Cancers et grossesse Cours de
Gynécologie Obstétrique
Autres tumeurs gynécologiques
:
A - CANCER DU CORPS UTÉRIN ET GROSSESSE :
L’association d’un adénocarcinome de l’endomètre et d’une
grossesse représente toujours une surprise histologique à l’examen
d’un produit de curetage, avec 27 cas observés dans la littérature.
Deux des patientes dont le pronostic est connu sont décédées de
leur cancer.
Le sarcome utérin a été observé. Il s’agit le plus souvent d’un léiomyosarcome.
La léiomyomatose péritonéale disséminée a été
décrite, un cas de régression dans le post-partum.
B - CANCER DU VAGIN ET GROSSESSE :
Le carcinome épidermoïde invasif du vagin est exceptionnel chez la
femme jeune.
Notre revue de 1978 n’en a révélé que dix cas
associés à la grossesse, avec un pronostic maternel et foetal mauvais.
Le traitement principalement par radiothérapie implique
l’interruption de la grossesse.
Le sarcome botryoïde a été observé.
Il ne doit pas être confondu
avec le pseudosarcome botryoïde, dont la simple exérèse
chirurgicale suffit à la guérison, et qui surviendrait volontiers en
cours de grossesse.
L’adénocarcinome à cellules claires, secondaire à l’exposition au diéthylstilboestrol pendant la vie intra-utérine, survient chez les
femmes jeunes.
Il a été observé depuis quelques années dans un
nombre de cas non négligeable.
Dans le registre de Herbst,
18 étaient associés à la grossesse, avec une survie après traitement
chirurgical de 87 % à 5 ans, non significativement différente de celle
observée en dehors de la grossesse.
C - CANCER DE LA VULVE ET GROSSESSE :
Le carcinome épidermoïde de la vulve est la forme la moins rare
, bien qu’aient été observés à titre exceptionnel des sarcomes,
un cylindrome de la glande de Bartholin, des mélanomes malins.
Le
pronostic maternel apparaît particulièrement favorable en raison de
l’âge et du diagnostic précoce favorisé par la grossesse.
Le risque de
dissémination ganglionnaire ne semble pas augmenté.
La vulvectomie avec curage ganglionnaire est réalisable en cours de
grossesse.
Une cicatrice de vulvectomie de bonne qualité n’est pas
une contre-indication à l’accouchement par voie basse, mais la plus
grande prudence s’impose, en raison du risque de lésions graves
d’un périnée cicatriciel.
D - TUMEURS TROPHOBLASTIQUES ET GROSSESSE
:
On ne fait pas ici référence à la maladie trophoblastique postgravidique, mais à la coexistence d’une grossesse normale avec
soit un choriocarcinome à forme métastatique, dont plusieurs
observations ont été rapportées, certaines avec métastases foetales,
soit une tumeur du site d’implantation placentaire.
Tumeurs solides non gynécologiques
et grossesse :
A - SARCOME OSTÉOGÉNIQUE ET GROSSESSE :
Le diagnostic de tumeur osseuse est possible pendant la grossesse,
qui ne contre-indique pas les clichés radiologiques à distance de
l’utérus.
La scintigraphie osseuse irradie peu le foetus et pourrait
être utilisée pour le bilan d’extension.
Bien que des cas de chondrosarcome, de tumeur à cellules géantes,
de sarcome d’Ewing, de sarcome de Kaposi aient été décrits, seules
les observations de sarcome ostéogénique ont été publiées en
nombre suffisant pour juger de l’influence de la grossesse sur leur
évolution.
La plupart des auteurs concluent à l’absence
d’influence de la grossesse sur l’évolution de l’ostéosarcome. Pour
ces auteurs, l’indication d’interruption de grossesse ne s’impose pas.
Cependant, la nécessité moderne d’une chimiothérapie première
lourde implique l’avortement thérapeutique au premier trimestre.
Au deuxième trimestre, la chimiothérapie peut être appliquée, après
interruption de la grossesse si la patiente n’accepte pas le risque
théorique d’hypotrophie foetale et de troubles de l’histogenèse
cérébrale qui s’y associe.
