Tumeurs endocrines non fonctionnelles du pancréas Cours d'Hépatologie
Généralités
:
A - ANATOMOPATHOLOGIE :
Les tumeurs endocrines non fonctionnelles différenciées ne sont pas
différentes des tumeurs fonctionnelles.
Un chapitre particulier est
consacré à l’anatomopathologie des tumeurs endocrines, auquel
nous renvoyons le lecteur.
B - FRÉQUENCE
:
Considérées comme exceptionnelles il y a 20 ans, les tumeurs
endocrines non fonctionnelles sont mieux connues.
La généralisation
des techniques d’immunohistochimie a été associée à une
augmentation sensible de la prévalence de leur diagnostic.
Ainsi,
pour Falconi et al, les tumeurs endocrines non fonctionnelles
représentaient moins de 20 % des tumeurs endocrines pancréatiques
dans les années 1980 et 65 % à la fin des années 1990.
Elles
représentent globalement de 15 à 65 % des tumeurs endocrines
pancréatiques et de 0,4 à 1,6 % des tumeurs
pancréatiques.
Leur incidence serait inférieure à 5
X 10-6 dans les
pays occidentaux.
C - CIRCONSTANCES DU DIAGNOSTIC
:
Le sex-ratio varie d’une série à l’autre, mais celles-ci ne dépassent
jamais 20 malades.
Il semble globalement proche de 1.
La médiane
de l’âge au diagnostic est située entre 50 et 60 ans avec des extrêmes
de 23 à 80 ans.
Il ne semble pas y avoir de différence entre
les tumeurs non fonctionnelles ou fonctionnelles quant à ces
paramètres généraux.
Dans la mesure où ces tumeurs ne sont pas associées à des
symptômes en rapport avec une hypersécrétion hormonale, elles
sont souvent reconnues à un stade tardif : symptômes en rapport
avec un syndrome de masse ou découverte fortuite.
Elles peuvent
être découvertes au cours d’une échographie abdominale faite pour
une autre raison ou pour une vague dyspepsie.
La fréquence des
découvertes incidentes est de l’ordre de 10 à 20 % mais peut
atteindre 70 % dans certaines séries.
Une masse est parfois perçue
par le malade lui-même.
Plus fréquemment, les malades ont des
symptômes en rapport avec l’infiltration ou la compression de la
masse tumorale sur les organes adjacents.
Le type de symptôme
dépend alors de la localisation de la tumeur.
Le symptôme le plus
fréquent est la douleur, présente dans 70 % des cas, suivie par une
altération de l’état général et un ictère.
Une pancréatite
aiguë obstructive peut être révélatrice.
Ces symptômes n’ont
aucun caractère spécifique.
Leur fréquence dépend du caractère
malin ou non de la tumeur.
À l’examen clinique, une
masse tumorale est perceptible dans 50 % des cas.
Par rapport à l’adénocarcinome pancréatique « habituel », les
tumeurs non fonctionnelles sont biologiquement et cliniquement
beaucoup moins agressives.
C’est la raison pour laquelle le
diagnostic doit être évoqué devant un malade ayant peu de
symptômes et une altération modérée de l’état général contrastant avec une extension tumorale majeure, notamment hépatique.
Les tumeurs endocrines non fonctionnelles sont aussi diagnostiquées
à un stade beaucoup plus tardif que les tumeurs
fonctionnelles.
Imagerie
:
L’imagerie des tumeurs endocrines non fonctionnelles n’a pas de
particularité par rapport aux autres tumeurs endocrines dont la
sémiologie radiologique est décrite dans un autre chapitre.
Cependant, leur taille est plus grande, avec une médiane de l’ordre
de 5 à 6 cm et des extrêmes de 1 à 20 cm.
Elles sont uniques
dans plus de 90 % des cas, prédominant (70 %) dans la tête pour
certains auteurs, également réparties sur toute la glande pour
d’autres.
Des métastases ganglionnaires et hépatiques sont
présentes respectivement dans 60 à 90 % et 25 à 72 % des cas.
L’aspect en échographie (par voie transcutanée ou en échoendoscopie) peut être hypo-, hyperéchogène ou hétérogène.
