Cancers et grossesse Cours de
Gynécologie Obstétrique
Introduction
:
L’association d’une situation carcinologique et d’une grossesse est
assez rare.
Appréciée dans des centres de référence, la fréquence est
de l’ordre de une grossesse sur 1 000 à 1 500.
De manière plus
réaliste, dans un secteur géographique défini, dans une enquête
rétrospective anglaise portant sur plus de 25 000 accouchements,
32 associations ont été notées, dont six cancers découverts en cours
de grossesse (1/4 000) et une seule récidive pergravidique, et en
conséquence 25 grossesses chez des patientes antérieurement traitées
pour cancer.
La répartition des différents cancers associés à la grossesse peut être
approximativement établie par la réunion de quelques séries de la
littérature.
Les cancers du col de l’utérus et du sein, qui posent les
problèmes thérapeutiques les plus difficiles pendant la grossesse,
sont les tumeurs solides les plus fréquentes de la femme enceinte,
mais les hémopathies malignes sont également rencontrées.
L’association du cancer et de la grossesse met en jeu deux pronostics
vitaux, celui de la mère et celui de l’enfant.
Aux problèmes
cancérologiques et obstétricaux rendus difficiles par la rareté de
l’association, s’ajoutent des éléments humains et émotionnels qui
peuvent être à l’origine d’attitudes thérapeutiques extrêmes.
Le gynécologue-oncologue, bien que confronté à des localisations
tumorales ne relevant pas de sa discipline, est souvent consulté en
raison de sa double culture gynéco-obstétricale et oncologique.
Adopter une attitude raisonnée nécessite de disposer de réponses
ou d’éléments de réponses à quelques questions fondamentales : le
cancer est-il aggravé par la grossesse ? faut-il interrompre la
grossesse ? peut-on traiter le cancer pendant la grossesse ? une
grossesse est-elle autorisée après le traitement d’un cancer ?
Les
réponses ne sont pas fournies par les données hormonologiques ou
immunologiques fondamentales : en effet, on verra que les
conditions hormonales ou immunologiques de la grossesse n’ont pas
d’influence claire sur l’évolution du cancer, malgré
l’hormonodépendance de certains cancers et malgré la tolérance
immunologique commune aux cancers et à la grossesse.
Cancer du sein
:
Le cancer du sein est une des plus fréquentes tumeurs solides
associées à la grossesse. Selon les séries, 1 à 3% des cancers du sein
sont découverts au cours de la grossesse ou dans ses suites
immédiates.
Si on ne considère que les cancers du sein en période préménopausique, le chiffre atteint 7 % et jusque 34 % des
cancers de la femme de moins de 30 ans.
La fréquence respective
des tumeurs bénignes et des tumeurs malignes est comparable chez
la femme enceinte et en l’absence de grossesse.
La survenue d’une grossesse après traitement d’un cancer du sein
est rare, mais non exceptionnelle : 7 à 8% dans une étude
prospective de femmes potentiellement fertiles.
Cinquante-trois
pour cent des gynécologues pensent (à tort) que le risque de rechute
est augmenté par une grossesse après traitement ; 18 % proposent
l’avortement dans ce cas.
A - CANCER ET GROSSESSE SIMULTANÉS :
1- Diagnostic
:
Le diagnostic clinique, échographique, cytologique et histologique
du cancer, bien que légèrement plus difficile, est possible pendant la
grossesse.
La mammographie n’est pas contre-indiquée si elle
s’avère indispensable.
La forme nodulaire classique est la forme
la plus fréquente, alors que la mastite carcinomateuse demeure
exceptionnelle (1 à 2 % des cas).
Le cancer du sein chez la femme
enceinte présente les mêmes aspects histologiques qu’en l’absence
de grossesse.
Les tumeurs de grade 3 seraient plus fréquentes.
Analysés dans des conditions techniques appropriées, les récepteurs
hormonaux stéroïdes semblent aussi fréquents qu’en l’absence de
grossesse.
L’extension métastatique peut être étudiée de manière
satisfaisante, à l’exclusion des radiographies du squelette.
La
scanographie crânienne, l’échotomographie hépatique, la
scintigraphie osseuse (qui délivre 0,1 rad au foetus) sont utilisables
en cas de nécessité, bien que non indispensables aux stades initiaux
du cancer.
2- Pronostic :
L’évaluation du pronostic du cancer du sein associé à une grossesse
demeure difficile en raison du nombre de facteurs pronostiques.
D’après les publications des 20 dernières années, le pronostic du
cancer du sein associé à la grossesse n’est pas bon : 23,5 à 46 % de
survie à 5 ans, 15 à 42 % à 10 ans. Une étude classique montre
une surmortalité de 10 à 15 % par rapport aux cancers de même
stade chez des femmes non ménopausées sans grossesse.