Si l’interruption n’est pas retenue, la polychimiothérapie est entreprise.
Si une radiothérapie dans une
région proche de l’utérus est indiquée, la grossesse est également
interrompue.
On conçoit donc que le traitement de l’ostéosarcome
soit souvent incompatible avec la grossesse, mais que le pronostic
n’est pas modifié par cette association.
B - SARCOMES DES PARTIES MOLLES ET GROSSESSE
:
Le travail le plus important concernant cette association reste celui
de Cantin et Mc Neer, portant sur 57 observations, dont une
majorité de grossesses après traitement d’un sarcome et 17 cas de
sarcome découvert ou récidivant en cours de grossesse.
Tous les
types anatomopathologiques sont représentés dans cette série, avec
une prédominance des synovialosarcomes, des fibrosarcomes et des
liposarcomes.
Le pronostic n’est pas modifié par la grossesse
simultanée (65 % de survie à 5 ans et 55 % à 10 ans, à comparer aux
résultats obtenus par le même auteur chez les patientes de même
âge : 63% et 52 % à 5 et 10 ans).
Le pronostic est même meilleur en
cas de grossesse après cancer traité (85 % et 76 % à 5 et 10 ans) en
raison de l’effet de sélection déjà décrit pour le cancer du sein.
A contrario, l’influence de la grossesse sur les neurofibromes de la
maladie de Recklinghausen est connue, et son rôle dans la
dégénérescence a été évoqué.
De même, l’évolution locale des
tumeurs desmoïdes coïncide souvent avec une grossesse.
Une
tumeur rétropéritonéale peut constituer un obstacle à
l’accouchement.
Le traitement des sarcomes des parties molles repose sur la
chirurgie, avec exérèse large suivie d’irradiation, sauf dans les
formes métastatiques d’emblée où la chimiothérapie est indiquée.
Une chimiothérapie est également proposée à titre (néo)adjuvant,
selon le type histologique, les facteurs de pronostic microscopique
et la taille de la tumeur.
Dans l’ensemble, l’interruption de grossesse
ne se discute que lorsqu’une irradiation directe de l’utérus ou une polychimiothérapie s’impose de manière urgente.
Il n’y a pas de
contre-indication à une grossesse ultérieure.
C - MÉLANOME MALIN ET GROSSESSE :
Tous les sièges classiques de mélanome malin ont été observés
pendant la grossesse : cutanés, vulvaires, choroïdiens.
Les critères
cliniques et histologiques de malignité et de pronostic sont
inchangés et accessibles.
L’envahissement ganglionnaire serait plus
fréquent, de même que la profondeur des lésions.
La
possibilité de métastases à l’ovaire, l’utérus, le sein, le placenta et
même le foetus doit être connue.
Les statistiques montrent qu’au stade I, le pronostic à 5 ans n’est pas
modifié par la grossesse.
Cependant, au stade I, à survie égale, le
délai d’apparition des récidives ou des métastases est raccourci,
même après prise en compte d’autres facteurs de pronostic, tels que
le niveau de Clark, l’index de Breslow, la notion d’ulcération ; de
plus, lorsque le décès survient dans les 5 ans, il survient plus
rapidement.
En revanche, la grossesse simultanée accélère
l’évolution des formes de mauvais pronostic.
Une grossesse
survenant dans les 5 ans suivant le traitement n’exerce aucune
influence défavorable sur la survie, sur le délai de survenue de
récidives ou du décès, tout au moins au stade I.
L’exérèse large (au stade I) et le curage ganglionnaire (au stade II)
sont possibles en cours de grossesse.
Les formes métastatiques
(stade III) relèvent de la chimiothérapie : leur pronostic et les
nécessités thérapeutiques impliquent de proposer l’interruption de
la grossesse.
La grossesse ultérieure n’est pas contre-indiquée.
Un délai
d’observation de 2 ans est cependant souhaitable pour les formes de
bon pronostic ; il est porté à 5 ans au stade II.
La contraception
hormonale n’est pas contre-indiquée.
