Chirurgie des cancers de l’oesophage
(Suite) Cours de Chirurgie
E - LIBÉRATION DE L’OESOPHAGE DANS LE THORAX
:
1- Thoracotomie droite
:
Le premier temps de ce geste est l’exposition du médiastin
postérieur par section du ligament triangulaire droit et section entre
ligatures de la crosse de la veine azygos.
Si le poumon droit
est exclu par une intubation sélective, toute la hauteur de
l’oesophage peut facilement être exposée.
Si le poumon droit n’est
pas exclu, le refouler en bloc vers l’avant peut comprimer le massif
cardiaque et altérer les conditions hémodynamiques.
Il est alors
préférable d’exposer soit le médiastin inférieur et moyen en
extériorisant de la cavité pleurale le lobe pulmonaire inférieur droit,
soit le médiastin supérieur en refoulant simplement le lobe supérieur
en direction du diaphragme.
Lorsque la tumeur ne pose pas de problème de résécabilité, le plus
simple est de procéder à la mobilisation de l’oesophage du bas vers
le haut.
La plèvre médiastine est incisée en arrière du péricarde et
de la veine cave inférieure, en avant de l’aorte descendante et au
bord supérieur du pilier diaphragmatique droit.
L’oesophage
et les tissus celluloganglionnaires avoisinants sont facilement clivés
du péricarde et de l’aorte descendante à un endroit où celle-ci est
dépourvue de collatérale.
Il est ensuite souhaitable de repérer
la plèvre médiastine gauche, de la refouler au tampon monté et de
mettre l’oesophage sur lacs.
Si la plèvre gauche est ouverte, il faut la
fermer après exsufflation ou la drainer en fin d’intervention, une
fois le malade remis en décubitus dorsal.
Lors de ce temps médiastinal inférieur, le canal thoracique doit être repéré et ligaturé
électivement, quelle que soit l’étendue latérale de la dissection susjacente.
Le repérage du canal thoracique peut être difficile
chez un malade gras ou ayant eu une radiochimiothérapie ; dans ce
cas, la ligature élective du canal peut être remplacée par une ligature
en masse des tissus situés entre le rachis, l’aorte descendante et la
veine azygos.
Après sa ligature, le canal thoracique peut être soit
sectionné en aval et réséqué en bloc avec l’oesophage, soit laissé en
place le long de l’aorte descendante. L’intérêt carcinologique de la
résection systématique du canal thoracique n’a pas été établi.
À
l’inverse, une ligature systématique du canal thoracique minimise le
risque de chylothorax postopératoire si une plaie du canal survient à hauteur de la crosse de l’aorte.
La libération de l’oesophage se
poursuit vers le haut en incisant la plèvre médiastine d’une part, en
arrière de la bronche souche droite et du tronc intermédiaire, et
d’autre part le long de l’aorte descendante, puis en réalisant le
curage intertrachéobronchique en bloc.
Il existe constamment
une artère ganglionnaire en avant de la bifurcation trachéale dont
l’hémostase élective est nécessaire.
En arrière de la bifurcation
trachéale, il faut sectionner le nerf pneumogastrique droit, si possible
en aval de la naissance des nerfs bronchiques, et faire l’hémostase
d’une ou deux artères bronchiques.
En arrière de l’oesophage, il faut
faire l’hémostase élective d’une artère bronchique droite, branche
d’une intercostale et située à hauteur de la crosse de l’azygos, et de
une ou deux artères oesophagiennes naissant de la partie initiale de
l’aorte descendante.
Au bord gauche et en avant de
l’oesophage, il faut veiller à ne pas blesser la membraneuse et le
bord inférieur de la bronche souche gauche, dont la visualisation
peut être difficile en cas de volumineuse tumeur rétrocarénaire ou
d’adénopathie tumorale intertrachéobronchique.
Le temps délicat est la libération du bord gauche de l’oesophage à
hauteur de la crosse de l’aorte, temps rendu difficile si la tumeur
siège à ce niveau ou après radiochimiothérapie.
Le repérage du nerf
récurrent gauche à son émergence au bord inférieur de la crosse de
l’aorte expose à un risque important de blessure de ce nerf en raison
de l’exiguïté du champ opératoire.
Il est préférable de repérer
d’abord le récurrent gauche à la partie moyenne de son trajet intrathoracique en séparant progressivement l’oesophage de la
trachée.
Une fois le nerf repéré, il est suivi de haut en bas
jusqu’au bord inférieur de la crosse de l’aorte où le nerf
pneumogastrique gauche est repéré ; ce nerf est sectionné à ce
niveau ou, si possible, un peu plus bas en aval de la naissance des
nerfs bronchiques gauches.
Il existe constamment une artère
oesophagienne naissant de la portion horizontale de la crosse (artère
du « décroisement ») dont l’hémostase élective est nécessaire.
Au-dessus de la crosse de l’aorte, la libération de l’oesophage ne
pose aucun problème en arrière où il existe un plan celluleux lâche
en avant du rachis.
En avant, il faut veiller à l’hémostase des
artérioles tendues entre l’oesophage et chaque bord latéral de la
trachée.
Si l’anastomose oesogastrique choisie est intrathoracique, l’oesophage
est disséqué sur son bord gauche pour être sectionné si possible 6 cm
au-dessus du pôle supérieur de la tumeur en cas de cancer
épidermoïde et 8 cm en cas d’adénocarcinome.
Si l’anastomose oesogastrique est cervicale, la dissection du bord
gauche de l’oesophage est poursuivie dans le défilé cervicomédiastinal, tout en ménageant le nerf récurrent gauche ; le
bord droit de l’oesophage est mobilisé en poursuivant la dissection à
hauteur de l’artère sous-clavière droite.
Des ganglions récurrentiels droits sont fréquemment présents en dessous de cette
artère et peuvent être réséqués en bloc avec l’oesophage.
En
revanche, il est plus facile de procéder séparément à l’exérèse des
ganglions récurrentiels gauches et des ganglions intertrachéocaves.
Le curage intertrachéocave ne doit pas être extensif sous peine de
dévasculariser l’axe trachéobronchique et d’augmenter ainsi le
risque de complications respiratoires postopératoires.
Pour
le curage récurrentiel droit, il faut repérer le nerf récurrent droit au
bord inférieur de l’artère sous-clavière, en suivant au besoin le nerf
pneumogastrique droit à sa partie haute.
L’usage de clips
hémostatiques fins ou d’une coagulation bipolaire facilite
l’hémostase et la lymphostase au contact des nerfs récurrents en
minimisant le risque de leur blessure.
