Contrairement aux schizophrénies, les délires chroniques
proprement dits se caractérisent par des idées
délirantes systématisées permanentes et par une évolution
à terme non ou peu déficitaire.
Ils surviennent généralement sur une personnalité mature
de 30 à 50 ans ce qui expliquerait peut-être leur évolution
moins péjorative que celle des délires schizophréniques
qui surviennent chez des sujets plus jeunes (notion de
démence précoce et de trouble neuro-développemental).
L’école de psychiatrie française reconnaît 3 délires chroniques
non schizophréniques : les délires paranoïaques,
la psychose hallucinatoire chronique, les paraphrénies.
Délires paranoïaques
:
Ce sont les délires les plus systématisés où le mécanisme
délirant interprétatif est prédominant.
La nosographie française classique distingue 3 grands
types de délires paranoïaques : les délires d’interprétation
(exemple : paranoïa de Kræpelin), les délires de relation
des sensitifs (délire des sensitifs de Kretschmer) et les
délires passionnels qui incluent le délire de revendication,
de jalousie et l’érotomanie.
Ces délires ont un certain nombre de caractéristiques
communes.
A - Caractéristiques
:
1- Personnalité prémorbide
:
Les délires paranoïaques se développent assez fréquemment
sur une personnalité pathologique.
La personnalité la plus couramment rencontrée est la
personnalité paranoïaque sthénique.
Elle se caractérise par les signes suivants : la méfiance
(peur d’être trompé par autrui), l’hypertrophie du moi
avec un sentiment d’orgueil (absence d’autocritique,
mépris des autres), la psychorigidité, la fausseté du
jugement (idées préconçues que la confrontation à la
réalité n’entame pas), l’absence de tendresse, le manque
du sens de l’humour, des sentiments de jalousie injustifiés
et une inadaptation sociale qui est la conséquence de
tous les éléments précédemment cités.
Il convient de citer également la personnalité sensitive
de Kretschmer. Dans ce cas, le sujet n’est ni sthénique,
ni sûr de lui.
Il est plutôt vulnérable, timide, souvent
inhibé sexuellement et très susceptible.
Il est très sensible
aux attitudes d’autrui, intériorise les conflits et ressasse
douloureusement ses difficultés relationnelles.
Toutefois, la relation entre personnalités paranoïaques et
délires paranoïaques est parfois difficile à établir.
Si une personnalité sensitive est fréquemment retrouvée
dans les antécédents d’une paranoïa sensitive, si une
personnalité paranoïaque sthénique est souvent retrouvée
dans les antécédents d’un délire passionnel, en revanche,
dans les délires d’interprétation, la personnalité paranoïaque prémorbide est inconstante.
2- Facteurs décompensants
:
Dans les délires paranoïaques, il est parfois possible de
retrouver de tels facteurs.
Ainsi, l’émergence des délires
passionnels et des délires de relation des sensitifs est
souvent contemporaine d’un événement à forte charge
émotionnelle constituant un traumatisme pour le sujet
(deuil, conflit professionnel, divorce).
Dans le délire d’interprétation, le processus délirant
paraît plus endogène, c’est-à-dire propre au patient et
sans cause extérieure explicative.
3- Élaboration délirante
:
Les délires paranoïaques sont les plus systématisés de
tous les délires chroniques.
Ils sont cohérents, de
construction logique.
Ils sont tellement plausibles et
convaincants que parfois l’entourage proche, y compris
le médecin traitant, peut y adhérer : c’est ce que l’on
appelle le délire induit ou le délire à 2.
Si la pensée du paranoïaque paraît rigoureuse et logique,
elle ne fonctionne que selon une logique qui lui est
propre et que l’on nomme la pensée paralogique.
Elle se
caractérise d’une part par une pensée qui utilise une
logique commune pour valider un postulat de départ
inexact dans les délires passionnels et d’autre part, à
partir d’un fait réel, elle permet le développement d’un
raisonnement paralogique totalement erroné pour
confirmer des convictions délirantes chez un interprétatif
persécuté.