Cette
différence s’estompe ou disparaît cependant avec l’appariement
pour l’âge et le stade.
La comparaison du pronostic doit en
effet tenir compte de l’âge, car le cancer mammaire de la femme
jeune est généralement de moins bon pronostic.
L’influence défavorable de la grossesse ne s’exerce cependant pas
sur tous les cas.
L’accord est généralement fait sur l’absence d’effet
de la grossesse sur les formes sans métastases ganglionnaires.
À l’opposé, l’envahissement ganglionnaire est plus fréquent (61 %
versus 38 % dans une étude cas-témoins). Il est donc démontré
que les formes avancées sont plus fréquemment retrouvées en
association avec la grossesse.
Il est vraisemblable que la grossesse aggrave la valeur pronostique
de l’envahissement ganglionnaire, vu les taux de survie très bas
observés dans les formes N+ (13 à 30 % à 5 ans, 10 à 13 % à 10 ans
dans les séries postérieures à 1965 et dans plusieurs études
comparatives).
Notre étude cas-témoins indique une
aggravation en cas d’envahissement ganglionnaire, cependant non
retrouvée dans une étude similaire.
Un point de controverse porte sur l’influence de la chronologie par
rapport à la grossesse sur le pronostic.
Les données de Peters
évoquent un effet péjoratif de la découverte du cancer en deuxième
moitié de grossesse qui n’est pas retrouvé par d’autres auteurs.
3- Traitement
:
Indications chirurgicales et techniques opératoires ne sont pas
modifiées par la grossesse.
La radiothérapie de la paroi thoracique
et de la région mammaire interne est à éviter pendant la grossesse.
Une électronthérapie (4 meV) de 50 grays (Gy) délivre au pelvis 10 à
15 cGy et à la xiphoïde 2 Gy, doses inacceptables au premier
comme au troisième trimestre s’il s’agit d’un traitement adjuvant
dont l’effet sur la survie n’est pas démontré.
La chimiothérapie
adjuvante prescrite en cas d’envahissement ganglionnaire est
tératogène au premier trimestre, mais peut être prescrite au-delà
(l’adriamycine ne traverse pas la barrière placentaire).
L’hormonothérapie ne se conçoit que suppressive, sous forme
d’avortement thérapeutique et/ou de castration.
Aucune des ces
mesures n’améliore cependant le pronostic.
4- Attitude proposée :
L’objectif général est de se rapprocher du protocole proposé dans le
même cas en dehors de la grossesse, sans nuire au produit de
conception par une interruption de grossesse inutile ou un
traitement dangereux pour le foetus, d’indication non formelle ou
non urgente.
Quand une contradiction entre l’idéal pour la mère et
le devenir de l’enfant est mise à jour, la patiente dûment éclairée
peut choisir un traitement moins satisfaisant pour elle, préservant
totalement l’enfant, un traitement idéal conservant la grossesse mais
potentiellement foetotoxique ou un traitement sacrifiant la grossesse.
Deux situations peuvent donc se présenter : le protocole idéal peut
ou ne peut pas être appliqué sans risque pour la grossesse.
– Le protocole peut être appliqué en respectant la grossesse.
C’est le
cas dans deux circonstances précises :
– la grossesse est près du terme ou, à défaut, de la période de
maturité foetale : quelle que soit l’extension, le traitement est
possible mais différé chirurgie pergravidique des formes
opérables, radiothérapie et chimiothérapie reportées après un
accouchement provoqué ;
– il s’agit d’une forme localisée au sein, quel que soit l’âge de la
grossesse : le traitement chirurgical est possible ; la radiothérapie
complémentaire éventuelle (champ mammaire interne ou sein
restant après chirurgie partielle) est reportée après
l’accouchement ; la chimiothérapie adjuvante, lorsqu’elle est
indiquée, peut être administrée à titre pergravidique au-delà du
premier trimestre sous de prudentes réserves ; si la patiente
n’accepte pas ces réserves et préfère l’interruption de grossesse,
celle-ci est acceptée.
– La radiothérapie est d’indication formelle, souvent associée à une
chimiothérapie, la grossesse est loin du terme.
C’est le cas d’une
forme inopérable pour des raisons locales ou métastatiques, ou
d’une forme inflammatoire ; l’interruption de grossesse doit alors
être conseillée, immédiatement suivie de la mise en place du
traitement.
Si la patiente est opposée à cette option, l’abstention
provisoire ou, sous de prudentes réserves, la chimiothérapie pergravidique complétée par la chirurgie doivent être envisagées.
B - GROSSESSE APRÈS CANCER DU SEIN :
Cette association ne pose plus de problème, au moins sur le plan
théorique.
En effet, les traitements chimiques, lorsqu’ils n’induisent
pas l’infertilité par anovulation, ne donnent pas d’effets démontrés
à long terme, ce qui lève l’hypothèque de la qualité du produit de
conception.