Au bord supérieur de la crosse
de l’aorte et en arrière de l’artère sous-clavière gauche, il est fréquent
d’identifier la partie distale du canal thoracique : bien que le canal
thoracique soit valvulé et qu’en théorie une fuite lymphatique à
partir de son extrémité distale soit impossible, il est préférable de le
ligaturer ou de le clipper pour limiter le risque de chylothorax
postopératoire.
De même, lors de la dissection de l’oesophage
thoracique, tout conduit dont l’aspect est compatible avec un canal
lymphatique doit être ligaturé ou clippé, car des variations
anatomiques du canal thoracique sont possibles et peuvent expliquer
la survenue d’un chylothorax postopératoire, même si le canal
thoracique a été lié à son entrée dans le thorax.
La chirurgie est rarement indiquée en première intention pour des
tumeurs localement évoluées qui sont actuellement traitées par radiochimiothérapie.
Certaines de ces tumeurs sont secondairement
opérées en cas de réponse tumorale satisfaisante chez des malades
en bon état général.
Pour disséquer ces tumeurs, il peut être utile de
disséquer l’aorte dans le plan sous-adventiciel.
Toutefois, ce plan
expose à un risque de désinsertion des collatérales de l’aorte dont
l’hémostase peut être difficile à obtenir lorsque la tumeur est située
au niveau de la crosse ou sur la partie initiale de l’aorte descendante.
La résection du péricarde pariétal postérieur, de la plèvre médiastine
droite ou gauche, du canal thoracique, peuvent également être utiles
pour réaliser une exérèse carcinologiquement satisfaisante.
En
revanche, il faut disséquer avec précaution l’arbre trachéobronchique
qui peut être le siège d’une plaie peropératoire ou d’une nécrose
postopératoire localisée de la membraneuse, favorisée par la
radiochimiothérapie.
2- Thoracotomie gauche
:
La libération de l’oesophage par thoracotomie gauche est rarement
indiquée, du fait des difficultés d’exposition liées à la présence du
massif cardiaque, de l’aorte descendante, de la crosse de l’aorte et
de l’artère sous-clavière gauche.
Le plus souvent, seul l’oesophage sous-aortique est mobilisé.
Comme
par thoracotomie droite, il est plus facile de procéder du bas vers le
haut.
Après section du ligament triangulaire gauche jusqu’à la veine
pulmonaire inférieure gauche, la plèvre médiastine est incisée en
arrière du péricarde et en avant de l’aorte.
La dissection est faite au
contact du péricarde et de la paroi aortique jusqu’à identifier la
plèvre médiastine droite qui est refoulée au tampon monté.
L’oesophage est mis sur lacs avec les deux nerfs pneumogastriques
.
L’identification du canal thoracique à son entrée dans le
thorax est difficile et nécessite la dissection du flanc droit de l’aorte
descendante.
Il est parfois plus facile de l’isoler en dessous de la
crosse de l’aorte.
La région intertrachéobronchique est abordée en incisant la plèvre
en arrière de la bronche souche gauche et en débutant ainsi le curage
intertrachéobronchique. En arrière de l’oesophage, les artères
naissant de l’aorte descendante sont liées ou clippées, puis
sectionnées.
Le nerf pneumogastrique gauche est sectionné au bord
inférieur de la crosse de l’aorte après avoir identifié formellement
l’origine du nerf récurrent gauche et, si possible, préservé les nerfs
bronchiques gauches.
Au bord droit de l’oesophage, on procède à la
dissection de la bronche souche droite, à la fin du curage intertrachéobronchique, et à la section du nerf pneumogastrique
droit si possible en aval des nerfs bronchiques droits.
Si la dissection de l’oesophage rétroaortique et sus-aortique est
nécessaire, il faut inciser la plèvre médiastine entre l’artère sousclavière
gauche, le bord supérieur de la crosse de l’aorte et le rachis.
Le décroisement de l’oesophage d’avec la crosse de l’aorte nécessite
une mobilisation partielle de cette dernière vers le haut pour
identifier l’origine de l’artère du « décroisement » qui naît du côté
droit de la crosse.
En avant, il faut cliver l’oesophage de l’axe trachéobronchique et en arrière le séparer du plan prévertébral.
Le
canal thoracique précroise l’oesophage sus-aortique et doit
également être respecté (ou réséqué avec une double ligature
proximale et distale) à ce niveau.
Le repérage du nerf récurrent
gauche et des ganglions récurrentiels gauches est en règle facile sur
le relief du bord gauche de la trachée.
Le nerf récurrent
gauche peut ainsi être repéré sur toute la hauteur de son trajet
thoracique.
L’exérèse des ganglions de la fenêtre aortopulmonaire
doit respecter l’origine du nerf récurrent gauche et éviter toute
blessure du toit de l’artère pulmonaire gauche.
Le décroisement ne
doit être fait qu’après la dissection du bord droit de l’oesophage en
refoulant d’abord la crosse de l’azygos au tampon monté, puis la
plèvre médiastine droite au-dessus de l’étage des crosses.
L’exposition du nerf récurrent droit et des ganglions récurrentiels
droits par thoracotomie gauche est dangereuse.
F - ANASTOMOSE OESOGASTRIQUE
:
1- Principes techniques
:
Les principes qui régissent la réalisation d’une anastomose
oesogastrique sont les suivants.
– L’oesophage ne pose en général aucun problème de vascularisation
au niveau de sa tranche.
Le principal problème est d’obtenir une
marge proximale de résection saine. Pour le cancer épidermoïde, la
marge à respecter a été bien précisée par un travail japonais :
– en cas de cancer superficiel (limité à la muqueuse et à la sousmuqueuse),
la fréquence des lésions épithéliales satellites est telle
que des marges de résection de 2, 4 et 6 cm in vivo exposent à un
risque d’envahissement de la tranche de section par un carcinome
in situ respectivement égal à 14, 8 et 3 % ; ces résultats plaident
en faveur de la réalisation préopératoire d’une coloration vitale
au Lugol pour localiser précisément le pôle supérieur d’une
tumeur superficielle ;
– quelle que soit la profondeur de la tumeur, une marge de 6 cm
in vivo est associée à un risque d’envahissement de la recoupe proximale par des emboles lymphatiques ou vasculaires de 5 % ;
ces résultats ont été établis d’après l’analyse de pièces
d’oesophagectomie fixées et tenant compte d’un coefficient de
raccourcissement de 50 % lors de la fixation.
– Pour l’adénocarcinome, la prévalence des emboles lymphatiques sous-muqueux est plus importante dans ce type histologique et la
marge de résection proximale doit être comprise in vivo entre 8 et
10 cm pour obtenir un taux d’envahissement de la recoupe
proximale inférieur à 5 %.
