Désordres du métabolisme du calcium et du phosphate (en dehors de l’insuffisance rénale chronique) Cours de Néphrologie
Introduction
:
Les dernières années ont été marquées par des avancées
fondamentales considérables dans le domaine des métabolismes du
calcium et du phosphate.
Ces avancées ont permis de progresser
très sensiblement dans la compréhension de la physiopathologie des
désordres de ces métabolismes.
On peut citer l’identification du
peptide apparenté à la parathormone (ou PTH-rP), le clonage du
gène du récepteur de la PTH, l’identification du récepteur sensible
au calcium, l’identification moléculaire du mécanisme de cotransport
membranaire sodium/phosphate et des mécanismes cellulaires de
ses déterminants.
Parallèlement, certains tableaux cliniques se sont
modifiés et les méthodes diagnostiques se sont améliorées et
structurées.
Physiologie du calcium
:
A - BILAN DU CALCIUM
:
L’organisme d’un adulte sain de 70 kg contient environ 25 000 mmol
(1 000 g) de calcium, réparties majoritairement dans l’os (99 %) alors
que moins de 1 % est présent dans le liquide extracellulaire
(22 mmol ou 880 mg).
Chez l’adulte sain, le capital calcique est
constant dans le temps, alors qu’il est croissant chez l’enfant et
l’adolescent, et décroissant chez la femme après la ménopause ainsi
que chez l’homme âgé.
Un adulte jeune ingère habituellement
environ 800 à 1 000 mg/j de calcium, dont 30 à 35 % sont absorbés
par la muqueuse de l’intestin grêle, en partie sous l’influence de la
1,25 (OH)2 vitamine D ; en raison d’une sécrétion de calcium du
liquide extracellulaire vers la lumière intestinale, évaluée à 150 mg/j,
l’absorption intestinale nette avoisine 150 mg/j.
Une quantité
identique de calcium (150 mg/j) est éliminée dans l’urine définitive
et le bilan (externe) de calcium est nul.
L’activité de remodelage
osseux est, quotidiennement, responsable de la libération de 200 mg
de calcium osseux (activité de résorption osseuse) et de
l’incorporation dans l’os de 200 mg de calcium (activité de
minéralisation de la matrice protéique osseuse nouvellement
synthétisée) : ainsi, il n’existe normalement pas, chez l’adulte jeune,
de flux net de calcium entre le liquide extracellulaire et l’os et le
bilan interne du calcium est également nul.
Malgré l’extrême prédominance du calcium osseux, il apparaît que
la variable régulée est la concentration extracellulaire de calcium et,
plus précisément, la concentration de calcium ionisé.
En effet, le
calcium sérique total est une variable hétérogène et comprend
plusieurs fractions : environ 50-55 % du calcium sérique total existe
sous forme ionisée (libre) et constitue à la fois la fraction
biologiquement active et la fraction régulée ; le reste est
biologiquement inerte, composé d’une fraction liée aux protéines
sanguines (albumine, principalement) et d’une fraction liée aux
anions du sérum (bicarbonate, phosphate, citrate...).
La somme du
calcium ionisé et du calcium complexé aux anions de faible poids
moléculaire représente le calcium diffusible ou ultrafiltrable.
Mesurées par spectrophotométrie d’absorption atomique, les
valeurs normales, chez l’adulte, de la concentration de calcium
sérique total sont comprises entre 2,10 et 2,53 mmol/L à jeun
(intervalle de confiance à 95 % de la moyenne de la calcémie chez
les sujets normaux) ; elles sont modérément supérieures, d’environ
0,1 mmol/L, chez l’enfant et l’adolescent.
Il est important d’effectuer
la mesure à jeun car, en période postprandiale, la concentration de
calcium total augmente : la variation observée peut atteindre
0,15 mmol/L chez les sujets normaux, voire plus chez les sujets qui
ont une hyperabsorption intestinale du calcium.
Bien que la variable régulée soit la concentration sérique du calcium
ionisé, le diagnostic d’hypo- ou d’hypercalcémie peut régulièrement
être établi sur la constatation d’une concentration de calcium total
anormalement basse ou haute, respectivement, parce que les
variations de la concentration du calcium libre s’accompagnent de
variations parallèles de la concentration du calcium total.
Cependant, des anomalies de la concentration de protéines sériques
et/ou des anomalies de l’état acide-base sont à l’origine de
dissociations.
Ainsi, une diminution de la concentration
sérique d’albumine produit une diminution de la fraction du
calcium total liée à cette protéine, et donc une diminution de la
calcémie, en dehors de toute variation de la concentration de
calcium ionisé ; à l’opposé, une augmentation de la concentration
sérique d’albumine, ou des immunoglobulines (comme dans le
myélome), entraîne une augmentation du calcium total sans
modification du calcium ionisé.
De même, les variations de la
concentration sanguine des ions H+ (c’est-à-dire du pH
extracellulaire), sont capables d’induire des variations de la fraction
du calcium liée à l’albumine parce que les ions H+ et les ions Ca++
sont en compétition pour la liaison à l’albumine.
Ainsi, une acidose
aiguë, caractérisée par une augmentation de la concentration
extracellulaire d’ions H+, entraîne une redistribution du calcium
sérique entre ses différentes fractions ; le calcium lié à l’albumine diminue, le calcium libre augmente et la concentration de calcium
total ne varie pas.
Si la situation d’acidose se prolonge (acidose
chronique), la concentration de calcium ionisé, variable régulée, se
normalise, grâce à l’intervention des hormones « calciotropes » et la concentration de calcium total
diminue.
Des modifications opposées sont observées en cas
d’alcalose extracellulaire.
En particulier, une alcalose ventilatoire
aiguë, qui peut apparaître au cours d’un prélèvement douloureux
ou chez un sujet émotif, provoque une diminution brutale du
calcium ionisé sérique et une augmentation du calcium lié aux
protéines.
Une telle variation de l’état acide-base est reconnue par
les appareils de mesure du calcium ionisé, qui possèdent, outre
l’électrode spécifique pour la mesure du calcium libre, une électrode
pH.
Ceci permet à ces appareils de proposer une valeur de
concentration de calcium ionisé « corrigée », c’est-à-dire calculée
pour un pH sanguin de 7,40.
La prise en compte de cette valeur
« corrigée » est licite en cas de perturbation brutale de l’état acidebase.
Elle est évidemment illégitime en cas de désordre prolongé de
l’état acide-base.
En résumé, en l’absence d’anomalie des protéines sanguines et du
pH extracellulaire, une anomalie de la concentration de calcium
ionisé peut être détectée de manière fiable par la mesure du calcium
total.
En revanche, en cas de l’une et/ou l’autre de ces anomalies, la
mesure directe de la concentration du calcium ionisé, grâce à une
électrode spécifique, doit être effectuée.
Cette mesure nécessite
quelques précautions quant à la technique de prélèvement, celui-ci
devant être effectué sur un membre au repos et, au mieux, sans
garrot, pour éviter les variations du pH sanguin.
Lorsque l’accès à
cette mesure n’est pas possible, on peut calculer une calcémie
corrigée, en sachant que chaque gramme d’albumine complexe
normalement 0,02 à 0,025 mmol de calcium.
Ainsi, chez un sujet
dont l’albuminémie est mesurée à 20 g/L, on peut augmenter la
calcémie mesurée de 0,4 à 0,5 mmol/L pour obtenir une calcémie « corrigée ».
Cette procédure
fournit un résultat assez approximatif.
B -
RÉGULATION DE LA CALCÉMIE :
La calcémie d’un
sujet normal se maintient à une valeur remarquablement stable grâce
à la régulation des flux de calcium entre l’os et le liquide
extracellulaire, d’une part, et entre le liquide extracellulaire et
le rein, d’autre part.
Habituellement,
l’absorption intestinale du calcium alimentaire n’affecte la
calcémie que transitoirement et n’est pas impliquée dans la
régulation à court terme de la calcémie.
Cependant, une
absorption intestinale de calcium normale (150 à 200 mg/j) est
nécessaire au maintien d’un capital calcique normal et, en
particulier, à la stabilité du contenu calcique osseux.
En effet, la
calcémie est maintenue stable, à jeun, parce que la perte rénale de
calcium qui existe obligatoirement dans cette situation est
exactement compensée par une mobilisation du calcium osseux
responsable d’un flux net de calcium de l’os vers le liquide
extracellulaire.
Ainsi, en l’absence d’un apport
alimentaire suffisant (800 à 1 000 mg/j) et/ou d’une absorption
intestinale du calcium normale, la calcémie se maintient aux dépens
d’une diminution progressive du contenu calcique osseux.
En
situation normale, le contenu calcique osseux se maintient parce que
le calcium osseux mobilisé lors du jeûne est remplacé par une
quantité identique en période postprandiale.
En conséquence, chez
un individu normal ayant un apport et une absorption intestinale
du calcium normaux, la calciurie des 24 heures est égale à
l’absorption intestinale nette de calcium.
