Conduite à tenir devant une ascite Cours d'Hépatologie
Introduction
:
L’ascite se définit par l’accumulation de liquide dans la cavité péritonéale.
Son diagnostic positif est habituellement facile ; mais sous le terme d’ascite
sont regroupés des épanchements de natures et de causes diverses dont la
reconnaissance dicte la conduite à tenir thérapeutique.
Reconnaître une ascite
:
Une augmentation de volume de l’abdomen et/ou l’existence d’une matité
abdominale déclive et concave vers le haut évoquent l’existence d’une ascite.
Une rétention d’urine ou une volumineuse masse intra-abdominale sont
reconnues et différenciées de l’ascite par le caractère convexe vers le haut de
la matité.
Cependant, certaines ascites sont difficiles à authentifier cliniquement :
– l’ascite cloisonnée avec une matité en « damier » ;
– l’ascite chez le malade obèse ;
– l’ascite de faible abondance (< 200 mL) pour laquelle on s’aidera de
l’échographie abdominale.
Il faut évaluer le retentissement clinique de l’ascite afin d’envisager, si
nécessaire, une ponction évacuatrice :
– dyspnée importante ;
– risque de rupture ombilicale ;
– risque de constitution de hernies crurales et inguinales ;
– risque de fuite d’ascite en postopératoire après chirurgie abdominale.
Le liquide d’ascite sera ensemencé au lit du malade sur un milieu
d’hémoculture (aéroanaérobie) et mis à l’étuve, cette technique ayant prouvé
son meilleur rendement par rapport au prélèvement réalisé dans un tube sec
transmis au laboratoire.
Orientations diagnostiques
:
L’ascite peut survenir dans deux circonstances.
A - En l’absence d’hépatopathie
:
B - Au cours des hépatopathies
:
La survenue d’une ascite au cours des hépatopathies aiguës est
exceptionnelle.
Dans la très grande majorité des cas, elle est une
complication des hépatopathies chroniques, au premier rang desquelles la
cirrhose.
Sa présence a une valeur pronostique péjorative ; elle
est prise en compte dans le score de Child-Pugh qui est la classification
pronostique la plus courante des cirrhoses.
Conduite thérapeutique devant une ascite
chez le malade présentant une cirrhose :
Avant d’envisager le traitement symptomatique d’une ascite, deux questions
doivent être envisagées.
A - Existe-t-il une infection du liquide d’ascite ?
L’infection peut être secondaire (sepsis
généralisé, effraction péritonéale) ou spontanée, entité décrite
initialement par Conn, en 1964. Le traitement symptomatique d’une
ascite ne peut s’envisager que si l’ascite est stérile.
Les signes
cliniques suivants se rencontrent au cours des infections du liquide
d’ascite :
– apparition ou aggravation d’une encéphalopathie ;
– apparition ou aggravation d’un ictère ;
– douleurs abdominales ;
– hypo- ou hyperthermie ;
– troubles du transit.
Ces signes ne sont pas spécifiques.
De nombreux paramètres biologiques ont été étudiés dans le liquide d’ascite
afin de reconnaître l’infection du liquide.
Le pH, le delta de pH (pH sang - pH
dans le liquide d’ascite), le taux de glucose dans le liquide d’ascite, le dosage
des lactates semblent avoir une sensibilité inférieure à la présence et au
nombre absolu des polynucléaires neutrophiles (PNN).
On retient le
diagnostic d’infection du liquide d’ascite devant un nombre de PNN égal à
250/mm3.
Le taux des protides dans l’ascite n’est pas un
marqueur de l’infection, l’ascite s’infectant d’autant plus facilement que ce
taux est bas.
Bien qu’une infection spontanée du liquide d’ascite puisse être spontanément
résolutive (environ dans 15 % des cas), elle impose un traitement
antibiotique ; l’attitude thérapeutique face à une bactérascite n’est pas clairement définie, nous la traitons comme une infection avérée ;
d’autres équipes proposent une nouvelle ponction exploratrice après
24 heures, avant d’entreprendre une antibiothérapie.
Les bactéries responsables de l’infection du liquide d’ascite chez le malade
cirrhotique sont le plus souvent des entérobactéries (55 à 75 %), au premier
rang desquelles Escherichia coli (34 à 57%) et Klebsiella pneumoniae ;
parmi les autres germes, on retrouve le plus fréquemment le Staphylococcus
epidermidis et les streptocoques.