À l’étage cervical, il faut essayer de conserver 2 cm d’oesophage sous
la bouche oesophagienne pour limiter le risque de fausses
déglutitions.
Dans tous les cas de figures, la couche pariétale la plus solide est la
muqueuse qui doit être chargée sur toute la circonférence de la
tranche oesophagienne, quelle que soit la technique de l’anastomose.
– Le transplant gastrique a un diamètre presque toujours supérieur
à celui de l’oesophage, la seule exception étant un tube gastrique
« étroit » préconisé par certains auteurs.
Cette disparité de calibre
explique que l’anastomose oesogastrique est le plus souvent de type terminolatéral, mais une anastomose terminoterminale sur un tube
gastrique « étroit » est également possible.
La couche pariétale la
plus solide est la sous-muqueuse qui doit être chargée sur toute la
circonférence de la tranche gastrique, quelle que soit la technique de
l’anastomose.
L’anastomose doit siéger sur la grande courbure
gastrique, qui est le plus à distance de la ligne d’agrafes en cas de tubulisation gastrique, ou au sommet de la grosse tubérosité en cas
de gastroplastie « large » ou d’estomac entier.
Le sommet de la gastroplastie est souvent le siège d’une ischémie modérée secondaire
à une gêne au retour veineux.
Cette diminution de la perfusion au
sommet de la plastie peut être appréciée visuellement (degré de
cyanose), par l’utilisation d’un doppler ou d’un saturomètre stérile,
ou par fluorométrie après injection de fluorescéine.
Nous n’avons
pas l’expérience de ces techniques dont l’intérêt décisionnel n’a, à
notre connaissance, jamais été formellement établi.
Un aspect
ischémique de la plastie peut être corrigé par le réchauffement du
champ opératoire et du malade, la correction d’une hypotension, si
elle existe, l’élargissement de l’hiatus oesophagien, s’il comprime le
pédicule gastroépiploïque, et la diminution de la traction sur la
plastie.
En effet, une traction excessive sur le pédicule gastroépiploïque est susceptible de gêner le retour veineux par
étirement de la veine gastroépiploïque droite.
– Il faut disposer d’une plastie gastrique suffisamment longue pour
effectuer l’anastomose sans tension.
Si une tension anormale existe
malgré tous les artifices de mobilisation du transplant gastrique
, on peut « décharger » l’anastomose elle-même par une
série de points de suspension oesogastrique périanastomotiques ou
par des points chargeant d’une part le transplant gastrique à
distance de l’anastomose et, d’autre part, la plèvre médiastine ou les
muscles paravertébraux pour « tirer » légèrement la plastie vers le
haut.
Lors de la mise en place de tels points au niveau cervical, il
faut veiller à ne pas piquer le disque intervertébral en raison d’un
risque de spondylodiscite.
– Une fois l’anastomose réalisée, il faut descendre dans la plastie
gastrique une sonde d’aspiration digestive qui évitera, pendant les
premiers jours postopératoires, la survenue d’une inhalation de
liquide digestif et une distension gastrique, elle-même facteur de
survenue d’une fistule.
– Les anastomoses mécaniques et manuelles donnent des résultats
globaux équivalents en termes de fistules et de sténoses
anastomotiques, comme cela a été démontré par une étude
contrôlée.
Il est donc en théorie souhaitable d’utiliser la technique
la moins coûteuse, c’est-à-dire l’anastomose manuelle.
Toutefois,
chaque technique peut avoir des indications préférentielles :
– l’anastomose manuelle est la technique qui bénéficie de la plus
grande faisabilité au niveau cervical puisqu’on dispose
inconstamment à ce niveau d’un excès de longueur de transplant
gastrique ; or, une pince mécanique ne peut être introduite dans
ce cas que par le sommet du transplant gastrique ;
– l’anastomose mécanique peut être préférée à la partie haute du
thorax ou, exceptionnellement, pour faire une anastomose médiastinale inférieure par voie transhiatale ou une anastomose
rétroaortique par voie thoracique gauche, car ces régions posent
un problème d’accessibilité lors de la confection d’une anastomose
manuelle.
– L’application de colle biologique autour de l’anastomose
oesogastrique ne semble pas diminuer le taux de fistules.
– Il est possible d’entourer l’anastomose d’un lambeau épiploïque
en rabattant simplement la partie haute du grand épiploon autour
de l’anastomose.
Cette épiploplastie ne doit pas être
systématiquement circonférentielle car elle peut exercer un effet de
billot sur l’anastomose.
Dans le thorax, cette épiploplastie pourrait
limiter l’extension de certaines fistules anastomotiques en favorisant
la formation de collections organisées et en diminuant le risque de
médiastinite ou de pleurésie purulente.
– L’intérêt du drainage des anastomoses oesogastriques cervicales
reste débattu.
Notre habitude est de ne pas drainer les
anastomoses cervicales si la confection du transplant gastrique, sa
vascularisation et la réalisation de l’anastomose n’ont pas posé de
problème particulier.
En revanche, nous préférons drainer ces
anastomoses si le sommet du tube gastrique est mal vascularisé ou
si l’anastomose a été techniquement difficile ou a porté sur un
oesophage irradié.
En l’absence de drainage cervical, il faut évoquer
le diagnostic de fistule en cas de syndrome septique ou de signes
inflammatoires cervicaux et, après avoir réalisé un transit
oesophagien aux hydrosolubles ou un examen TDM cervical
confirmant la fistule, désunir partiellement la cervicotomie avant
l’extension du sepsis au médiastin.
2- Anastomose mécanique
:
Le premier temps de l’anastomose mécanique est la mise en place
de quatre fils de présentation sur les quatre points cardinaux de la
tranche de section oesophagienne.
Ces fils prennent toutes
les couches de la paroi. Puis est confectionnée une bourse sur la
tranche, bourse qui sera serrée sur l’enclume de la pince à suture
mécanique.
Notre habitude est de confectionner manuellement un
surjet régulier en « U » au fil monobrin non résorbable de calibre
2/0. Nous n’avons pas l’expérience des pinces à bourse
automatiques.
La bourse doit toujours charger la muqueuse et doit
être placée à quelque 3-4 mm de la tranche de section si le diamètre
de l’oesophage est modéré.
En effet, une bourse chargeant une
grande épaisseur de paroi oesophagienne expose à l’interposition
d’une collerette de paroi oesophagienne dans la ligne d’agrafes en
cas d’utilisation d’une pince de calibre inférieur ou égal à 25.
