Examen neurologique facial à l’usage de l’odontologiste et du chirurgien maxillofacial
Cours de Médecine Dentaire
Introduction
:
Le but de cette mise au point est de fournir un outil
clinique à l’odontologiste et au chirurgien maxillofacial.
En effet, l’examen neurologique du visage et
de la cavité buccale (à l’exclusion de l’examen de
l’appareil pharyngolaryngé, de l’oculomotricité, de
la vue, de l’audition, de l’olfaction, de la sensibilité
et de la motricité du cou qui ne seront pas
abordés ici) permet de fournir au praticien une
séméiologie riche, parfois nuancée et subtile,
l’aidant dans son diagnostic topographique lésionnel
ainsi que dans le suivi postopératoire du patient.
Une constante correspondance entre signes
cliniques et anatomie s’avère donc nécessaire.
Elle
se heurte cependant bien souvent aux nombreuses
variations anatomiques auxquelles sont sujets les
filets nerveux.
Il s’agit donc, ici, d’édicter des
règles générales, issues de l’observation, plutôt que de rendre compte de tous les cas de figures
rendus possibles par les variations anatomiques interindividuelles.
La face est innervée au niveau
moteur, sensitif et végétatif (système lacrymal et
salivaire en particulier) par le nerf facial (VII), le
nerf trijumeau (V) et les nerfs mixtes (IX, X, XI et
XII).
Le nerf oculomoteur (III), responsable
essentiellement de mouvements du globe
oculaire, mais également impliqué dans la contraction
du releveur de la paupière supérieure (et donc
dans l’ouverture des yeux), ne fait pas l’objet
d’une étude spécifique dans cet article.
Trois chapitres
sont respectivement abordés : la motricité,
la sensorisensibilité et les fonctions végétatives du
visage et de la cavité buccale. Pour des raisons
didactiques évidentes, l’examen de la face est divisé
ici en entités anatomophysiologiques distinctes.
C’est un leurre et un biais pédagogique. L’examen
neurologique ne se conçoit, en fait, que dans
sa globalité et on ne peut conclure en termes de
diagnostic topographique neurologique qu’après
avoir réalisé un examen neurologique complet de la
face (moteur, sensitif, sensoriel et végétatif) mais
aussi du corps entier.
B - Motricité :
1- Motricité du visage :
Si la motricité du visage est essentiellement assurée
par le nerf facial (VII), la fonction masticatoire
est globalement dévolue au contingent moteur du
nerf mandibulaire (V3), branche du nerf trijumeau.
L’examen clinique débute par l’inspection
du visage au repos, à jour frisant, à la recherche
d’une amyotrophie, d’une activité musculaire
spontanée (myokimies, fasciculations, spasme hémifacial),
yeux ouverts puis fermés. L’impression
de discrète asymétrie faciale doit être confrontée à
une photographie d’identité afin de confirmer (ou
non) son caractère récent.
On note en particulier
l’effacement du pli nasogénien ou des rides frontales
du côté atteint, les possibilités d’occlusion de la
paupière, la présence d’un écoulement salivaire ou
l’impression de commissure labiale discrètement
tombante du côté atteint.
Puis la motricité faciale
est étudiée de manière dynamique, d’abord par
accomplissement de mouvements sur ordre, puis
par étude de la mimique spontanée (recherche
d’une dissociation automaticovolontaire).
L’atteinte de la motricité du nerf mandibulaire
apparaît surtout lors de l’ouverture de la bouche
(ou lors des mouvements de propulsion et de rétropulsion
de la mâchoire inférieure) qui démasque le
classique aspect de « bouche oblique ovalaire »,
témoin d’une part de la flaccidité des muscles
masticateurs et du muscle digastrique du côté atteint
et d’autre part de l’hyperactivité compensatrice
des muscles controlatéraux.
L’atteinte
du contingent moteur du V3 est très
rarement isolée et ce tableau de « bouche oblique
ovalaire », souvent confondu avec une paralysie de
la branche cervicofaciale du VII (ou nerf facial
inférieur) devant la constatation d’une bouche asymétrique,
tombante, est généralement aisément
reconnu par son association à une hypoesthésie
homolatérale du territoire cutané en regard de la
mandibule et par l’absence d’effacement du pli
nasogénien homolatéral.
La branche motrice du V3
innerve également le muscle péristaphylin externe
(muscle élévateur du voile du palais) et le muscle
du marteau.