Ainsi, en première intention, si le malade ne peut s’alimenter, une
céphalosporine de troisième génération telle que la ceftriaxone (1g/j) sera
prescrite par voie veineuse ; si le malade peut s’alimenter, on pourra
utiliser une fluoroquinolone (type ofloxacine : 400 mg toutes les 12 heures)
per os, son utilisation dans cette indication a démontré son efficacité ;
elle diminue très nettement le coût du traitement.
L’antibiothérapie sera
ensuite adaptée en fonction des données de l’antibiogramme.
Le traitement
sera poursuivi en moyenne 5 à 7 jours ; la disparition des germes en culture
et la chute du nombre des PNN (< 250/mm3) dans le liquide d’ascite attestent
de la guérison.
Une infection du liquide d’ascite est un élément de mauvais pronostic chez le
malade atteint de cirrhose : la mortalité est de 50 à 90 % à 1 an.
Tous les
malades présentant une cirrhose n’ont pas le même risque de développer une
infection spontanée du liquide d’ascite.
Les malades ayant le
risque le plus élevé sont ceux qui ont déjà présenté ce type d’infection, ce
risque est alors évalué à 70 %après 1 an de suivi ; les malades présentant une
hémorragie digestive haute et un taux bas de protéines dans l’ascite
(< 15 g/L) sont aussi à fort risque.
Ainsi, au cours d’une hémorragie
digestive haute, l’incidence d’une infection du liquide d’ascite est de 7 à 15%.
Compte tenu de la gravité de cette infection, un traitement
prophylactique est discuté.
1- Prophylaxie secondaire
:
Une étude contrôlée a démontré l’efficacité de la norfloxacine à la dose de
400 mg/j, avec un taux de récidive à 1 an de 20%dans le groupe traité, versus
68 % dans le groupe contrôle.
Dans cette étude, il n’était pas observé
d’augmentation du nombre d’infections liées à des germes à Gram positif
(insensible à la norfloxacine) ; cependant, l’efficacité en termes
d’augmentation de survie n’a pas été étudiée.
2- Prophylaxie primaire au cours des hémorragies digestives
:
Quatre études ont montré une efficacité de l’antibiothérapie prophylactique
sur la diminution des infections du liquide d’ascite.
De plus, une
augmentation de la survie était constatée chez les malades traités par rapport
aux groupes contrôles.
Les données de ces différentes études ont été
regroupées dans une méta-analyse dont les conclusions sont en faveur de la
prophylaxie primaire au cours des hémorragies digestives.
3- Prophylaxie primaire chez les patients ayant un taux faible
de protides dans l’ascite (< 15 g/L) :
Trois études utilisant des quinolones de deuxième génération (ciprofloxacine
à la dose de 750 mg/semaine ou norfloxacine à la dose de 400 mg/j) ont
suggéré une efficacité sur la prévention des infections (toutes infections
confondues) sans montrer d’augmentation de survie dans les groupes traités.
Ainsi nous recommandons, pour la prévention de l’infection spontanée du
liquide d’ascite chez le malade cirrhotique, une couverture antibiotique au cours des hémorragies digestives pendant 7 jours environ, ou, en cas
d’antécédent d’infection du liquide d’ascite (en prophylaxie secondaire), un
traitement à vie, ou jusqu’à la transplantation hépatique, par la norfloxacine à
la dose de 400 mg/j.
Une prophylaxie primaire en dehors de l’hémorragie
digestive n’est pas recommandée.
B - Existe-t-il une insuffisance rénale
ou une hyponatrémie ?
Ces deux éléments contre-indiquent la prescription de diurétiques, au risque
d’aggraver les troubles hydroélectrolytiques.
C - Conduite thérapeutique chez le malade
porteur d’une cirrhose
:
Elle tiendra compte des réponses aux deux questions précédentes.
Chez le malade porteur d’une cirrhose, l’ascite est due en partie à la faible
élimination urinaire de sodium.
Ainsi, la persistance d’une ascite va motiver
en première intention :
– un régime pauvre en sel (soit 2 g/j ou 88 mEq/j).
Un régime trop strict ne
pourra être suivi correctement ;
– le repos au lit, qui augmente la filtration glomérulaire ; toutefois, cette
mesure ne repose pas sur des données validées chez les malades cirrhotiques
ascitiques ;
– notons qu’une restriction hydrique ne se justifie pas (elle risque d’entraîner
une déshydratation intravasculaire et d’induire une insuffisance rénale
fonctionnelle).
Ces deux mesures bien suivies suffisent à traiter plus d’un tiers des ascites.
Si elles sont insuffisantes pour obtenir une perte de poids de 300-400 g/j, la
situation impose un complément thérapeutique.
1- Diurétiques
:
On utilisera, en première intention, les diurétiques distaux, l’excrétion
urinaire de sodium dépendant en grande partie de l’intensité de la réabsorption
distale du sodium.