B - Description clinique et évolution
:
1- Délires passionnels et de revendication
:
Ces délires ont en commun une structure et des mécanismes
assez constants.
Ils se caractérisent par leur développement en « secteur ».
Le délire s’exprime dans un seul domaine en n’infiltrant
pas les autres domaines de la pensée et de la vie du
patient.
Ils débutent par une brusque intuition délirante « postulat
initial » qui vient éclairer une période de doute affectif.
Puis, à partir de ce postulat initial, le délire s’enrichit
d’interprétations délirantes fondées sur un thème ayant
une forte charge émotionnelle (jalousie, préjudice…).
Cela entraîne une conviction délirante totalement inaccessible
au raisonnement qui peut aboutir à des passages
à l’acte graves auto- voire hétéro-agressifs.
Il existe 3 types de délires passionnels : le délire de
préjudice ou de revendication, le délire de jalousie et
l’érotomanie.
• Les délires de revendication ou de préjudice sont les
plus communs des délires passionnels. Le sujet revendique
avec passion le triomphe de la justice et de la vérité
afin d’obtenir la juste réparation d’un préjudice qu’il
pense avoir subi ou la juste reconnaissance de son bon
droit.
Ce sentiment de persécution et d’injustice s’accompagne
d’attitudes de quérulence (réclamations
incessantes, procédures judiciaires répétées) et parfois
d’une agressivité hypersthénique (menaces, violences,
voire homicide).
Ces 2 éléments concourent à la réputation particulièrement
dangereuse de ce type de délirants.
Il existe différents
thèmes délirants de revendication.
Toutefois, les mécanismes
délirants prévalants, ici intuitifs et interprétatifs,
le développement en « secteur » du délire et l’absence
d’évolution déficitaire sont partagés par tous ces patients.
On distingue : les quérulents processifs qui se pensent
lésés dans le domaine du droit et qui entament de nombreuses
procédures judiciaires, les inventeurs méconnus
qui revendiquent une invention géniale dont ils sont les
auteurs ou qui sont spoliés car on leur a volé leur idée,
les idéalistes passionnés qui rêvent de nouveaux systèmes
politiques, de paix universelle ou de mouvement
perpétuel et qui projettent pour se faire entendre des
scandales ou des attentats contre des hommes politiques,
ou bien qui organisent des campagnes de presse afin de
mettre en avant leur désir de réforme et de justice.
L’évolution de ces délires de revendication est donc
souvent émaillée de passages à l’acte hétéro-agressifs
contre les personnes perçues comme des détracteurs ou
contre la société. Il existe cependant des résolutions
spontanées et parfois même, après de longues années,
des changements de thème délirant.
• Le délire de jalousie a un début le plus souvent insidieux
et progressif, le thème est la « jalousie délirante ».
Le sujet est convaincu d’être trompé par son partenaire
sexuel, interprète les moindres détails de la vie quotidienne,
accumule les preuves de l’infidélité de son
conjoint, reconstruit le passé en fonction du délire, crée
de faux souvenirs.
Le conjoint est rapidement soumis à
une pression insupportable, le conduisant parfois à des
aveux non fondés mais parfois aussi réels ce qui
d’ailleurs ne change rien à la trajectoire délirante du
sujet.
Ce délire est tenace, connaît des moments
d’atténuation et des paroxysmes au cours desquels
des passages à l’acte auto- voire hétéro-agressifs sont
possibles sur le conjoint ou sur le rival supposé.
Dans ce type de délire, des facteurs favorisants sont
assez souvent retrouvés tels qu’un trouble de la personnalité
sous-jacent (paranoïaque ou sensitif) ou un alcoolisme
qui est systématiquement recherché car il aggrave
la symptomatologie délirante.
Dans ce dernier cas, un
sevrage permet assez souvent d’apaiser les processus
délirants.