Elles peuvent être en partie kystiques, ceci étant probablement
dû à la lenteur de leur croissance et à des phénomènes de nécrose
ischémique.
Plus la tumeur est de grande taille, plus l’aspect
hétérogène, nécrotique ou kystique et le caractère malin sont
fréquents.
Des calcifications sont présentes dans les lésions de
grande taille, dans plus de 30 % des cas.
En scanographie avec
injection de produit de contraste, la tumeur apparaît habituellement
hyperdense mais un aspect iso- ou hypodense est possible.
L’angiographie montre une tumeur hypervasculaire dans 47 à 89 %
des cas et il existe une bonne corrélation entre l’aspect
hypervasculaire en angiographie et l’aspect hyperdense après
injection de produit de contraste en scanographie.
Quand une pancréatographie rétrograde endoscopique est effectuée
(cet examen étant la plupart du temps inutile), elle est normale dans
29 à 50 % des cas et montre une déviation, une sténose ou un stop
canalaire dans les autres cas.
Des signes évoquant une
pancréatite chronique ont été décrits en amont de la tumeur, ce qui
traduit la lenteur de sa croissance.
De façon exceptionnelle, une
croissance exclusive dans les canaux pancréatiques peut donner un
faux aspect de tumeur intracanalaire papillaire et mucineuse.
Le diagnostic
différentiel le plus important est l’adénocarcinome pancréatique.
En dehors de la
discordance entre la discrétion des signes cliniques et l’importance
de la masse tumorale, la
présence d’une volumineuse tumeur pancréatique, relativement bien
limitée, sans retentissement canalaire pancréatique ou biliaire en
amont est un signe inconstant mais très évocateur.
L’autre diagnostic
différentiel est celui des tumeurs pseudopapillaires et solides.
La
tumeur peut aussi être paucisymptomatique, de grande taille,
hétérogène ou en partie nécrosée et n’être associée qu’à des signes
d’envahissement de proximité.
Elle ne survient cependant presque
exclusivement que chez des jeunes femmes entre 15 et 25 ans.
La sensibilité de tous les examens d’imagerie radiologique est
habituellement excellente en raison de la grande taille des lésions
au moment du diagnostic. De fait, la plupart des séries rapportent
une sensibilité proche de 95 %.
L’intérêt potentiel de la scintigraphie à la somatostatine (SRS)
marquée (Octréoscant) est différent pour les tumeurs non
fonctionnelles et les tumeurs fonctionnelles. Dans ce dernier cas, la
SRS a deux intérêts :
– la recherche d’une tumeur dont la présence est affirmée par
l’existence d’un syndrome lié à l’hypersécrétion hormonale mais qui
n’a pas été visualisée sur les examens d’imagerie standard ;
– le bilan d’extension préthérapeutique avant un geste chirurgical.
Dans le cas des tumeurs non fonctionnelles, seul le deuxième aspect
est intéressant.
La plupart des séries rapportent une sensibilité de la SRS non différente pour les tumeurs non fonctionnelles par rapport
aux tumeurs fonctionnelles (en dehors de l’insulinome) allant de
57 % à 100 %. Une SRS doit donc être systématiquement
effectuée avant la décision opératoire.
La SRS pourrait aussi être
utile devant une tumeur sans métastase hépatique, découverte
fortuitement, afin d’affirmer sa nature endocrine.
Biologie
:
Les dosages plasmatiques des hormones d’origine pancréatique sont
généralement normaux ou subnormaux.
Le dosage de la chromogranine A plasmatique a une sensibilité comprise entre 81 et
99 % pour l’ensemble des tumeurs endocrines pancréatiques.
Dans deux études, les tumeurs non fonctionnelles étaient traitées
séparément.
Dans la première, la sensibilité et la spécificité du
dosage de la chromogranine A plasmatique étaient respectivement
de 69 % et 98 %.
Dans la seconde, le dosage de la chromogranine
A était positif respectivement dans deux cas sur neuf (22 %) et dans
dix sur 12 (83 %) des tumeurs sans et avec métastases hépatiques.