De nombreuses études ont suggéré qu’une grossesse
ultérieure n’altère pas le pronostic, même en cas de
forme N+, en contradiction avec l’effet dévorable observé dans
l’association cancer et grossesse.
Même l’allaitement est
possible.
La grossesse ultérieure ne doit donc être ni interdite, ni interrompue
de principe lorsqu’elle survient (même précocement), sauf en cas de réévolution métastatique simultanée.
Ce risque évolutif fait préférer
un délai d’attente pendant lequel une contraception non estrogénique est appliquée.
Ce délai est classiquement de 2 à 3 ans
en cas de bon pronostic et de 5 ans en cas de mauvais pronostic.
Le
pronostic dans l’ensemble favorable d’une grossesse ultérieure doit
faire considérer avec la plus grande réserve l’indication d’une
hormonothérapie suppressive par castration chez la femme jeune.
Cancer du col utérin :
A - ÉPIDÉMIOLOGIE :
Trois à 4 % des cancers du col utérin sont associés à une grossesse.
Lorsque seuls sont retenus les cancers diagnostiqués au cours même
de la grossesse, à l’exclusion du post-partum, cette proportion est
d’environ 1 %.
La femme enceinte atteinte de cancer invasif du
col utérin est le plus souvent une multipare, avec une parité
moyenne entre 4 et 6 et un âge moyen de 33 ans.
L’histopathologie n’est pas spécifique à la grossesse.
Des cas
d’adénocarcinomes à cellules claires ont été décrits.
La décidualisation de foyers d’endomètre ectopique au niveau des
ganglions iliaques ou lomboaortiques ne doit pas être confondue
avec une métastase ganglionnaire.
B - COL UTÉRIN NORMAL PENDANT LA GROSSESSE
:
La grossesse induit au niveau du col utérin des modifications
cliniques, colposcopiques et histologiques.
À l’examen au spéculum, le col gravidique apparaît augmenté de
volume, foncé, oedématié et turgescent.
Il est le siège d’un ectropion
physiologique dû à l’éversion de la jonction squamocylindrique,
souvent surinfecté, polypoïde et saignant au contact.
Le col
gravidique prend à l’occasion un aspect inquiétant, justifiant des
explorations complémentaires pour éliminer toute suspicion de
malignité.
Ces modifications macroscopiques du col utérin pendant la
grossesse sont l’expression de modifications histologiques dont
certains aspects ont été longtemps confondus avec l’épithélioma intraépithélial.
En fait, les aspects histologiques normaux du col
gravidique ne doivent en aucun cas être confondus avec ceux des
dysplasies et des épithéliomas intraépithéliaux, dont le diagnostic
est néanmoins plus délicat pendant la grossesse.
C - MOYENS DE DIAGNOSTIC
:
1- Cytologie :
La cytologie est obtenue de la même manière qu’en dehors de la
grossesse, à ceci près que l’extériorisation habituelle de la jonction
rend inutile le frottis endocervical.
La grossesse induit des
modifications des frottis cervicovaginaux qui nécessitent leur
interprétation par un cytologiste expérimenté, et qui rendent
nécessaire, en présence d’un frottis suspect, la répétition de
l’examen, en particulier après traitement anti-infectieux, mais ils
gardent toute leur valeur de dépistage.
Environ 1 % des frottis sont
anormaux, dont un tiers environ (1,6 à 3,4/1 000) correspond à des
lésions de carcinome in situ ou micro-invasif. Un frottis isolé
n’autorise donc pas à engager des gestes diagnostiques ou
thérapeutiques excessifs.
Cette fréquence de frottis anormaux et leur
valeur prédictive sont superposables à ce qui est observé en dehors
de la grossesse dans les mêmes tranches d’âge.
2- Colposcopie
:
La colposcopie est particulièrement adaptée à l’examen du col
gravide, ne serait-ce qu’en raison des risques des autres
explorations.
Elle doit donc être pratiquée par un spécialiste de
pathologie cervicale.
Une excellente exposition s’impose.
Le
nettoyage du col doit être particulièrement doux en raison du risque
hémorragique, et soigneux en raison de la présence du mucus.
Quelques aspects particuliers à la grossesse doivent être connus : le
tissu conjonctif, très congestif, violacé, est vu sous un épithélium
glandulaire souvent éversé, recouvrant des papilles volumineuses ;
sa décidualisation peut former un bourgeon blanchâtre à vaisseaux
réguliers.
Par ailleurs, la grossesse modifie en les caricaturant les
aspects de transformation.
Ces réserves étant faites, il n’en reste pas
moins que la colposcopie est l’examen majeur du col
macroscopiquement ou cytologiquement suspect pendant la
grossesse, permettant soit de conclure à la bénignité et d’éviter la
biopsie, soit de désigner la zone la plus pathologique destinée au
prélèvement.