Devant un tel diagnostic, il convient d’éliminer, tout
d’abord, la schizophrénie paranoïde, où l’on peut trouver
mêlés à d’autres thèmes flous et non structurés des
thèmes de jalousie délirante, puis, les démences séniles
en début d’évolution, enfin certaines personnalités
pathologiques (hystérique, sensitive ou dépendante) et
l’hyperesthésie jalouse non délirante de l’alcoolique
chronique due vraisemblablement au retentissement
négatif de l’intoxication sur la fonction sexuelle.
• Le délire érotomaniaque affecte plus souvent les
femmes que les hommes.
Son principal thème est l’érotomanie.
Elle se caractérise par l’illusion délirante d’être
aimé par une personne (l’objet) le plus souvent célèbre
ou de position sociale plus élevée, donc au premier
abord inaccessible.
Ce tableau clinique survient généralement brutalement à
partir d’un événement anodin (par exemple, un regard).
De cette situation naît la certitude de l’amour de l’autre.
La construction délirante s’élabore par le biais d’interprétations
délirantes accordant à tous les comportements
de l’autre, même les plus anodins, une valeur amoureuse.
Trois phases successives caractérisent l’évolution spontanée
du trouble.
La 1re phase est « la longue phase d’espoir ».
Elle se
caractérise par l’interprétation optimiste de tous les faits
et gestes de l’autre comme autant de déclarations
passionnées mais compréhensibles d’elle seule.
L’absence de réponse de l’objet n’entame pas du tout
la conviction du sujet.
La seconde phase est celle du « dépit et du découragement ».
L’être qui aimait et qui est maintenant aimé est soupçonné
et accusé de ne pas se consacrer aux sentiments qu’il a suscités.
Ce dépit peut générer des passages à l’acte
essentiellement auto-agressifs.
La 3e phase est celle de la « rancune ». Le sujet déçu fait
du chantage et menace.
L’explosion hétéro-agressive
doit être redoutée envers l’objet du délire ou de toute
autre personne censée avoir empêché que ne se réalise le
projet amoureux du délire (drame passionnel).
L’érotomanie paranoïaque est rare, mais des conduites
érotomaniaques moins typiques peuvent s’observer dans
2 circonstances particulières qu’il convient d’éliminer.
Les idées délirantes érotomaniaques s’observent assez
souvent dans le délire schizophrénique débutant.
Elles
sont énoncées avec froideur et indifférences, comme une
évidence.
Elles n’ont ni le côté passionnel de l’érotomanie,
ni sa cohérence et sa structure.
Des fixations de nature érotomaniaques peuvent également
être observées chez certaines personnalités pathologiques,
notamment les passifs dépendants.
Dans ce contexte, les interprétations délirantes et la
conviction délirante ne sont pas convaincantes.
2- Délire d’interprétation ou paranoïa
:
Ce délire se développe de façon insidieuse et progressive,
le plus souvent chez un homme d’âge moyen de 30 à 50 ans.
Son mécanisme central est l’interprétation.
Les interprétations
permettent l’élaboration d’un système cohérent
de pensées délirantes.
Les thèmes de ce délire sont la
persécution, le préjudice, la malveillance et parfois la
mégalomanie.
Ce délire se développe en « réseau ».
En
effet, un paranoïaque ne croit pas au hasard, le moindre
événement de sa vie est interprété, rattaché à son système
délirant ce qui n’a de cesse que de l’enchérir, de le renforcer
et de l’étendre.
Ce tableau s’accompagne d’une conviction délirante
absolue, inébranlable, le patient est inaccessible aux
doutes.
Lors des poussées processuelles, d’autres mécanismes
délirants peuvent accompagner les interprétations
tels que les intuitions délirantes (un sourire qui veut dire
quelque chose) ou les illusions perceptives (on fait
allusion à lui dans la presse), les phénomènes hallucinatoires
sont rarissimes.
L’humeur du sujet est généralement neutre, le contact
est froid, méfiant et distant.
Parfois, une certaine
exaltation de l’humeur apparaît au cours de laquelle le
sujet peut exprimer ses projets de défense ou de contreattaques.
