxiques peut contribuer à
l’aggravation de l’insuffisance hépatique.
Conclusion
:
Le diagnostic du foie cardiaque « congestif » est habituellement facile à
établir, d’autant que la cardiopathie sous-jacente est connue.
Le
diagnostic de foie cardiaque ischémique peut être plus difficile à faire c |