Les endocardites bactériennes (EB) représentent la quasitotalité
des endocardites infectieuses (EI), les endocardites
infectieuses fungiques étant rares.
Lincidence de lendocardite
infectieuse est remarquablement similaire dans les
pays développés.
Lincidence annuelle standardisée sur la
distribution de la population française était de 2,43 cas pour
100 000 habitants en 1990 (1 000 à 1 500 cas annuels).
Elle est plus élevée chez les hommes (ratio de 1,6 à 2,5
selon les études).
Sa fréquence augmente très nettement
après 50 ans avec un pic survenant vers 70-75 ans.
B - Maladies cardiaques sous-jacentes :
Dans une enquête française, un tiers des endocardites infectieuses
sont survenues sur des valvulopathies natives, 22 % sur des patients porteurs de prothèses valvulaires,
11 % sur dautres atteintes (cardiopathies congénitales,
stimulateurs cardiaques) et 34 % chez des patients sans
cardiopathie ni valvulopathie connues.
La fréquence des
endocardites infectieuses sur maladie rhumatismale a diminué
au cours des dernières décennies, à linverse des endocardites
infectieuses sur valvulopathie dystrophique dégénérative
qui représentent 20 à 30 % des endocardites
infectieuses actuellement (augmentation en rapport avec le
vieillissement de la population).
Cela expliquerait la progression
des atteintes aortiques qui sont aujourdhui plus
fréquentes que les atteintes mitrales.
Parmi les cardiopathies valvulaires, les insuffisances aortique
et mitrale sont les principales causes préexistantes des
endocardites bactériennes.
Le rétrécissement aortique est
rarement en cause et le rétrécissement mitral exceptionnellement.
Dans le cas du prolapsus valvulaire mitral, les études
ont prouvé que le risque dendocardite infectieuse était supérieur
si les valves sont épaissies (> 5 mm) et sil existe un
souffle dinsuffisance mitrale, ce qui représente 20 % des
prolapsus mitraux.
Les valvulopathies tricuspidiennes sont
rarement en cause, les endocardites infectieuses du coeur
droit touchant habituellement des valves saines dans un
contexte particulier (toxicomanie, iatrogenèse par injection
intraveineuse ou cathéter veineux).
Parmi les cardiopathies congénitales : la communication interventriculaire, la tétralogie de Fallot (surtout chez
les patients ayant une anastomose systémo-pulmonaire), et
la sténose aortique sont les cardiopathies sous-jacentes les
plus fréquemment rencontrées.
Les cardiopathies cyanogènes
autres que la tétralogie de Fallot (ventricule unique,
transposition des gros vaisseaux, ventricule droit à double
issue, Ebstein, atrésie tricuspidienne) ont un risque particulièrement
élevé de greffe bactérienne.
La bicuscipidie
aortique est une cause favorisante importante.
Au contraire,
le risque dendocardite infectieuse est faible en cas de sténose
pulmonaire, de persistance du canal artériel, de coarctation de laorte (du fait de la cure habituelle de ces malformations
dans lenfance) et est quasi nul en cas de communication interauriculaire. (CIA).
C - Porte dentrée
:
Elle est inconstamment retrouvée (67 % des cas) mais doit
toujours être recherchée par un interrogatoire quasi policier.
La porte dentrée dentaire est la plus fréquente : tout
soin qui provoque une plaie gingivale peut être en cause
(même un simple détartrage dentaire).
Les autres portes
dentrées les plus fréquentes sont digestive, cutanée, urinaire, ORL.
Parmi toutes ces portes dentrées, lorigine
iatrogène est notable (cathéter intraveineux, chirurgies
diverses, coloscopie, etc.).
D - Bactéries responsables :
Les streptocoques et entérocoques sont responsables de
57 à 63 % des endocardites infectieuses.
Lidentification
précise de lespèce microbienne permet de sorienter vers
la porte dentrée de linfection.
Les streptocoques oraux
(viridans) sont le plus souvent retrouvés mais leur isolement
sur des hémocultures peut correspondre à une contamination.
Les streptocoques du groupe D, dorigine digestive,
sont responsables de 20 % des endocardites
infectieuses : S. bovis est le plus souvent isolé puis les entérocoques
comme Enterococcus faecalis ; la découverte
dun de ces germes impose ultérieurement la réalisation
dune colonoscopie totale.
Les streptocoques b-hémolytiques
des groupes A, B, C, G sont isolés dans environ 4 à
5 % des cas.
Dix-sept à 30 % des endocardites bactériennes sont dues
au staphylocoque aureus.
Il sagit du germe le plus fréquemment
retrouvé chez les porteurs de prothèse valvulaire,
les toxicomanes, ou lors dendocardite bactérienne
sur cathéters intraveineux.
