Embolies artérielles des membres

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Introduction :

Les embolies artérielles des membres se définissent par l’arrêt d’un corps étranger en migration dans une artère.

Il s’agit le plus souvent d’un caillot provenant d’une source située en amont, cardiaque ou vasculaire, et s’arrêtant à un niveau variable des artères des membres supérieurs ou inférieurs.

L’étiologie s’est modifiée depuis trois décennies.

Les causes rhumatismales se sont raréfiées, au profit des causes athéromateuses, ce qui a modifié l’âge et le pronostic de cette pathologie.

L’embolectomie par le cathéter de Fogarty, ainsi que les nouvelles techniques de thromboaspiration et de fibrinolyse in situ ont permis de limiter le taux d’amputations, mais le taux de mortalité reste élevé, en relation avec l’étiologie et le terrain.

Anatomie pathologique :

La nature des emboles est variable.

Embolies artérielles des membres

– Les caillots rouges formés de fibrine et de tous les éléments figurés du sang sont les plus fréquents.

Les caillots blancs purement plaquettaires s’observent notamment au cours des thrombopénies dues à l’héparine, réalisant des thromboses in situ susceptibles de migrer.

– Les embolies athéromateuses sont formées de fragments de plaque athéromateuse verruqueuse.

Elles renferment du tissu fibreux et calcaire, ainsi que du cholestérol. Une variante est François Bacourt : Professeur des Universités, hôpital Américain, 63, boulevard Victor-Hugo, 92202 Neuilly-sur-Seine cedex, France. représentée par les embolies de cholestérol qui migrent dans les artérioles périphériques.

– Les embolies calcaires proviennent surtout des rétrécissements aortiques et parfois de végétations artérielles coralliformes.

– Les embolies septiques sont des amas de germes provenant de végétations septiques situées sur les valves cardiaques natives ou non, ou sur une prothèse artérielle, ou encore lors d’une infection artérielle (anévrismes septiques).

– Les embolies tumorales provenant de tumeurs cardiaques ou artérielles sont exceptionnelles.

– Les embolies de corps étrangers peuvent concerner des balles, des plombs, des cathéters…

Étiologie :

Il apparaît que la plupart des embolies artérielles des membres sont d’origine cardiaque.

La meilleure connaissance des causes artérielles et celle des embolies paradoxales a réduit la fréquence des embolies de cause inconnue qui reste encore importante.

A – ORIGINE CARDIAQUE :

Les principales causes sont l’arythmie par fibrillation auriculaire (60 %) et l’infarctus du myocarde (20 %).

Les lésions valvulaires, surtout le rétrécissement mitral, sont moins souvent en cause depuis la régression du rhumatisme articulaire aigu.

Les autres causes les plus fréquentes sont les cardiopathies dilatées non ischémiques, les endocardites infectieuses, les prothèses valvulaires.

B – ORIGINE ARTÉRIELLE :

Elle représente le quart des embolies des membres supérieurs.

Elle provient de plaques athéromateuses aortique, iliaque, fémorale ou sous-clavière, à l’origine :

– soit d’embolies macroscopiques formées de débris athéromateux ou de fragment de thrombose fixé sur une plaque ;

– soit d’embolies microscopiques constituées de dépôts fibrineux hyalins ou de cristaux de cholestérol (objet d’un chapitre distinct).

Les anévrismes artériels, quels qu’en soient le siège et la nature, peuvent être la source de migrations provenant de la fragmentation de la thrombose murale quasi constante.

Les traumatismes artériels aigus ou répétitifs par une formation anormale (os, tendon, tumeur …) peuvent être à l’origine d’une embolie à partir d’une lésion intimale, partiellement thrombosante.

Une embolie peut être en rapport avec divers gestes diagnostiques ou thérapeutiques : cathétérisme artériel, traitement fibrinolytique, chirurgie artérielle, prothèse thrombosée, etc.

D’autres causes très rares peuvent être citées : tumeurs aortiques, projectiles.