3- Biopsie :
La biopsie orientée par la colposcopie permet de proposer un
diagnostic lésionnel avec une bonne certitude et surtout d’éliminer
avec sécurité le diagnostic de cancer invasif.
Elle n’est cependant
pas dénuée de risque et son indication ne doit être posée qu’après
une colposcopie spécialisée.
Les risques obstétricaux de la biopsie (contractions utérines et donc
avortement ou accouchement prématuré), ainsi que le risque
hémorragique sont raisonnables si la biopsie est limitée et
parfaitement orientée.
L’hémorragie est possible mais rare et peut
être contrôlée par simple tamponnement ou par structure
hémostatique immédiate.
La colposcopie permet de conclure à la bénignité dans un grand
nombre de cas.
Par exemple, De Petrillo n’a réalisé que
48 biopsies chez 329 femmes après la découverte de frottis suspects.
Ces 48 biopsies n’ont été complétées que par trois conisations, c’est-à-dire dans 1 % des cas de frottis anormaux, chiffre qui paraît
apprécier les indications exceptionnelles de la conisation chez la
femme enceinte, bien qu’une autre étude indique un besoin encore
inférieur (une conisation pour 600 frottis anormaux).
4- Conisation :
La conisation est, en effet, dans ces conditions, le plus souvent
inutile, dangereuse et inefficace.
Inutile, puisque le trépied cytologiecolposcopie-
biopsie suffit à éliminer l’éventualité d’une invasion
dans la quasi-totalité des cas.
Dangereuse, par son risque de 10 à
20 % de complications hémorragiques, par le risque de sclérose du
col, par son risque abortif avant 6 mois, de l’ordre de 15 à 20 %, par
son risque d’accouchement prématuré après 6 mois, avec une
mortalité périnatale de l’ordre de 5 %.
Elle est inefficace,
puisqu’elle laisse en place plus de 40 % des lésions,
vraisemblablement par prélèvement insuffisant lié à la crainte des
complications.
En effet, le taux des lésions résiduelles augmente
avec l’âge de la grossesse pour diminuer dans le post-partum.
Si on
est amené à la pratiquer, on peut la faire précéder, dans le même
temps opératoire, d’un cerclage préventif à visée hémostatique.
D - CANCER DU COL UTÉRIN CLINIQUEMENT APPARENT :
1- Diagnostic et bilan d’extension :
Le signe révélateur le plus fréquent et le maître symptôme sont la
métrorragie.
La métrorragie provoquée par les traumatismes du col
évoque en premier lieu son origine cervicale, mais la métrorragie est
le plus souvent spontanée.
Toute hémorragie chez une femme
enceinte doit donc imposer un examen gynécologique avec mise en
place d’un spéculum.
Lorsque les métrorragies sont absentes, le cancer se révèle par une
leucorrhée et rarement par des douleurs pelviennes.
Les leucorrhées
attirent l’attention par leur abondance mais sont peu caractéristiques
au cours de la grossesse.
Le cancer du col, même invasif, peut être
asymptomatique.
Malgré les difficultés potentielles du diagnostic, le délai au
diagnostic n’est que peu allongé.
La grossesse n’est donc pas une
mauvaise occasion de dépistage.
De fait, la proportion de cancers
découverts aux stades I est supérieure à celle observée dans la
population générale ou dans la population des femmes non
ménopausées atteintes de cancer du col.
Cette proportion est
maximale au premier trimestre, pour décroître avec l’évolution de la
grossesse.
Le premier trimestre est donc la meilleure circonstance
pour le diagnostic du cancer du col.
La grossesse ne modifie donc pas les conditions habituelles du
diagnostic du cancer du col cliniquement apparent, mais gêne
considérablement l’évaluation du stade d’extension, dont il faut
savoir qu’il est le plus habituellement sous-estimé.
L’imagerie par
résonance magnétique fournit sans danger une excellente
mensuration de la tumeur et une appréciation de son extension extracervicale.
À noter que la grossesse n’empêche pas, jusqu’à
24 semaines, une endoscopie extrapéritonéale panoramique dans le
cadre d’une stadification.
2- Pronostic maternel et foetal
:
La survie à 5 ans, tous stades réunis, s’échelonne selon les séries
entre 30 et 55 % avec une moyenne de 50 % environ dans la
littérature.
Le stade d’extension intervient évidemment dans le
pronostic.
En cas de décès, l’évolution n’est pas plus rapide qu’en
dehors de la grossesse.
Lorsque des données comparatives sont
fournies, le pronostic est équivalent à celui observé en dehors de la
grossesse, avec un taux de métastases ganglionnaires
équivalent.
Même dans les stades avancés, la grossesse n’accélère
pas le cours du cancer.