Ce traitement peut induire une hyperkaliémie
ou se révéler insuffisant.
On pourra rajouter les diurétiques de l’anse de Henle. La prise unique matinale, par exemple, de spironolactone
(75 à 225 mg/j) et de furosémide (40 mg/j), est efficace chez une majorité de
malades, cette modalité thérapeutique assurant une bonne compliance.
La surveillance de ce traitement impose initialement un suivi clinique (poids
quotidien), biologique (bilans hydroélectrolytiques sanguins et urinaires
bihebdomadaires).
2- Paracentèse
:
C’est une méthode simple, sûre et dénuée de danger. Les quantités
ponctionnées peuvent être de 4 à 6 L/j, certaines équipes réalisent des
paracentèses totales (> 10 L) sans entraîner de complications.
Les
compensations préconisées lors de ponctions de grand volume (> 4 L) seront
réalisées soit par des perfusions de dextran de poids moléculaire 70 000
(133 mL/L d’ascite évacuée), après avoir prévenu une réaction allergique à
ces molécules par l’injection de 20 mLde Promitt (dextran 3 g) ; soit avec
de l’albumine humaine (6 à 8 g/L d’ascite évacuée).
Trois études
contrôlées visant à comparer le dextran à l’albumine ont montré la bonne
tolérance et l’efficacité des dextrans. Notons toutefois que, tant pour
l’albumine que pour les dextrans, le bénéfice de la compensation est noté
uniquement sur des paramètres paracliniques, et l’intérêt de celle-ci au cours
des paracentèses, même de large volume, n’est pas formellement démontré,
notamment pour augmenter la survie des malades ou diminuer le rythme des
ponctions.
3- Shunt péritonéojugulaire
:
Il garde sa place dans le traitement des ascites récidivantes ou réfractaires au
traitement médical, chez les malades ne pouvant bénéficier d’une
transplantation hépatique.
Des progrès techniques ont permis de diminuer les
complications, et notamment l’occlusion du shunt par l’utilisation d’une
extrémité en titane au niveau du cathéter veineux.
Toutefois, cette
efficacité est controversée ; une antibiothérapie antistaphylococcique
encadrant le geste chirurgical diminue les complications infectieuses
précoces.
L’implantation d’un shunt permet de réduire les traitements par
diurétiques.
4- Anastomose portocave chirurgicale
:
Cette intervention chirurgicale a été effectuée chez des malades afin de traiter
l’ascite.
Des études ont clairement montré que cette anastomose était efficace
sur l’ascite, mais avec un risque d’encéphalopathie hépatique très élevé chez
ces malades.
Ainsi actuellement, il est admis qu’une anastomose portocave
chirurgicale ne doit pas être proposée chez ces malades.
L’utilisation d’un TIPS (transjugular intrahepatic portosystemic shunt) dans
le traitement de l’ascite réfractaire aux traitements (régime sans sel,
diurétiques) reste controversée, d’autant qu’il est possible de recourir aux
ponctions répétées.
Les premières études pilotes étaient encourageantes,
avec une disparition complète de l’ascite dans 50 à 75 %des cas ; toutefois,
une étude randomisée comparant les ponctions d’ascite itératives aux TIPS, portant sur 25 malades, notait une meilleure survie dans le groupe
des 12 malades traités par paracentèse (dont huit appartenaient à la classe B
de Child et quatre à la classe C).
Les résultats des différentes études suggèrent
que la mise en place d’un TIPS n’apporte aucun bénéfice aux malades
appartenant à la classe C de Child ; concernant les malades de la classe A
ou B, la question reste controversée.
D - Transplantation hépatique
:
Une cirrhose décompensée sur le mode ascitique chez un malade de moins de
60 ans peut faire poser l’indication d’une transplantation hépatique, en
fonction du statut viral, de la poursuite de l’intoxication éthylique et des
pathologies associées.
Ce d’autant qu’un épisode d’infection spontanée du
liquide d’ascite est survenu.
E - Surveillance du traitement de l’ascite
:
Ainsi, chez un malade présentant une première décompensation ascitique
de sa cirrhose, on peut proposer le schéma thérapeutique suivant : un
régime pauvre en sel et éventuellement le repos au lit seront institués, une
ou des ponction(s) évacuatrice(s) seront entreprises avec une compensation volémique si la paracentèse dépasse 4 litres, et un traitement d’entretien par
des diurétiques débuté si le régime bien suivi est insuffisant.
L’ensemble de
ces mesures suffit pour éviter la récidive de l’ascite dans 80 % des cas.