Après la confection de la bourse, il faut procéder au calibrage de
l’oesophage avec des bougies de Hegar huilées.
Ce temps a
d’avantage pour but de déterminer le diamètre maximal de pince
admis par l’oesophage que de dilater ce dernier pour permettre
l’utilisation systématique de pinces de grand calibre (supérieur ou
égal à 28).
Il est préférable d’utiliser l’agrafeuse du plus grand
diamètre admis par l’oesophage pour diminuer le risque de sténose fibreuse à distance de l’intervention.
L’introduction des bougies
doit être faite en exerçant un contre-appui par l’intermédiaire des
fils de présentation. Une injection intraveineuse de 1 ou 2 mg de
glucagon peut améliorer la distensibilité de la musculeuse
oesophagienne.
Le diamètre de la pince est choisi en ajoutant 3 au
plus grand diamètre de bougie admis par l’oesophage (exemple : une
bougie de calibre 25 permet l’utilisation d’une pince de calibre 28).
Il faut éviter l’utilisation de pinces de calibre 21 qui exposent à un
important risque de sténose anastomostique à distance de
l’intervention.
L’introduction d’une bougie de diamètre excessif
expose à la survenue d’une déchirure longitudinale qui prédomine
habituellement sur la muqueuse.
Dans ce cas, il faut soit réséquer la
zone traumatisée de l’oesophage, soit réparer la déchirure au monofil 5/0, puis faire une anastomose avec une agrafeuse de plus
petit calibre.
L’agrafeuse est introduite dans la gastroplastie soit par
une gastrotomie de 4 à 5 cm de long faite à la partie moyenne de
l’estomac à sa face antérieure, soit par le sommet de la gastroplastie
qui sera réséqué.
L’axe de l’agrafeuse, sur lequel est fixé à ce
moment un embout pointu, perfore la grande courbure gastrique,
veillant à éviter les vaisseaux courts gastrospléniques et en
ménageant une distance de 3 à 4 cm par rapport au point
correspondant au sommet du tube (éventuellement après résection
de celui-ci si l’agrafeuse y a été introduite) : cette disposition vise à
limiter la survenue d’une nécrose de la paroi gastrique entre le
sommet de la tubulisation et l’anastomose oesogastrique.
Un point
en « U » chargeant la paroi gastrique autour de l’axe de l’agrafeuse
évitera la survenue d’une déchirure séromusculeuse lors des
manipulations du tube gastrique.
L’enclume est soit fixée à l’axe de
l’appareil puis introduite sous contrôle de la vue dans l’oesophage
, soit d’abord introduite dans l’oesophage puis solidarisée à
l’agrafeuse.
Le serrage de la pince s’effectue à l’aide du dispositif de
réglage existant sur chaque type d’agrafeuse, en évitant toute
interposition de tissu oesophagien ou de structures environnantes
(plèvre médiastine, épiploon).
L’agrafeuse est serrée après déblocage
de la sécurité. Dès lors, il faut éviter toute traction sur l’anastomose.
L’extraction de la pince est grandement facilitée par l’utilisation de
modèles récents dont l’enclume pivote après agrafage et desserrage
incomplet.
Sur des modèles anciens, il faut retirer l’agrafeuse par
des mouvements d’asynclitisme et de rotation, tout en maintenant
un contre-appui manuel sur l’anastomose.
Le caractère complet des collerettes oesophagienne et gastrique est
alors vérifié.
Si les collerettes ne sont pas complètes (absence de
collerette muqueuse sur l’oesophage, de la collerette séromusculeuse
sur l’estomac), on peut :
– idéalement refaire l’anastomose, mais ceci est difficile en pratique
puisque l’agrafage a entraîné une perte de substance sur la paroi
gastrique et utilisé une partie de la longueur de l’oesophage restant ;
– repérer la zone défectueuse, au besoin par voie endoluminale, et
renforcer l’anastomose à ce niveau par des points totaux sur
l’oesophage et séromusculeux sur l’estomac ;
– sinon, renforcer l’anastomose par une couronne de points externes
passés entre la musculeuse oesophagienne et la séromusculeuse
gastrique.
Si l’agrafeuse a été introduite par une gastrotomie, celle-ci est
suturée par un surjet de fil 4/0.
Si l’agrafeuse a été introduite par le
sommet de la plastie, celui-ci est réséqué par un agrafage linéaire de
type TA prolongeant la tubulisation gastrique en utilisant un
chargeur identique à ceux utilisés sur le grêle, puisque la paroi
gastrique est peu épaisse à ce niveau.
Cet agrafage doit rester
à une distance minimale de 2 cm de l’anastomose pour limiter le
risque de nécrose gastrique au sommet du tube, et peut être renforcé
ou enfoui par des points séparés ou un surjet.
3- Anastomose manuelle
:
Cette anastomose peut être faite à points séparés ou par surjet de fil,
résorbable ou non, de diamètre 3/0 ou 4/0.
Ces variantes
techniques semblent donner des résultats immédiats et, à distance,
équivalents. Une anastomose en un plan (total sur l’oesophage, sousmuqueux
et musculeux sur l’estomac) semble associée à un moindre
risque de sténose qu’une technique en deux plans (mucomuqueux
et musculomusculeux).
Au niveau cervical, la réalisation d’un
surjet est en règle facile.
Au niveau thoracique, des difficultés
d’exposition peuvent faire préférer les points séparés.
L’anastomose
peut être terminoterminale ou terminolatérale ; dans ce dernier cas,
elle doit siéger sur l’estomac à distance de la ligne d’agrafes de la
tubulisation.
Interventions d’indication fréquente
:
A - CHOIX DE LA TECHNIQUE
:
Ce choix tient compte de plusieurs facteurs qui sont :
– l’âge, l’état général et la fonction respiratoire du malade ; en
pratique, la plupart des auteurs réservent l’oesophagectomie sans
thoracotomie aux malades en mauvais état général ou ayant une
insuffisance respiratoire, mais d’autres utilisent systématiquement
cette technique ;
– la hauteur de la tumeur et son type histologique ; ainsi, les
tumeurs dont le pôle supérieur est rétro- ou sus-aortique, et a fortiori
cervicomédiastinal, obligent à sectionner l’oesophage au niveau
cervical ; les cancers épidermoïdes nécessitent idéalement une marge
proximale in vivo de 6 cm et les adénocarcinomes une marge de
8 cm ;
– l’extension ganglionnaire thoracique ; celle-ci ne peut en effet être
appréciée précisément que par une lymphadénectomie médiastinale
qui ne peut être faite que par une thoracotomie ;
– le caractère superficiel d’un cancer épidermoïde qui peut inciter à
sectionner l’oesophage au niveau cervical en raison du caractère
souvent multifocal de la tumeur ;
– un doute sur le bilan d’extension au niveau thoracique (médiastin,
poumon) qui nécessite alors une thoracotomie première ;
– la mortalité et la morbidité attendues ; en effet, plusieurs travaux
rétrospectifs suggèrent que l’oesophagectomie sans thoracotomie est
l’intervention la mieux tolérée et que l’oesophagectomie par triple
voie d’abord est l’intervention ayant les suites opératoires les plus
difficiles ; en réalité, aucun travail prospectif randomisé portant
sur des effectifs importants n’a confirmé ces données.
