Les principales indications de la duodénopancréatectomie totale (DPT)
sont les tumeurs pancréatiques de localisation céphalocorporéale ou
étendues à la quasi-totalité, voire la totalité de la glande pancréatique.
Il
s’agit généralement d’un adénocarcinome.
Plus rarement, la DPT est
motivée par la présence d’une tumeur multifocale intéressant plusieurs
segments du pancréas.
Une indication plus discutée de la DPT est l’adénocarcinome de la tête
du pancréas et notamment les petites tumeurs périampullaires, ou encore
l’adénocarcinome de l’ampoule de Vater.
Cependant, les complications
postopératoires et la survie à long terme ne semblent pas améliorées par
cette résection pancréatique radicale.
Par ailleurs, la DPT
entraîne des effets secondaires, non négligeables, liés à l’insuffisance
pancréatique exocrine totale (maldigestion) et au déficit de sécrétion
endocrine (diabète instable) qui altèrent considérablement le confort de
vie de ces opérés.
L’adénocarcinome intracanalaire de la tête du pancréas constitue une
indication moins discutable de la DPT.
En effet, cette tumeur est
fréquemment multicentrique et la DPT permettrait d’éviter le risque de
récidive sur le moignon pancréatique restant.
Cependant, aucune étude
n’a démontré, jusqu’ici, la supériorité de la DPT par rapport à la
duodénopancréatectomie céphalique (DPC) dans le traitement de ce
type de tumeurs.
En ce qui concerne la pancréatite chronique fibrocalcifiante invalidante,
la DPT est très exceptionnellement proposée comme procédure
initiale.
Néanmoins, chez certains malades, déjà opérés par DPC ou
pancréatectomie caudale, une totalisation de la pancréatectomie peut
être réalisée, devant la persistance des symptômes ou la survenue de
complications évolutives.
Une totalisation de la pancréatectomie peut être motivée, dans les suites
d’une DPC, devant la survenue, en postopératoire, d’une pancréatite
aiguë ou d’une fistule pancréatique.
L’indication d’une DPT peut être portée, lorsqu’au cours d’une DPC, le
moignon pancréatique apparaît fragile et friable, circonstance qui
favorise la survenue de fistule pancréatique et de pancréatite aiguë
postopératoires.
Les traumatismes du pancréas ne justifient que très exceptionnellement
une DPT.
Une exérèse aussi radicale ne peut être envisagée qu’en cas de
délabrements pancréatiques ou duodénopancréatiques étendus
empêchant toute possibilité de cicatrisation ou de réparation.
La DPT n’a plus sa place dans le traitement des pancréatites aiguës.
Les
remaniements inflammatoires locorégionaux rendent ce type d’exérèse
périlleux avec un important risque de lésion vasculaire peropératoire et
un taux de fistule anastomotique, biliaire ou digestive, non négligeable.
L’indication d’une DPT ne peut être retenue que pour d’exceptionnelles
pancréatites aiguës graves, nécroticohémorragiques diffuses,
s’aggravant malgré le traitement médical.
Les gestes limités de nécrosectomie ont supplanté les exérèses larges dans les pancréatites
aiguës.
La totalisation secondaire d’une pancréatectomie pour récidive locale
d’un adénocarcinome du pancréas reste discutable.
Cette totalisation est
souvent associée à des gestes de résection vasculaire.
Il s’agit d’une
chirurgie complexe aux résultats décevants, grevée d’une lourde
mortalité postopératoire et d’un pronostic défavorable à court terme.
B - Technique de la duodénopancréatectomie
totale
:
Deux circonstances peuvent se présenter :
– une résection pancréatique droite ou gauche a déjà été réalisée.
Une
totalisation de la pancréatectomie est décidée.
Le cas le plus fréquent est
celui d’une résection pancréatique partielle pour tumeur, avec
découverte d’un envahissement tumoral sur la tranche de section
pancréatique à l’examen anatomopathologique en extemporané.
Dans
ces circonstances, la DPT associe les techniques des pancréatectomies
droite et gauche déjà décrites ;
– l’indication d’une DPTest retenue d’emblée de principe.
Dans ce cas,
la DPT est réalisée en « monobloc » par l’exérèse de la totalité de la
glande pancréatique, de la rate, de la totalité du cadre duodénal, de la
voie biliaire principale avec cholécystectomie et des 10-15 premiers
centimètres de jéjunum à partir de l’angle deTreitz.