Son atteinte peut se traduire par une
perte du rôle atténuateur de ce muscle dans la
transmission acoustique et donc par une hyperacousie.
Parfois, lors de lésions irritatives de la
branche V3, le patient peut présenter un trismus
par contraction du masséter et des muscles ptérygoïdiens (myokimies).
Parmi les causes principales
d’irritation du V3, on cite le contact de ce nerf
avec une dent de sagesse ou lors de son extraction
(accidents de la dent de sagesse) et les lésions
directes du nerf maxillaire inférieur (contusion,
blessure par arme blanche, etc.).
L’étude de la motricité du nerf facial a été
standardisée par Freyss, grâce à un testing simple,
reproductible et précis.
Celui-ci étudie les 10 chefs
musculaires les plus importants en les cotant chacun
de 0 à 3 (0 : pas de contraction ;
1 : ébauche de
mouvement ;
2 : contraction contre-résistance possible
mais déficitaire ;
3 : contraction normale), le
total étant donc à 30.
En cas de paralysie faciale,
un testing totalisant plus de 15/30 serait de pronostic
favorable.
À noter que lorsqu’on
demande au patient de montrer les dents (ou de
sourire), seule la commissure labiale du côté sain va
être mobile.
Cela donne l’impression que le patient
« fume la pipe » du côté sain.
En fait, les principales questions qui se posent au
clinicien devant une atteinte du nerf facial n’est
pas tant le diagnostic différentiel (atteinte du V3,
syndrome de Parry-Romberg) que le diagnostic
étiologique topographique (paralysie faciale centrale
ou périphérique) et le niveau de lésion du nerf
quand le caractère périphérique est confirmé.
Ces
questions impliquent un nécessaire rappel anatomique.
Au niveau central, le premier motoneurone de la
commande faciale naît dans la convexité du cortex
de l’aire précentrale (en avant de la scissure de
Rolando, aire frontale ascendante ou aire motrice
primaire, siège d’une somatotopie décrite sous le
nom d’homunculus de Penfield) controlatérale à
l’hémiface concernée.
L’axone passe par le bras
antérieur de la capsule interne homolatérale au
cortex moteur pour adopter ensuite un trajet globalement
vertical, descendant, et atteindre, en décussant au niveau protubérantiel, le noyau facial
controlatéral.
Cependant, une partie de ces fibres,
ayant principalement pour cible le territoire facial
supérieur, ne croisent pas.
Ainsi, lors d’une paralysie
faciale centrale, le défaut de commande de la
branche temporofaciale (ou faciale supérieure) est
en partie compensée par la voie corticonucléaire
controlatérale à la lésion centrale.
Cliniquement,
le patient parvient à fermer l’oeil du côté paralysé
mais cette occlusion est imparfaite et discrètement
hypotonique.
Une discrète saillie de la partie inférieure
de la paupière supérieure apparaît, laissant
ressortir les cils : c’est le « signe des cils de Souques
».
Au contraire, dans la paralysie
faciale périphérique, il n’y a aucun système de
compensation possible.
La paupière supérieure ne
se ferme pas, mettant en péril l’oeil (risque fréquent
de kératoconjonctivite).
Lorsqu’on demande
au sujet de fermer avec force les yeux, la paupière
ne s’abaisse qu’à peine tandis que le globe oculaire
opère un mouvement d’éversion (commandé par le
nerf oculomoteur, intact) : c’est le signe de Charles
Bell.
Lorsqu’il existe une paralysie faciale périphérique,
la question du niveau d’atteinte lésionnelle se pose.
Par définition, l’atteinte « périphérique » est
la traduction d’une lésion située au niveau du second
motoneurone du nerf facial, de sa naissance
(au niveau de la synapse dans le noyau facial) à ses
branches terminales.
Au sortir du noyau facial, le
contingent moteur du nerf facial est d’abord isolé.
Il décrit un arc de cercle au sein de la protubérance
dans un trajet initial en dedans et en arrière,
contourne le noyau abducens (du nerf abducens ou
VI) puis adopte un trajet en dehors et en avant au
cours duquel il reçoit son contingent de fibres végétatives
(système lacrymo-muco-nasal, noyau salivaire
supérieur, noyau du faisceau solitaire) et
sensitives (nerf VII bis ou nerf facial intermédiaire
de Wrisberg).
