Contaminations microbiologiques par les dispositifs médicaux dans les unités dentaires
Cours de Médecine Dentaire
Introduction
:
Si le risque infectieux au cours des soins dentaires
existe, il semble plus concerner la transmission de
virus que de bactéries.
Les infections transmises
en milieu dentaire, du fait d’une part de leur rareté
et d’autre part de la difficulté à les mettre en
évidence chez les sujets traités en ambulatoire,
sont probablement sous-estimées.
Une contamination
par le sang des instruments utilisés en dentisterie
n’est pas rare.
Il faut rappeler que même une
quantité très faible de sang dont le praticien ne
réalise pas forcément la présence au niveau d’un
instrument peut entraîner une hépatite B chez le
patient suivant si l’instrument ne subit pas, avant
de resservir, un traitement adapté.
Le risque viral le plus élevé semble être lié à
l’usage des porte-instruments rotatifs.
Diverses
études expérimentales ont montré qu’un refoulement
des liquides biologiques vers les canaux et la
chambre internes se faisait même avec les appareils
équipés de système antiretour.
Ensuite, lors
de la réutilisation de l’appareil, un relargage progressif
de produits biologiques potentiellement infectants
s’effectue dans la bouche du patient suivant.
Une étude sur la contamination des conduits des
unités dentaires (CUD) réalisée sur des unités de
soins dentaires (résultats non publiés) a révélé
l’existence, dans l’un des multiples conduits d’eau,
d’une souche de Corynebacterium pseudotuberculosis.
L’isolement de cet agent respiratoire nous a
conduit à réfléchir sur sa provenance ainsi que sur
son mode de dissémination.
L’hypothèse d’une
source autre que l’eau, provenant des réseaux
d’aqueduc, apparaît probable.
Pour cela, un protocole
expérimental a été mis au point afin de mettre
en évidence l’existence de phénomènes d’aspiration,
par les instruments, d’aérosols contaminés
provenant des cavités buccales de patients.
Matériels et méthodes
:
Le protocole expérimental a été réalisé en collaboration
avec les collègues du service de parodontologie
du centre hospitalier universitaire d’Annaba.
Une unité dentaire a été mise à notre
disposition tout au long de la réalisation de l’expérimentation.
Le travail expérimental a été réalisé
dans des conditions similaires à celles effectuées
par le praticien lors d’un traitement de routine
réalisé au niveau de la cavité buccale d’un patient.
Seulement, pour des raisons de sécurité et de faisabilité,
la cavité buccale du patient s’est vue, pour
notre recherche, substituée par une cavité buccale
animale.
Ce choix est justifié par le fait que cette
cavité buccale de substitution présente des similitudes
structurales avec celle de l’homme.
A - Préparation et désinfection de la cavité
buccale animale :
La désinfection de la cavité buccale a été réalisée à
l’aide d’une solution antiseptique commerciale
(Hextril®) dans le but de neutraliser la microflore
buccale naturelle de l’animal. Après un temps de
contact avec l’agent chimique (2 à 3 min), une série
de rinçage des mâchoires à l’eau distillée stérile a
été réalisée afin d’éliminer toute trace du désinfectant.
B - Contamination artificielle de la cavité
buccale
:
L’inoculation des mâchoires de l’animal a été réalisée
aseptiquement à l’aide d’une suspension de Staphylococcus aureus.
La souche bactérienne
préalablement isolée, identifiée et purifiée a été
soigneusement entretenue au laboratoire grâce à
une série de repiquages successifs sur milieu Chapman
à 37 °C.
La contamination a été réalisée par
une simple aspersion des différents composants
tissulaires et dentaires de la mâchoire de l’animal
(gencives, dents et muqueuses) avec la suspension
bactérienne contenue dans une seringue stérile.
C - Simulation de soins et inoculation du milieu
de culture :
Pour la réalisation de l’expérimentation, il a été
demandé au praticien de simuler, dans les conditions
identiques à celles réalisées en pratique courante
sur des patients, des soins sur la dentition de
l’animal par l’utilisation d’une turbine (fraise)
équipée d’un dispositif de refroidissement à eau.
Outre l’action mécanique de la fraise sur la structure
dentaire, l’eau s’introduisant dans la cavité
buccale à forte pression a pour conséquence la
genèse de microaérosols dans la cavité buccale de
l’animal.
Les micro-organismes initialement présents
adhèrent aux microgouttelettes d’eau formées
au cours des soins utilisant cet instrument.
Le
principe de la manipulation fut d’actionner à plusieurs
reprises la turbine et par conséquent l’eau de
refroidissement émergeant de l’ouverture située à
l’extrémité inférieure du dispositif.