Il convient de les prendre au sérieux, car les
actes médico-légaux ne sont pas rares : plaintes à la
police, menaces, dénonciations publiques d’un éventuel
persécuteur voire agression ou meurtre de celui-ci.
En effet, un paranoïaque est d’autant plus dangereux
qu’il a désigné un persécuteur et qu’il a épuisé tous les
recours légaux pour faire triompher sa cause.
Bien que le sujet ait de gros troubles du jugement,
son adaptation sociale et professionnelle reste possible
assez longtemps.
Toutefois, le paranoïaque est dans
l’évitement social, il prend de nombreuses précautions
et déménage souvent.
Devant une telle symptomatologie, il convient d’éliminer
une schizophrénie où des idées délirantes de nature interprétatives peuvent exister, mais celles-ci surviennent
dans un contexte non cohérent.
L’évolution spontanée de la paranoïa est « l’essoufflement
du délire ».
Il n’y a pas classiquement d’évolution
déficitaire.
Au long cours, l’évolution est ponctuée,
d’une part par des moments féconds avec excitation
thymique et réactivation délirante pouvant aboutir à des
passages à l’acte hétéro-agressifs ; d’autre part, par des
épisodes dépressifs majeurs qui sont des moments à la
fois « à risque » (passages à l’acte auto-agressifs) mais
aussi « précieux » pour nouer une relation thérapeutique
en raison de la demande d’aide du patient.
3- Délire sensitif de relation de Kretschmer
:
Ce délire se caractérise par une décompensation délirante
de mécanismes essentiellement interprétatifs sur une
personnalité paranoïaque de type sensitif.
Il se développe souvent à la suite d’un événement vécu
comme pénible ou humiliant par le sujet (par exemple :
un échec, une frustration ou un rejet professionnel).
Le sujet rumine douloureusement ces impressions et
développe des idées de référence qui deviennent peu à
peu des certitudes.
Ce délire est dit de référence.
Le
sujet a la certitude que le comportement des personnes
qu’il côtoie est lourd de sens, il se sent victime d’une
vaste campagne de dénigrement (on l’épie, on fait des
allusions désobligeantes à son propos, on se moque de
lui, on le méprise).
Contrairement au paranoïaque, le sensitif ne réagit pas
de façon agressive.
Il intériorise plutôt les conflits et
devient asthénique.
L’évolution de ce type de délire est donc surtout
émaillée d’épisodes dépressifs avec souvent une note
hypocondriaque, une autodépréciation importante et un
risque de passage à l’acte auto-agressif.
C - Traitement
:
1- Hospitalisation
:
L’hospitalisation en milieu psychiatrique peut s’avérer
nécessaire en cas d’exaltation de l’humeur menaçante
hétéro- ou auto-agressive, de poussées processuelles ou
de troubles dépressifs majeurs.
Un placement administratif
selon la loi du 27 juin 1990 est souvent nécessaire.
On peut recourir à une hospitalisation sur demande de
tiers mais, le plus souvent, une hospitalisation d’office
en cas de dangerosité pour autrui est préférable afin
d’éviter que le patient n’intègre le tiers à ses éventuels
persécuteurs.
Parallèlement, il convient d’évaluer l’opportunité d’une
mesure de protection des biens quand le sujet dépense
tout son argent dans des procès.
Cette hospitalisation a pour but général de limiter la
dégradation du statut professionnel et des relations socio-familiales, ainsi que la souffrance de la famille.
L’hospitalisation a un double objectif spécifique.
Le 1er est de permettre au patient d’exprimer ses conflits
affectifs lors d’entretiens répétés.
Il convient de lui expliquer clairement tous les examens entrepris et les
traitements qui lui sont préconisés. Cette condition est
indispensable pour une bonne compréhension de la
démarche thérapeutique proposée.
Elle est d’autant
mieux acceptée que le médecin ne prend pas position
sur la véracité des faits et interprétations du patient en se
situant au-delà de cette question par une verbalisation
du type : «Je ne prétends pas pouvoir juger de cela car je
n’ai pas tous les éléments, mais votre caractère vous met
dans des situations où, en tant que médecin, je peux
soulager votre souffrance et vous aider… ».