Il est donc possible que le dosage de la chromogranine A soit de
peu d’utilité pour le diagnostic des petites tumeurs pancréatiques
non fonctionnelles découvertes fortuitement.
Le dosage de la neurone specific enolase
est moins sensible et moins spécifique.
Traitement
:
En dehors de leur taille importante et de la fréquence des métastases
hépatiques, les tumeurs endocrines non fonctionnelles n’offrent pas
de particularité thérapeutique et nous renvoyons le lecteur au
chapitre consacré au traitement des tumeurs endocrines.
Environ 30
à 40 % de ces tumeurs peuvent être réséquées dans une intention de
traitement curatif.
Pronostic
:
Le caractère non fonctionnel est associé en étude univariée à une
survie à 5 ans inférieure (53,2 %) à celle des malades avec une
tumeur fonctionnelle (73,6 % ; p < 0,009) mais ce critère pronostique
disparaît en étude multivariée devant la présence de métastases, la
différenciation tumorale et la possibilité de réséquer la tumeur
primitive.
Pour White et al, il n’y avait pas de différence
significative entre les tumeurs non fonctionnelles (n = 9) ou
fonctionnelles (n = 19) pour le taux de résécabilité (44 et 53 %) et
pour le taux de survie sans récidive à 2 ans (67 et 40 %).
La chirurgie à visée curative est associée à une excellente survie à
long terme, même en présence de métastases, notamment dans les
séries japonaises.
Le taux de survie globale à 1, 3 et 5 ans pour 16
malades ayant eu une résection à visée curative était respectivement
de 94, 83 et 83 %.
Dans une autre série de 16 malades dont neuf
avaient des métastases hépatiques ou ganglionnaires et qui ont tous
été opérés à visée curative, le taux de survie était de 100 % à 5
ans.
D’autres séries rapportent des chiffres un peu moins
optimistes.
Après chirurgie à visée curative, le taux de survie à 5
ans était de 72 % en l’absence de métastases ganglionnaires, 44 % en
cas de tumeur localement évoluée et 40 % en présence de métastases
à distance.
Parmi 12 malades ayant une tumeur non fonctionnelle
dont dix avaient des métastases à distance, la durée moyenne de
survie était de 23 ± 7 mois.
La survie à 5 ans parmi 39 malades
ayant une tumeur localisée sans métastase était de 72 % après
résection et 44 % en l’absence de résection.
Parmi 34 malades ayant
des métastases, ces deux chiffres étaient respectivement de 41 % et
38 %.
Au total, ces chiffres montrent bien que les taux de survie sont élevés
même en présence d’un envahissement local ou de métastases à
distance et qu’un traitement chirurgical agressif est justifié à chaque
fois qu’il est possible et que l’ensemble des localisations tumorales
peut être réséqué.
Tumeurs endocrines non différenciées
:
Ces tumeurs ont une évolution similaire à celle du carcinome
bronchique à petites cellules.
Elles sont extrêmement agressives,
associées à une profonde et rapide altération de l’état général.
Elles
sont métastatiques d’emblée dans la totalité des cas et ne relèvent
pas d’un traitement chirurgical qui pourrait même être délétère.
Leurs caractéristiques histologiques sont détaillées dans le chapitre
consacré à l’anatomopathologie des tumeurs endocrines.
En raison
de leur indifférenciation, aucune sécrétion hormonale n’est dosable
dans le plasma.
Rappelons que la différenciation tumorale est un
des trois facteurs pronostiques isolés par une étude
multidimensionnelle.
Le traitement repose sur une chimiothérapie différente de celles qui
sont utilisées pour les tumeurs fonctionnelles.
La chimiothérapie de
référence est l’association étoposide cisplatine.
Elle a été proposée
en 1991 pour la première fois par Moertel et al.
Deux autres
études ont confirmé ces résultats avec des résultats cependant
inférieurs.
Cette association chimiothérapeutique est
lourde, notamment en raison de sa toxicité hématologique.
La
réponse objective est souvent spectaculaire mais brève, avec un taux
de survie à 2 ans inférieur à 20 %.