C – ORIGINE VEINEUSE :

Les embolies paradoxales résultent de la migration d’une thrombose veineuse dans le système artériel par une communication anormale entre les cavités droite et gauche (le plus souvent un foramen ovale persistant), à la faveur d’une hyperpression dans les cavités droites (embolie pulmonaire, manoeuvre de Valsalva).

La communication anormale est mise en évidence au mieux par échographie transoesophagienne avec contraste gazeux.

Topographie des embolies :

Les caillots s’arrêtent en règle au niveau d’une bifurcation artérielle ou après la naissance d’une grosse branche collatérale, lorsque le calibre de l’artère se réduit.

Les embolies artérielles des membres inférieurs représentent 75 % des cas.

La localisation sur la bifurcation aortique est particulièrement grave, menaçant les deux membres inférieurs et mettant en cause le pronostic vital.

Les embolies des artères des membres supérieurs concernent pour 20 % les artères sous-clavières, 20 % les artères axillaires, et 60 % la bifurcation de l’artère humérale.

L’embolie de la bifurcation du tronc artériel brachiocéphalique associe une ischémie du membre supérieur droit et des signes neurologiques du côté gauche.

Signes cliniques :

L’expression clinique des embolies artérielles des membres est très variable.

Tous les intermédiaires peuvent s’observer entre l’ischémie aiguë et les formes asymptomatiques.

A – ISCHÉMIE AIGUË TRONCULAIRE :

Le diagnostic repose sur l’association de douleur aiguë, d’une impotence fonctionnelle, d’un membre froid et pâle, d’un retour veineux absent.

Il impose :

– de situer le niveau de l’oblitération artérielle ; – de préciser l’étiologie de l’ischémie ;

– de déterminer si l’artère oblitérée était auparavant saine ou pathologique (essentiellement artéritique) ;

– d’apprécier le retentissement général de l’ischémie ;

– de rechercher d’autres localisations emboliques (autres membres, cerveau, rein, tube digestif).

Tous ces points, ainsi que la place de l’artériographie, sont détaillés dans le fascicule « Ischémie aiguë des membres ».

B – ISCHÉMIE SUBAIGUË :

Lorsque les signes neurologiques sont mineurs, transitoires ou absents, on parle volontiers d’« ischémie subaiguë ».

L’enquête doit être la même et le traitement rapide.

Cependant, l’absence de signes neurologiques autorise une artériographie dans les meilleurs délais.

C – ISCHÉMIE CHRONIQUE :

Une embolie peut se traduire d’emblée par une claudication intermittente, ce qui est en faveur d’un athérome préexistant ayant permis le développement d’une circulation collatérale.

D – EMBOLIES ASYMPTOMATIQUES :

Une embolie de l’artère fémorale profonde, de l’artère hypogastrique ou d’une artère de jambe est souvent asymptomatique.

Ces embolies sont dangereuses car elles suppriment des collatérales importantes et entraînent une dégradation du lit d’aval, aggravant le pronostic en cas de récidive.

E – MICROEMBOLIES ATHÉROMATEUSES (EMBOLIES DE CHOLESTÉROL) :

Elles font l’objet d’un chapitre distinct.

F – MICROEMBOLIES SEPTIQUES :

Elles évoluent dans un contexte fébrile et septicémique.

Elles se manifestent par des nodules sous-cutanés inflammatoires, des placards lymphangitiques, des taches purpuriques plus ou moins diffuses, inflammatoires.

Elles peuvent s’accompagner d’arthrites septiques du pied, de la cheville ou du genou. Elles doivent faire rechercher un foyer septique en amont.

Diagnostic différentiel :

A – EMBOLIES TRONCULAIRES :

1- Thrombose artérielle :

Le principal diagnostic est la thrombose artérielle qui se caractérise par une oblitération in situ, sans migration de caillot, sur une artère habituellement athéromateuse.