Lorsque les traitements ne sont pas
modifiés par la grossesse, le pronostic du cancer du col n’est donc
pas aggravé.
Deux facteurs de pronostic sont spécifiques à la grossesse : le mode
d’accouchement et la date de découverte du cancer.
Pour ce dernier
facteur, l’ensemble des séries importantes converge pour estimer que
les meilleurs résultats sont obtenus lorsque le cancer est découvert
au premier trimestre, qui est donc la meilleure période de dépistage.
Au-delà, les données sont contradictoires, évoquant un apparent
mauvais pronostic dans le troisième trimestre et le post-partum
immédiat, vraisemblablement corollaire d’un diagnostic tardif
puisque négligé aux premier et deuxième trimestres.
En effet, dans
une revue de littérature portant sur 896 cas, la survie à 5 ans est
de 69 % au premier trimestre, 63 % au deuxième, 52 % au troisième
et 46 % dans le post-partum.
Cependant, lorsque le pronostic est
étudié stade par stade, ces différences disparaissent : 83,3 % à 5 ans
au premier trimestre contre 81,1 % dans le post-partum sur 206 stades
I ; 41,7 % à 5 ans au premier trimestre contre 45,1 dans le postpartum
sur 197 stades II.
Lorsque l’extension est prise en compte, la
date de découverte est donc sans valeur pronostique.
Le mode d’accouchement est considéré comme crucial, avec une
influence défavorable de l’accouchement par les voies naturelles.
Si
le risque de dystocie, d’infection, d’hémorragie justifie la césarienne
de principe, l’accouchement par voie basse n’a pas réellement
d’influence pronostique désastreuse.
En effet, plusieurs auteurs ne
retrouvent aucune différence de pronostic en faveur des cas
césarisés, en regard des cas accouchés par voie basse.
La greffe
de carcinome épidermoïde ou d’adénocarcinome d’origine cervicale
a été observée en cas d’épisiotomie.
Le pronostic foetal est considérablement menacé par le risque
d’avortement et par les agressions thérapeutiques.
Moins de la
moitié de grossesses aboutissent à la naissance d’un enfant vivant.
3- Attitude thérapeutique
:
Un traitement de cancer du col à visée curative nécessite, pour
laisser espérer un résultat comparable à ce qu’il est en dehors de la
grossesse, un traitement sans délai (ce qui implique l’arrêt de la
grossesse) ou après un délai raisonnable.
En première moitié de grossesse, l’interruption par avortement
thérapeutique ne se discute pas médicalement, la seule exception
étant liée au refus de la patiente.
Elle peut être obtenue, selon
l’indication thérapeutique posée, par aspiration dans le même temps
qu’une stadification chirurgicale (grossesse de moins de
12 semaines), par irradiation ou par chirurgie (hystérectomie en bloc
des formes opérables, hystérotomie dans les formes inopérables),
réalisant alors le premier temps du traitement.
Le délai moyen entre
une irradiation (curiethérapie ou radiothérapie externe) et
l’avortement est de l’ordre de 33 jours, avec des extrêmes de 27 à
50 jours.
L’exception à cette règle est celle de la tumeur entièrement exocervicale, de moins de 2 cm de diamètre, qui peut être traitée par
trachélectomie élargie associée à une lymphadénectomie pelvienne
endoscopique, respectant la grossesse.
En deuxième moitié de grossesse, la décision est d’autant plus facile
que la grossesse est plus avancée. Près du terme, lorsque la viabilité
est certaine ou probable, l’accouchement doit être réalisé dès que
possible par césarienne en milieu spécialisé, avec stadification
chirurgicale associée.
Le délai à l’instauration de la thérapeutique
est alors modéré.
Avant cette date, en accord avec la patiente, un
délai plus long peut être accepté, mais l’accouchement
prématuré est provoqué dès que jugé raisonnable par les périnatologistes.
En présence d’une forme avancée assez loin du
terme, on a pu proposer une chimiothérapie néoadjuvante.
Le traitement du cancer maternel doit se rapprocher le plus possible
du traitement pratiqué en dehors de la grossesse. Les principales
méthodes sont utilisables avec quelques aménagements.
Le
traitement chirurgical consiste en une hystérectomie totale élargie
avec lymphadénectomie.
Cette chirurgie est réalisable au stade I et
au stade II, et peut suivre immédiatement une hystérotomie ou être
réalisée sur utérus gravide.
On peut pratiquer au premier trimestre,
l’association d’une opération vaginale de Schauta et d’une
lymphadénectomie pelvienne endoscopique.
Le traitement par
agents physiques ne diffère pas de celui exercé en dehors de la
grossesse.
L’objectif d’ensemble est de réaliser au plus tôt le traitement le plus
proche possible du traitement habituel.
Les formes inopérables sont
traitées par chimio-irradiation après l’arrêt de la grossesse, en
commençant par l’irradiation externe.