Le VII et le VII bis émergent au niveau
du sillon bulboprotubérantiel, parallèlement au
nerf vestibulocochléaire (VIII) et forment rapidement
avec ce dernier le paquet acousticofacial
avant d’entrer dans le rocher par le canal auditif
interne.
Le contingent facial se sépare alors du nerf VIII et pénètre dans l’aqueduc de Fallope.
Il décrit
dans le rocher un trajet en baïonnette. Ce trajet intrapétreux est divisé en trois : d’abord, le segment
labyrinthique, long de 3 mm, qui se termine
en s’élargissant pour donner naissance au ganglion
géniculé ; puis le segment tympanique d’où émerge
le grand nerf pétreux superficiel qui, se joignant au
grand nerf pétreux profond (provenant du IX), reçoit
le nom de nerf vidien à destinée lacrymonasale
; enfin, le segment mastoïdien au sein duquel il
donne naissance au muscle de l’étrier et à la corde
du tympan, nerf à destinée salivaire (glandes sousmaxillaire
et sublinguale) et recevant par le nerf
lingual les afférences gustatives des deux tiers antérieurs
de la langue. Le nerf facial sort alors du
massif crânien par le trou stylomastoïdien, à la base
du crâne.
Avant d’entrer dans la glande parotide, il
reçoit le nerf sensitif de Ramsay-Hunt dont les
fibres empruntent la voie du nerf intermédiaire de
Wrisberg et émet des branches à destinée motrice (rameau du muscle stylohyoïdien et du ventre postérieur
du muscle digastrique, muscles styloglosse
et palatoglosse).
Au sein de la parotide, le nerf
facial est comme un signet dans un livre, ce qui
explique son exposition dans la chirurgie et la pathologie
parotidienne.
Enfin, c’est dans son trajet intraparotidien que le nerf facial se divise en deux
branches supérieure et inférieure.
Les émergences du nerf facial, en particulier lors
de son trajet intrapétreux, permettent de localiser
le site lésionnel en fonction des signes cliniques
associés à la paralysie faciale périphérique :
• l’atteinte du segment labyrinthique associe
une symptomatologie homolatérale à la lésion
comprenant une sécheresse des fosses nasales
et de l’oeil (atteinte du nerf vidien), une hyperacousie
(atteinte du nerf de l’étrier, ou nerf
stapédien, qui n’atténue plus les mouvements
de cet osselet dans la transmission du signal
sonore), une perte du goût des deux tiers antérieurs
de l’hémilangue, une xérostomie (atteinte
du nerf lingual), une hypoesthésie de la
conque de l’oreille (atteinte du nerf de Ramsay-
Hunt) ;
• l’atteinte du nerf facial dans son segment tympanique
préserve de l’assèchement de l’oeil et
des fosses nasales au niveau homolatéral ;
• la lésion du segment mastoïdien est à l’origine
d’un tableau qui s’allège encore avec disparition
de l’hyperacousie homolatérale.
Au décours d’une paralysie faciale périphérique,
même en cas de récupération complète de la force
motrice, on assiste fréquemment à des manifestations
musculaires séquellaires à type de syncinésies
ou de spasme hémifacial.
Une manifestation à part
doit enfin être individualisée : il s’agit du spasme
médian de la face ou syndrome de Meige ou blépharospasme.
Il correspond à un mécanisme dystonique
de nature inconnue et se traduit par une
contraction intense et longue (jusqu’à 1 minute)
des deux paupières provoquant ainsi leur fermeture
inopinée.
Ce phénomène croît à la lumière et à
l’émotion et cède au relèvement mécanique de la
paupière supérieure par le doigt.
2- Motricité de la cavité buccale :
L’examen clinique de la cavité buccale que pratique
le neurologue se limite à l’examen de la langue
et du voile du palais.
Au niveau fonctionnel, il
s’intéresse à la phonation et à la déglutition.
* Examen de la langue :
Les 12 muscles de la langue sont essentiellement
innervés par le nerf hypoglosse (XII).
Le noyau du XII, situé dans la partie paramédiane antérieure du
bulbe, émerge par une dizaine de filets dans le
sillon collatéral antérieur.
Ces filets nerveux se
réunissent en un tronc unique avant de passer dans
le canal condylien antérieur, intracrânien.