Les staphylocoques coagulase
négatifs sont retrouvés dans 3 à 8 % des cas, essentiellement
chez des patients porteurs de prothèse valvulaire.
La
porte dentrée des endocardites bactériennes staphylococciques
est le plus souvent cutanée et (ou) iatrogène.
Parmi les bacilles gram-négatifs, les entérobactéries sont
très rarement responsables dendocardite bactérienne et celles
du groupe HACEK (Hæmophilus, Actinobacillus, Cardiobacterium,
Eikenella, Kingella) le sont dans 3 % des cas.
Les endocardites bactériennes dues à des bactéries
gram-positifs (Lactobacillus, Listeria) restent rares.
Enfin, il existe tous les germes pouvant être responsables
dendocardites bactériennes à hémocultures négatives : Coxiella burnetii (agent responsable de la fièvre Q),
Brucella, Chlamydia (psittaci, pneumoniæ ou trachomatis),
Legionella, Bartonella (essentiellement quintana,
lagent de la fièvre des tranchées et henselae, agent de la
maladie des griffes du chat) et Mycoplasma pneumoniæ.
Ces germes représentent environ 5 % des endocardites
bactériennes.
Physiopathologie :
Les bactéries diffusent dans la circulation à partir de la
porte dentrée et se fixent sur lendocarde endommagé par
une lésion de jet ; elles sont rapidement fixées par une
végétation fibrinoplaquettaire.
Les conséquences sont au
nombre de deux :
Infectieuses avec une destruction tissulaire intracardiaque
secondaire à linflammation et à linfection.
Des abcès peuvent
se former, rendant laccès des cellules immunitaires
aux foyers infectieux difficile.
Des embols septiques, contenant
des germes ou stériles, sont à lorigine dinfarctus ou
dinfection en périphérie (infarctus splénique, abcès cérébral,
etc.).
La bactériémie persistante peut être à lorigine
dautres sites infectieux : pyélonéphrite, spondylodiscite,
etc.
Enfin, la réponse antigénique, en cas dinfection prolongée,
est à lorigine de la formation de complexes
immuns circulants qui sont à lorigine de troubles vasculaires,
cutanés, articulaires, rénaux ou cardiaques.
Hémodynamiques avec une surcharge volumétrique aiguë,
secondaire à linsuffisance aortique ou mitrale, avec augmentation
des pressions de remplissage sans dilatation importante
des cavités et diminution du débit cardiaque effectif
antérograde, expliquant la défaillance cardiaque clinique.
Diagnostic
:
La distinction classique entre endocardite infectieuse aiguë
et endocardite infectieuse subaiguë, encore appelée maladie
dOsler, nest plus dactualité.
Mais il faut garder à lesprit
que le staphylocoque aureus, responsable de la majorité des
endocardites infectieuses aiguës, est toujours responsable
dendocardite infectieuse rapidement évolutive et représente
une urgence diagnostique et thérapeutique.
A -
Diagnostic clinique :
Lassociation dune fièvre non expliquée et dun souffle
cardiaque doit toujours faire suspecter le diagnostic dendocardite
infectieuse.
La fièvre ne manque pratiquement jamais (80 à 90 %
des cas).
Elle peut prendre divers aspects : fébricule non
ressentie par le malade, fièvre modérée prolongée en plateau
ou ondulante dans les formes latentes, fièvre hectique
dans les formes plus aiguës.
Elle peut saccompagner dun
syndrome pseudo-grippal (malaise général, myalgies,
arthralgies) avec altération plus ou moins sévère de létat
général.
Linterrogatoire doit rechercher des antécédents de chirurgie
cardiaque (prothèse valvulaire notamment), de rhumatisme
articulaire aigu, de valvulopathie native et une
éventuelle porte dentrée.
Lexamen clinique doit être complet et répété.
Lauscultation cardiaque retrouve un souffle dans 80 à
85 % des cas mais seules la modification de lintensité et
(ou) du timbre dun souffle préexistant (10 à 40 % des cas)
ou lapparition dun souffle cardiaque chez un patient ayant
une auscultation normale auparavant sont suggestives.
La
recherche de signes dinsuffisance cardiaque doit être systématique,
ainsi quun examen neurologique complet.
On recherche aussi des signes périphériques de très haute
valeur diagnostique : la splénomégalie est présente dans
30 à 40 % des endocardites infectieuses traînantes, en labsence
même dembols septiques spléniques.
Les signes cutanéo-muqueux sont rares : les pétéchies sont
les plus fréquentes, elles sont localisées aux conjonctives et
à la muqueuse buccale mais ne sont pas spécifiques dendocardites
infectieuses ; les faux panaris dOsler sont des
nodosités rouges, douloureuses, siégeant à la pulpe des phalanges
distales des doigts ou des pieds, pouvant être fugaces.