D - CANCERS DIGESTIFS ET GROSSESSE
:
Ils sont occasionnellement rencontrés.
Leur mauvais pronostic est
essentiellement lié au retard au diagnostic.
En effet, les signes
fonctionnels peuvent être à tort attribués à la grossesse.
Les
hémorragies digestives et les épisodes de subocclusion gardent
cependant toute leur valeur.
Les examens radiologiques du tube
digestif sont contre-indiqués au premier trimestre.
Au-delà, le
nombre des clichés doit être limité.
En revanche, l’endoscopie est
toujours possible et souhaitable lorsque des signes fonctionnels ne
cèdent pas au traitement.
Les localisations observées sont, par ordre de fréquence dans la
littérature, l’estomac, le rectum, le sigmoïde, le reste du côlon.
Toutes ces tumeurs sont aisément accessibles à l’endoscopie.
Aucun
argument en faveur d’une aggravation par la grossesse n’est
retrouvé dans la littérature.
Les autres cancers digestifs sont exceptionnellement associés à la
grossesse : des observations anecdotiques sont retrouvées pour
l’oesophage, les voies biliaires, le pancréas, le grêle, l’appendice.
Dans ce dernier cas, il s’agit de tumeurs carcinoïdes, pour lesquelles
le pronostic foetal est mauvais, avec nombreux avortements
spontanés et décès foetaux.
Dix-huit associations de tumeur
carcinoïde et de grossesse ont été rapportées.
Le cancer primitif
du foie a été observé.
Des auteurs en ont rapporté chacun plusieurs
cas, avec un pronostic maternel et foetal catastrophique ; l’influence
des estrogènes ne peut être affirmée, malgré l’observation de
tumeurs du foie sous estroprogestatifs.
Le traitement chirurgical domine le protocole, avec des indications
thérapeutiques différentes selon que la tumeur est abdominale ou
pelvienne.
Pour les tumeurs abdominales, dans la première partie
de la grossesse, la laparotomie doit être réalisée.
L’exérèse est
d’autant moins gênée par l’utérus que le cancer est situé loin du
pelvis et que la grossesse est moins évoluée.
En fin de grossesse, il
est licite d’attendre la maturité foetale pour déclencher
l’accouchement par voie basse.
La césarienne est réservée aux cas
de tumeur prævia et aux indications obstétricales.
Si l’état général le
permet, l’exérèse est possible dans le même temps.
Les
complications aiguës justifient une intervention d’urgence quel que
soit l’âge de la grossesse.
Il s’agit le plus souvent d’une simple
dérivation d’amont.
Pour les tumeurs pelviennes, c’est-à-dire pour les cancers du rectum,
les difficultés sont beaucoup plus grandes.
La chirurgie d’exérèse
est réalisable au premier trimestre.
Au-delà, l’évacuation utérine
préalable (ou même, chez la multipare, l’hystérectomie) est
indispensable.
Le pronostic foetal est donc mauvais.
Au dernier trimestre, il est nécessaire d’attendre la viabilité foetale et
préférable de déclencher l’accouchement par voie basse, sauf
indication obstétricale ou tumeur rectale évoluée, pour entreprendre
la chirurgie dès l’involution utérine.
La grossesse ultérieure n’est pas contre-indiquée.
L’accouchement
par voie basse a même été observé après amputation abdominopérinéale du rectum, qui est cependant une indication
possible de césarienne.
E - TUMEURS CÉRÉBRALES ET GROSSESSE
:
Classiquement, la grossesse exerce une influence défavorable sur les
tumeurs cérébrales, en raison de l’oedème péritumoral et de
l’hypervascularisation.
Cette aggravation est cependant inconstante
et l’interruption de la grossesse n’a pas d’influence évidente sur le
pronostic déjà très défavorable : la mortalité au cours même de la
grossesse est de l’ordre de 61 % avec une gravité particulière des
localisations infratentorielles.
Le pronostic foetal est également
mauvais, avec une mortalité de 32 % dont près de la moitié est due
à l’évolution tumorale.
