La dyspnée est un symptôme défini par la sensation subjective
d’inconfort respiratoire avec perception consciente
de la respiration.
La survenue d’une dyspnée aiguë est en général symptomatique
d’une affection respiratoire ou cardiovasculaire
aiguë qui peut menacer à court terme le pronostic vital.
Elle
impose une démarche étiologique rapide et rigoureuse et
parfois des gestes d’extrême urgence.
Démarche diagnostique
:
La recherche du diagnostic étiologique ne peut être dissociée
de l’identification de signes de gravité immédiate.
La
démarche diagnostique comprend 3 temps : l’analyse des
caractères de la dyspnée qui repose essentiellement sur l’interrogatoire
et l’inspection ; l’examen physique et la réalisation
d’examens paracliniques dont quelques-uns seront
systématiques ; parallèlement, l’identification de signes de
mauvaise tolérance qui pourront déboucher sur des gestes
thérapeutiques d’extrême urgence.
A - Analyse des caractères de la dyspnée :
1-
Mode de survenue :
La survenue de la dyspnée peut être : aiguë, brutale, sans
prodrome (inaugurale) ; l’aggravation d’une dyspnée chronique
préexistante ; paroxystique ou intermittente, précédée
d’épisodes aigus ou subaigus antérieurs.
2- Circonstances d’apparition
et facteurs modifiants (déclenchants, aggravants
ou améliorants) :
L’orthopnée est l’aggravation de la dyspnée en position de
décubitus.
La platypnée est l’aggravation de la dyspnée en
position assise ou debout.
Des facteurs déclenchants particuliers sont recherchés
(traumatisme, syndrome de pénétration d’un corps étranger,
infection récente, exposition environnementale ou professionnelle,
prise de médicaments) ainsi qu’une réponse
à un éventuel traitement de toute première intention (bronchodilatateurs,
diurétiques…).
3- Type de dyspnée :
On précise :
– la fréquence respiratoire : tachypnée (supérieure à
20 cycles/min) ; bradypnée (inférieure à 10 cycles/min) ;
polypnée superficielle ;
– le temps où prédomine la dyspnée : inspiratoire ou expiratoire
;
– certains rythmes respiratoires sont caractéristiques : dyspnée
de Küssmaul (mouvements amples aux deux temps
et pause respiratoire entre chaque temps), dyspnée de
Cheyne-Stokes (cyclique ou périodique, avec alternance
régulière de mouvements respiratoires de fréquence et
d’amplitude croissantes puis décroissantes et d’apnées).
B - Examens clinique et paraclinique :
Certains permettent d’orienter le diagnostic.
1- Contexte pathologique :
Il peut être :
• respiratoire : insuffisance respiratoire chronique, asthme,
tumeur des voies respiratoires, antécédents de pneumothorax,
tabagisme…
• extrarespiratoires : seront recherchés, en particulier des
signes en faveur d’une insuffisance cardiaque (oedèmes des
membres inférieurs si elle est globale), des signes de thrombose
veineuse profonde, des signes en faveur d’une insuffisance
coronaire, d’une endocardite ;
• généraux : fièvre, frissons, altération récente de l’état
général, trouble du sommeil.
3- Examen physique :
• L’examen thoracique complet devra identifier en particulier
:
– des anomalies de la morphologie thoracique et de la dynamique
respiratoire (asymétrie ventilatoire voire immobilité
d’un hémithorax, tirage, respiration paradoxale, syndrome
cave supérieur) ;
– des bruits anormaux (cornage, wheezing, sifflements, mais
aussi bien sûr tous les signes d’auscultation pathologique) ;
– une asymétrie d’examen (par exemple, matité et hypoventilation
unilatérale évoquant une pleurésie ou une atélectasie,
hypoventilation et tympanisme évoquant un pneumothorax)
;
– une auscultation cardiaque anormale [accélération de la
fréquence, bradycardie, et (ou) du rythme, galop, souffle,
frottement].
• L’examen général recherche notamment des signes de
thrombose veineuse profonde, des signes en faveur d’une
endocardite, des signes d’intoxication médicamenteuse.
4- Examens paracliniques de base
:
Certains seront systématiques en l’absence d’orientation
précise et demandés en urgence : gaz du sang artériel, radiographie
thoracique de face (et de profil si l’état du patient
le permet), électrocardiogramme, numération formule sanguine,
ionogramme sanguin (Na, K, urée et créatinine) et D-dimères dont la normalité des valeurs permet d’éliminer
dans 95 % des cas une thrombose veineuse profonde.