Typiquement, elle diffère de l’embolie par :

– l’âge plus avancé ;

– l’existence d’antécédents de claudication intermittente ;

– un début moins brutal ;

– un terrain athéromateux : antécédents vasculaire, cardiaque, ou cérébral, facteurs de risques, terrain familial ;

– l’existence d’une cause favorisante : chute du débit cardiaque par insuffisance cardiaque ou par hypovolémie, hypercoagulabilité (polyglobulie, hyperplaquettose…) ;

– l’absence de causes emboliques cardiaques ;

– des signes d’artériopathie chronique particulièrement visibles sur le membre inférieur controlatéral ;

– l’aspect artériographique de l’oblitération : effilé, en « queue de radis », opposé à l’aspect cupuliforme de l’embolie, l’existence de collatérales partant de l’artère en amont de la zone oblitérée étant l’un des meilleurs arguments en faveur d’une sténose préexistante, ainsi que l’existence de sténoses sur les artères du membre opposé.

En fait, le diagnostic est souvent difficile :

– l’embolie survient à l’heure actuelle souvent chez des sujets âgés athéromateux ;

– l’athérome peut atteindre également des malades jeunes ;

– la brutalité du début peut être identique ;

– l’athérome cardiaque est une cause fréquente d’embolie ;

– l’aspect artériographique de l’interruption n’est pas un signe constant ;

– la cause des embolies n’est pas toujours évidente ;

– une embolie peut survenir sur une artère athéromateuse, ce qui est fréquent à l’heure actuelle puisque le terrain est commun.

En pratique, il est surtout important de déterminer si l’oblitération artérielle survient sur une artère saine (essentiellement embolie), ou sur une artère pathologique, qu’il s’agisse d’une embolie ou d’une thrombose.

Les mesures thérapeutiques seront déterminées essentiellement par cette donnée.

2- Maladie de Buerger :

Elle peut se discuter devant des oblitérations tronculaires prédominant sur les artères de jambe, chez un sujet jeune.

Le diagnostic est orienté par un tabagisme constant, une atteinte veineuse associée.

Il ne doit être retenu qu’après élimination formelle d’une compression extrinsèque par un « piège poplité », ou d’un kyste adventiciel, ou encore d’un athérome du sujet jeune.

3- Dissection aortique :

Elle peut se traduire uniquement par une ischémie d’un membre, en cas d’atteinte iliaque ou sous-clavière.

Le diagnostic n’est parfois évoqué qu’à l’intervention devant une artère non battante mais vide, sans caillot, l’oblitération siégeant en amont.

4- Phlébites bleues :

Elles sont trompeuses, du fait de l’existence de signes d’ischémie (douleurs, membre froid, abolition des pouls).

Mais l’existence d’un oedème et d’une coloration bleutée ou rosée du membre doit redresser le diagnostic.

Elles répondent à des oblitérations veineuses tronculaires massives, iliaques et/ou du carrefour veineux fémoral.

Les signes artériels sont liés au blocage de la circulation artérielle par l’hyperpression veineuse et l’absence de retour veineux.

Une désobstruction veineuse s’impose parfois, mais en règle, aucun geste artériel n’est indiqué.

5- Spasmes artériels :

Ils ne doivent être retenus comme une cause d’ischémie qu’avec réserve.

Cependant, l’association de dérivés de l’ergot de seigle et de triacétyloléandomycine est susceptible d’entraîner une ischémie grave répondant aux traitements vasodilatateurs.

B – MICROEMBOLIES :

L’orteil bleu peut être dû à une oblitération distale non embolique : artérite distale, maladie de Buerger, polyglobulie, ergotisme.

Cependant, la discussion doit s’élargir aux maladies de système : sclérodermie, lupus, connectivite mixte.

La périartérite noueuse est le diagnostic principal. La cryoglobulinémie, les spasmes digitaux au cours des hépatites B, les nécroses digitales des cancers peuvent simuler des microembolies.