Dès sa
sortie, le XII entre en contact avec l’artère carotide
interne et ses satellites ganglion parasympathique plexiforme et ganglion sympathique cervical supérieur
autour desquels il s’enroule dans un trajet
globalement descendant (cette contiguïté explique
la fréquente symptomatologie linguale dans les dissections
de l’artère carotide interne en particulier).
Le XII est également doublé à la sortie du
canal condylien antérieur d’un rameau sensitif méningé
expliquant ainsi les céphalalgies et cervicalgies
homolatérales dans la dissection ou la chirurgie
carotidienne.
Il oblique ensuite vers l’avant en un
trajet horizontal et en dedans jusqu’à la langue non
sans avoir émis lors de son virage un rameau moteur
descendant, juxtacarotidien à destination des muscles
cervicaux ainsi qu’une anastomose avec les IIe
et IIIe nerfs cervicaux.
L’atteinte du XII est à l’origine d’une hémiatrophie
linguale homolatérale très précoce avec fasciculations
bien visibles (faire reposer la langue sur le
bord de l’arcade dentaire inférieure) et d’une paralysie
de l’hémilangue.
Il s’ensuit des troubles articulatoires
et de la déglutition.
La protraction de la
langue dévie celle-ci du côté paralysé. La rétraction
de langue la dévie du côté sain.
En cas d’atteinte
bilatérale du XII, une ébauche de mouvements
linguaux est cependant rendue possible par
l’intermédiaire du nerf glossopharyngien qui commande
en partie le muscle styloglosse et le pharyngoglosse
(petits muscles latéraux pairs de la langue)
et le nerf vague (X) qui innerve également le pharyngoglosse
et le glossostaphylin.
* Examen du voile du palais :
Le voile du palais se présente comme le prolongement
arrière du palais osseux.
Il se poursuit de côté
par le pilier antérieur et postérieur (l’amygdale palatine
est située entre ces deux piliers) et au milieu
par la luette.
Les muscles péristaphylins (interne et
externe) suspendent le voile du palais et, en se
contractant, agissent comme tenseurs et élévateurs
du voile.
Les muscles des piliers sont disposés en arc
d’ogive (muscle glossostaphylin pour le pilier antérieur
et muscle pharyngostaphylin pour le pilier postérieur)
et abaissent le voile en se contractant.
Le
muscle palatostaphylin, médian, naît du bord postérieur
du palais osseux et constitue le muscle de la
luette qu’il élève en se contractant.
La commande
motrice du voile du palais est dédiée au X, hormis
pour le muscle péristaphylin externe commandé par
le V3.
L’atteinte de ce dernier n’est pas suffisante
pour provoquer une symptomatologie au niveau du voile.
Le noyau moteur du X est situé dans le noyau
ambigu. Son trajet sera étudié au chapitre suivant
(« Troubles de la phonation et de la déglutition »).
Au
sortir du ganglion plexiforme, les fibres motrices du
X à destinée du voile (et du pharynx) se détachent du
contingent principal et constituent le plexus pharyngien.
L’atteinte du X se traduit, au niveau du voile,
par une abolition de la motricité du palais membraneux
homolatéral qui sera hypotonique, tombant, et
par une élévation compensatrice du bord libre du
voile controlatéral.
La recherche du réflexe du voile
(stimulation tactile du voile par un abaisse-langue)
provoque de même une contraction limitée au côté
sain.
L’émission du son [é], qui normalement élève
au maximum le voile du palais, provoque, lors de la
paralysie de l’hémivoile, une augmentation de
l’asymétrie entre côté sain et atteint.
La fonction principale du voile étant l’occlusion
du nasopharynx (cavum), les conséquences de la
paralysie du voile s’objectivent surtout lors de la
phonation et de la déglutition.
Une mauvaise occlusion vélopalatine aboutit à un défaut de prononciation
des sons [p], [t] et [k], ainsi qu’une fuite d’air
par le nez à l’origine d’un nasonnement caractéristique.
Au cours de la déglutition, on observe de
même une régurgitation par le nez des aliments et
surtout des liquides.
De manière beaucoup plus rare, on décrit une
entité pathologique désignée sous le terme de myoclonie
du voile ou vélopalatine.
Il s’agit cliniquement
de secousses rythmiques rapides du voile du
palais diffusant parfois à la face, constantes même
durant le sommeil.
Elles traduisent une lésion sur le
circuit reliant le noyau dentelé cérébelleux homolatéral
au noyau olivaire bulbaire controlatéral.