On se méfiera des clichés thoraciques réalisés à la hâte dans
de mauvaises conditions (clichés en décubitus, en inspiration indifférente, mal centrés…).
D’autres examens seront demandés en fonction du contexte
immédiat (par exemple, endoscopie bronchique pour aspiration
en cas d’encombrement majeur, échocardiographie
si argument pour une pathologie cardiovasculaire ou dans
un second temps, en fonction de l’orientation diagnostique
initiale.
C - Évaluation de la tolérance :
L’évaluation de la tolérance peut déboucher sur des gestes
d’extrême urgence.
Les signes neuropsychiques sont à type d’agitation puis
confusion ou torpeur, encéphalopathie avec flapping tremor
; au maximum, coma respiratoire.
• Signes biologiques
On recherche :
– hypoxémie inférieure à 40 mmHg en air ambiant quel
que soit le passé pathologique (risque d’arrêt cardiaque) ;
– hypercapnie sur poumon antérieurement sain ;
– acidose métabolique traduisant la souffrance tissulaire
périphérique aiguë ;
– insuffisance rénale aiguë, le plus souvent par bas débit.
2- Gestes d’urgence :
Devant une bradypnée inspiratoire aiguë avec cornage et
tirage, évocatrice d’obstruction aiguë des voies aériennes
supérieures :
– la notion d’ingestion récente d’un corps étranger (surtout
chez l’enfant), impose la manoeuvre de Heimlich ;
– l’état d’asphyxie aiguë fait imposer en urgence une trachéotomie
de sauvetage.
Devant des signes d’épuisement respiratoire et d’insuffisance
respiratoire aiguë, on réalise :
– oxygénothérapie, ventilation au masque ;
– libération des voies aériennes ;
– pose d’une voie centrale (ou de 2 voies périphériques) ;
– en fonction de l’évolution au cours des premières
minutes, intubation laryngo-trachéale et transfert en service
de réanimation respiratoire.
Ne devront pas être méconnus :
– le pneumothorax suffocant ou « à soupape », responsable
d’un refoulement médiastinal du côté opposé avec signes
de gravité respiratoires et surtout hémodynamiques, qui
impose la décompression en urgence à l’aiguille puis le
drainage thoracique ;
– un hémothorax aigu avec déglobulisation, le plus souvent
post-traumatique ou dans les suites d’un geste chirurgical.
Il impose un remplissage vasculaire et un drainage.
Diagnostic étiologique :
Il repose sur la conjonction de signes cliniques, radiologiques
et biologiques ; mais, de façon pratique, le diagnostic
est souvent orienté en fonction des premiers éléments de
l’examen clinique : existence ou non des bruits anormaux
ou d’une asymétrie pulmonaire à l’examen physique
(notamment à l’auscultation).
A - Dyspnée
avec bruits pulmonaires anormaux :
1- Dyspnée (ou bradypnée) inspiratoire
avec tirage (et parfois cornage)
:
Elle évoque un obstacle au niveau des voies aériennes supérieures
ou de la trachée :
– corps étrangers, en particulier chez l’enfant ;
– oedème glottique (post-traumatique ou oedème de
Quincke) ;
– épiglottite infectieuse ou laryngite ;
– sténose laryngée ou trachéale : inflammatoire (post-intubation),
tumorale ou compressive (goitre plongeant) ;
– exceptionnellement, paralysie des muscles dilatateurs de
la glotte (ou syndrome de dysfonction des cordes vocales).
2- Dyspnée à prédominance expiratoire
(avec râles bronchiques ou râles sibilants) :
Elle fait évoquer en priorité une bronchopneumopathie
chronique obstructive (BPCO) en poussée ou un asthme.
• BPCO avec insuffisance respiratoire chronique en
poussée.
Il s’agit d’un épisode évolutif ou d’une
complication d’une bronchite chronique (BC) obstructive,
d’un emphysème ou d’une dilatation des bronches (DDB)
étendue.
Une surinfection, un facteur spastique, une prise de sédatifs
sont souvent incriminés.
Des complications évolutives
propres peuvent être également en cause (pneumothorax
sur rupture de bulles d’emphysème, hémoptysie sur dilatation
des bronches, cancer bronchique lié au tabagisme).