On les observe dans moins dun quart des cas mais sont très
évocateurs dendocardites infectieuses, sans être spécifiques.
Lérythème palmo-plantaire hémorragique de Janeway est
encore plus rare.
Lhippocratisme digital ne sobserve que
dans les formes prolongées de la maladie.
Un fond doeil
peut rechercher les taches hémorragiques de Roth.
Enfin, lexamen clinique doit rechercher des signes de choc
septique (marbrures, hypotension) ainsi que la porte dentrée
(examen cutané minutieux, état dentaire, etc.).
B - Examens biologiques :
Toute suspicion dendocardites infectieuse doit faire réaliser
rapidement des hémocultures.
Celles-ci doivent être
réalisées avant toute antibiothérapie, sur deux milieux de
culture (aérobie et anaérobie), de préférence lors de pics
fébriles ou de frissons et doivent être répétées (3 à 4 paires
dhémocultures à une heure dintervalle si le patient na
pas reçu dantibiotiques) car le nombre de bactéries dans
le sang est assez faible.
Si le patient a pris des antibiotiques
auparavant, les hémocultures seront à répéter de façon itérative
pendant 24 à 72 heures ; on pourra aussi utiliser des
milieux de cultures contenant des résines permettant labsorption
des antibiotiques.
Si la majorité des isolements
bactériens sont réalisés dans les 7 premiers jours, certaines
bactéries sont à croissance longue (plus de 20 jours).
Dix pour cent des endocardites infectieuses sont à
hémocultures négatives : dans 50 % des cas, une antibiothérapie
préalable est responsable de la négativation des
hémocultures.
Dans environ 10 % des cas, il sagit de bactéries à croissance lente (bactéries du groupe HACEK par
exemple).
Les cas restant sont dus à des germes à développement
intracellulaire.
Il faut réaliser un bilan complémentaire
si les hémocultures restent stériles : détermination
du titre des anticorps antiacide teichoïque et
antistaphylolysines à la recherche dune étiologie staphylococcique
; envoi de deux tubes de sang (10 mL) prélevés
sur héparine pour la culture de Bartonella et de Coxiella
burnetii ; sérologies Chlamydiæ, Brucella, Legionella,
Mycoplasma pneumoniæ, Bartonella, Coxiella burnetii (en
déterminant pour celle-ci par immunofluorescence les titres
des anticorps contre les antigènes de phases I et II).
En cas de chirurgie, une étude anatomo-pathologique
et une mise en culture des valves est indispensable ; il faut
pour cela que la valve ne soit pas au contact dantiseptiques
en peropératoire.
Le résultat de cette mise en culture conditionnera
la durée de lantibiothérapie postopératoire.
Des prélèvements doivent être réalisés au niveau de la
porte dentrée.
Les autres examens nont quun intérêt
dorientation : numération formule plaquettes, vitesse de
sédimentation, C-réactive protéine (CRP), recherche dune
hématurie.
C - Examens dimagerie
:
Léchographie-doppler cardiaque est, avec les hémocultures,
lexamen de référence pour le diagnostic des endocardites
bactériennes.
Léchographie transthoracique est
non invasive et pourra être répétée régulièrement pour surveiller
lévolution.
Léchographie transoesophagienne est
beaucoup plus sensible et est pratiquée très largement, surtout
à la phase initiale.
Léchographie a un but diagnostique, pronostique et
dorientation thérapeutique.
Elle recherche des végétations
(échos mobiles présents sur les valves) et permet la mesure
de leurs diamètres.
Lexamen recherche aussi une cardiopathie
sous-jacente, évalue les fuites valvulaires, la fonction
ventriculaire gauche et recherche des complications
intracardiaques : abcès septal, périannulaire ou périprothétique,
mutilation valvulaire, désinsertion de prothèse.
Les examens invasifs ne sont pas nécessaires au diagnostic,
le cathétérisme cardiaque gauche étant même dangereux
du fait du risque de détachement des végétations.
Une
coronarographie préopératoire peut être réalisée.
Évolution
:
A - Pronostic :
Le taux de mortalité hospitalière initial est de 16 à 20 %
dans les statistiques actuelles.
Il est encore plus élevé, de
lordre de 50 %, en cas dendocardite bactérienne sur prothèse
valvulaire.
Les malades qui sortent de lhôpital ont
un taux annuel de mortalité voisin de 3 %.
Les rechutes
sobservent dans 2 à 3% des cas.
B - Complications :
Complications cardiaques : linsuffisance cardiaque,
essentiellement ventriculaire gauche, est la complication
la plus fréquente (30 % des endocardites bactériennes) et la première cause de mortalité des endocardites bactériennes.
