Une escarre se définit comme une nécrose ischémique
des tissus compris entre le plan du support sur lequel
repose le sujet et le plan osseux.
Étiologie :
Le facteur étiologique des escarres est avant tout l’hyperpression
de la peau entre 2 plans durs (l’os et le support),
responsable de l’occlusion des capillaires aboutissant à
une ischémie puis à une nécrose tissulaire.
La durée de
l’hyperpression est un facteur déterminant, indépendant.
La prévalence des escarres chez les patients hospitalisés
en gériatrie est élevée.
De nombreux facteurs favorisant la survenue des
escarres ont été identifiés.
• L’immobilité, c’est-à-dire la diminution des mouvements
spontanés ou la limitation des possibilités de
changements de position, peut être la conséquence d’un
déficit neurologique, de troubles de la conscience, d’une
fracture, etc.
• Les troubles de la sensibilité empêchent au patient de
ressentir le besoin de changer de position.
Cela peut être
consécutif à une atteinte médullaire, une neuropathie, un
accident vasculaire cérébral, etc.
• La malnutrition est reconnue comme la diminution
des apports nutritionnels et l’impossibilité de manger seul.
L’hypoalbuminémie est un reflet global, n’étant pas
retrouvée dans toutes les études comme facteur de risque.
• L’incontinence fécale est en cause plus que l’incontinence
urinaire. Cependant, sa valeur est relative car l’incontinence
est souvent liée à la diminution de la motilité.
• Les maladies aiguës et les affections systémiques
sont responsables d’une hypoperfusion et (ou) d’une
hypoxie des tissus périphériques, de bas débits circulatoires
lors d’une insuffisance cardiaque décompensée, d’une
infection, etc.
L’identification des patients à risque d’escarres se fait en
pratique grâce à des scores sur des échelles validées,
quantifiant différents facteurs de risque.
L’échelle la plus
utilisée à l’hôpital ou en institution est celle de Norton,
bien qu’elle présente quelques insuffisances comme de ne
pas apprécier l’état nutritionnel du patient.
L’échelle de Norton est uniquement gériatrique, l’échelle
de Waterloo est plus générale.
En France, ces échelles
sont encore peu utilisées. Elles complètent le jugement
clinique qui a aussi une certaine valeur.
Physiopathologie
:
Une classification anatomo-clinique en 4 stades de
l’escarre est reconnue sur le plan international.
L’évaluation reste néanmoins difficile tant que la plaie
n’a pas été totalement débarrassée de toute la nécrose et
du tissu fibrineux.
Les aspects histopathologiques des différents stades de
l’escarre montrent que les dommages occasionnés par la
pression atteignent en premier lieu les structures profondes
(graisse sous-cutanée, vaisseaux dermiques) plus
sensibles que le derme et l’épiderme à la pression et que
l’aspect initial érythémateux semble être le « sommet de
l’iceberg ».
Les 3 facteurs locaux impliqués dans la formation des
escarres sont les forces de pression, les forces de
cisaillement et la friction.
La macération est un facteur
local accessoire, plus source de dermabrasion que
d’escarre.
A - Pression
:
Il s’agit de forces perpendiculaires s’exerçant sur une
surface limitée de tissu vivant.
La pression est généralement
concentrée sur les proéminences osseuses.
Les tissus mous
situés entre le relief osseux et le support sous-jacent sont
comprimés.
Des pressions au-dessus de 32 mmHg dépassent les pressions capillaires entraînant une chute
du débit sanguin local et des échanges gazeux.
Plus la
pression est élevée et plus l’escarre se constitue rapidement.
La pression intervient par son intensité mais aussi
par sa durée et sa répétition dans la constitution des
dommages tissulaires.
La pression peut se mesurer au lit
du patient par des capteurs de pression interposés entre
le patient et le support.
Ces mesures permettent d’approcher
indirectement l’évaluation de la qualité des différents
supports utilisés dans la prévention du risque d’escarres.
B - Forces de cisaillement
:
Ce sont les forces s’exerçant parallèlement ou obliquement
par rapport au support.
Elles sont dues au glissement
du tissu adipeux sur le fascia par relative fixité de
la peau sur le support, entraînant un étirement et une
angulation des vaisseaux aponévrotiques et une réduction
du débit sanguin.