Sont en faveur du diagnostic de BPCO : l’existence de facteurs
de risque (tabac notamment) ; l’exacerbation d’une
dyspnée préexistante ; l’existence d’expectorations (BC,
DDB) ; un hippocratisme digital (DDB) ; une distension
thoracique; l’existence de signes d’insuffisance cardiaque
droite ; une encéphalopathie respiratoire ; des signes radiologiques
(distension, emphysème, DDB) ; le profil des gaz
du sang (hypercapnie et acidose respiratoire) ; une polyglobulie
qui traduit une hypoxie chronique.
• Asthme : le diagnostic est habituellement facile devant
une bradypnée expiratoire et sifflante, des râles sibilants et
les données anamnestiques : asthme connu, interrogatoire
(+ carnet de santé), épisodes antérieurs de dyspnée paroxystique,
prise de bronchodilatateurs, facteurs déclenchants
(saisonnier, environnemental…).
On s’attachera à recherche
les signes de gravité.
• Plus rarement, pourront être rencontrés :
– une tumeur bronchique qui peut se manifester par une
symptomatologie d’obstruction bronchique avec wheezing
; il s’agit surtout de tumeurs malignes d’évolution
rapide, plus rarement de tumeur à malignité réduite ; on en
rapproche les compressions par une tumeur médiastinale ;
– un corps étranger intrabronchique.
• Deux états pathologiques peuvent avoir une présentation
inhabituelle.
L’insuffisance ventriculaire gauche peut
parfois se manifester à l’auscultation par une association
de râles crépitants et de signes d’obstruction bronchique
avec freinage expiratoire et râles sibilants.
L’embolie pulmonaire peut également se manifester de
façon atypique par une réaction d’obstruction bronchique dyspnéisante pouvant simuler une crise d’asthme.
3- Dyspnée avec râles crépitants :
• Râles diffus et bilatéraux ; on évoque :
– un oedème aigu du poumon (OAP) lié à une insuffisance
ventriculaire gauche aiguë ou subaiguë (orthopnée) ; on s’aidera
du contexte (cardiopathie connue, hypertension artérielle),
de l’auscultation cardiaque (galop gauche, souffle,
trouble du rythme), de l’électrocardiogramme (ECG) (ondes
Q de nécrose, hypertrophie ventriculaire gauche, trouble de
la repolarisation) ; les images radiologiques sont de type
alvéolaire, bilatérales, en ailes de papillon avec flou périhilaire,
et habituellement associées à une cardiomégalie; un émoussement des culs-de-sac pleuraux est fréquent ;
le diagnostic sera confirmé par l’épreuve thérapeutique, puis
ultérieurement argumenté par l’échographie cardiaque (cardiomyopathie,
valvulopathies, endocardite, infarctus…) ou
la fraction d’éjection isotopique ;
– un oedème lésionnel, toxique ou infectieux pouvant évoluer
vers un syndrome de détresse respiratoire aiguë
(SDRA) ;
– une maladie infiltrative diffuse aiguë du poumon (alvéolite
allergique extrinsèque, pneumopathie médicamenteuse,
notamment).
• Râles unilatéraux ; on évoque :
– une pneumopathie aiguë sévère, dans un contexte clinique
infectieux et souvent de douleurs thoraciques ; le cliché
thoracique montre des opacités alvéolaires avec bronchogramme
aérique ;
– une embolie pulmonaire distale avec foyer d’infarctus
pulmonaire peut se manifester à l’auscultation par un foyer
de râles crépitants.
La dyspnée est le plus souvent brutale
et associée à une douleur basi-thoracique.
Les gaz du sang
révèlent habituellement une hypoxie et une hypocapnie.
Le
cliché thoracique montre parfois une image caractéristique
avec foyer de condensation alvéolaire périphérique volontiers
triangulaire associé à une surélévation de la coupole
homolatérale.
4- Dyspnée avec diminution unilatérale
du murmure vésiculaire :
• Le pneumothorax est associé à un tympanisme : la dyspnée
est brutale et associée à une douleur thoracique, le
cliché thoracique est caractéristique avec une hyperclarté
unilatérale, en périphérie du poumon rétracté dont la limite
est habituellement bien visible (mais qui peut parfois
justifier un cliché en expiration pour être authentifié
sans équivoque) ; la recherche des signes de mauvaise tolérance
pouvant justifier un geste thérapeutique immédiat est
systématique.
