La carence en fer et l’anémie microcytaire qui en résulte
sont le témoin d’un déséquilibre entre des pertes excessives
et des apports insuffisants pour compenser ces pertes.
Les hémorragies digestives et utérines représentent la principale
cause de carence en fer.
La baisse de la ferritine est
la première étape de la carence martiale : elle est le témoin
d’une diminution des réserves en fer de l’organisme.
La
diminution du pourcentage de la saturation de la transferrine,
la microcytose, puis l’anémie apparaissent secondairement.
Un traitement substitutif suffisamment prolongé,
associé dans tous les cas au traitement de la cause de la
carence martiale, évitera les risques de rechute.
L’identification
des groupes de patients à risques élevés (croissance,
périodes d’activité génitale, activités sportives fréquentes…)
permet un traitement préventif adapté.
Étiologie
:
La recherche d’une cause de carence en fer repose sur un
interrogatoire minutieux et un examen clinique rigoureux
(comprenant un toucher rectal et un examen gynécologique).
Une carence en fer peut survenir dans quatre circonstances
:
– les besoins sont augmentés, en particulier pendant la
croissance et la grossesse ;
– les apports alimentaires sont insuffisants, en particulier
dans les pays où l’alimentation est pauvre en protéines animales
;
– le fer est mal absorbé ;
– les pertes digestives sont augmentées en cas d’hémorragie.
Les hémorragies d’origine utérine et (ou) digestive
représentent la principale cause des carences en fer.
Une
perte de 1 mL d’érythrocytes est responsable d’une perte
de 0,5 mg de fer.
1- Besoins augmentés :
2- Défauts d’apport :
Ils peuvent être observés dans certains pays aux conditions
socio-économiques défectueuses (alimentation pauvre en
protéines animales) et dans certains cas d’anorexie mentale.
3- Malabsorption :
L’hyposidérémie est une conséquence des malabsorptions
du grêle proximal : elle peut révéler une maladie coeliaque
chez l’adulte ou l’enfant.
4- Hémorragies :
• Saignements génitaux : chez la femme en période d’activité
génitale, des saignements utérins abondants expliquent
souvent la survenue d’une carence martiale.
Il est
parfois difficile de faire préciser par l’interrogatoire l’abondance
des pertes.
Les causes les plus fréquentes sont les polypes ou fibromes
utérins, et les cancers utérins.
Il s’agit plus rarement d’un
trouble de l’hémostase, notamment une maladie de Willebrand
ou une thrombopénie.
La présence d’un stérilet est
un facteur aggravant dans tous les cas.
• Saignements digestifs : la présence de troubles digestifs,
une constipation récente, des épigastralgies, des épisodes
de diarrhée alternant avec des épisodes de constipation incitent
à réaliser une exploration digestive.
La recherche de sang dans les selles est un examen soumis
à de nombreux aléas avec des faux positifs et des faux négatifs
: un résultat peut être négatif en cas de saignement intermittent.
Les résultats de cet examen ne doivent pas modifier
la décision d’entreprendre une exploration digestive.
Une coloscopie sera réalisée dans un premier temps chez
les patients de la cinquantaine : la fibroscopie gastrique avec biopsies duodénales sera préférée d’emblée chez un
patient plus jeune.
Si ces deux examens ne sont pas informatifs,
l’exploration digestive sera complétée par un transit
du grêle.
Une lésion digestive est dépistée dans plus de 60 % des
cas.
Les tumeurs malignes sont dominées par les adénocarcinomes
coliques et gastriques, les lymphomes malins
non hodgkiniens gastriques ou du grêle, les localisations
digestives de sarcome de Kaposi.
Les lésions non tumorales
sont l’oesophagite peptique, les ulcères gastro-duodénaux,
les angiodysplasies coliques, les polypes intestinaux
ou les angiomatoses de Rendu-Osler.
Le saignement
digestif est lié plus rarement à certaines parasitoses endémiques
: ankylostomiase, Schistosomia hæmatobium).
Dans tous les cas, il ne faudra pas incriminer un saignement
à un traitement par anti-inflammatoires non stéroïdiens,
ou un traitement par héparine, qui favorisent le saignement
d’une lésion digestive méconnue ou attribuer trop
facilement le saignement à des hémorroïdes sans avoir au
préalable réalisé une exploration digestive.
• Saignements d’autre origine : des saignements d’autre
origine sont parfois observés dans l’hémosidérose pulmonaire
idiopathique de l’enfant, l’hémolyse intravasculaire
chronique et prolongée (dans le cadre d’une hémoglobinurie
paroxystique nocturne ou d’une hémolyse mécanique
chez les patients porteurs de valves).
Le syndrome de Lasthénie
de Ferjol est observé chez des femmes pratiquant
des soustractions de sang dissimulées.
Physiopathologie
:
1- Apports alimentaires quotidiens en fer :
Le métabolisme du fer est très équilibré.
Pour compenser
les pertes (cutanées, digestives et génito-urinaires) quotidiennes
en fer, un apport de 1 à 2 mg par jour est nécessaire
chez l’homme adulte ou la femme en dehors des
périodes d’activité génitale.