Le 2e est d’instaurer un traitement chimiothérapique.
Il repose essentiellement sur l’utilisation de neuroleptiques.
Le but d’un tel traitement est d’atténuer la conviction
délirante, l’angoisse et l’agressivité du patient. Un neuroleptique
typique polyvalent type halopéridol (Haldol) ou
sédatif type chlorpromazine (Largactil) est choisi.
Les
posologies initialement prescrites sont les plus faibles
possibles (1 à 5 mg/j pour l’Haldol, une centaine de mg/j
pour le Largactil) afin de s’assurer d’une bonne tolérance
qui favorise la bonne adhésion au traitement et d’une
réduction symptomatique qui peut être longue à apparaître
(plusieurs mois) et justifier parfois l’augmentation
des posologies.
Il est à noter que les neuroleptiques atypiques récemment
mis sur le marché ne possèdent pas pour la plupart
d’autres indications que les schizophrénies.
Parfois, pour un temps qui ne doit pas dépasser 6 mois,
il est utile d’associer un traitement antidépresseur quand
les troubles dépressifs apparaissent.
En association, les
antidépresseurs sont surtout efficaces dans les délires
des sensitifs et dans les délires passionnels. Mais leur
utilisation nécessite de multiplier les entretiens avec le
patient afin de s’assurer qu’il ne renforce pas le délire.
2- À la sortie
:
Ces patients sont souvent difficiles à suivre, aussi est-il
important d’élaborer un projet de sortie en relation avec
le milieu social (médecin de famille, hôpital de jour,
etc.) et la famille.
Le traitement doit être poursuivi au
long cours en associant une chimiothérapie (d’où l’utilité
des traitements par neuroleptiques retards dans un tel
contexte) et une psychothérapie de soutien voire psychanalytique
dans de très rares cas.
Dans le cas particulier du délire de jalousie, outre les
mesures précédentes, il convient, lorsqu’un alcoolisme
existe, d’effectuer une désintoxication préalable.
Psychose hallucinatoire chronique
:
A - Description clinique
:
1- Personnalité prémorbide
:
Elle survient généralement chez des femmes d’âge
moyen compris entre 30 et 50 ans. Les sujets atteints
présentent assez fréquemment des traits de personnalité
sensitive ou de personnalité psychasthénique.
Elle se caractérise par une grande tendance aux scrupules, une
inhibition affective, des difficultés à prendre des décisions
et à agir.
Ces personnes s’enferment volontiers dans une
introspection douloureuse.
Ces personnalités jusque-là équilibrées « décompensent »
parfois à cet âge à l’occasion d’un événement de vie
traumatisant, le plus souvent le décès du conjoint.
2- Début :
Il est le plus souvent brutal et se caractérise par un
épisode délirant aigu riche en hallucinations avec un
automatisme mental constitué.
Parfois, le début de l’épisode est progressif.
Il se caractérise
par un petit automatisme mental composé d’un
sentiment d’étrangeté, d’un écho de la pensée, d’un devinement de la pensée ainsi que de sensations cénesthésiques
pénibles et vagues.
Celui-ci suscite chez le
patient une grande perplexité et une recrudescence de
l’anxiété.
Il manque à ce stade l’élaboration délirante.
3- Période d’état
:
Elle se caractérise par un tableau hallucinatoire et un
syndrome d’automatisme mental.
Puis, le sujet élabore
un délire plus ou moins systématisé dont le but est de
« rationaliser » les phénomènes hallucinatoires perçus.
Le tableau clinique se compose de 3 symptômes essentiels
: l’automatisme mental, les hallucinations psychosensorielles
et le délire.
L’automatisme mental est l’axe central de la psychose
hallucinatoire chronique.
Il est constant et se caractérise
par un syndrome associant des hallucinations intrapsychiques
et des troubles du cours de la pensée.