• Une pleurésie est associée à une matité franche, dite « de
bois », et à une abolition des vibrations vocales. Le cliché
thoracique confirme le diagnostic.
En cas d’épanchement
massif, l’aspect radiologique est celui d’un poumon blanc
compressif refoulant le médiastin.
• Un trouble de ventilation (atélectasie) est associé à une
matité et à une perception normale ou augmentée des vibrations
vocales.
Le cliché thoracique montre une opacité systématisée et
rétractile qui peut donner un aspect de « petit poumon blanc»
en cas d’obstruction d’une bronche souche.
L’obstruction
est soit intrabronchique (tumeur, sécrétions bronchiques, corps étrangers) soit par compression extrinsèque.
• Plus rarement, la dyspnée est due à :
– une rupture diaphragmatique avec hernie intrathoracique
de viscères sous-diaphragmatiques (presque toujours posttraumatique)
;
– une paralysie phrénique (le plus souvent par compression médiastinale du nerf phrénique), responsable d’une
dyspnée aiguë surtout quand elle survient sur une insuffisance
respiratoire chronique préexistante.
B - Dyspnée
sans bruits pulmonaires anormaux :
Le diagnostic clinique est souvent difficile et les examens paracliniques sont ici déterminants.
1- Embolie pulmonaire :
L’embolie pulmonaire doit être évoquée en priorité.
Elle
doit être soupçonnée devant toute dyspnée aiguë en apparence
isolée même s’il n’existe pas de douleur thoracique,
ni de contexte évocateur de thrombo-phlébite.
Il existe le
plus souvent : une tachycardie, une hypoxie-hypocapnie
aux gaz du sang (ou une normocapnie chez un sujet habituellement
hypercapnique), des signes électriques (ECG)
de souffrance droite (dans les embolies graves).
Dans 95 % des cas, les D-dimères sont élevés.
En l’absence de signe radiologique, une scintigraphie pulmonaire
de ventilation-perfusion est indiquée. Normale,
elle permet d’éliminer le diagnostic.
En cas d’anomalie
caractéristique, c’est-à-dire des zones franchement hypoperfusées
et normalement ventilées, elle peut affirmer le
diagnostic.
Au moindre doute, on s’aidera du scanner spiralé
ou de l’angiographie pulmonaire qui est l’examen de
référence.
2- Causes cardiaques :
Elles correspondent à plusieurs tableaux :
• Une insuffisance cardiaque droite quelle que soit sa
cause (embolie pulmonaire, décompensation d’un coeur
pulmonaire chronique sur insuffisance respiratoire chronique
obstructive, asthme aigu « très grave »).
• Une péricardite (avec ou sans tamponnade). : la position
allongée est impossible et la position assise ou penchée en
avant soulage le malade.
L’échographie cardiaque en
urgence permet d’affirmer le diagnostic.
• Une insuffisance circulatoire aiguë s’accompagne souvent
de dyspnée.
• Une hypertension artérielle pulmonaire primitive ou
post-embolique évoluée, peut s’accompagner d’une dyspnée
sans bruits anormaux à l’occasion d’événements intercurrents
respiratoires ou cardiaques, même infracliniques.
3- Autres causes liées à un contexte particulier :
Il peut s’agir de :
• causes respiratoires : atteintes restrictives extraparenchymateuses sévères d’origine pariétale (déformation thoracique),
ou neuromusculaire (myopathie, myélopathie…),
qui peuvent être responsables de dyspnée aiguë lors d’événements
respiratoires ou cardiaques intercurrents ; une
compression médiastinale, notamment liée à un cancer
bronchique ;
• causes extrapulmonaires : anémie aiguë ; acidoses métaboliques
donnant parfois une dyspnée caractéristique dite
de Kusmaul ; shunts droite-gauche du syndrome hépatopulmonaire
donnant classiquement une dyspnée qui augmente
en position debout (platypnée) ; atteintes neurologiques
centrales qui peuvent se manifester par une dyspnée
de Cheynes-Stokes ;
– enfin, les dyspnées d’origine psychogène ou les syndromes
d’hyperventilation, qui restent des diagnostics
d’élimination, ne doivent pas être méconnues.