Le remodelage osseux, c’est-à-dire l’activité continue de destruction
et de renouvellement de l’os, ne participe pas au contrôle de la
calcémie parce que ces deux activités (destruction assurée par les
ostéoclastes et formation assurée par les ostéoblastes) sont très
étroitement coordonnées, responsables chacune d’un flux de calcium
entre l’os et le liquide extracellulaire identique, mais opposé, le flux
résultant restant nul.
Même en cas d’augmentation importante du
remodelage osseux, telle que celle observée au cours de la maladie
de Paget, la calcémie ne varie pas, pour autant que le couplage entre
ces activités ostéoclastiques et ostéoblastiques persiste.
Le remodelage
osseux est un phénomène lent, de faible amplitude mais de grande
capacité puisqu’il a potentiellement accès à l’ensemble du
squelette.
Néanmoins, l’os
participe au contrôle de la calcémie grâce à un système cellulaire
différent, les ostéocytes, qui permet une libération rapide du
calcium osseux.
Ainsi, le maintien de la
calcémie à jeun est assuré par une entrée nette, dans le liquide
extracellulaire, de calcium osseux, quantitativement identique à la
perte rénale concomitante de calcium.
À la différence du
remodelage, la mobilisation de calcium osseux dépendante des
ostéocytes est un phénomène rapide, de grande amplitude mais de
faible capacité puisqu’il n’affecte que l’os récemment minéralisé.
La régulation de la calcémie est sous le contrôle de deux hormones,
la PTH et le métabolite actif de la vitamine D ou 1,25 (OH)2 vitamine
D (calcitriol), ainsi que de la calcémie elle-même par l’intermédiaire
d’un récepteur membranaire sensible au calcium (calcium-sensing
receptor, ou CaSR), récemment découvert : ce récepteur joue un rôle
central dans le contrôle, par la calcémie, de la sécrétion de PTH et,
vraisemblablement, dans la régulation de la réabsorption rénale du
calcium.
La PTH est une hormone peptidique qui agit sur ses
organes cibles (l’os et le rein) grâce à un récepteur membranaire
couplé à une ou plusieurs protéines G.
Le calcitriol est une hormone
stéroïde qui se lie à un récepteur cytosolique spécifique, présent
dans de nombreux types cellulaires dont les cellules tubulaires
rénales, les cellules de l’épithélium intestinal, ainsi que les cellules
osseuses.
Le complexe hormone-récepteur agit, dans le noyau, en
modulant la transcription dans des sites spécifiques de la
chromatine, appelés vitamin D responsive elements.
Ces deux
hormones stimulent la résorption osseuse ostéoclastique mais, en
raison du couplage normal entre ostéorésorption ostéoclastique et
ostéoformation ostéoblastique, la résorption osseuse nette résultante
est minime et le capital calcique osseux varie peu ou pas.
En d’autres
termes, même lorsqu’il est stimulé par des concentrations supra-physiologiques de PTH, un remodelage osseux normalement
couplé n’entraîne pas de modification appréciable de la calcémie.
Cependant, la PTH stimule l’ostéolyse ostéocytaire et, par ce biais,
augmente la calcémie.
De plus, la PTH augmente la réabsorption
tubulaire rénale du calcium et stimule l’activité 1alpha-hydroxylase
rénale et donc la production de calcitriol. Cette dernière hormone
est indispensable à l’expression normale des effets biologiques de la
PTH.
Une diminution de la calcémie provoque, en quelques secondes, une
augmentation de la sécrétion de PTH ; en effet, les cellules
parathyroïdiennes possèdent dans leur membrane plasmique un
récepteur spécifique (CaSR) dont le calcium libre extracellulaire est
le ligand physiologique ; le rôle de ce récepteur est d’adapter la
sécrétion parathyroïdienne de PTH à la concentration de calcium
libre extracellulaire.
Ainsi, une baisse de la calcémie inactive le
récepteur et entraîne une augmentation de la sécrétion de PTH. Si
l’hypocalcémie se prolonge, l’hypersécrétion de PTH est amplifiée
par une diminution de la dégradation intracellulaire de la PTH.
Puis,
l’expression du gène de la PTH est accrue, se traduisant par une
augmentation de l’acide ribonucléique messager (ARNm)
intracellulaire de la prépro-PTH.
Enfin, une hypocalcémie chronique
entraîne une augmentation de la masse de tissu parathyroïdien par
division cellulaire (hyperplasie parathyroïdienne).
Ainsi, en réponse
à une hypocalcémie, plusieurs mécanismes d’adaptation
apparaissent successivement qui permettent d’augmenter la
sécrétion de PTH.
Cet excès de PTH stimule la mobilisation du
calcium osseux dépendante des ostéocytes, la réabsorption tubulaire
rénale du calcium filtré et la synthèse rénale de calcitriol et
normalise la calcémie.
Inversement, une élévation de la calcémie
inhibe la sécrétion parathyroïdienne de PTH, et donc la mobilisation
du calcium osseux et la réabsorption tubulaire rénale du calcium,
dans le but de corriger l’hypercalcémie.
Anomalies de la calcémie
:
A - MÉCANISMES DES HYPERCALCÉMIES
:
Deux types de désordres peuvent être à l’origine d’une
hypercalcémie.
Le premier est un déplacement de la relation entre la calcémie et la
sécrétion de PTH vers des valeurs de calcémie plus élevées,
traduisant une diminution de la sensibilité de la sécrétion de PTH à
la calcémie.
Dans cette situation, l’augmentation de la sécrétion (et
de la concentration) de PTH observée pour une valeur de calcémie
normale provoque une augmentation de la mobilisation du calcium
osseux et une augmentation de la réabsorption tubulaire rénale de
calcium filtré, l’ensemble aboutissant nécessairement à une
augmentation de la calcémie ; celle-ci se stabilise à une nouvelle
valeur, plus élevée que la valeur normale, pour laquelle les entrées
d’origine osseuse et les sorties rénales redeviennent identiques.
Dans
cette nouvelle situation, le bilan de calcium et, en grande partie, la
masse minérale osseuse, restent inchangés par comparaison à une
situation normale.
L’hypercalcémie stable résultant d’une altération
primitive de la sécrétion de PTH est, pour cette raison, qualifiée
d’hypercalcémie en « équilibre ».
Au nouvel état stable, la calcémie
est élevée et la concentration sérique de PTH est élevée ou normale,
inappropriée à l’hypercalcémie.
La calciurie des 24 heures peut être
normale ou augmentée ; dans ce dernier cas, elle reflète une
augmentation de l’absorption intestinale de calcium, le plus souvent
due à une augmentation de la synthèse de calcitriol induite par
l’excès de PTH.
Dans sa forme habituelle, l’hyperparathyroïdie
primitive (HPTP) est un exemple typique d’hypercalcémie en
« équilibre ».
La seconde situation est celle d’une altération primitive du
remodelage osseux, résultant en une augmentation importante de la
résorption osseuse nette, une diminution de la masse minérale
osseuse et un bilan de calcium négatif.
Ceci s’observe lorsqu’une
augmentation de la résorption ostéoclastique s’associe à une
formation osseuse ostéoblastique découplée (c’est-à-dire non augmentée voire
inhibée).
L’important flux
net de calcium dans le liquide extracellulaire qui en résulte peut
dépasser la capacité du rein à éliminer le calcium, provoquant une
hypercalcémie progressive appelée hypercalcémie en « déséquilibre ».
En effet, une
diminution du volume extracellulaire s’y associe fréquemment en
raison de vomissements et d’une diminution de la réabsorption rénale
de sodium directement due à l’hypercalcémie : cette diminution du
volume extracellulaire provoque une diminution du débit de
filtration glomérulaire et une augmentation de la réabsorption
tubulaire proximale du calcium, qui aggravent l’hypercalcémie.
Plus
généralement, tous les facteurs connus pour augmenter la
réabsorption tubulaire rénale de calcium peuvent aggraver une
hypercalcémie initialement due à une augmentation des entrées.
En présence de l’hypercalcémie, la
concentration sérique de PTH est basse, adaptée, et la calciurie est
élevée, reflétant l’entrée excessive de calcium dans le liquide
extracellulaire.
L’hypercalcémie qui complique l’évolution de
certaines néoplasies est un exemple typique d’hypercalcémie en
« déséquilibre ».
B - CARACTÈRES GÉNÉRAUX DES HYPERCALCÉMIES
:
1- Symptômes
de l’hypercalcémie :
Quelle que soit
sa cause, une hypercalcémie est d’autant mieux tolérée qu’elle est
plus modérée ou, surtout, qu’elle s’installe plus progressivement.
Ceci explique
qu’un grand nombre d’hypercalcémies soit découvert fortuitement,
chez des patients n’ayant aucun signe d’appel.
Les symptômes
attribuables à l’hypercalcémie, lorsqu’ils existent, concernent
différents appareils : appareil cardiovasculaire, système nerveux
central, appareil digestif, système rénal.