En revanche, la survie à distance ne semble pas être clairement
influencée par le niveau de section (thoracique ou cervical) de
l’oesophage.
Le résultat fonctionnel attendu ne peut également
être un critère décisif car :
– les anastomoses cervicales sont associées à une prévalence plus
importante des fistules et des sténoses ;
– les anastomoses intrathoraciques sont associées à une prévalence
plus importante du reflux gastro-oesophagien.
En pratique, l’expérience et les préférences de l’opérateur participent
également largement au choix du type d’intervention.
B - OESOPHAGECTOMIE PAR DOUBLE ABORD ABDOMINAL
ET THORACIQUE DROIT (INTERVENTION
DE LEWIS-SANTY)
:
1- Installation
:
L’installation habituelle consiste à placer d’abord le malade en
décubitus dorsal pour la réalisation du temps abdominal, puis en
décubitus latéral gauche pour le temps thoracique.
En décubitus
dorsal, l’opéré est placé le membre supérieur droit à la
perpendiculaire du corps.
La position du membre supérieur
gauche est indifférente, sauf si on envisage de convertir
l’intervention en oesophagectomie sans thoracotomie.
La mise en
place d’un billot transversal sous la pointe des omoplates peut être
utile chez un malade obèse ou profond.
Il est souhaitable de
préparer un champ suffisamment large pour permettre le drainage
des deux cavités thoraciques si cela s’avère nécessaire (par exemple,
en cas de tumeur du cardia ou du bas oesophage dont on commence
la dissection par voie abdominale).
Pour le temps thoracique, le malade est ensuite placé en décubitus
latéral gauche avec le bras pendant.
Un billot transversal est placé à
hauteur de la pointe de l’omoplate, monté dès le début de
l’intervention et descendu immédiatement avant la fermeture
pariétale.
Il est également possible de réaliser la même intervention en
installant le malade en position de double voie simultanée.
Pour ce
faire, il faut installer le malade de trois quarts sur une table
permettant un roulis de chaque côté.
Le bassin du malade
est incliné vers la gauche en mettant un coussin sous la fesse droite.
Le tronc du malade est légèrement tourné par rapport au bassin afin
que l’axe passant par les deux épaules soit incliné d’environ 45° par
rapport au plan de la table.
Le membre supérieur gauche est placé à
plat, perpendiculairement au tronc du malade, et le membre
supérieur droit est fixé à un arceau à hauteur de la tête du malade.
Un billot transversal est également placé et levé à hauteur de la
pointe des omoplates.
Le malade doit être calé suffisamment pour
éviter tout mouvement lors des inclinaisons latérales de la table
d’opération.
L’incision abdominale est toujours une médiane car l’abord vers la région sous-costale gauche est limité. L’oesophage est
abordé par thoracotomie antérolatérale droite.
Cette installation permet un gain de temps, surtout si deux
chirurgiens peuvent assurer simultanément les deux temps de
l’intervention.
Elle permet également un bon contrôle des
différents temps de l’intervention, en particulier de l’ascension de la gastroplastie dans le thorax.
En revanche, cette installation a pour
inconvénient une exposition légèrement moins bonne dans
l’hypocondre gauche et sur le médiastin postérieur, en particulier à
sa partie haute.
Il faut donc disposer d’une bonne expérience en
chirurgie oesophagienne pour utiliser cette installation qui semble
particulièrement utile chez les malades peu corpulents et/ou pour
une tumeur bas située sur l’oesophage.
À l’inverse, cette technique
doit à notre avis être évitée chez les malades obèses et/ou
préalablement opérés à l’étage sus-mésocolique.
2- Temps opératoires
:
* Intervention classique
:
L’intervention est débutée par le temps abdominal.
Après un temps
d’exploration, la gastrolyse puis la gastroplastie sont réalisées.
La tubulisation gastrique est soit complète (et il faut alors suturer le
sommet du tube gastrique à la petite courbure gastrique), soit
incomplète en laissant intact le sommet de la grosse tubérosité (dans
ce cas, la division de l’estomac sera achevée lors du temps
thoracique et le sommet de la plastie gastrique sera fermé par un
agrafage linéaire, éventuellement après réalisation de l’anastomose
oesogastrique à l’aide d’une agrafeuse introduite par l’orifice ainsi
disponible).
La pyloroplastie est pour nous systématique.
Il est important de
vérifier que le pylore peut être facilement ascensionné jusqu’à
l’orifice hiatal.
Celui-ci doit toujours être agrandi au minimum par
section du pilier droit.
L’agrandissement de l’hiatus est suffisant si
quatre doigts peuvent être admis dans le médiastin.
Un tel
agrandissement entraîne en règle l’ouverture de la cavité pleurale
droite, qui sera de toute façon drainée à la fin du temps thoracique,
et la section de l’artère diaphragmatique inférieure droite à
l’hémostase de laquelle il faut veiller.
Si la section du pilier droit
paraît insuffisante, le bord antérieur de l’hiatus peut être ouvert
jusqu’à la veine diaphragmatique inférieure gauche.
Le drainage
abdominal par un drain de Redon sous-phrénique gauche et un
deuxième drain de même type dans la région sous-hépatique est
suffisant.
Nous ne réalisons jamais de jéjunostomie systématique
dans cette intervention en raison d’une part de la rareté des fistules
anastomotiques oesogastriques, dont la prévalence est comprise
entre 6 et 8 %, et d’autre part de la morbidité de la jéjunostomie
qui est comprise entre 2 et 14 %.
Le temps thoracique est
ensuite réalisé.
En cas de découverte dans le thorax d’une extension
tumorale inattendue signant le caractère palliatif de l’intervention, il
sera cependant nécessaire de réaliser l’oesophagectomie et
l’anastomose oesogastrique.
La libération de l’oesophage se fait
habituellement du bas vers le haut.