Le diagnostic est possible pendant la grossesse, les examens paracliniques essentiels pouvant être mis en oeuvre.
Les
vomissements peuvent être attribués à tort à la grossesse, mais il est
de règle de pratiquer un fond d’oeil en cas de vomissements
gravidiques rebelles.
À l’opposé, on connaît des hypertensions
intracrâniennes gravidiques réversibles.
Les crises convulsives et le
coma peuvent être attribués à tort à l’éclampsie, mais des signes de
localisations sont généralement présents dans ces cas.
L’intervention neurochirurgicale est possible en cours de grossesse.
Elle est réalisée d’urgence si une hypertension intracrânienne rebelle
ou des troubles oculaires apparaissent.
L’interruption de la grossesse
est justifiée dans les tumeurs inopérables découvertes avant 6 mois.
Des tumeurs médullaires ont été signalées à titre exceptionnel
pendant la grossesse.
F - TUMEURS SOLIDES DIVERSES ET GROSSESSE
:
Parmi les autres tumeurs, seul le cancer du rein a été cité assez
souvent pour permettre une étude d’ensemble.
Il s’agit le plus
souvent d’adénocarcinomes, mais des cancers tubuloacineux ou
papillaires, ainsi que des tumeurs de Wilms ont été décrits.
L’urographie intraveineuse et l’échographie permettent d’orienter le
diagnostic.
Le pronostic maternel et foetal ne semble pas modifié.
La
néphrectomie est possible jusque 28 à 30 semaines ; après cette date,
la viabilité foetale est attendue. Une grossesse ultérieure est
autorisée.
Les autres tumeurs des voies urinaires ont été
exceptionnellement observées.
Le cancer de la thyroïde a un pronostic favorable lorsqu’il est
découvert pendant la grossesse, et son traitement peut être soit
conclu chirurgicalement, soit reporté après l’accouchement. Le
pronostic foetal n’est menacé que par l’iode radioactif, dont
l’administration est contre-indiquée.
Une grossesse après le
traitement d’un cancer de la thyroïde n’aggrave pas le pronostic.
Les tumeurs surrénaliennes malignes sont rarement observées :
syndrome de Cushing ou virilisations isolées ou associées,
phéochromocytomes sont le plus souvent bénins au sens
histologique du terme.
Il faut cependant rappeler l’importante
mortalité des phéochromocytomes méconnus et la nécessité d’une
exérèse chirurgicale après préparation pharmacologique.
En ce qui
concerne le syndrome de Cushing, le pronostic foetal est compromis :
mortinatalité, insuffisance surrénale aiguë postnatale.
Les tumeurs des voies aérodigestives supérieures ont été rapportées
de manière anecdotique.
Les cas de cancers bronchopulmonaires ou
du thymus restent exceptionnels.
Hémopathies malignes :
A - LYMPHOMES MALINS :
L’idée encore répandue de l’aggravation d’un lymphome pendant la
grossesse est reconnue comme inexacte depuis les années 1960 pour
ce qui concerne la maladie de Hodgkin.
Les études récentes
confirment ce fait.
En corollaire, l’avortement thérapeutique
n’améliore pas le pronostic.
1- Maladie de Hodgkin :
La grossesse ne gêne pas le diagnostic d’une maladie de Hodgkin,
de sa récidive, puisque la preuve en est histologique.
Toutefois, le
bilan d’extension doit être adapté à l’âge de la grossesse comme au
choix thérapeutique.
Les radiographies thoraciques sont possibles,
moyennant quelques précautions.
Si nécessaire, une lymphographie
par voie pédieuse bilatérale avec un seul cliché à la 24e heure
pourrait être effectuée, mais l’échographie et la résonance
magnétique ne comportent pas de risque pour le produit de
conception.
Il n’en est pas de même des tomodensitométries
thoraciques et abdominopelviennes qui doivent être évitées.
Chez une femme enceinte, les choix thérapeutiques sont donc
orientés par le pronostic, dont les facteurs ne sont pas modifiés par
la grossesse (masse tumorale, stade, signes systémiques, type
histologique) et par l’âge de la grossesse.