2- Diagnostic d’une hypercalcémie
:
Hormis l’interrogatoire (précisant l’ancienneté de l’hypercalcémie,
l’utilisation de traitements potentiellement hypercalcémiants,
l’existence d’une maladie sous-jacente déjà connue) et l’examen
clinique, le diagnostic d’une hypercalcémie requiert habituellement
une démarche raisonnée au cours de laquelle la mesure de certaines
variables biologiques est essentielle.
* Estimation de la sécrétion de PTH
:
La pierre d’angle du diagnostic d’une hypercalcémie est l’estimation
de la sécrétion de PTH.
En présence d’une hypercalcémie, une
sécrétion de PTH élevée ou normale témoigne de son caractère
inapproprié et permet d’établir le diagnostic d’hypercalcémie
d’origine parathyroïdienne (HPTP ou, plus rarement, hypercalcémie
familiale bénigne [HFB]).
À l’opposé, une sécrétion de PTH basse,
appropriée à l’hypercalcémie, fait porter le diagnostic
d’hypercalcémie d’origine extraparathyroïdienne, dont les causes
sont dominées par les cancers.
La sécrétion de PTH n’étant pas
cliniquement mesurable, elle est estimée par la mesure de la
concentration sérique de PTH.
La concentration de PTH ne varie
proportionnellement à la sécrétion parathyroïdienne que dans la
mesure où la clairance métabolique de l’hormone est stable,
condition qui n’était pas vérifiée par les plus anciens des systèmes
d’immunodosage.
Les premiers systèmes de dosage utilisaient en
effet des anticorps reconnaissant des épitopes présents à la fois sur
la molécule de PTH intacte et sur le fragment carboxyterminal.
Ils
ne permettaient donc pas d’estimer de manière fiable la sécrétion de PTH biologiquement active par les cellules parathyroïdiennes.
Cette
faible spécificité était illustrée par le chevauchement entre les valeurs
mesurées chez des sujets ayant une HPTP (où la sécrétion de PTH
intacte est élevée) et ceux ayant une hypercalcémie des cancers (où
la sécrétion de PTH intacte est faible).
Plus récemment, une
méthode de dosage immunoradiométrique (IRMA) de la PTH
intacte circulante a été introduite : cette mesure utilise deux
anticorps, l’un dirigé contre la partie aminoterminale et l’autre
contre la partie carboxyterminale du peptide.
À la différence des
précédentes, cette technique de mesure est très spécifique et très
sensible pour la mesure des faibles concentrations de PTH.
Elle permet une excellente séparation entre les valeurs des patients
atteints d’hyperparathyroïdie et ceux atteints d’hypercalcémie des
cancers ou de sarcoïdose.
En 10 ans d’utilisation, ce type de mesure
a largement démontré ses performances diagnostiques.
Une mesure immunométrique non isotopique de la PTH intacte est maintenant
disponible ; dans cette technique, un des deux membres du couple
d’anticorps utilisés est associé, non pas à l’iode 125 mais à un ester
d’acridinium produisant un signal lumineux en présence d’un
peroxyde alcalin.
Pour cette raison, ce type de test est dénommé immunochemiluminometric assay (ICMA) et ses performances sont
superposables à celles des tests IRMA.
* Mesure de la calciurie à jeun
:
Ainsi qu’exposé plus haut, la calcémie à jeun est maintenue stable
parce que la perte rénale obligatoire de calcium qui existe alors est
exactement compensée par une entrée nette du calcium d’origine
osseuse.
Ainsi, la calciurie mesurée à jeun estime la résorption
osseuse nette, sous réserve qu’il n’y ait aucune entrée de calcium
d’origine intestinale au moment de la mesure.
Cette condition est,
en général, satisfaite en imposant au sujet, en plus d’un jeûne
nocturne total, une alimentation appauvrie en calcium, obtenue par
l’éviction du lait, des produits laitiers et des eaux de boisson
minéralisées, la veille de la mesure.
Le débit urinaire de calcium
doit être rapporté au débit de créatinine, de manière à s’affranchir
des erreurs de recueil urinaire.
Chez les sujets normaux, la valeur
de ce rapport (exprimé en mmol/mmol) est comprise entre 0,03 et
0,36 selon une distribution qui n’est pas normale mais log-normale
(comme la distribution de la calciurie des 24 heures, chez les sujets
normaux).
* Mesures de la production d’adénosine 3’, 5’ monophosphate
cyclique néphrogénique et de la concentration de PTHrP :
Les situations d’hypercalcémie au cours desquelles la concentration
de PTH sérique est basse, adaptée, sont dominées par les cancers.
Dans ce groupe, le syndrome d’hypercalcémie humorale des
néoplasies (HHC) rend compte de 80 % des hypercalcémies.
Le PTHrP sécrété par la tumeur joue un rôle central dans ce syndrome :
en se liant au récepteur rénal et osseux de la PTH, il explique une
grande partie des signes biologiques caractérisant ce syndrome.
Sa
mesure constitue donc un élément essentiel pour établir le diagnostic
d’HHC.
Par ailleurs, en se liant au récepteur rénal de la PTH, il
stimule la production d’AMPc par les cellules tubulaires,
essentiellement proximales.
Le débit de production d’AMPc par les
cellules tubulaires constitue l’AMPc néphrogénique et la dissociation
entre une concentration de PTH basse et une production d’AMPc
néphrogénique élevée est pathognomonique du syndrome d’HHC.
* Mesure des métabolites de la vitamine D
:
En dehors du cadre des cancers, certaines hypercalcémies avec
sécrétion de PTH basse sont dues à une intoxication par la vitamine
D (ou un de ses métabolites) ou à une production endogène
excessive de calcitriol par une granulomatose.
En pratique quotidienne, seules les mesures de la 25-OH vitamine D
et de la 1,25 (OH)2 vitamine D ont un intérêt : la première parce
qu’elle représente la meilleure estimation du capital en vitamine D
et qu’elle seule permet le diagnostic de déficit ou d’intoxication à la
vitamine D ; la seconde parce qu’elle est l’hormone biologiquement
active.
La 25-OH vitamine D circulante est formée par hydroxylation
hépatique du cholécalciférol (vitamine D3) d’origine endogène ou
animale, et de l’ergocalciférol (vitamine D2), d’origine végétale.
L’hydroxylation hépatique étant directement fonction de la quantité
de précurseur, la mesure de la concentration sanguine de 25-OH
vitamine D reflète l’état du capital en vitamines D2 et D3.
Après
extraction et chromatographie séparative, le dosage (habituellement
par radiocompétition) ne distingue pas entre cholécalciférol et
ergocalciférol ; il ne reconnaît pas le dihydrotachystérol.
Les valeurs
normales diffèrent considérablement selon l’ensoleillement et les
apports alimentaires.
En France, les valeurs considérées comme
normales sont de l’ordre de 5 à 40 ng/mL (12,5-100 nmol/L).
Une
valeur très élevée (supérieure à dix fois la valeur normale) est
habituellement considérée comme nécessaire au diagnostic
d’intoxication ; cependant, la tolérance au traitement par de fortes
doses de vitamine D varie considérablement d’un patient à l’autre.
La synthèse de 1,25 (OH)2 vitamine D est essentiellement rénale et
rigoureusement contrôlée par la calcémie et la phosphatémie (qui
l’inhibent) et la PTH (qui la stimule).
En raison même de cette étroite
régulation, la mesure de la concentration de calcitriol ne constitue
pas une estimation du capital en vitamine D.
Les indications du
dosage sont donc les situations dans lesquelles la synthèse est
anormalement basse (déficit héréditaire de la synthèse de calcitriol,
insuffisance rénale) ou anormalement élevée (granulomatoses,
hypercalcémie idiopathique du nourrisson, lymphome), ainsi que les
suspicions d’intoxication par le calcitriol (Rocaltrolt) ou
l’alphacalcidiol (Un Alfat). Les valeurs normales chez l’adulte sont
habituellement comprises entre 20 et 50 pg/mL (48 à 120 pmol/L)
et sont négativement corrélées aux apports alimentaires de calcium.
Des valeurs physiologiquement plus élevées sont observées chez
l’enfant et au cours de la grossesse (pendant laquelle il existe une
production placentaire de calcitriol).
C - CAUSES DES HYPERCALCÉMIES
:
1- Hypercalcémie d’origine parathyroïdienne
:
* Hyperparathyroïdie primitive
:
L’HPTP est la première cause d’hypercalcémie.
Elle se définit par
une sécrétion excessive de PTH, inappropriée à la valeur de
calcémie. De manière prédominante, l’HPTP affecte la femme
après l’âge de 40 ans.
Pendant de nombreuses années, l’HPTP a été
considérée comme une maladie rare et grave, responsable de deux
complications spécifiques : la lithiase calcique rénale et l’ostéite
fibrokystique.
Plus récemment, l’introduction de méthodes
automatisées de mesure de la calcémie a totalement bouleversé
l’épidémiologie apparente de l’HPTP, en permettant la découverte,
chez des patients asymptomatiques, d’une hypercalcémie
conduisant au diagnostic.