Le sujet dit avoir perdu le contrôle de sa pensée car il
perçoit des phénomènes psychiques qui le parasitent en
permanence (idées saugrenues, des voix qui l’injurient
et qui commentent ses actes).
Il subit ces processus qu’il
n’a pas voulu produire et qui ne lui appartiennent pas.
Au regard de tels phénomènes, le patient cherche à les
justifier en expliquant qu’il est sous le contrôle d’une
force extérieure à laquelle ses sens, ses actes et sa pensée
sont soumis.
Ce processus se nomme le syndrome
d’influence.
À l’extrême, le patient vit sa propre pensée
comme une voix provenant de l’extérieur et qui est donc
étrangère à sa personne.
Les signes cliniques qui constituent le grand automatisme
mental sont : l’impression que la pensée est devancée ou
devinée, volée et répétée en écho par une voix intérieure
étrangère à lui-même ; les actes sont énoncés, commentés
et critiqués ; le sentiment d’être soumis à une influence
extérieure qui lui impose des actes, des paroles, des tics,
des gestes voire des actes violents ; enfin la pensée
devient auditive et perçue comme une réalité objective
et extérieure (hallucinations psychosensorielles).
Les hallucinations psychosensorielles sont essentiellement
auditives.
Les plus importantes sont acousticoverbales.
Le sujet perçoit des voix provenant d’un
endroit de l’espace (ex. : un plafond), qui tiennent des
propos injurieux, grossiers, accusateurs voire menaçants.
D’autres hallucinations sont non verbales, le sujet
entend des bruits ayant une signification malveillante.
D’autres hallucinations sont souvent associées : des
hallucinations olfactives (le sujet sent des odeurs
nauséabondes qui sont souvent significatives d’un danger
imminent), des hallucinations gustatives (il trouve que
les aliments ont un goût bizarre) et des hallucinations
cénesthésiques et tactiles (il perçoit des courants
électriques qui lui traversent le corps ou des sensations
génitales).
Le délire survient donc comme une tentative de rationalisation
des phénomènes perçus.
Le mécanisme
essentiel de celui-ci est hallucinatoire.
Le thème dominant
est la persécution. Les explications délirantes du patient
sont souvent peu argumentées et les persécuteurs sont
impersonnels. Le patient persécuté réagit le plus souvent
de façon passive voire dépressive à son délire ce qui est
tout le contraire du paranoïaque.
B - Évolution
:
1- Évolution spontanée
:
L’évolution spontanée de la psychose hallucinatoire
chronique est caractérisée par des poussées processuelles
entrecoupée de rémissions plus ou moins complètes.
À long terme, le délire a tendance à s’étendre, à s’enrichir
de phénomènes imaginatifs envahissant de plus en plus
la vie psychique et sociale du sujet.
Cela aboutit à une
rupture progressive avec la réalité extérieure.
L’adaptation sociale du sujet reste longtemps préservée,
mais l’évolution démentielle est possible à terme.
2- Évolution sous traitement
:
Un traitement neuroleptique réduit voire éteint les processus
hallucinatoires ce qui permet une mise à distance du
délire.
On obtient un enkystement du délire.
L’adaptation
sociale et familiale est alors meilleure et plus durable.
Parfois, la thérapeutique permet une rémission complète
voire une critique des phénomènes vécus et perçus lors
de la poussée processuelle.
C - Traitement
:
L’hospitalisation sous contrainte est parfois nécessaire,
selon la loi du 27 juin 1990, lors des phases aiguës de la
maladie.
La chimiothérapie est nécessaire lors de ces phases aiguës
avec agitation anxieuse.
Le traitement de choix est la mise
en route d’un neuroleptique de nature antiproductive.
Par
exemple, l’halopéridol (Haldol) est reconnu comme très
anti-hallucinatoire à une dose de 5 à 15 mg/j.
Celui-ci peut
être associé à un neuroleptique plus sédatif en début
de traitement quand les processus anxieux sont très
invalidants (Tercian : 50 mg/j ou plus).