Dans le médiastin sus-aortique,
la mobilisation de l’oesophage doit être suffisante pour permettre
une section de l’oesophage 6 cm au-dessus de la tumeur en cas de
cancer épidermoïde et 8 cm en cas d’adénocarcinome.
En pratique,
il faut toujours sectionner l’oesophage au-dessus de la crosse de
l’azygos afin de minimiser le risque de reflux gastro-oesophagien
postopératoire.
L’hémostase et la lymphostase doivent être parfaites
avant l’ascension de la gastroplastie.
La gastroplastie est ascensionnée dans le thorax en guidant à la main
son passage au travers de l’orifice hiatal.
Il faut en particulier éviter
que l’arcade de la grande courbure soit accrochée lors de cette
ascension.
Si l’on sent une résistance, il faut supprimer le vide dans
les flacons des drains de Redon abdominaux.
Habituellement, la gastroplastie a un aspect un peu congestif immédiatement après son
ascension, puis reprend une coloration normale.
La persistance d’un
aspect congestif signifie soit qu’il y a une torsion de la plastie, soit
que la traction sur l’arcade gastroépiploïque est excessive.
Il est en
pratique impossible de tourner la plastie de 180° si l’on a pris soin
de repérer au doigt la rangée d’agrafes de la tubulisation qui doit
être orientée vers la droite du malade.
Cette rangée d’agrafes doit
être suivie jusqu’à l’angle de la petite courbure et jusqu’au pylore.
Celui-ci, repéré au doigt par les fils de suture de la pyloroplastie,
doit pouvoir monter jusqu’à l’orifice hiatal.
Après la réalisation de l’anastomose, la sonde naso-oesophagienne
est descendue dans la partie thoracique de la plastie pour, d’une
part décomprimer celle-ci et favoriser la cicatrisation de
l’anastomose, et d’autre part limiter le risque de pneumopathie de
déglutition dans les premiers jours postopératoires.
Notre habitude
est de laisser cette sonde en place au minimum 1 semaine et tant
que le malade est sous ventilation assistée.
Si l’anastomose
oesogastrique a été mécanique, l’orifice d’introduction de l’agrafeuse
sur le transplant gastrique est fermé.
Le thorax est lavé au sérum
tiède et le poumon est réexpandu en veillant à supprimer toute zone
d’atélectasie.
Le drainage pleural utilise un drain antérosupérieur et
un drain postéro-inférieur qui peut être placé au contact du rachis.
Un drainage médiastinal est inutile.
* Intervention en double voie simultanée
:
Cette technique ne nécessite qu’une installation et permet de
contrôler tous les temps de l’intervention, en particulier l’ascension
de la gastroplastie.
Elle permet également de faire une exploration abdominothoracique complète avant tout geste irréversible, et limite
ainsi la probabilité d’une résection palliative.
Dans cette optique, il
peut être judicieux de commencer par l’abord (abdominal ou
thoracique) qui permettra de vérifier un point considéré comme
douteux lors du bilan d’extension préopératoire.
Si une thoracotomie
première est réalisée et l’indication confirmée après exploration
thoracique, il est logique de vérifier l’absence de métastase
abdominale avant de disséquer l’oesophage de façon extensive et de
le dévasculariser.
À l’inverse, il est logique de vérifier l’absence de
métastase pulmonaire et la résécabilité de la tumeur oesophagienne
avant de dévasculariser la petite courbure gastrique (ligatures
vasculaires périgastriques et tubulisation gastrique).
Lors du temps abdominal ou du temps thoracique, le roulis de la
table doit être marqué dans un sens ou dans l’autre.
La pyloroplastie
doit être faite avant l’ascension du transplant gastrique sous peine
de difficultés d’exposition lorsque le pylore est ascensionné à
l’hiatus.
Lors de l’ascension de la gastroplastie, il est souhaitable de
mettre la table en position intermédiaire pour bénéficier d’un
contrôle complet du champ opératoire.
La fermeture des deux incisions est sans particularité.
C - OESOPHAGECTOMIE PAR DOUBLE ABORD ABDOMINAL
ET CERVICAL (OESOPHAGECTOMIE SANS
THORACOTOMIE OU OESOPHAGECTOMIE
PAR VOIE TRANSHIATALE)
:
1- Principes de l’intervention
:
L’oesophagectomie sans thoracotomie a pour but de procéder à
l’exérèse de la totalité de l’oesophage thoracique en minimisant le
retentissement respiratoire de l’intervention.
Cette intervention ne
permet un abord sous contrôle visuel que de l’oesophage souscarénaire.
La dissection de l’oesophage est aveugle du défilé cervicomédiastinal à la carène.
Cette intervention ne permet
l’exérèse que des ganglions latéro-oesophagiens sous-carénaires et
des ganglions des ligaments triangulaires.
L’exposition des
ganglions intertrachéobronchiques est très difficile et leur exérèse
n’est que très rarement réalisable.
Aucune exérèse lymphatique n’est
possible à l’étage rétroaortique ou sus-aortique.
L’exérèse oesophagienne libère le médiastin postérieur pour y placer
la gastroplastie, mais il est également possible de placer celle-ci dans
un trajet rétrosternal.
2- Installation et voies d’abord
:
Le malade est installé en décubitus dorsal avec le bras gauche le
long du corps.
La tête est en hyperextension et en rotation droite.
Un billot transversal est placé sous la pointe des omoplates
et améliore à la fois l’extension cervicale et l’exposition sur le
médiastin inférieur abordé par voie transhiatale.
Le champ
opératoire doit inclure latéralement la partie basse du thorax pour
que les deux plèvres puissent facilement être drainées.
L’incision abdominale est une médiane ou une bi-sous-costale selon
le morphotype de l’opéré. L’incision cervicale est une cervicotomie
gauche habituelle.
Afin que l’intervention puisse être réalisée à deux équipes avec un
opérateur abdominal à la droite du malade et un opérateur à gauche
de la région cervicale, il faut éviter d’encombrer le champ opératoire
cervical avec la chaîne rattachant la valve abdominale aux piquets
de Toupet.
Pour ce faire, notre habitude est de placer le piquet
gauche plus bas que le piquet droit et de tracter la valve abdominale
avec le piquet gauche uniquement lors de la section des vaisseaux gastroépiploïques gauches et des vaisseaux courts gastrospléniques,
pour bénéficier lors de ce temps d’une bonne exposition sur
l’hypocondre gauche.
3- Temps opératoires
:
L’intervention commence habituellement par le temps abdominal
qui permet de vérifier l’absence de métastases hépatique, péritonéale
et ganglionnaire coeliaque.