Actuellement, la prévalence estimée de
l’HPTP est de 100 cas pour 100 000 habitants et l’incidence absolue a
été multipliée par 4.
Les complications spécifiques sont
devenues rares : la lithiase rénale n’est présente que chez moins de
20 % des patients, l’ostéite fibrokystique chez moins de 1 % et le
syndrome neuromusculaire a virtuellement disparu.
Ainsi, la
grande majorité des patients n’a pas de signe directement attribuable
à l’HPTP au moment du diagnostic.
Il est maintenant établi que la plupart, sinon la totalité, des tumeurs
parathyroïdiennes sont monoclonales.
La cause précise de l’HPTP
n’est pas connue, même si cette affection apparaît favorisée par
l’irradiation préalable de la région cervicale et plusieurs
anomalies géniques.
L’hypercalcémie est habituellement modérée (2,7-3 mmol) et reste
remarquablement stable pendant des années.
La concentration
sérique de PTH, mesurée par méthode IRMA ou par ICMA, est
élevée chez 90 % des patients. Chez 10 % des patients, la
concentration de PTH n’est pas franchement élevée, mais dans la
moitié supérieure des valeurs normales, inappropriée à
l’hypercalcémie.
La réabsorption tubulaire rénale du phosphate est
fréquemment diminuée, en raison de l’hypersécrétion de PTH,
provoquant une hypophosphatémie chez 60 à 70 % des patients.
L’hypercalciurie est observée chez 40 à 50 % des patients, due à une
synthèse accrue de calcitriol qui stimule l’absorption intestinale du
calcium.
L’état acide-base est habituellement normal, une acidose
métabolique hyperchlorémique n’étant observée qu’en cas de
déplétion phosphatée sévère ou de néphrocalcinose.
D’excellentes revues générales ont été récemment consacrées aux
conséquences osseuses de l’HPTP et à son traitement spécifique, qui
ne seront pas détaillés ici.
* Hypercalcémie familiale bénigne et hyperparathyroïdie
néonatale sévère
:
L’HFB (hypercalcémie-hypocalciurie familiale) est nettement plus
rare que l’HPTP, mais elle en constitue le principal diagnostic
différentiel qui contre-indique la parathyroïdectomie.
Il s’agit d’une
maladie autosomique dominante avec un haut degré de pénétrance,
caractérisée par une hypercalcémie, le plus souvent
asymptomatique, qui dure toute la vie, associée à une excrétion
rénale de calcium comparativement basse puisque l’excrétion
fractionnelle du calcium est habituellement inférieure à 1 %.
Typiquement, la concentration circulante de PTH est normale,
inappropriée, et la magnésémie est modérément élevée ou dans les
valeurs hautes de la normale.
Les seuls symptômes sont, parfois,
une pancréatite aiguë et une chondrocalcinose.
De mariages
consanguins dans des fratries atteintes d’HFB peuvent naître des
enfants ayant une HPTP néonatale sévère.
Ces enfants ont une
hypercalcémie menaçant le pronostic vital et souffrent de retard de
croissance, de déshydratation, de déminéralisation osseuse, de
déformations de la cage thoracique, de multiples fractures et
d’hypotonie dans les premières semaines de vie, ces complications
nécessitant souvent une parathyroïdectomie totale.
Le mode de
transmission de ces deux maladies avait suggéré qu’elles puissent
représenter un dosage différent d’une même mutation, l’HFB étant
la forme hétérozygote et l’hyperparathyroïdie néonatale sévère étant
la forme homozygote.
Ces hypothèses ont récemment été
confirmées : un allèle du gène codant le récepteur sensible au
calcium (qui siège sur le bras long du chromosome 3 chez
l’homme) est muté dans l’HFB alors que les deux allèles sont le
siège d’une mutation dans l’hyperparathyroïdie néonatale sévère.
De nombreuses mutations ponctuelles ont été décrites à ce jour qui
entraînent le plus souvent une modification non conservatrice d’un
acide aminé.
Les mutations décrites sont réparties dans l’ensemble
du gène et peuvent affecter la traduction, le routage ou la fonction
du récepteur.
Le traitement prolongé par lithium diminue la clairance du calcium
et du magnésium et peut augmenter la sécrétion de PTH,
provoquant ainsi une hypercalcémie qui régresse parfois lorsque le
traitement peut être interrompu.
2- Hypercalcémie extraparathyroïdienne
:
*
Hypercalcémies des cancers
:
La survenue d’une hypercalcémie au cours de l’évolution d’un
cancer est un événement fréquent puisque son incidence annuelle a
été estimée à 150 nouveaux cas par million d’habitants.
Cependant,
toutes les néoplasies n’ont pas la même propension à se compliquer
d’hypercalcémie : cet événement est fréquent dans les cancers
bronchiques, les épithéliomas de la tête et du cou, le cancer du sein
et certaines hémopathies malignes telles que le myélome multiple.
Dans tous les cas, le mécanisme initial de l’hypercalcémie est une
ostéolyse intense résultant d’un découplage entre l’ostéoformation
et l’ostéorésorption.
Le flux de calcium entrant dans le liquide
extracellulaire dépasse rapidement la capacité d’élimination rénale,
surtout s’il existe une insuffisance rénale ou une augmentation de la
réabsorption tubulaire du calcium.
L’hypercalcémie apparaît et
s’aggrave alors rapidement.
+ Hypercalcémie humorale des cancers
:
L’HHC est un syndrome survenant chez des patients atteints de
néoplasies solides, le plus souvent dû à la production tumorale d’un
facteur humoral circulant (endocrine) qui cause l’hypercalcémie.
Il
est important de noter que ces patients n’ont pas nécessairement de
localisation osseuse secondaire de leur néoplasie.
L’HHC est
fréquente au cours de l’évolution des cancers épidermoïdes des
bronches, de la tête et du cou, mais elle a également été décrite dans
tous les types histologiques de cancers, y compris les hémopathies
malignes.
L’hypercalcémie d’aggravation rapide, mal tolérée, est
associée à une concentration sérique de PTH basse, adaptée,
contrastant avec une production d’AMPc néphrogénique élevée, une
augmentation de la réabsorption tubulaire du calcium et une
diminution de la réabsorption tubulaire de phosphate ; la
concentration sanguine de calcitriol est normale ou basse et
l’absorption intestinale de calcium diminuée. Le principal facteur
impliqué dans la survenue d’une HHC est la sécrétion, par la
tumeur, du PTHrP.
En raison de la grande similitude de la séquence
d’acides aminés des extrémités aminoterminales de la PTH et de la
PTHrP, cette dernière se lie au récepteur rénal et osseux de la PTH
et induit une hypercalcémie, une hypophosphatémie et une
augmentation de la production d’AMPc néphrogénique.
Cependant,
le découplage du remodelage osseux et la diminution de la synthèse
de calcitriol ne sont pas expliqués par la liaison de la PTHrP au
récepteur de la PTH, et pourraient être dus à l’interaction de la
PTHrP avec un autre type de récepteur et/ou à la cosécrétion, par la
tumeur, de substances telles que le transforming growth factor alpha
(TGF alpha).
* Ostéolyse locale maligne
:
L’ostéolyse locale maligne (OLM) rend compte de 20 % des
hypercalcémies compliquant les cancers.
Le mécanisme est une
augmentation de la résorption ostéoclastique, activée selon un
mécanisme paracrine par des cellules malignes infiltrant la moelle
osseuse et sécrétant des cytokines (interleukine 1alpha, interleukine 1bêta,
interleukine 6, tumor necrosis factor [TNF] alpha et bêta, TGF alpha) agissant sur
les ostéoclastes.
Typiquement, ce mécanisme est observé au cours
du myélome et du cancer du sein.
La calcémie est élevée, la phosphatémie habituellement normale, et la calciurie très élevée,
témoignant de l’entrée massive du calcium osseux dans le liquide
extracellulaire.
Les concentrations de PTH, de calcitriol et la
production d’AMPc sont basses, adaptées à l’hypercalcémie.
Enfin, une hypercalcémie liée à une production excessive et non
régulée de calcitriol a été observée au cours de certains lymphomes
malins.
Le mécanisme de l’hypercalcémie est le même qu’au
cours des granulomatoses.
* Sarcoïdose et autres granulomatoses
:
Une majorité des patients atteints de sarcoïdose ont une hypercalciurie et 10 à 20 % développent une hypercalcémie au cours
de l’évolution de leur maladie.
Le mécanisme physiopathologique
admis associe une augmentation des entrées d’origine digestive et
osseuse, à une diminution de la capacité du rein à excréter le
calcium, en raison d’une insuffisance rénale liée à une néphropathie
interstitielle spécifique.
L’augmentation des entrées de calcium est
attribuée à une synthèse excessive et non régulée de calcitriol par
les macrophages des granulomes.