Les formes opérables sont
traitées par hystérectomie radicale d’emblée sur utérus gravide ou
après hystérotomie première.
La présence d’adénopathies paraaortiques
(repérées lors d’une coelioscopie première ou en début de
laparotomie) exclut le traitement chirurgical local, qui se limite alors
à l’évacuation utérine.
E - CARCINOMES MICRO-INVASIFS :
Les formes précliniques du cancer cervico-utérin sont plus souvent
reconnues pendant la grossesse.
Néanmoins, les cas restent peu
nombreux, et la littérature est pauvre en observations strictement
définies.
En effet, seule la conisation, peu conseillée pendant la
grossesse, donne le diagnostic pathologique précis : profondeur
d’invasion, extension latérale, présence d’emboles lymphovasculaires.
Le choix d’un protocole thérapeutique repose donc sur
des données incomplètes, et doit être extrapolé à partir de deux
champs de connaissance proches : le cancer invasif du col associé à
la grossesse pour lequel des données suffisantes existent, ainsi que
l’état actuel des choix thérapeutiques concernant les formes préinvasives des cancers de dehors de la grossesse.
Sans entrer dans le détail de ces choix, on rappelle les options
actuelles : en cas de stade IA1 sans emboles lymphovasculaires, la
conisation seule est suffisante lorsque la résection endocervicale
passe au large des lésions ; en cas de stade IA2, la
lymphadénectomie est nécessaire, l’hystérectomie totale extrafasciale
(hystérectomie radicale modifiée), de préférence par voie vaginale,
ou la trachélectomie élargie si la patiente désire une conservation
utérine sont indiquées. Pour ce qui concerne l’association à la
grossesse, l’urgence thérapeutique n’est pas telle qu’une attitude
agressive vis-à-vis de la grossesse doive être proposée.
À l’opposé,
il est vrai que l’expérience démontre, chez la femme jeune, la grande
rapidité d’évolution de certains cancers invasifs.
1- En fin de grossesse :
Si une indication d’hystérectomie est posée d’emblée par la nature
des lésions, ou si une indication obstétricale de césarienne s’impose,
il est possible de proposer une césarienne-hystérectomie simple ou
élargie, avec ou sans lymphadénectomie.
Ce choix permet
d’économiser un temps diagnostique et thérapeutique dans le postpartum.
Il a l’inconvénient de nécessiter un opérateur expérimenté,
le repérage du col et donc du niveau d’exérèse qui est relativement
délicat bien que possible.
L’autre inconvénient est l’absence
d’évaluation préalable du col, et donc le risque de sur- ou sous-traitement.
Lorsque l’invasion franche est exclue et qu’il n’y a pas d’indication
claire de césarienne ou d’hystérectomie, le meilleur choix est
l’abstention, suivie d’accouchement par voie basse et de réévaluation
avec traitement adapté après 2 ou 3 mois.
2- En début de grossesse :
De nombreux cas d’espèce sont à envisager.
La forme colposcopique,
le résultat de la biopsie et le désir de grossesse sont les principaux
paramètres de la décision.
En cas d’invasion limitée à la biopsie, en concordance avec les
données colposcopiques et cytologiques, le choix est entre la
conisation immédiate et l’abstention jusqu’à l’accouchement, sous
réserve d’une surveillance cytologique et colposcopique qui permet
d’exclure toute évolution rapide vers l’invasion franche.
Lorsque la
patiente ne désire pas le maintien de la grossesse, on préfère
l’avortement légal suivi de réévaluation par conisation à
l’hystérectomie sur utérus gravide.
Dans les autres cas (invasion certaine mais non mesurable, suspicion colposcopique ou biopsique d’invasion), la conisation est justifiée,
comme en dehors de la grossesse.
*
Stade IA1 sans emboles :
La conisation est suffisante.
* Stade IA2 ou stade IA1 avec emboles
:
La femme désirant sa grossesse fait l’objet d’une trachélectomie
élargie avec lymphadénectomie de préférence endoscopique.
L’opération est définitivement suffisante, ou provisoirement
insuffisante (lésions non invasives en limite supérieure), ou
indicatrice d’actes supplémentaires (interruption de grossesse pour
les cas avec atteinte ganglionnaire, ou en cas de lésion invasive à la
tranche de section cervicale).
La femme ne désirant pas sa grossesse peut faire l’objet d’une
hystérectomie modérément élargie avec lymphadénectomie sur utérus gravide. Selon l’âge de la grossesse, l’hystérectomie peut être
pratiquée par voie vaginale avec lymphadénectomie endoscopique
(premier trimestre) ou par voie abdominale (deuxième trimestre).
F - NÉOPLASIES INTRAÉPITHÉLIALES :
La grossesse est une excellente circonstance de diagnostic.