Elle est liée dans la majorité des cas aux mutilations
valvulaires créées par la greffe infectieuse : perforation
valvulaire, obstruction valvulaire par des végétations,
abcès périannulaires.
Les troubles de conduction cardiaque
(blocs de branches ou auriculoventriculaires) témoignent
de la formation dabcès dans les voies de conduction ; ils
ont une signification péjorative.
Des myocardites et des
péricardites septiques sont aussi associées à lendocardite
bactérienne.
Enfin, des embols coronariens peuvent être à
lorigine de nécrose myocardique.
Complications extracardiaques : les complications neurologiques
représentent la deuxième cause de mortalité de
lendocardite bactérienne.
Les accidents vasculaires cérébraux sont les plus fréquents.
Ils sont de deux types : le
plus souvent ischémiques (75 % des cas) par embol périphérique
mais peuvent aussi être hémorragiques par rupture
danévrisme mycotique ou transformation hémorragique
dun infarctus blanc (une hémorragie méningée est
souvent associée).
Les méningites et les abcès cérébraux
sont plus rares.
La réalisation dune tomodensitométrie
cérébrale doit être systématique dans le bilan dextension
de lendocardite bactérienne.
Linsuffisance rénale peut être secondaire à une glomérulonéphrite
à complexes immuns, à un infarctus ou un abcès
rénal, à une néphrotoxicité médicamenteuse ou à linsuffisance
cardiaque.
Une hématurie macro- ou microscopique
doit être recherchée.
Les infarctus et abcès spléniques peuvent se compliquer de
rupture splénique gravissime.
La réalisation dune tomodensitométrie
abdominale doit être systématique.
Au niveau ostéo-articulaire : des arthralgies, des ostéoarthrites,
des spondylodiscites et des sacro-iléites sont
décrites.
Enfin, lendocardite bactérienne peut se compliquer dembols
périphériques et danévrismes mycotiques.
Traitement :
A - Prophylaxie de lendocardite bactérienne :
Une antibioprophylaxie doit être réalisée en cas de geste à
risque chez des patients porteurs de cardiopathie à risque élevé dendocardite infectieuse.
Les patients doivent en être
informés par leur médecin et doivent être porteurs dune
carte de prévention de lendocardite infectieuse.
Il est
estimé quun cas sur deux dendocardite infectieuse survenant
chez des patients à risque pourrait être évité par cette antibioprophylaxie.
B - Traitement antibiotique :
Le traitement antibiotique doit être débuté rapidement après
les hémocultures.
Ce traitement doit être bactéricide et doit
comporter une association dantibiotiques synergiques.
La
posologie doit être élevée et adaptée aux concentrations
minimales bactéricides ou inhibitrices des antibiotiques.
Le mode dadministration est intraveineux.
Lantibiothérapie
est dabord probabiliste (selon la porte dentrée, que
lendocardite infectieuse soit sur valve native ou sur prothèse)
puis adaptée au germe isolé et à lantibiogramme.
La durée doit être prolongée : 40 jours en moyenne. Les
aminosides sont recommandés pour 14 jours en association.
Des dosages sériques sont nécessaires pour les aminosides
et les glycopeptides.
Dans le cas des endocardites infectieuses à germe intracellulaire,
on administre des antibiotiques à forte pénétration
intracellulaire (doxycycline, fluorocuinolones, rifampicine)
pendant une durée prolongée.
Pour lendocardite
de la fièvre Q, lassociation doxycycline + hydroxychloroquine
est recommandée et est préconisée plusieurs
années.
C - Traitement chirurgical :
Le traitement chirurgical pose le problème des indications :
actuellement, le remplacement valvulaire par prothèse
mécanique peut être précoce, sans attendre la stérilisation
de lendocardite infectieuse par les antibiotiques comme
autrefois.
En cas dinsuffisance cardiaque résistante au traitement
symptomatique, la chirurgie doit être rapide (latteinte
est alors plus souvent aortique ou mitro-aortique que
mitrale pure) ; elle est différée si le patient est bien équilibré
sous traitement.
Les données bactériologiques et
lévolution du syndrome infectieux interviennent également
dans la décision chirurgicale.
Lindication opératoire
est systématique en cas dendocardite infectieuse sur prothèse.
Des épisodes emboliques périphériques associés à
des végétations volumineuses et (ou) mobiles sont une indication
de chirurgie urgente.
D - Traitements associés
:
Les anticoagulants ne doivent pas être prescrits systématiquement,
sauf en cas de prothèse valvulaire.
En cas dinsuffisance
cardiaque, le patient doit bénéficier dun traitement
symptomatique.
Naturellement, la porte dentrée, si
elle est retrouvée, doit être éradiquée.