L’activité
1alpha-hydroxylase des
macrophages se distingue de celle normalement exprimée dans les
cellules du tubule proximal, en ce qu’elle n’est pas régulée par les
concentrations de calcitriol et de PTH : pour cette raison, la synthèse
macrophagique de calcitriol est extrêmement dépendante de la
disponibilité du substrat 25-OH vitamine D, ce qui explique que la
survenue de l’hypercalcémie (et de l’hypercalciurie) soit favorisée
par l’exposition au soleil et/ou par l’ingestion du vitamine D, même
administrée à dose physiologique.
De plus, l’activité
1alpha-hydroxylase
des macrophages est stimulée par l’interféron gamma produit par
les lymphocytes activés et l’oxyde nitrique (NO) ; à l’opposé, elle est
inhibée par les glucocorticoïdes, la chloroquine et le kétoconazole,
ce qui explique l’efficacité de ces traitements.
En effet, les
glucocorticoïdes, à la dose quotidienne de 40 à 60 mg de prednisone,
produisent une diminution de la concentration de calcitriol en
quelques heures et une normalisation de la calcémie et de la calciurie
en quelques jours : ils constituent le traitement de choix de
l’hypercalcémie des granulomatoses.
* Autres causes
:
D - TRAITEMENT DES HYPERCALCÉMIES
:
L’indication du traitement symptomatique d’une hypercalcémie
dépend de plusieurs facteurs. Tout patient symptomatique ou dont
la calcémie excède 3,25 mmol/L nécessite un traitement urgent.
Un
patient asymptomatique et dont la calcémie est inférieure à
3,25 mmol/L ne requiert pas de traitement immédiat, à l’exception
des cas où cette hypercalcémie est due à un cancer parce qu’elle est
alors susceptible de s’aggraver rapidement.
Le traitement de
l’hypercalcémie doit être individualisé en prenant soigneusement en
compte plusieurs éléments : la cause de l’hypercalcémie, son
mécanisme pathogénique, et l’existence de contre-indications
spécifiques à un type particulier de traitement.
Les principes de base du traitement d’une hypercalcémie sont la
correction de la contraction du volume extracellulaire,
l’augmentation de la capacité du rein à éliminer le calcium, et la
diminution des entrées de calcium dans le liquide extracellulaire.
La restauration d’un volume extracellulaire normal par la perfusion
intraveineuse de soluté salé isotonique est la première étape du
traitement d’une hypercalcémie sévère.
L’administration
quotidienne de 3 à 6 L de soluté salé isotonique augmente le débit
de filtration glomérulaire et diminue la réabsorption tubulaire rénale
de calcium, si bien qu’une diminution de la calcémie de l’ordre de
0,4 à 0,6 mmol/L peut être obtenue par ce seul traitement.
La
quantité de soluté administrée est, évidemment, guidée par la
tolérance cardiovasculaire du patient.
L’utilisation de fortes doses d’un diurétique de l’anse a souvent été
préconisée par le passé.
Un tel traitement, qui nécessite que le
volume extracellulaire soit préalablement normalisé, n’est plus utile,
chez la majorité des patients, en raison de l’efficacité des traitements
actuels.
L’utilisation de doses modérées (20 à 40 mg/j de
furosémide) peut cependant être utile chez les patients dont la
tolérance cardiovasculaire à l’expansion du volume extracellulaire
est médiocre.
Les médicaments qui inhibent la résorption osseuse constituent un
moyen extrêmement efficace de traiter une hypercalcémie sévère,
particulièrement lorsqu’elle est due à un cancer.
La calcitonine
inhibe la résorption osseuse et augmente l’élimination rénale de
calcium.
Administrée à la dose de 4 unités MRC/kg toutes les
12 heures par voie sous-cutanée ou intraveineuse, elle produit une
baisse de la calcémie en quelques heures, avec un effet maximal
obtenu en 12 à 24 heures.
Cependant, l’effet de la calcitonine est en
général modéré, la calcémie diminuant rarement de plus de
0,5 mmol/L, et surtout transitoire.
C’est la raison pour laquelle il est
nécessaire de l’associer à un traitement dont l’effet est plus prolongé
tel que l’administration de diphosphonates.
Les diphosphonates sont
des analogues synthétiques stables du pyrophosphate et constituent
de puissants inhibiteurs de l’activité ostéoclastique.
Administrés par
voie intraveineuse, l’étidronate, le clodronate ou le pamidronate
(dans l’ordre croissant d’efficacité) entraînent tous une diminution
de la calcémie qui n’apparaît que 24 à 48 heures après l’instauration du traitement, l’effet maximal étant observé au cours de la première
semaine.
Une dose unique de pamidronate en perfusion
intraveineuse de 4 heures (30 à 60 mg si la calcémie est inférieure à
3,40 mmol/L, 90 mg si elle est supérieure à cette valeur) est en
général suffisante pour entraîner une normalisation prolongée
(parfois jusqu’à 1 mois) de la calcémie.
Les autres traitements antérieurement utilisés (mithramycine, nitrate
de gallium, perfusion de phosphate) sont également efficaces, mais
leur toxicité est élevée ce qui explique leur désaffection.
E - MÉCANISMES DES HYPOCALCÉMIES
:
Dans la mesure où la PTH
joue un rôle central dans le maintien de la calcémie à une valeur
normale, une
hypocalcémie prolongée ne peut survenir que si la sécrétion de PTH
est nulle ou insuffisante, ou s’il existe une résistance à l’action de la
PTH dans ses organes cibles, ou, enfin, s’il existe un flux net de
calcium vers l’os (ou les tissus mous) à condition qu’il soit
d’intensité suffisante pour dépasser les effets « antihypocalcémiques
» de la PTH.
Dans la première situation, une hypocalcémie stable et prolongée
existe en raison d’une diminution primitive de la sécrétion
parathyroïdienne de PTH.
En conséquence, pour une calcémie
normale, l’excrétion rénale de calcium est plus élevée que la normale
et la libération de calcium osseux plus basse que la normale : il en
résulte une baisse progressive de la calcémie jusqu’à un nouvel état
stable caractérisé par une excrétion urinaire de calcium égale à la
libération osseuse nette de calcium.
La concentration sérique de PTH
est alors basse ou normale, inappropriée à l’hypocalcémie et la
calciurie des 24 heures basse ou normale.
L’hypoparathyroïdie en
est un exemple typique.
Dans la deuxième situation, l’hypocalcémie survient parce que l’os
et le rein sont résistants à l’action biologique de la PTH.
En
conséquence, pour une calcémie normale, l’excrétion rénale de
calcium est plus élevée que la normale et la libération de calcium
osseux plus basse que la normale : il en résulte une baisse
progressive de la calcémie qui stimule la sécrétion parathyroïdienne
de PTH ; celle-ci peut, éventuellement, rétablir des effets
périphériques de la PTH normaux mais au prix d’une hypocalcémie.
Dans cette situation, la concentration sérique de PTH est élevée,
appropriée à l’hypocalcémie.
Enfin, dans la troisième situation, la formation osseuse entraîne un
flux net de calcium du liquide extracellulaire vers l’os, suffisamment
intense pour dépasser les mécanismes de maintien de la calcémie,
même en présence d’une sécrétion de PTH élevée ; ce type
d’anomalie s’observe essentiellement dans les phases de guérison
des ostéopathies métaboliques et porte le nom de hungry bone
syndrome.
F - CARACTÈRES GÉNÉRAUX DES HYPOCALCÉMIES
:
1- Symptômes de l’hypocalcémie
:
Quelle que soit sa cause, une hypocalcémie est d’autant mieux
tolérée qu’elle est plus modérée ou, surtout, qu’elle s’installe plus
progressivement.
Les symptômes attribuables à l’hypocalcémie,
lorsqu’ils existent, concernent, avant tout, le système
neuromusculaire et l’appareil cardiovasculaire.
2- Diagnostic d’une hypocalcémie
:
Hormis l’interrogatoire (précisant l’ancienneté de l’hypocalcémie, la
notion de chirurgie cervicale, l’utilisation de traitements
potentiellement hypocalcémiants, l’existence d’une maladie sousjacente)
et l’examen clinique, le diagnostic d’une hypocalcémie
requiert habituellement une démarche raisonnée au cours de
laquelle la mesure de certaines variables biologiques est essentielle.
Comme énoncé à l’occasion du diagnostic des hypercalcémies, la
pierre d’angle du diagnostic d’une hypocalcémie est l’estimation de
la sécrétion de PTH par la mesure de la concentration sanguine de
PTH intacte.
En présence d’une hypocalcémie, une sécrétion de PTH
basse ou normale témoigne de son caractère inapproprié et permet
d’établir le diagnostic d’hypocalcémie d’origine parathyroïdienne
(hypoparathyroïdie ou, plus rarement, hypocalcémie autosomique
dominante).
À l’opposé, une sécrétion de PTH élevée, appropriée à
l’hypocalcémie, fait porter le diagnostic d’hypocalcémie d’origine
extraparathyroïdienne.