On sait
qu’en dehors de la grossesse, le traitement conservateur est
nécessaire et suffisant.
Un délai entre le diagnostic et le traitement
ne fait courir aucun risque à la patiente.
Ce délai permet une attitude
très conservatrice en ce qui concerne la grossesse, ce qui améliore
d’autant le pronostic foetal.
L’attitude thérapeutique est simple en cas de néoplasie intraépithéliale de grade 3 associée à la grossesse.
Le recours à un
centre de pathologie cervicale est souhaitable, en particulier pour
une analyse colposcopique en présence d’un frottis suspect.
L’association cytologie-colposcopie (il n’y a pas d’urgence au
traitement, il n’y a donc pas d’urgence au diagnostic) ou au besoin
des biopsies orientées par la colposcopie permettent d’éliminer avec
une certitude suffisante l’éventualité d’une invasion pour justifier
une attitude d’abstention transitoire.
La conisation du col n’est pas
indiquée au cours de la grossesse et une surveillance simple,
clinique, cytologique et colposcopique est entreprise jusqu’à
l’accouchement.
Il n’existe aucune contre-indication d’ordre cancérologique à
l’accouchement par voie basse, la césarienne étant réservée aux
indications obstétricales.
À titre exceptionnel, cette césarienne est
associée à une hystérectomie dans le même temps, en particulier
chez les multipares et chez les femmes dont la surveillance ultérieure
serait aléatoire.
Dans la grande majorité des cas, l’accouchement
normal et l’absence d’urgence thérapeutique justifient un délai
d’attente de 3 mois permettant la régression des anomalies purement
gravidiques ou virales.
À ce moment, une réévaluation complète de
la lésion, sur le plan clinique, cytologique, colposcopique et
histologique est nécessaire et permet une thérapeutique adaptée,
limitée au col (conisation ou laser).
À l’opposé, l’antécédent de conisation ne retentit pas
significativement sur la fécondité, sauf peut-être pour les cônes de
hauteur supérieure à 2 cm, qui sont associés à une plus grande
fréquence des accouchements prématurés, et pour les cas (souvent
provoqués par d’intempestifs surjets de Sturmdorf) de sténose
cervicale postopératoire.
Cancer de l’ovaire
:
Une compilation de séries homogènes d’associations de cancer
de l’ovaire et de grossesse, portant sur 752 000 accouchements,
permet d’estimer la fréquence du cancer de l’ovaire à
1/30 000 grossesses ; 3,6 % (25 sur 685) des tumeurs ovariennes
associées à la grossesse sont malignes.
Le cancer de l’ovaire est donc
un diagnostic à envisager dans le cadre des masses annexielles
associées à une grossesse intra-utérine ou extra-utérine, évolutive
ou non.
Les tumeurs frontières sont fréquemment observées.
Le dépistage des tumeurs ovariennes est possible pendant la
grossesse, favorisé par la multiplication des échographies, par
l’examen systématique des annexes en cours de césarienne, et par le
risque accru de torsion des tumeurs encore mobiles.
A - DIAGNOSTIC
:
De nombreuses formes asymptomatiques sont découvertes, soit
pendant la grossesse, à l’occasion d’une échographie, soit dans le
post-partum, voire au cours d’une intervention césarienne.
Certains
cancers jusque-là asymptomatiques se révèlent à l’occasion de
l’accouchement, sous forme d’une tumeur prævia.
Une augmentation excessive du volume de l’abdomen, supérieure à
l’âge présumé de la grossesse, est un symptôme rare dans les
observations récentes.
Cette augmentation de volume de l’abdomen
est due le plus souvent à une ascite, témoin d’une tumeur évoluée.
Trente à 40 % des observations se révèlent par des douleurs
abdominales, qui prennent parfois le mode aigu lorsque surviennent
des complications révélatrices, telles que la torsion d’une tumeur
encore mobile ou la rupture d’une forme kystique.
L’examen physique fournit au premier trimestre de la grossesse les
mêmes renseignements que chez la femme non enceinte : la tumeur,
de développement pelvien ou abdominal, est de diagnostic aisé
lorsque les signes cliniques de la malignité apparaissent à l’évidence.
À l’opposé, une tumeur ovarienne, même cliniquement et échographiquement bénigne, peut être un cancer, mais il faut
attendre, sauf urgence, le début du deuxième trimestre pour
différencier un corps jaune kystique d’une tumeur ovarienne
organique.
Plus de 40 % des cancers de l’ovaire sont ainsi décelés
dans les 2 premiers trimestres de la grossesse, à l’aide de la clinique,
de l’échotomographie, et en définitive de la laparotomie exploratrice.
Le marqueur Ca-125 est inefficace puisque élevé dans la grossesse
normale.