Le traitement d’entretien n’est pas systématique.
Le
plus souvent, de toutes petites doses de neuroleptiques
sont préconisées (Haldol de 2 à 5 mg/j) ou un neuroleptique
d’action prolongé comme l’Haldol Decanoas.
Au traitement neuroleptique, doit être associée une
psychothérapie de soutien.
Au long cours, une surveillance régulière est effectuée
afin d’éviter les rechutes délirantes, l’apparition
d’épisodes dépressifs et les épisodes pseudo-déficitaires.
Paraphrénies
:
A - Description clinique
:
Les paraphrénies se caractérisent par leur rareté, leur
début tardif entre 30 et 45 ans, leur organisation peu
systématisée, la prédominance des phénomènes imaginatifs
dans les délires avec des thèmes de grandeur et
fantastique.
Les capacités intellectuelles du sujet sont conservées, le
délire est en marge de sa réalité quotidienne.
1- Début
:
Le début de la paraphrénie est plus souvent progressif
et lent. Le sujet développe quelques bizarreries de
comportement qui s’expriment par un certain retrait
affectif. Parfois, le début est bruyant.
2- Phase d’état
:
La phase d’état est caractérisée par un délire riche,
imaginatif et fantastique.
On distingue, si l’on considère l’équivalence entre la
paraphrénie systématique et la psychose hallucinatoire
chronique, 2 formes cliniques de paraphrénies : la paraphrénie
imaginative et la paraphrénie fantastique.
La paraphrénie imaginative se caractérise par un délire
de mécanisme essentiellement imaginatif et peu
hallucinatoire.
Le sujet élabore progressivement une
fabulation qui s’enrichit de toutes les expériences qu’il
vit (discussions, lectures, etc.).
Les thèmes de cette
forme clinique sont la mégalomanie, la filiation et la
richesse.
La paraphrénie fantastique se compose d’un délire de
mécanismes hallucinatoire et imaginatif.
Les hallucinations
sont riches (auditives, automatisme mental et corporelles).
Les thèmes du délire sont fantasmagoriques,
cosmogoniques.
Il est souvent exprimé avec une certaine
exaltation de l’humeur à type d’euphorie.
Le discours est riche parfois émaillé de néologismes et
d’une certaine incohérence ce qui peut faire évoquer un
diagnostic de schizophrénie.
L’euphorie et la mégalomanie
retrouvées dans les paraphrénies avaient pour diagnostic
différentiel principal la paralysie générale
(phase tertiaire de la syphilis).
B - Évolution
:
Les paraphrénies évoluent de façon chronique où
alternent des phases fécondes avec exaltation de
l’humeur et des périodes de sédation.
L’adaptation du
sujet est longtemps maintenue aussi bien aux niveaux
familial que professionnel.
À long terme et en l’absence de traitement, le délire a
une tendance spontanée à s’enkyster.
Toutefois, une
autre évolution est possible qui correspond à l’émergence
progressive d’une dissociation schizophrénique.
L’évolution sous traitement permet un enkystement plus
rapide des délires.
Il convient de redouter l’apparition
d’un trouble dépressif qui s’accompagne souvent de
raptus suicidaire.
C - Traitement
:
L’hospitalisation peut s’avérer nécessaire lors des phases
actives.
Toutefois, il faut noter que les neuroleptiques
anti-productifs sont très peu efficaces sur les mécanismes
imaginatifs.
Un traitement chimiothérapique a comme objectif le
maintien de l’insertion sociale sans espérer une réduction
symptomatique totale ni a fortiori une critique du délire.
Le traitement permet de réguler les exaltations de
l’humeur, les processus hallucinatoires, la réactivation
délirante et les angoisses.
Il est superposable à celui de
la psychose hallucinatoire chronique.
Le traitement chimiothérapique
est accompagné d’une psychothérapie de
soutien.
Il convient également de porter une grande
attention aux mesures sociothérapiques afin d’éviter
leur désocialisation.