Cette exérèse
emporte également l’antre gastrique, sauf dans le cas d’une pathologie
non tumorale du pancréas où peut être retenue l’indication d’une
conservation pylorique.
La description qui va suivre concerne uniquement la DPT en monobloc.
La DPT comporte deux phases : la résection et le rétablissement de la
continuité biliaire et digestive.
C - Phase de résection
:
1- Voie d’abord
:
La laparotomie transversale bi-sous-costale est la voie d’abord la plus
utilisée, car elle permet une très bonne exposition de l’ensemble
du bloc duodénopancréaticosplénique en situation transverse à l’étage
sus-mésocolique.
2- Exploration
:
Lorsqu’il s’agit d’un adénocarcinome du corps du pancréas, une
attention toute particulière doit être portée, en premier lieu, au tronc
coeliaque et à ses branches (artère hépatique commune, artère gastrique
gauche et artère splénique).
Deux questions doivent être posées : la
tumeur est-elle mobile par rapport à ces axes artériels ?
Existe-t-il des
métastases ganglionnaires ou des coulées tumorales envahissant ces
artères ?
Cette exploration est menée à travers le petit épiploon qui est
effondré, le lobe hépatique gauche est récliné vers le haut et la petite
courbure gastrique est abaissée.
Cette manoeuvre permet d’exposer le
bord supérieur du pancréas isthmique et corporéal.
À ce niveau est
palpée l’artère hépatique commune qui est disséquée et mise sur lacs,
les ganglions qui l’entourent sont ensuite réséqués de façon à libérer la trifurcation du tronc coeliaque.
Le repérage de l’artère gastrique
gauche est très important car en fin d’intervention, après antrectomie,
cette artère constituera le seul axe artériel vascularisant l’estomac.
À cette phase de l’intervention, il est opportun de tester la mobilité de
l’isthme pancréatique par rapport à la veine porte rétropancréatique.
Cependant, si cette manoeuvre de clivage de la face postérieure de
l’isthme pancréatique n’apparaît pas aisée, en raison d’adhérences ou
d’un envahissement tumoral de la veine porte, il est préférable de la
remettre à une étape ultérieure de la dissection de façon à obtenir un
meilleur contrôle de l’axe veineux mésentérico-porte au-dessus et en
dessous du pancréas.
Un large décollement coloépiploïque est ensuite pratiqué, pour aborder
l’arrière-cavité des épiploons.
La grande courbure gastrique est réclinée
vers le haut et le côlon transverse est abaissé permettant une bonne
exposition de la face antérieure de l’ensemble du pancréas.
3- Cholécystectomie, manoeuvre de Kocher, dissection des éléments vasculobiliaires du pédicule hépatique et mobilisation de l’isthme
pancréatique
:
Ces étapes sont identiques à celles de l’opération de Whipple.
C’est à ce
stade qu’est pratiqué le curage ganglionnaire pédiculaire hépatique et
coeliaque, avec mise à nu des éléments vasculobiliaires du pédicule
hépatique.
Un détail, qui revêt une importance toute particulière, est la conservation
de la veine coronaire stomachique (veine gastrique gauche).
Cette veine
assurera la quasi-totalité du drainage veineux de la partie supérieure de
l’estomac au terme de la DPT avec antrectomie, le reste du drainage
veineux s’effectuant par les veines périoesophagiennes.
La veine
gastrique gauche s’abouche sur le bord gauche de l’origine de la veine
porte, au niveau du confluent veineux splénomésentérique.
Cette
veine, grêle et fragile, peut être facilement lésée lors de la mobilisation
isthmique et lors du curage ganglionnaire coeliaque.
La conservation de
cette veine n’est pas toujours possible et sa suppression, lors de la DPT
avec antrectomie, entraîne une stase veineuse sur le moignon gastrique,
qui peut être à l’origine d’une hémorragie digestive postopératoire.
Une fois ces manoeuvres accomplies, la gastrectomie partielle est
différée et la section de l’isthme pancréatique n’est pas nécessaire.
4- Mobilisation de la queue du pancréas et de la rate
:
Pour réduire les pertes sanguines durant cette étape et permettre une
vidange splénique, l’artère splénique est sectionnée et liée à son origine sur le tronc coeliaque.
L’angle colique gauche est abaissé par sectionligature
du ligament splénocolique.
La main gauche attire la rate vers
l’avant et la droite, ce qui permet de sectionner ses attaches
diaphragmatiques.