Ces situations sont dominées par les déficits
en vitamine D ou en ses métabolites ; les syndromes de résistance à
la PTH ou à la vitamine D sont plus rares.
G - CAUSES DES HYPOCALCÉMIES
:
1- Hypocalcémies parathyroïdiennes
:
* Hypoparathyroïdies
:
L’hypoparathyroïdie est la conséquence d’une insuffisance de
synthèse et/ou de sécrétion de PTH.
Dans cette situation, la calcémie
diminue et peut atteindre une valeur aussi basse que 1,2 mmol/L.
Simultanément, la concentration de PTH est indétectable ou basse,
inadaptée à l’hypocalcémie. Une hyperphosphatémie est fréquente,
liée à l’augmentation de la réabsorption rénale de phosphate.
La
calciurie des 24 heures est basse puisque la synthèse de calcitriol et,
par conséquent, l’absorption intestinale du calcium sont diminuées.
La cause la plus fréquente d’hypoparathyroïdie est la chirurgie
cervicale.
Les glandes parathyroïdes peuvent être retirées ou lésées
lors de chirurgie cervicale étendue (cancer thyroïdien ou laryngé,
interventions répétées sur les parathyroïdes) ; une hypoparathyroïdie
transitoire ou définitive peut également être la
conséquence d’un oedème ou d’hémorragies altérant la
vascularisation des glandes parathyroïdes.
Plus rarement, la
destruction des glandes parathyroïdes est secondaire à une
irradiation cervicale, à une exceptionnelle infiltration néoplasique ou granulomateuse, à une surcharge (maladie de Wilson,
hémochromatose, thalassémie), à une atteinte auto-immune
sporadique ou évoluant dans un contexte de maladie familiale dont
la plus connue associe une hypoparathyroïdie, une maladie
d’Addison et une moniliase (syndrome HAM ou polyglandular
autoimmune disease type I).
L’agénésie ou l’hypoplasie congénitale des glandes parathyroïdes,
isolée ou associée à d’autres anomalies embryologiques, provoque
également une hypoparathyroïdie.
Enfin, la sécrétion de PTH peut être fonctionnellement altérée, en
cas d’hypomagnésémie sévère.
* Hypocalcémie autosomique dominante
:
Cette affection, également connue sous le nom d’hypocalcémie hypercalciurique familiale, est la conséquence d’une mutation
activatrice hétérozygote du récepteur sensible au calcium.
La
concentration de PTH est normale mais inappropriée à
l’hypocalcémie.
Le point important est que toute tentative de
traitement par calcium et dérivé de la vitamine D se complique
d’une hypercalciurie importante, d’une lithiase rénale calcique et/ou
d’une néphrocalcinose, et d’une insuffisance rénale.
2- Hypocalcémies extraparathyroïdiennes
:
Cet ensemble d’affections est caractérisé par une sécrétion de PTH
élevée, appropriée à l’hypocalcémie : l’hypocalcémie survient à
cause d’une résistance aux actions périphériques de la PTH, ou
parce que le phénomène physiopathologique sous-jacent dépasse la
capacité de la PTH à maintenir une calcémie normale.
* Anomalies de la vitamine D et de ses métabolites
:
Ces désordres se répartissent en trois groupes : le déficit absolu en
vitamine D, les anomalies du métabolisme de la vitamine D et les
syndromes de résistance aux actions de la vitamine D.
Dans
l’ensemble, l’hypocalcémie n’est pas cliniquement isolée mais
s’intègre dans un tableau de rachitisme ou d’ostéomalacie.
Les carences en vitamine D résultent d’une exposition solaire
insuffisante (pour des raisons géographiques, sociales ou
coutumières), d’un apport alimentaire insuffisant ou d’un syndrome
de malabsorption intestinale des lipides (maladie coeliaque, cirrhose
biliaire primitive, pancréatite chronique, résections intestinales...).
Le défaut d’hydroxylation hépatique de la vitamine D, entraînant
une carence en 25-OH vitamine D, peut s’observer au cours des hépatopathies chroniques cholestatiques ou de traitements prolongés
par des inducteurs enzymatiques tels que les barbituriques ou la
phénytoïne.
Le défaut d’hydroxylation rénale de la 25-OH vitamine
D en 1,25 (OH)2 vitamine D s’observe soit au cours du rachitisme vitaminodépendant
de type 1, affection rare autosomique récessive caractérisée par un
déficit fonctionnel de l’enzyme 1alpha-hydroxylase
rénale, soit au cours de l’insuffisance rénale, par réduction de la
masse néphronique fonctionnelle et de l’expression de l’enzyme.
Enfin, le rachitisme vitaminodépendant de type II, autosomique
récessif, se caractérise par une résistance à l’action du calcitriol sur
ses organes cibles par mutation des sites de liaison du récepteur de
la vitamine D.
* Autres causes d’hypocalcémie extraparathyroïdienne
:
Les autres causes d’hypoparathyroïdie extraparathyroïdienne.
H - TRAITEMENT DES HYPOCALCÉMIES
:
Le décision de traiter une hypocalcémie dépend de sa sévérité, de
sa rapidité d’installation, et de sa tolérance clinique.
Quel que soit le contexte, une hypomagnésémie doit être recherchée
et, le cas échéant, traitée ; en cas d’acidose métabolique associée, le traitement de l’hypocalcémie doit précéder, et non pas suivre, celui
de l’acidose sous peine d’observer une aggravation de
l’hypocalcémie.
1- Hypocalcémie aiguë
:
Une hypocalcémie modérée, comprise entre 1,9 et 2,1 mmol/L, chez
un patient asymptomatique, nécessite habituellement une
supplémentation calcique orale (500 à 1000 mg de calcium-élément
toutes les 6 heures) assortie d’une surveillance clinique et biologique.
En revanche, une hypocalcémie symptomatique ou sévère
(inférieure à 1,9 mmol/L) justifie un traitement par voie parentérale.
Le gluconate de calcium à 10 % existe en ampoules de 10 mL
contenant 94 mg de calcium élément.
Après injection par voie
intraveineuse d’une ampoule en 5 minutes, une perfusion de
10 ampoules diluées dans 1 L de soluté glucosé isotonique est
administrée au débit de 50 mL/h (47 mg/h de calcium), le débit
étant secondairement adapté au résultat désiré.
Le chlorure de
calcium à 10 % existe en ampoules de 10 mL contenant chacune
272 mg de calcium-élément, concentration élevée rendant cette
préparation nettement plus agressive pour les veines.
2- Hypocalcémie chronique
:
Le traitement d’une hypocalcémie chronique nécessite le recours à
des apports calciques oraux ainsi que, le plus souvent, à la vitamine
D ou à ses dérivés pour augmenter l’absorption intestinale du
calcium.
Le calcium peut être apporté sous forme de carbonate, de gluconolactate, de citrate, de lactobionate ou de glubionate, le
phosphate de calcium étant à éviter en raison du risque
d’aggravation d’une hyperphosphatémie préexistante.
La dose
quotidienne est habituellement comprise entre 1 et 2 g de calciumélément,
répartis dans la journée et ingérés à distance des repas.
Le
choix du dérivé de la vitamine D dépend de la situation.
Les
carences d’apport ou de synthèse de vitamine D justifient une supplémentation par vitamine D à dose physiologique (400 à
800 UI/j). Des doses plus élevées (50 000 à 100 000 UI) sont justifiées
chez les patients atteints d’un syndrome de malabsorption
intestinale du calcium.
La 25-OH vitamine D, à la dose de 1 à 5 íg/j,
est justifiée chez les patients ayant un déficit de l’hydroxylation
hépatique de la vitamine D.
Enfin, la 1,25 (OH)2 vitamine D (0,5 à
1 íg/j) ou la 1alpha-OH vitamine D (1 à 1,5 íg/j) sont nécessaires chez
les patients dont l’hydroxylation rénale de la 25-OH vitamine D est
déficiente.
Dans tous les cas, le traitement doit être adapté pour maintenir une
calcémie modérément diminuée ou dans les valeurs basses de la
normale ainsi qu’une calciurie inférieure à 6,5 mmol/j afin d’éviter
le risque de lithiase rénale, de néphrocalcinose et d’insuffisance
rénale.
Physiologie du phosphate
Bilan du phosphate et régulation
de la phosphatémie :
Un adulte de 70 kg contient environ 23 mol de phosphate, réparties
pour 85 % dans l’os sous forme de cristaux d’hydroxyapatite, pour
14 % dans le liquide intracellulaire où il joue un rôle essentiel dans
de nombreuses fonctions cellulaires (synthèse d’adénosine
triphosphate [ATP], d’acides nucléiques, de phospholipides, de
phosphoprotéines, et régulation d’activités enzymatiques) et 1 %
dans le liquide extracellulaire.
Le phosphate extracellulaire existe,
pour deux tiers, sous forme organique et, pour un tiers, sous forme
inorganique ; cette dernière fraction est celle habituellement
mesurée.