Le diagnostic de tumeur ovarienne devient de plus en plus difficile
avec l’évolution de la grossesse, et peu de tumeurs (10 %) sont
découvertes au troisième trimestre.
Différencier une ascite ou une
volumineuse tumeur kystique d’un hydramnios nécessite une
échographie.
La tumeur de l’ovaire peut ainsi évoluer jusqu’au déclenchement
du travail et constituer un obstacle prævia ou ne se révéler que dans
le post-partum à la faveur de l’involution utérine (plus de 40 % des
observations).
B - PRONOSTIC ET HISTOPATHOLOGIE :
Le pronostic dépend plus du stade d’extension initiale et du type histopathologique que de la coexistence de la grossesse.
Il s’agit le
plus souvent d’un adénocarcinome, mais le jeune âge des patientes
explique la fréquence relative des dysgerminomes, dont le pronostic
est plus favorable, ainsi que d’autres tumeurs rares.
En effet, plus
de 60 % des cancers sont des adénocarcinomes dont le pronostic
habituellement médiocre ne semble pas aggravé.
La fréquence
relative des découvertes précoces et des formes à malignité atténuée
est même plutôt favorable.
Les autres tumeurs germinales sont rarement associées à la
grossesse : choriocarcinome pour lequel se pose toujours le
diagnostic différentiel avec une maladie trophoblastique, tératome
immature, tumeur du sinus endodermique dont la surveillance par
dosage de l’alpha-foetoprotéine est rendue impossible en cours de
grossesse.
Les tumeurs des cordons sexuels sont possibles, et de relatif bon
pronostic.
Les tumeurs endocrines ont la particularité de
provoquer, pour les formes androgénosécrétantes, la virilisation
(inconstante) des foetus féminins.
Dans la revue de Kristensen
portant sur 24 cas d’arrhénoblastome associé à la grossesse, deux
foetus féminins sur cinq exposés sont virilisés ; la survie maternelle
(75 % à 5 ans) est identique à ce qu’elle est en dehors de la grossesse.
Toutes les tumeurs ovariennes rares ont, à titre exceptionnel, été
observées pendant la grossesse : tumeur carcinoïde, sarcome.
C
- PROTOCOLE THÉRAPEUTIQUE :
L’attitude thérapeutique dépend du stade de la grossesse, de
l’extension et du type histologique de la tumeur.
Au plan pratique,
la présentation clinique permet de distinguer plusieurs cas : tumeur
évoluée, tumeur solide ou suspecte à titre préopératoire, tumeur
cliniquement bénigne.
1- Tumeurs évoluées cliniquement malignes
:
Une laparotomie est réalisée immédiatement, sauf au troisième
trimestre pendant lequel on attend la viabilité foetale pour combiner
la césarienne et l’exploration chirurgicale.
Si elle est possible,
l’hystérectomie avec castration et omentectomie est le premier temps du traitement ; elle implique aux 2 premiers trimestres le sacrifice
de la grossesse, l’exérèse pouvant se faire sur utérus gravide ou
après hystérectomie évacuatrice.
La chimiothérapie néoadjuvante,
avec ou sans interruption de grossesse, peut cependant se discuter
en cas d’inopérabilité.
2- Tumeurs suspectes car solides, inhomogènes
ou végétantes en échographie ou associées à une ascite
:
L’exploration morphologique est indispensable : coelioscopie ou
laparotomie au premier trimestre, chirurgie au deuxième, césarienne
et examen de l’ovaire au troisième.
Les tumeurs au stade IA peuvent
être traitées par annexectomie seule, avec compensation progestative
si le corps jaune a été enlevé avant 12 semaines.
Une annexectomie
bilatérale est envisageable au stade IB, au début d’une grossesse
désirée, suivie de totalisation après l’accouchement.
3- Tumeurs cliniquement et échographiquement
bénignes
:
Elles sont traitées en fonction de l’âge de la grossesse.
– Au premier trimestre, en l’absence de complication, l’abstention
est souhaitable pour éliminer l’éventualité fréquente d’un kyste
fonctionnel.
– Au deuxième trimestre, les tumeurs sont considérées comme
organiques à partir de 4 mois et donc opérées immédiatement.
Les
découvertes opératoires sont variées (tumeur manifestement
maligne étendue ou non, tumeur suspecte, tumeur d’apparence
bénigne avec diagnostic histopathologique de cancer ou de tumeur
frontière) et commandent le protocole.
– Au troisième trimestre, les tumeurs cliniquement et échographiquement bénignes sont opérées en cours de césarienne si
elles sont prævia ou si une indication obstétricale est associée, ou
plus souvent dans le post-partum immédiat.
Lorsqu’une tumeur
maligne est découverte à cette occasion, le protocole est identique à
ce qu’il est en dehors de la grossesse, et repose essentiellement sur
une stadification complète et un traitement radical après
confirmation histopathologique.