La main droite peut alors s’insinuer dans le
plan du mésogastre postérieur, la rate et la queue du pancréas sont
rabattues vers l’avant, laissant en arrière le rétropéritoine gauche.
Ce
décollement splénopancréatique caudal est mené vers la droite jusqu’au
bord gauche de la racine du mésentère.
Le bord inférieur du pancréas corporéocaudal est libéré de ses attaches
avasculaires avec la base du mésocôlon gauche.
Dans le cas d’une
tumeur pancréatique envahissant le mésocôlon gauche à ce niveau, il est
possible de réséquer une partie de ce mésocôlon avec la pièce de
pancréatectomie, l’arcade vasculaire de Riolan assurant la
vascularisation colique transverse.
5- Gastrectomie partielle (antrectomie)
:
Avec la rate et le pancréas caudal, la grande courbure gastrique est attirée
vers la droite.
La section-ligature du ligament gastrosplénique, avec
section des vaisseaux courts, permet de libérer la grande courbure
gastrique.
Cette dissection de la grande courbure gastrique au niveau du
corps de l’estomac et de la grosse tubérosité peut être menée au ras de la
paroi gastrique ou, au contraire, à distance de façon à respecter l’arcade
vasculaire gastroépiploïque droite.
Cette dissection, réalisée au ras de
l’estomac, est à l’origine d’une zone de fragilité de la paroi gastrique, et
il est recommandé de confectionner un surjet de couverture séroséreux
tout le long de la grande courbure afin d’éviter tout risque de perforation
à ce niveau.
Le grand épiploon reste solidaire de l’antre gastrique qui va être réséqué.
L’arcade vasculaire gastrique gauche est liée et sectionnée au niveau de
l’angle de la petite courbure.
L’estomac est ensuite sectionné à la
jonction corps-antre.
C’est lors de cette étape que peut être réalisée une éventuelle vagotomie bitronculaire.
Au terme de la gastrolyse supérieure, le moignon gastrique tient sa
vascularisation de la seule artère gastrique gauche avec drainage
veineux par la veine gastrique gauche.
6- Dissection des vaisseaux rétropancréatiques
:
Après décollement de la rate et du pancréas caudal, les vaisseaux
rétropancréatiques sont abordés par la gauche.
La face postérieure du
pancréas corporéal est progressivement libérée de gauche à droite, par
rapport à la face antérieure de l’artère mésentérique supérieure.
La veine splénique est sectionnée et liée en amont de sa confluence avec
les veines mésentériques supérieure et inférieure.
La confluence splénomésentérique inférieure peut s’effectuer de façon plus caudale
vers la gauche : dès lors, devant un envahissement tumoral veineux à la
face postérieure du pancréas corporéocaudal, l’exérèse nécessite le
sacrifice de la veine mésentérique inférieure sans que cela entraîne de
répercussion sur le drainage veineux mésentérique à condition que les
veines mésentérique supérieure et porte restent perméables.
Après section-ligature de la veine splénique, le corps et l’isthme du
pancréas sont séparés du confluent mésentéricoporte qui reste en arrière.
La dissection est ensuite poursuivie vers la droite par la libération
de la tête du pancréas et de l’uncus pancréatique par rapport à la face
antérieure et au bord droit de l’axe mésentéricoporte.
D - Rétablissement de la continuité biliaire et digestive
:
Plusieurs techniques de rétablissement de la continuité sont proposées
après DPT.
Quel que soit le montage, le rétablissement est effectué à
l’aide de la première anse jéjunale montée à l’étage sus-mésocolique.
Il comporte une anastomose hépaticojéjunale première suivie d’une
gastroentéroanastomose.
C’est le montage réalisé le plus fréquemment.
L’anastomose hépaticojéjunale est confectionnée en terminolatéral, entre le canal
hépatique sectionné sous la convergence biliaire et la première anse
jéjunale.
La gastroentéroanastomose est réalisée ensuite, à environ
60 cm en aval de l’anastomose hépaticojéjunale afin d’éviter tout reflux
dans les voies biliaires.
Au pied de la gastroentéroanastomose peut être réalisée une anastomose
jéjunojéjunale latérolatérale selon Braun.
En cas de conservation pylorique, la gastroentéroanastomose est
remplacée par une anastomose duodénojéjunale terminolatérale.
Au terme de la DPT, le drainage abdominal est assuré par deux
lames, l’une en position sous-hépatique au voisinage de
l’anastomose hépaticojéjunale et l’autre disposée dans l’hypocondre
gauche.