Le phosphate inorganique (Pi) plasmatique est faiblement lié aux
protéines (10 %) et circule majoritairement sous forme libre (ionisée),
une faible fraction étant complexée au calcium et au magnésium.
La
concentration normale de Pi est, à jeun, comprise entre 0,82 et
1,40 mmol/L chez l’adulte ; elle est physiologiquement plus élevée
chez l’enfant et l’adolescent jusqu’à la fin de la croissance.
La
concentration extracellulaire de Pi n’est pas constante au cours du
nycthémère : elle est minimale le matin à jeun puis s’élève au cours
de la journée, ce qui souligne l’intérêt de réaliser la mesure le matin
à jeun.
Le bilan de phosphate, différence entre les entrées et les sorties de
l’organisme, est nul chez l’adulte normal, positif chez l’enfant et
l’adolescent en croissance et négatif chez le sujet âgé.
L’entrée de phosphate dans l’organisme s’effectue uniquement par
voie intestinale, à partir du phosphate contenu dans l’alimentation.
Les apports alimentaires habituels s’échelonnent entre 800 et
2000 mg/j de phosphore.
Environ 70 % du phosphate ingéré est
absorbé dans l’intestin, principalement dans le duodénum et le
jéjunum.
Dans ces segments, le transport de phosphate s’effectue
selon un double mécanisme : un transport paracellulaire, diffusif,
non saturable, non régulé, directement dépendant du gradient de
concentration de phosphate entre la lumière intestinale et le liquide
interstitiel, et un transport transcellulaire, saturable, régulé, utilisant
un système de cotransport Na/Pi situé dans la membrane apicale
des entérocytes.
Ainsi, il apparaît que le transport paracellulaire
domine en situation d’apport alimentaire normal ou élevé et que le
transport transcellulaire domine en situation d’apport faible.
Plusieurs facteurs modulent le transport intestinal (transcellulaire)
de phosphate :
– le calcitriol augmente l’activité du cotransport Na/Pi apical ;
– un régime pauvre en phosphate stimule le transport transcellulaire, via une action directe sur le cotransport Na/Pi et via
une augmentation de la synthèse de calcitriol ;
– les apports élevés de calcium et magnésium, ainsi que les gels
d’alumine, diminuent le transport intestinal de phosphate en
entraînant la formation de complexes peu absorbables.
Chez un adulte normal, il n’existe pas, au cours du nycthémère, de
flux net de phosphate entre l’os et le liquide extracellulaire, ni entre
les cellules et le liquide extracellulaire.
Cette situation n’est
évidemment pas celle de l’enfant ou de l’adolescent en croissance
chez qui un bilan positif de phosphate est nécessaire à la
minéralisation osseuse et à l’augmentation de la masse cellulaire.
Chez l’adulte normal, le bilan de phosphate est maintenu à une
valeur nulle parce que l’excrétion rénale de phosphate est égale à
l’entrée intestinale nette.
Dans la mesure où l’absorption intestinale
de phosphate est peu régulée, le rein joue un rôle central dans le
maintien d’un bilan de phosphate équilibré ainsi que dans le
contrôle de la valeur de phosphatémie.
Le comportement rénal du phosphate répond à un processus de filtration-réabsorption.
Quatre-vingts à 85 % du phosphate filtré est
réabsorbé dans le tubule proximal qui constitue donc le site majeur,
et le mieux connu, de transport rénal du phosphate.
La réabsorption
proximale de phosphate étant un phénomène saturable, il est
possible de mesurer le transport rénal maximal (TmPi).
Le rapport
entre le TmPi et le débit de filtration glomérulaire (TmPi/DFG)
définit le seuil rénal du phosphate, qui est la concentration
plasmatique de phosphate au-delà de laquelle l’excrétion rénale de
phosphate croît linéairement avec la phosphatémie.
Le seuil rénal
du phosphate est le facteur essentiel de régulation de la phosphatémie.
En effet, lorsque les entrées de phosphate s’élèvent
(à la suite d’un repas, par exemple), la phosphatémie s’élève audelà
du seuil rénal, la phosphaturie augmente, permettant
d’éliminer l’excès de phosphate, et la phosphatémie se normalise.
Inversement, lorsque les entrées de phosphate sont nulles, la
tendance à la baisse de la phosphatémie s’interrompt dès que la
phosphatémie atteint la valeur du seuil rénal puisque, pour cette
valeur, l’intégralité du phosphate filtré est réabsorbée et la
phosphaturie devient également nulle.
De plus, la détermination du seuil rénal de phosphate est un
élément majeur pour juger du caractère rénal ou extrarénal d’une
hypophosphatémie : il est, en effet, augmenté (l’excrétion rénale de
phosphate est très basse ou nulle) dans les hypophosphatémies
d’origine extrarénale, et diminué (la phosphaturie est maintenue)
dans les hypophosphatémies d’origine rénale.
L’étape limitante de la réabsorption tubulaire rénale du phosphate
est le transport à travers la membrane apicale des cellules du tubule
proximal qui utilise un système de cotransport sodium/phosphate.
Trois groupes de cotransporteurs Na/Pi sont actuellement connus
chez les mammifères et dénommés Na/Pi de type I, de type II et de
type III.
Si les cotransporteurs Na/Pi de type III sont distribués dans
de nombreux types cellulaires, les cotransporteurs Na/Pi de type I
et de type II sont préférentiellement localisés dans le rein et,
particulièrement, dans la bordure en « brosse » des cellules du
tubule proximal.
De surcroît, seul le cotransporteur Na/Pi de type
II apparaît physiologiquement impliqué dans la réabsorption
tubulaire de phosphate.
La réabsorption tubulaire rénale de phosphate est régulée par
plusieurs facteurs, les deux plus importants étant sans doute la PTH
et l’apport en phosphate.
La PTH inhibe la réabsorption rénale de phosphate.
L’action de
l’hormone s’explique par une augmentation de l’endocytose du
transporteur apical Na/Pi de type II, par l’intermédiaire d’une
activation des voies de l’adénylate cyclase et de la protéine
kinase C.
Les variations de l’apport alimentaire de phosphate provoquent une
variation rapide de sa réabsorption tubulaire.
Cette régulation
semble directe puisqu’elle survient indépendamment de
modifications de la PTH, du calcitriol, de la calcémie et de l’hormone
de croissance.
La restriction des apports phosphatés s’accompagne,
en quelques heures, d’une augmentation du transport proximal de
phosphate et de l’expression à la membrane apicale du cotransporteur Na/Pi de type II, puis d’une augmentation de son
ARNm.
L’augmentation de l’apport en phosphate produit des
variations opposées.
Un autre facteur humoral, aujourd’hui encore inconnu, pourrait
participer à la régulation du transport proximal de phosphate.
En
effet, dans les modèles d’hypophosphatémie héréditaire chez la
souris, l’expression apicale du cotransporteur Na/Pi de type II est
diminuée, expliquant la diminution du transport de phosphate et
l’hypophosphatémie observées.
Pour autant, il n’existe pas
d’anomalie du gène codant ce cotransporteur ; en revanche, un gène codant une
molécule protéolytique (PHEX) est muté dans cette affection.
L’hypothèse
est que PHEX contrôle un facteur endocrine impliqué dans
l’expression rénale du cotransporteur Na/Pi de type II.
Anomalies de la phosphatémie
:
A -
MÉCANISMES DES HYPOPHOSPHATÉMIES :
Schématiquement, une diminution anormale de la phosphatémie
peut survenir dans trois types de circonstances : lorsque les apports
alimentaires sont réduits ou que les pertes intestinales augmentent
de manière prolongée, lorsque la capacité du tubule rénal à
réabsorber le phosphate diminue, ou, enfin, lorsqu’une partie du
phosphate extracellulaire est transférée vers le secteur intracellulaire
ou l’os ; cette dernière éventualité se produit essentiellement lors
d’apports d’hydrates de carbone ou d’alcalose ventilatoire, deux
situations stimulant la glycolyse intracellulaire et la consommation
cellulaire de phosphate.
B - CARACTÈRES GÉNÉRAUX DES HYPOPHOSPHATÉMIES
:
1- Symptômes de l’hypophosphatémie
:
Une hypophosphatémie modérée, définie par une phosphatémie
comprise entre 0,3 et 0,8 mmol/L, ne s’accompagne habituellement
pas de symptôme particulier ; en revanche, une hypophosphatémie
sévère (inférieure à 0,3 mmol/L) est en général symptomatique.
Il
est important de noter qu’une hypophosphatémie n’est pas
obligatoirement synonyme de déplétion phosphatée et
qu’inversement, une déplétion phosphatée, éventuellement sévère,
peut exister en présence d’une phosphatémie conservée ou peu
diminuée.
Les conséquences cliniques d’une hypophosphatémie sévère avec
déplétion phosphatée reposent sur la diminution du contenu
cellulaire en ATP et du contenu des hématies en 2,3-
diphosphoglycérate, cette dernière situation étant responsable d’une
augmentation de l’affinité de l’hémoglobine pour l’oxygène et d’une
hypoxie cellulaire.