Dès l’exploration abdominale terminée,
l’incision cervicale peut être faite et la dissection cervicomédiastinale
débutée.
L’exploration doit cependant être adaptée à chaque cas.
En
cas de tumeur de l’oesophage thoracique inférieur ou du cardia, il
est logique de vérifier que la tumeur est localement résécable avant
de débuter le temps cervical.
S’il s’agit d’une tumeur cervicomédiastinale, il peut être préférable d’explorer d’abord la
région cervicale.
Dans l’abdomen, la gastrolyse est faite selon la technique habituelle.
Toutefois, notre habitude est de ne pas sectionner le pédicule
gastrique gauche (coronaire stomachique) avant d’avoir
complètement libéré l’oesophage thoracique.
Cette mesure permet
d’une part de disposer d’un « point fixe » abdominal lors de la
dissection médiastinale, et d’autre part de garder l’oesophage
inférieur vascularisé, ce qui pourrait s’avérer utile si une contreindication
à l’exérèse était découverte dans le médiastin moyen ou
supérieur.
Le lobe hépatique gauche doit être complètement récliné vers la
droite après section du petit épiploon, du ligament triangulaire
gauche et du ligament falciforme.
Il faut ouvrir le bord antérieur de
l’hiatus oesophagien sur une longueur de 7 à 10 cm.
Cette ouverture
est faite après avoir décollé au doigt le péricarde de la face
supérieure du diaphragme et après avoir lié au fil serti la veine
diaphragmatique inférieure gauche.
L’ouverture ainsi réalisée peut
être maintenue ouverte par des fils tracteurs.
En cas de cancer du
cardia, cette ouverture peut être remplacée par la résection d’une
collerette diaphragmatique emportant une partie des piliers.
Le
médiastin inférieur est exposé par une valve métallique dont la lame
doit idéalement être plate et mesurer 4 ou 5 cm de largeur.
Cette
lame charge le sac péricardique en le refoulant vers l’avant, ce qui
explique que cette phase de la dissection médiastinale doit concilier
une exposition suffisante et un retentissement hémodynamique
tolérable pour l’opéré.
En pratique, il est souvent nécessaire
d’alterner les phases d’exposition maximale permettant de faire
progresser la dissection ou de réaliser un temps délicat, et des
phases d’exposition minimale ou nulle permettant au malade de
récupérer un état hémodynamique normal.
L’éclairage du champ
opératoire utilise un scialytique dont le faisceau lumineux est
fortement incliné, ou une valve ou un aspirateur éclairant.
Dans le médiastin inférieur, deux types de dissection sont possibles.
Une première option consiste à sectionner les deux nerfs
pneumogastriques très bas dans le médiastin et à faire ensuite
progresser toute la dissection au contact de l’oesophage.
En
pratique, les nerfs pneumogastriques ont souvent une disposition plexiforme autour de l’oesophage inférieur et il faut sectionner
plusieurs filets nerveux pour ne pas quitter le plan de l’oesophage.
L’autre option, surtout intéressante en cas de cancer du cardia ou
du bas oesophage, consiste à réaliser une dissection médiastinale
inférieure large en suivant en avant le plan du péricarde, en arrière
le plan de l’aorte et latéralement le plan des deux plèvres
médiastines ce qui permet de procéder à l’exérèse des ganglions
latéro-oesophagiens et des ligaments triangulaires.
Dans les
deux cas, il faut veiller à l’hémostase des artères oesophagiennes qui
se tendent entre l’oesophage et l’aorte descendante : ces artères
doivent être clippées et sectionnées.
Quelle que soit la
technique choisie, il faut que la dissection oesophagienne à hauteur
de la bifurcation trachéale et des crosses vasculaires emprunte le
plan situé immédiatement au contact de la paroi oesophagienne.
Ce
point est capital pour éviter la survenue d’une plaie vasculaire, trachéobronchique ou nerveuse.
Si une dissection médiastinale
inférieure large a été choisie, il faut alors changer de plan de
dissection en se rapprochant de l’oesophage idéalement en regard
du bord inférieur des deux bronches souches, ce qui permet la
section des deux nerfs pneumogastriques à ce niveau et la réalisation
d’un curage intertrachéobronchique.
En pratique, l’exposition est
souvent très difficile à ce niveau et le changement de plan de
dissection doit souvent intervenir plus bas en ne permettant que la
résection de quelques ganglions sous-bronchiques.
Au niveau cervical, la dissection en direction du médiastin nécessite
une incision rectiligne prolongée jusqu’à la fourchette sternale ou
une incision en « J » avec un prolongement horizontal sus-sternal.
Le tour de l’oesophage est fait à distance de la bouche
oesophagienne, ce qui permet de rester à distance de la terminaison
du nerf récurrent droit qui est masquée par l’oesophage.
Les
hémostases sont faites par de petits clips ou la coagulation bipolaire.
Seule l’exérèse de ganglions de la partie haute de la chaîne récurrentielle gauche est possible.
La dissection oesophagienne est
poursuivie sous contrôle de la vue le plus bas possible en veillant,
au niveau du point le plus bas, à reprendre un contact immédiat
avec la paroi oesophagienne.
Puis la dissection est poursuivie au
doigt en tractant l’oesophage vers le haut par le lacs passé autour de
lui.
Enfin, on termine de mobiliser l’oesophage en utilisant
conjointement une main cervicale et une main médiastinale.
Ce temps est facilité par la mise en traction de l’oesophage
thoracique par l’aide qui tracte le lacs périoesophagien abdominal et
le lacs cervical. Habituellement, il est facile de cliver l’oesophage du
médiastin en arrière, en avant et à droite.
Le bord gauche de
l’oesophage est plus difficile à libérer et il faut alors veiller à ne pas
déplacer latéralement la dissection, ce qui exposerait à un risque
accru de lésion du nerf récurrent gauche.
Les tractus qui se tendent
sous le doigt sont, si possible, coagulés ou clippés, sinon arrachés
par traction progressive.
Les vaisseaux périoesophagiens ainsi
sectionnés sont de petite taille et font leur hémostase spontanément
si la dissection est faite au contact de l’oesophage.
Une alternative est de procéder à la dissection oesophagienne sus-aortique sous
contrôle de la vue à l’aide d’un médiastinoscope : cette technique
permet de prélever des ganglions récurrentiels gauches et des
ganglions intertrachéocaves.
Nous n’avons pas l’expérience de
cette technique.
Une fois l’oesophage thoracique complètement mobilisé, l’oesophage
cervical est sectionné et son extrémité distale est fermée de façon
étanche et fixée à un lacs.