Les forces de cisaillement s’exercent
surtout en position assise instable, au niveau de la
région sacrée et lors des brusques changements de position
par le patient lui-même ou par le personnel soignant.
La mobilisation douce du patient par plusieurs
personnes en même temps et la stabilisation des positions
par des coussins (au lit), des ceintures et des reposepieds
(au fauteuil) permettent de lutter contre ces forces
de cisaillement.
C - Friction
:
Il s’agit de forces s’exerçant entre 2 surfaces se mobilisant
l’une sur l’autre, responsables de décollements cutanés.
Ces forces sont fréquemment responsables de l’ouverture
initiale de la peau.
Pour prévenir les conséquences des
forces de friction, le patient doit être soulevé du plan du
lit ou du fauteuil lorsqu’on le repositionne.
D - Macération
:
La macération due à la transpiration ou à une incontinence
urinaire et (ou) fécale augmente le risque d’escarre
en altérant la barrière cutanée et en favorisant la pullulation
microbienne.
Sa prévention repose sur les changes réguliers
des patients et sur une hygiène rigoureuse.
Prévention :
La prévention du risque d’escarres s’articule autour de
grands principes.
Toutes les actions préventives sont
conjointes et doivent être établies dans un plan de soin,
pour une prise en charge médicale et paramédicale.
L’existence de protocoles de prévention des escarres au
sein d’un service ou d’un établissement a été montrée
comme diminuant l’incidence des escarres.
Le risque
d’escarres doit être régulièrement réévalué pour adapter les actions préventives.
Les zones à risque chez le sujet
en décubitus sont les talons, le sacrum, les omoplates et
l’occiput.
Chez le sujet au fauteuil, ce sont essentiellement
les ischions. L’éducation du patient ou de la famille
quand cela est possible est un facteur essentiel pour la
prévention des escarres chez les patients ambulatoires.
A - Changements de position
:
1- Installation du patient au lit
:
Pour éviter les forces de frottement et de cisaillement,
les patients sont soulevés du lit lors des changements de
position, grâce à des appareils de levage, des potences, etc.
2- Rythme de changement de position
:
Il existe une relation inverse entre le nombre de mouvements
spontanés et l’incidence des escarres.
Bien qu’il
n’y ait pas d’étude établissant le rythme nécessaire de
changements de position en fonction du risque, la plupart
des auteurs préconisent un changement de position
toutes les 2 à 4 h, d’autant plus fréquent que le risque est
élevé.
Il faut également tenir compte du support utilisé :
les supports à air dynamique, assurant des basses pressions
sous les proéminences osseuses, permettent des
changements moins fréquents de position que, par
exemple, les supports en mousse.
3- Différentes positions
:
Le décubitus latéral strict à 90° expose le trochanter au
risque d’escarre avec un risque élevé (quand l’escarre
est constituée) d’arthrite septique.
Le décubitus dorsal
en position semi-assise génère des forces de cisaillement
et expose le sacrum et les talons.
Cependant, cette position
est souvent la seule envisageable chez des sujets en
insuffisance cardiaque ou recevant une nutrition entérale.
Plusieurs études montrent l’efficacité du faux décubitus
latéral antérieur ou postérieur droit et gauche où l’axe du
bassin passant par les 2 ailes iliaques fait un angle de 30°
avec le plan du support.
Le décubitus ventral est possible
chez les jeunes paraplégiques mais n’est pas envisageable
chez le sujet âgé.
Dans tous les cas, la position
est stabilisée par des coussins pour éviter les forces de
cisaillement et de frictions.
Au fauteuil roulant, la stabilité
et la réduction des forces de cisaillement et de friction
sont assurées par un bon réglage de la hauteur des calepieds
et une éventuelle inclinaison du dossier.
Enfin, la kinésithérapie de mobilisation, d’abord passive
puis active, évite les rétractions tendineuses, sources de
positions « vicieuses » aggravant les points d’hyperpression.
B - Choix du support
:
Les supports modernes (lits, matelas, surmatelas, coussins)
permettent de mieux répartir les pressions et de les diminuer
en regard des proéminences osseuses.