2- Diagnostic d’une hypophosphatémie
:
Le diagnostic d’une hypophosphatémie est fortement orienté par le
contexte dans lequel elle survient.
Ainsi, une diminution modérée et
transitoire de la phosphatémie traduit, le plus souvent, un transfert
qui survient à l’occasion d’un apport d’hydrates de carbone ou
d’une hyperventilation alvéolaire aiguë.
Une hypophosphatémie
prolongée doit, au contraire, faire envisager soit une perte digestive
de phosphate (malnutrition globale, y compris alcoolisme chronique,
syndromes de malabsorption, utilisation de chélateurs du
phosphate), soit une perte rénale de phosphate.
Il est possible de
distinguer ces deux catégories de mécanismes par le calcul du seuil
rénal du phosphate (TmPi/DFG) ainsi que par la mesure de la
phosphaturie. Un seuil rénal d’excrétion de phosphate inapproprié
à l’hypophosphatémie (bas, voire normal) ainsi qu’une phosphaturie
conservée, supérieure à 5 mmol/24 h, indiquent une perte rénale de
phosphate ; à l’opposé, un seuil rénal élevé et une phosphaturie basse traduisent une adaptation rénale normale à
l’hypophosphatémie qui répond alors à un mécanisme extrarénal.
C - CAUSES DES HYPOPHOSPHATÉMIES
:
1- Hypophosphatémies d’origine extrarénale
:
*
Renutrition :
La mise en route d’une renutrition chez les patients dénutris, chez
les brûlés, ou chez les alcooliques, permet une régénération cellulaire
qui risque de se compliquer d’une hypophosphatémie par transfert,
le besoin cellulaire en phosphate augmentant alors brutalement.
Une
telle hypophosphatémie est habituellement prévenue par un apport
adéquat de phosphate accompagnant les autres nutriments : un
apport de 0,5 mmol de phosphate par kilogramme de poids corporel
idéal et par jour est nécessaire dans cette situation.
* Utilisation prolongée de chélateurs du phosphate
:
Les sels d’alumine ou de magnésium, utilisés dans le traitement des
ulcères gastroduodénaux, complexent le phosphate et peuvent
entraîner une déplétion en phosphate avec hypophosphatémie lors
de traitements prolongés.
Cependant, cette situation est devenue
rare depuis l’apparition des autres traitements de la maladie
ulcéreuse (inhibiteurs des récepteurs H2, inhibiteurs de la
H/K-ATPase).
2- Hypophosphatémies d’origine rénale
:
* Syndrome de Fanconi
:
La perte rénale de phosphate est une des composantes du syndrome
de Fanconi, qui comprend également une perte rénale de glucose,
d’acides aminés et de bicarbonate, témoignant toutes d’un défaut de
fonctionnement du tubule proximal.
Ce syndrome est rare chez
l’adulte, chez qui il apparaît au cours des dysglobulinémies, ou des
intoxications par des médicaments ou des métaux lourds.
* Rachitisme hypophosphatémique lié à l’X
(rachitisme vitamino-D-résistant)
:
Ce syndrome, caractérisé par un déficit sélectif de la réabsorption
de phosphate dans le tubule proximal par diminution de l’activité
du cotransport Na/Pi de type II, associe une hypophosphatémie
d’origine rénale, une ostéomalacie, et une concentration de calcitriol
normale ou basse, inadaptée à l’hypophosphatémie.
La cause de ce
syndrome n’est pas une mutation du gène du cotransport Na/Pi de
type II, mais une mutation inactivatrice du gène PHEX sur le
chromosome X.
Le produit de ce gène est vraisemblablement
une endopeptidase neutre qui dégrade normalement un facteur
circulant mal identifié (phosphatonine ?) inhibiteur du cotransport.
Une variante de ce syndrome associe, outre l’hypophosphatémie et
le rachitisme, une augmentation de la synthèse de calcitriol et une
hypercalciurie.
Les mutations impliquées concernent un gène
situé en 12p13 dont l’identification est en cours.
* Ostéomalacie oncogénique
:
Elle est définie par la survenue d’une perte rénale de phosphate,
d’une ostéomalacie et d’une insuffisance de synthèse de calcitriol
chez un patient porteur d’une tumeur mésenchymateuse, vasculaire
ou autre, et dont l’ablation entraîne la disparition de la
symptomatologie.
L’hypothèse est que de telles tumeurs sécrètent
un facteur thermosensible, inhibiteur du cotransport Na/Pi, appelé
« phosphatonine ».
D - TRAITEMENT DES HYPOPHOSPHATÉMIES
:
Une hypophosphatémie légère (0,6-0,8 mmol/L) ne justifie pas de
traitement particulier en dehors de celui de la maladie causale sousjacente
; en particulier, une hypophosphatémie aiguë par transfert
ne requiert pas d’apport de phosphate puisque le capital phosphaté
de l’organisme est inchangé.
Lorsque l’hypophosphatémie est
modérée (0,4-0,6 mmol/L) ou qu’il existe des signes de déplétion
phosphatée, un apport de phosphate est souvent justifié en
complément de l’éradication de la cause (arrêt d’un traitement par
antiacides, interruption d’une intoxication alcoolique, traitement par
vitamine D en cas d’ostéomalacie carentielle, équilibre d’un diabète
sucré...).
La correction de la déplétion peut être assurée par un
apport de lait (chaque litre contenant environ 1 g de phosphore) ou
un apport par une préparation pharmaceutique.
Une
hypophosphatémie symptomatique est compatible avec un déficit
d’environ 10 g de phosphore qui doit être corrigé en 1 semaine à
10 jours par un apport total d’environ 20 g de phosphore.
Une hypophosphatémie sévèrement symptomatique (coma,
convulsions, hémolyse, insuffisance cardiaque...) justifie, en général,
le recours à une administration par voie parentérale.
Enfin, dans le cadre des hypophosphatémies modérées d’origine
rénale, un traitement prolongé par dipyridamole à forte dose
(300 mg/j) a été rapporté comme entraînant une augmentation
modérée de la phosphatémie et du seuil rénal d’excrétion de
phosphate.
E - MÉCANISMES DES HYPERPHOSPHATÉMIES
:
Le comportement rénal du phosphate étant le principal déterminant
de la phosphatémie, une hyperphosphatémie peut survenir lorsque
la capacité du rein à éliminer le phosphate diminue (par diminution
du débit de filtration glomérulaire et/ou augmentation de la
réabsorption tubulaire rénale du calcium), ou lorsque les entrées de
phosphate augmentent à un tel point qu’elles dépassent la capacité
d’élimination rénale du phosphate.
F - SYMPTÔMES DE L’HYPERPHOSPHATÉMIE
:
L’hypocalcémie, éventuellement symptomatique, est une
complication habituelle de l’hyperphosphatémie, surtout lorsque
cette dernière s’installe rapidement.
Le mécanisme en est la
précipitation de phosphate de calcium dans les tissus mous et
l’inhibition de la synthèse de calcitriol qui induit une résistance aux
effets de la PTH.
Des calcifications ectopiques (vaisseaux, peau, cornée, tissu périarticulaire) sont fréquentes chez les patients ayant une
hyperphosphatémie prolongée, mais peuvent également s’observer
au cours d’hyperphosphatémies plus brutales.
Enfin, l’hyperphosphatémie, en inhibant la synthèse de calcitriol,
joue un rôle important dans la physiopathologie de
l’hyperparathyroïdie secondaire et de l’ostéodystrophie rénale des
insuffisances rénales chroniques.
G - CAUSES DES HYPERPHOSPHATÉMIES
:
Les causes des hyperphosphatémies peuvent être regroupées en
fonction du mécanisme principal, augmentation des entrées
endogènes ou exogènes, ou diminution de la capacité d’élimination
rénale.
H - TRAITEMENT DES HYPERPHOSPHATÉMIES
:
En dehors du traitement de la cause, le traitement d’une
hyperphosphatémie repose sur la diminution des entrées de
phosphate.
Puisque le phosphate est largement répandu dans
l’alimentation, une restriction importante des apports phosphatés
est, en pratique, impossible sous peine d’entraîner une dénutrition
globale.
Il est cependant souhaitable de limiter modérément les
apports protidiques, qui ne doivent pas excéder 1 g/kg/j.
Essentiellement, la diminution des entrées de phosphate est obtenue
grâce à l’utilisation de substances complexant le phosphate dans la
lumière du tube digestif et empêchant son absorption par la
muqueuse intestinale.
Bien qu’efficaces, les sels d’aluminium ont été
abandonnés, en particulier chez l’insuffisant rénal chronique parce
que leur utilisation prolongée était à l’origine d’une accumulation
d’aluminium responsable d’une encéphalopathie, d’une
ostéomalacie, d’une myopathie proximale et d’une anémie. Les sels
de calcium, en particulier l’acétate, sont aujourd’hui utilisés avec une
efficacité comparable aux sels d’aluminium.