L’oesophage thoracique est ensuite attiré
dans le champ abdominal, ce qui permet une tubulisation gastrique
du haut vers le bas, plus facile chez un malade obèse.
Afin de
minimiser le risque de compression de la gastroplastie à l’étage des
crosses et dans le défilé cervicomédiastinal, l’utilisation d’un tube
gastrique étroit et la résection du grand épiploon en
excédent sont souhaitables.
Avant l’ascension de la gastroplastie, il
faut confectionner la pyloroplastie et drainer les plèvres si elles ont
été ouvertes.
La dissection médiastinale aboutit à l’ouverture d’au
moins une plèvre médiastine dans 75 % des cas.
Si la plèvre n’a
pas été ouverte, un épanchement pleural liquidien d’apparition
retardée est très fréquent et peut, surtout s’il est bilatéral, altérer la
fonction respiratoire postopératoire.
C’est la raison pour laquelle
certains auteurs préfèrent ouvrir délibérément les deux cavités
pleurales pour les drainer.
Le canal thoracique n’est habituellement pas visualisé dans une
oesophagectomie sans thoracotomie.
Toutefois, si l’on craint de
l’avoir blessé, en particulier lors de la dissection d’une tumeur rétroaortique, il est possible de le lier par voie transhiatale en
ouvrant la plèvre médiastine droite.
On repère alors la grande veine
azygos et on charge, à l’aide d’un dissecteur à bout mousse, tous les
tissus situés entre le flanc doit de l’aorte et le rachis, le dissecteur
devant ressortir immédiatement en avant de la veine azygos.
Ces
tissus sont liés en masse avec un fil fort.
Le seul danger de cette
manoeuvre est la blessure d’une artère ou d’une veine intercostale.
Le trajet de la gastroplastie est discuté.
Deux études
contrôlées ont comparé le trajet médiastinal postérieur au trajet
rétrosternal. Une étude a conclu à la supériorité du trajet médiastinal
postérieur en raison d’une moindre prévalence de complications
cardiopulmonaires.
La deuxième étude ne montrait pas de
différence significative en faveur de l’une ou l’autre technique, mais
la prévalence des complications cardiopulmonaires était également
moindre lorsque la plastie siégeait dans le médiastin postérieur.
Dans la mesure où le trajet rétrosternal est plus long en moyenne de
5 à 10 cm, ce dernier ne doit être utilisé qu’en cas d’exérèse
carcinologiquement peu satisfaisante, si l’on craint une sténose de la
plastie par récidive néoplasique locale ; il faut alors fermer
complètement l’orifice hiatal avant l’ascension de la gastroplastie.
Le trajet transpleural gauche est exceptionnellement utilisé et peut
aboutir à une plaie du canal thoracique lors de la création de la
communication entre la région cervicale et le dôme pleural
gauche.
L’ascension de la gastroplastie est facilitée par la mise en place d’un
sac huilé autour du sommet de la gastroplastie, une traction douce
sur le lacs empruntant le médiastin postérieur et un contrôle direct
de la plastie par une main placée en arrière du massif cardiaque et
exerçant une poussée vers le haut.
L’absence de rotation de la gastroplastie est affirmée par la palpation par la main médiastinale
qui suit l’épiploon et la ligne d’agrafes de la tubulisation, et par
l’inspection cervicale qui vérifie que la ligne d’agrafes est au bord
droit et que les derniers vaisseaux courts sont au bord gauche de la
gastroplastie.
L’anastomose oesogastrique est faite par suture
manuelle au sommet de la plastie en terminolatéral ou en
terminoterminal.
Si la gastroplastie présente un excès de longueur,
celui-ci peut être réséqué.
La section du transplant gastrique peut
être un peu hémorragique du fait d’un certain degré de stase
veineuse ; il faut alors veiller à l’hémostase des vaisseaux sousmuqueux
gastriques en les liant électivement au fil fin serti.
Si un trajet médiastinal postérieur a été choisi, l’orifice hiatal est
fermé autour de la gastroplastie en évitant toute compression du
pédicule gastroépiploïque.
La confection d’une jéjunostomie d’alimentation doit être discutée
au cas par cas.
Certains auteurs la font systématiquement pour
permettre la reprise de l’alimentation entérale dès le troisième jour postopératoire et la suppression des apports par voie parentérale au
quatrième jour postopératoire ; si les suites opératoires sont
favorables, la jéjunostomie est supprimée à la fin de la troisième
semaine postopératoire.
Si les suites sont compliquées, la jéjunostomie est utilisée pendant plus de 3 semaines, mais cette
éventualité ne représente que 12 % des malades.
Notre attitude
est de confectionner une jéjunostomie seulement si la dissection
médiastinale supérieure a été difficile et a pu traumatiser le nerf
récurrent gauche, ou si la vascularisation du sommet du transplant
gastrique est imparfaite.
Le drainage abdominal par un drain de
Redon sous-phrénique gauche et un deuxième drain de même type
dans la région sous-hépatique est suffisant.
Le drainage cervical n’est pas systématique.
La fermeture
cervicale est faite en réinsérant lâchement les muscles soushyoïdiens
à la face profonde du muscle SCM à sa partie profonde,
ce qui permet de couvrir partiellement le montage digestif. Le
muscle peaucier et la peau sont suturés séparément.
4- Problèmes techniques
:
En peropératoire peuvent survenir une plaie vasculaire (crosse de
l’azygos, artère du « décroisement ») et/ou une déchirure de la
membraneuse trachéale.
La survenue de ces complications est
favorisée par une volumineuse tumeur rétroaortique ou une
dissection trop latérale par rapport à la paroi oesophagienne.
En cas d’hémorragie, il faut, dans un premier temps, tamponner
quelques instants le médiastin avec une mèche à prostate pour
apprécier l’importance de l’hémorragie ; si celle-ci persiste ou
récidive immédiatement après l’ablation du tamponnement, il faut
compléter celui-ci et faire une thoracotomie droite.
Une
thoracotomie antérolatérale, sans changement de position de l’opéré,
permet de faire l’hémostase de la crosse de l’azygos.
Une
thoracotomie postérolatérale, nécessitant de fermer rapidement les
incisions et de changer la position de l’opéré, est plus adaptée pour
l’hémostase d’une artère oesophagienne.
Une déchirure membraneuse peut, si elle intéresse la trachée, être
suturée au moyen d’un agrandissement de l’incision par une manubriotomie.
Une déchirure de la bifurcation trachéale
nécessite une thoracotomie droite, au besoin après intubation
sélective du poumon gauche pour limiter la fuite aérienne.