Les supports
sont comparés entre eux par la mesure des pressions
d’interface grâce à des capteurs de pression placés entre
le patient et le support ou par la mesure de la pression transcutanée en oxygène à l’interface évaluant l’état
vasculaire local.
Peu d’études randomisées, contrôlées
comparant 2 supports entre eux sont disponibles.
1- Supports statiques :
Il s’agit de matelas ou surmatelas, recouverts d’une
housse, très répandus. Ils sont le plus souvent découpés
en mousse de type gaufrier (Aplot, Cliniplot, Epsus…)
ou à plots de mousse (Préventix, Kubivent), à air, gonflés en fonction du poids du patient (Kinéris,
Repose, Roho…), à eau, en fibres siliconées (Spenco)
ou en mousse « à mémoire » (Tempur, Alova) gardant la
mémoire des formes qui leur sont appliquées pendant
quelques secondes.
La réduction des pressions est faible
et continue grâce aux matériaux cités dits « conformables
».
Ces supports sont indiqués pour la prévention
des risques faibles à élevés.
2- Supports dynamiques discontinus
:
Il s’agit de supports (matelas ou surmatelas) motorisés,
réduisant les pressions par gonflage-dégonflage alternés
de différentes zones ou boudins du support.
Ils disposent
ou non de capteurs de pression pour s’adapter aux pressions
enregistrées à l’interface entre le support et le
patient. Les surmatelas sont indiqués dans la prévention
des risques faibles (surmatelas à air alterné simples),
élevés et le traitement des escarres débutantes (pour les
surmatelas avec capteurs de pression).
Les matelas sont
indiqués dans le traitement des escarres constituées.
3- Lits « fluidisés »
:
Ils ont longtemps été considérés comme une référence
en matière de prévention et de traitement d’escarres
constituées.
Cependant, ce type de lit n’est pas adapté à
la personne âgée car l’installation et le positionnement
du patient y sont difficiles, exposant les sujets âgés au
risque de rétractions tendineuses, de déshydratation et
d’infections pulmonaires.
Ils sont surtout utilisés pour
des périodes transitoires en postopératoire des plasties
de reconstruction des sujets jeunes.
4- Supports pour les fauteuils
:
On dispose, comme pour les supports de lits, de coussins
de gel de qualités variables, de coussins de mousse
découpés en gaufrier ou à plots, de coussins à eau ou à
air statique en alvéoles prégonflées (Sofcare).
Il existe
depuis peu des coussins à air alterné et basse pression.
C - Hygiène cutanée
:
Pour éviter la macération, le patient est maintenu
« au propre et au sec », grâce à des changes réguliers et à
l’utilisation de matériel absorbant.
Chez les patients
incontinents, une sonde urinaire à demeure n’est pas
indiquée pour autant en raison des risques infectieux.
Les soins sont réalisés avec des produits non agressifs
pour la peau : eau, savon doux.
Les détergents et les
antiseptiques, responsables au long cours de dermatoses
allergiques ou caustiques sont proscrits.
La protection de la peau par des films de polyuréthanne
(type Upsite, Tégaderm) ou des hydrocolloïdes est souvent
réalisée.
Les massages n’ont pas fait la preuve de
leur efficacité dans la stratégie de prévention et sont
contre-indiqués au stade I de l’escarre.
Des études histologiques
et de microcirculation ont même remis en
cause leur innocuité.
Le moment de la toilette permet
l’inspection des points de pression.
D - Traitement des affections associées
:
La correction ou la prévention d’une dénutrition est
recommandée dans la plupart des conférences de
consensus.
Cette démarche est logique mais son intérêt
dans la prévention des escarres n’est pas clairement
établi.
La supplémentation systématique en vitamine C ou
en zinc n’a pas d’intérêt en dehors d’un état de carence.
La correction des affections associées, notamment celles
responsables d’hypoxie (anémie, insuffisance respiratoire),
de bas débit (sepsis, insuffisance cardiaque) ou de
troubles de la conscience est indispensable même si leur
impact sur l’incidence des escarres est difficile à estimer.
Les escarres au talon surviennent préférentiellement sur
un terrain artéritique.