Les multiples actions de la turbine sont entrecoupées
par des inoculations directes et simultanées
des milieux Chapman et gélose nutritive préalablement
coulés et refroidis dans des tubes en
verre de 2,8 cm de diamètre interne.
Le surplus
d’eau émergeant de la turbine au moment de l’ensemencement
et ayant été en contact quasi instantané
avec les milieux de culture a été aseptiquement
éliminé avant l’incubation des tubes.
Ces
derniers sont incubés à 37 °C pendant 24 à 48 heures.
Le tube en verre inoculé est considéré comme un
potentiel patient susceptible d’être contaminé ultérieurement
par un instrument utilisé chez un
précédent patient (l’animal utilisé dans notre expérimentation)
porteur d’un micro-organisme pathogène.
Une éventuelle contamination de la turbine
par Staphylococcus aureus sera sans aucun
doute mise en évidence au niveau des tubes ensemencés.
Résultats et discussion
:
Au bout de 48 heures d’incubation à 37 °C, des
colonies diffuses, compte tenu du mode d’ensemencement
adopté dans notre manipulation, de
coloration jaune sont apparues sur la gélose Chapman
avec virage de la couleur du milieu de culture.
Des examens microscopiques réalisés sur la culture
bactérienne après coloration de Gram ont permis la
mise en évidence de cellules en forme de cocci
regroupées en amas et gardant le violet de gentiane
après décoloration à l’alcool (Gram +).
Ces caractéristiques
macroscopiques et microscopiques sont
celles de l’espèce Staphylococcus aureus initialement
inoculée dans la cavité buccale de l’animal et
qui a été retrouvée au niveau des tubes après
manipulation de la turbine par le praticien.
Le
pourcentage de transfert de la bactérie a été estimé
à 70 % (pourcentage des tubes dans lesquels a
été constatée l’apparition de colonies de Staphylococcus
aureus).
Sur le milieu de culture gélose
nutritive, aucune croissance bactérienne n’a été
décelée, ce qui explique l’efficacité de la neutralisation
de la microflore buccale par l’antiseptique
utilisé.
L’absence de croissance du staphylocoque
sur ce milieu est due au fait que la gélose nutritive,
compte tenu de sa composition, ne permet pas la
croissance de bactéries exigeantes.
Le phénomène physique responsable du transfert
des particules bactériennes de la cavité buccale de
l’animal vers les tubes utilisés et considérés, dans
notre expérimentation, comme un deuxième patient
succédant au premier, est exclusivement associé
aux aérosols qui sont constitués de particules
microbiennes présentes au niveau des mâchoires et
des muqueuses associées aux divers éclats issus du
traitement mécanique de la dent du patient.
Ces
aérosols peuvent : soit adhérer aux structures externes
de l’instrument dans une région voisine de
l’émergence de l’eau et qui sont plus tard expulsées
avec l’eau au moment de l’action de la turbine
; soit se retrouve aspirés à l’intérieur du
conduit d’eau de la turbine suite à l’arrêt de l’action
de celle-ci.
Ce dernier phénomène est dû à
l’absence de clapet de non-retour sensé prévenir
toute pression négative dans les conduits d’eau et
éliminer la réaspiration de l’eau.
Ce résultat obtenu
montre que les instruments utilisés en soins
dentaires peuvent être à l’origine de dissémination
d’agents pathogènes provenant des cavités buccales
de patients.
L’insuffisance de la décontamination basée uniquement
sur la diffusion passive de produit de
désinfection doit inciter à réfléchir sur la nécessité
du nettoyage de l’intérieur des tubes et des cavités
poreuses afin de réduire la charge bactérienne des
sécrétions du patient.
Ce principe fondamental
d’hygiène est, depuis plusieurs années, prôné par
les fabricants de matériels dentaires, et a pour
exemple conduit à la prescription de la Communauté
dentaire canadienne (CDC, 1985) que les
instruments rotatifs soient stérilisés après chaque
utilisation au même titre que les autres instruments
dentaires entrant en contact avec les éléments de
la cavité buccale.
Conclusion
:
À l’issue de cette expérimentation, le résultat obtenu
montre effectivement que les instruments
utilisés en soins dentaires peuvent être responsables
de dissémination d’agents pathogènes provenant
des cavités buccales de patients.
L’insuffisance de la décontamination basée uniquement
sur la diffusion passive de produits de
désinfection doit nous inciter à réfléchir sur la
nécessité du nettoyage de l’intérieur des tubes et
des cavités poreuses afin de réduire la charge bactérienne
des sécrétions du patient.
Les instruments
rotatifs doivent être stérilisés après chaque utilisation
au même titre que les autres instruments dentaires
entrant en contact avec les éléments de la
cavité buccale.
En outre, les clapets de non-retour
peuvent également être utilisés afin de diminuer le
risque de transfert de matières infectieuses.