Traitement :

A – MÉTHODES :

Elles comportent :

– le traitement médical : héparines, fibrinolytiques ;

– le traitement intra-artériel percutané : thromboaspiration, fibrinolyse in situ ;

– l’embolectomie chirurgicale par cathéter de Fogarty ;

– la revascularisation par pontage ou par dilatation endoluminale en cas d’embolies sur artérite ;

– des gestes chirurgicaux complémentaires : aponévrotomies, excisions musculaires, lavage de membre, prévention d’équinisme du pied par fixateur externe, amputations.

Ces méthodes sont détaillées dans le fascicule « Ischémie aiguë des membres ».

B – TRAITEMENT DE LA CAUSE :

Il représente la prévention des récidives, fréquentes et graves.

Le traitement chirurgical est indiqué, chaque fois que possible, pour supprimer une cause cardiaque ou artérielle d’embolie : valvulopathie cardiaque, anévrisme, tumeur, plaque athéromateuse emboligène.

Lorsque le foyer emboligène ne peut être traité chirurgicalement, le traitement par antivitamine K au long cours est indispensable.

Cependant, en cas d’athéro-embolisme à point de départ aortique, il n’y a pas d’indication aux anticoagulants qui aggraveraient la tendance embolique.

C – INDICATIONS THÉRAPEUTIQUES :

1- Embolies tronculaires sur artère saine avec ischémie aiguë :

Elles relèvent d’une thromboaspiration ou d’une embolectomie chirurgicale encadrée par une héparinothérapie efficace.

2- Embolies sur artère pathologique :

Elles sont traitées par embolectomie à la sonde de Fogarty ou par thromboaspiration associée à une dilatation endoluminale ou à un pontage pour traiter l’artère pathologique.

Elles peuvent être traitées directement par pontage sans tentative d’embolectomie, si les lésions artérielles sont diffuses, sous réserve que le lit distal soit suffisant.

En cas de désobstruction incomplète du lit distal, une fibrinolyse in situ est indiquée.

3- Embolies du carrefour aortique :

Elles sont traitées par embolectomie bilatérale à partir d’un abord des deux artères fémorales communes au triangle de scarpa.

4- Embolies paradoxales :

Leur traitement comporte une interruption cave première, de préférence par filtre, par voie jugulaire sous anesthésie locale.

Ainsi sera évitée l’hypertension pulmonaire observée fréquemment au cours de l’induction de l’anesthésie générale et susceptible de provoquer des récidives.

Le traitement de l’embolie artérielle suivra, sans particularités.

5- Embolies tronculaires avec ischémie subaiguë :

Dans ces cas, les traitements fibrinolytiques, de préférence par voie locale, peuvent donner les meilleurs résultats, surtout en présence d’une artérite fémorojambière diffuse.

Le traitement hépariné isolé donne lui aussi des résultats satisfaisants dans ces formes.

6- Embolies tronculaires avec ischémie chronique :

Elles relèvent en règle d’un pontage, si le lit d’aval l’autorise.

7- Microembolies :

Elles relèvent de l’héparinothérapie et des vasodilatateurs par voie générale.

Cependant, l’héparine sera proscrite dans les embolies de cholestérol qu’elle favoriserait.

D – RÉSULTATS :

Le risque est double, vital et local.

La mortalité reste élevée en relation avec l’âge, la cause, l’état cardiopulmonaire et la localisation haute de l’embole.

Elle est globalement évaluée autour de 15 % dans les séries récentes.

Le taux des amputations chez les survivants s’est globalement abaissé en même temps que le taux des gestes de restauration vasculaire s’est élevé.

Il se situe autour de 20 %. Les récidives surviennent dans 7 % des cas sous anticoagulant et dans 21 % des cas sans anticoagulant.

Elles sont souvent multiples et graves et mettent l’accent sur l’intérêt des mesures préventives.

Les causes de mortalité tardive les plus fréquentes sont, en proportion à peu près égale, les cardiopathies ischémiques, les accidents vasculaires cérébraux et le cancer.

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