C’est principalement sous
forme non héminique (90 %) que le fer est apporté dans
l’alimentation (céréales, légumes et fruits).
Le fer est
absorbé principalement dans le duodénum et le jéjunum
proximal.
La quantité absorbée dépend de la quantité
apportée et de sa biodisponibilité.
Le coefficient d’absorption
est de 30 à 40 % : il est réduit à 10 % en cas d’anémie
par carence martiale.
Augmentent l’absorption du fer non héminique, la viande,
les volailles et le poisson, l’acide ascorbique et les aliments
fermentés (choucroute en particulier).
Les facteurs qui diminuent l’absorption du fer non héminique
sont les phytates, le thé et le calcium.
2- Réserves en fer chez l’adulte :
Le fer de l’organisme (55 mg/kg chez l’homme et 45 mg/kg
chez la femme, soit un stock de 3 000 à 4 000 mg) est réparti
essentiellement (60-70 %) dans l’hémoglobine des érytrocytes.
Un mL de globules rouges contient 0,5 mg de fer.
Le fer contenu dans la myoglobine, les cytochromes des
mitochondries, ou d’autres enzymes contenant du fer,
représente environ 10 % des réserves en fer.
Le reste, environ 20 à 30 % est stocké sous forme de ferritine, principalement
dans les hépatocytes, les érythroblastes et les cellules
macrophagiques.
Au niveau sanguin, le fer est lié en majorité à la transferrine
: il représente moins de 0,1 % du contenu en fer de
l’organisme.
Au niveau membranaire, le fer lié à la transferrine se fixe
sur le récepteur de la transferrine, qui est alors internalisé.
Après endocytose, le fer est relargué et l’apotransferrine
recyclée.
Le fer appartient à un pool labile: il est transféré,
soit vers un site fonctionnel, soit vers sa protéine de stockage,
la ferritine.
Il est dans la cellule sous la dépendance
d’une protéine régulatrice, l’IRF (iron regulatory protein).
Cette protéine module en sens inverse le niveau du récepteur
de la transferrine et celui de la ferritine.
Si la charge
en fer de la cellule diminue, l’IRF augmente le nombre de
récepteur de la transferrine, ce qui favorise ainsi l’entrée
du fer dans la cellule, et diminue la synthèse de ferritine.
Les réserves en fer dépendent de l’âge et de certaines conditions
physiologiques.
• Impact de l’âge :
– à la naissance, le nouveau-né dispose d’un stock en fer
de 70 mg/kg, réparti pour 50 % dans l’hémoglobine et pour
50 % sous forme de ferritine ;
– pendant les premiers mois, les besoins en fer du nourrisson
sont très élevés en raison d’une augmentation importante
de la masse sanguine. Cependant, l’alimentation lactée
est pauvre en fer.
Le nouveau-né est dans l’obligation
de puiser sur ses réserves : il est exposé au risque de carence
martiale, quand il naît avec des réserves insuffisantes (prématuré,
jumeaux, enfant né d’une mère carencée…) ;
– après 6 mois, l’alimentation devient moins lactée et se
rapproche de celle des adultes.
L’apport alimentaire quotidien
couvre généralement les besoins de cette période ;
– après la puberté, les besoins en fer sont de l’ordre de 1mg
et sont compensés par l’apport alimentaire.
• Impact de certaines conditions physiologiques :
– femme en période d’activité génitale. Les règles (30 à
50 ml par cycle) font perdre 15 à 25 mg de fer par mois.
La
grossesse induit aussi un besoin supplémentaire spécifique
estimé à 750 à 1 000 mg ;
– activités sportives. Certaines activités sportives, en particulier
la course à pieds prolongée (coureurs de marathon),
sont susceptibles par des saignements digestifs répétés
d’induire une carence martiale, plus fréquemment observée
chez la femme ;
– dons du sang.
Chaque don du sang de 400 mL provoque
une déplétion de 200 mg de fer.
La législation française
autorise quatre dons de sang, ce qui correspond à des
besoins quotidiens d’environ 3 mg.
Une carence en fer chez
les donneurs de sang est plus fréquemment observée chez
la femme en période d’activité génitale.
3- Étapes de la carence en fer
:
La premier stade est celui de la carence martiale isolée.
Le
stock en fer des réserves de l’organisme se réduit progressivement.
Lorsque les réserves sont épuisées, la carence en fer retentit
sur l’érythropoïèse dans un second temps.
Enfin, dans une troisième étape, lorsque la carence se prolonge,
il apparaît une anémie microcytaire ferriprive.
Diagnostic
:
1- Établir le diagnostic d’une carence en fer :
Il repose, dans la grande majorité des cas, sur des critères
biologiques simples.
Une carence martiale isolée sans retentissement hématologique
est affirmée si le taux de ferritine sérique est inférieur
aux valeurs normales de référence.
La ferritine sérique
est le reflet indirect du stock en fer dans l’organisme.
Un
mg /L de ferritine sérique correspond à 8-10 mg de réserves
de fer dans l’organisme.
Les valeurs de la ferritine sérique
sont dépendantes du sexe : elles sont chez l’homme comprises
entre 30 ng/mL (valeur basse) et 150 ng/mL (valeur
haute).
Chez la femme, la limite inférieure est souvent plus
basse, entre 10 et 12 ng/mL.
Des réserves en fer plus
réduites chez la femme expliquent ces différences.
À cette phase précoce de la carence martiale, il apparaît
une diminution du fer sérique et une augmentation de la
transferrine.
La modification de ces paramètres devient difficilement
interprétable en cas de réaction inflammatoire
associée.
Lorsque les réserves en fer sont épuisées, la carence martiale
retentit sur l’érythropoïèse.
Les modifications sont les
suivantes :
– diminution du pourcentage de la saturation de la transferrine
< 0,16 ;
– augmentation de la protoporphyrine érythrocytaire ;
– augmentation de l’indice de dispersion des volumes des
hématies exprimé sur les compteurs de globules automatiques
par la valeur red blood cells distribution width
(RdW) ;
– microcytose avec un volume globulaire moyen (VGM)
inférieur à 80 mm3, souvent associée à
une anémie (hémoglobine inférieure à 130 g/L chez
l’homme et 110 g/L chez la femme).
L’anémie profonde
est d’installation progressive, ce qui explique sa tolérance
habituelle en raison des mécanismes compensateurs mis
en jeu.
Les signes cliniques sont tardifs : il s’agit d’asthénie,
de difficultés à assurer des efforts physiques ou intellectuels,
de manifestations neurosensorielles (vertiges,
acouphènes), de troubles de la croissance des ongles (koïlonychie),
de glossite atrophique, de dysphagie avec syndrome
de Plummer-Vinson, de géophagie, de pagophagie
ou de trichophagie ;
– une augmentation modérée du nombre des plaquettes est
habituelle (500 à 600 x 109/L) ;
– le myélogramme est inutile et ne se justifie pas dans le
diagnostic d’une carence en fer avec ou sans retentissement
sur l’érythropoïèse.
2- Circonstances pouvant rendre
le diagnostic biologique difficile
:
Elles sont au nombre de trois :
– en cas de réaction inflammatoire, il est difficile de mettre
en évidence une composante carentielle éventuelle de l’anémie.
La ferritine sérique est augmentée, le fer sérique
abaissé et la transferrine abaissée ;
– en cas de carence martiale associée à une carence en folates, la microcytose est absente ;
– chez un patient polyglobulique traité par saignées, il est
nécessaire de respecter la carence.
3- Une microcytose :
Elle peut être le témoin d’un trait thalassémique.
Même si les origines ethniques suggèrent ce diagnostic, il
faut corriger une carence en fer possiblement associée avant
de réaliser une électrophorèse de l’hémoglobine.
La
carence en fer est susceptible de masquer une augmentation
de la fraction A2 de l’hémoglobine (caractéristique du
trait b-thalassémique).
Traitement
:
1- Traitement curatif
:
Il est double : il faut restaurer les réserves en fer de l’organisme
et supprimer la cause de la carence.
• Restaurer les réserves en fer par un traitement substitutif
: la restauration des réserves en fer de l’organisme est
réalisée par un traitement par sels de fer per os.
Le sel de
référence est le sulfate : d’autres sels existent, tous aussi
efficaces les uns que les autres.
Il existe de
nombreuses préparations, qui en réalité diffèrent essentiellement
par leur contenu en fer métal. La posologie est
de 2 à 3 mg/kg de fer métal par jour, de préférence à distance
des repas.
Cependant, dans environ un tiers des cas,
des troubles digestifs à titre de nausées, épigastriques, sensation
de plénitude apparaissent 30 à 60 minutes après la
prise.
La prise du fer pendant les repas permet de réduire
l’intolérance digestive.
Dans tous les cas, une coloration
noire des selles apparaît : le patient doit en être prévenu.
Le traitement doit être prolongé pendant une période de six
mois, ou jusqu’à correction de la ferritine sérique.
Seule,
une telle stratégie évitera les risques de récidives à court
terme.
Le traitement par fer, par voie injectable, n’apporte aucun
avantage et doit être réservé exclusivement en cas de mauvaise compliance ou en cas de malabsorption digestive
majeure.
• Traiter la cause de la carence en fer.
Il faut dans tous les
cas traiter la cause de la carence en fer, (voir traitement
d’une tumeur digestive d’un cancer utérin) et réduire les
facteurs pouvant aggraver la carence martiale.
2- Traitement préventif :
Il cherche à réduire les facteurs de risques de carence martiale
dans les groupes de patients à risques.
Alimentation riche en protéines animales et surtout en
viandes.
1 mg/kg/jour chez la femme enceinte à partir du quatrième
mois de grossesse, sauf si le dosage de ferritine est élevé
et peut faire suggérer une hémochromatose.
2 à 3 mg/kg chez le nourrisson dès le troisième ou quatrième
mois, surtout en cas de prématurité ou en cas de
carence en fer chez la mère.
1 à 2 mg/kg pendant un mois après chaque don du sang,
surtout chez la femme en période d’activité génitale.