À noter cependant que les
marqueurs biologiques de l’inflammation ne sont pas interprétables
en cours de grossesse.
La grossesse exclut la radiothérapie et la chimiothérapie au premier
trimestre : on ne peut donc envisager que l’interruption de grossesse
ou le report du traitement au deuxième trimestre.
Quelques femmes
ont cependant été traitées au premier trimestre de la grossesse par
vinblastine seule, sans conséquence apparente pour le foetus.
Au deuxième trimestre, la polychimiothérapie des stades étendus
est possible, et les temps radiothérapiques sont reportés après
l’accouchement.
Pour les stades localisés extra-abdominaux, une
radiothérapie avec protection abdominale a pu être proposée.
Au début du troisième trimestre, à distance de la maturité foetale, la polychimiothérapie peut être prescrite, mais de nombreux cas de
report du traitement après l’accouchement ont été observés, sans
aggravation de la maladie : les maladies stables et localisées
peuvent donc faire l’objet d’un traitement différé.
À proximité du terme, il est préférable de provoquer un
accouchement prématuré pour engager ensuite, après complément
éventuel du bilan, un plan thérapeutique adapté aux facteurs de
pronostic.
2- Lymphome non hodgkinien :
L’association d’un lymphome malin non hodgkinien à la grossesse
est gérée de manière similaire.
On note cependant l’évolution
souvent rapide, avec envahissement mammaire et ovarien, des
lymphomes de Burkitt.
Au contraire de la maladie de Hodgkin, les
lymphomes malins non hodgkiniens sont caractérisés par un
mauvais pronostic foetal lié à l’évolution possible de la maladie.
Le traitement des lymphomes non hodgkiniens de haut grade repose
sur la chimiothérapie, qui peut être prescrite dès le deuxième
trimestre de la grossesse, avec des résultats thérapeutiques
encourageants.
L’interruption de grossesse est nécessaire au
premier trimestre pour la mise en place rapide du traitement.
Les lymphomes de bas grade peuvent faire l’objet d’attitudes moins
agressives d’abstention transitoire, sous réserve de l’absence de
progression.
B - LEUCÉMIES :
La rareté de l’association est expliquée par l’incidence maximale des
leucémies aiguës lymphoblastiques pendant l’enfance, et
myéloblastiques après l’âge de la reproduction. Pour les mêmes
raisons, la leucémie myéloïde chronique représente 90 % des formes
chroniques associées à la grossesse.
Tous les variants de leucémies
ont cependant été décrits à titre de cas isolés au cours de la
grossesse.
L’histoire naturelle (connue à partir de données anciennes) et le
pronostic (depuis l’ère des polychimiothérapies) de la leucémie ne
sont pas modifiés par la grossesse.
Le pronostic maternel serait
aggravé si l’accouchement ou l’avortement surviennent en phase
aiguë, ce qui implique un traitement pergravidique afin d’atteindre,
dans la mesure du possible, ces périodes à risque en rémission
complète.
Le foetus est menacé par la mort maternelle, par l’effet de
la maladie générale et de la chimiothérapie et par l’avortement
thérapeutique.
En effet, la découverte d’une leucémie aiguë en cours
de grossesse au premier trimestre impose une polychimiothérapie
en urgence, suivie d’interruption de la grossesse au premier
trimestre, de poursuite de la grossesse aux 2 derniers trimestres.
La leucémie myéloïde chronique n’est pas une indication
d’interruption systématique de la grossesse.
Le pronostic est
comparable à celui observé en dehors de la grossesse et des
observations d’exposition foetale au busulfan sans conséquences
fâcheuses ont été rapportées.
La brièveté de l’espérance de vie après
accouchement conduit cependant à accepter de larges indications
d’interruption.
c - AUTRES HÉMOPATHIES :
Le myélome multiple, la polyglobulie, les syndromes
myélodysplasiques ont été décrits occasionnellement.
Placenta de la mère cancéreuse :
Le nombre des observations publiées de métastases au placenta
d’une tumeur maligne maternelle est très faible en regard de
l’association cancer et grossesse, puisque moins de 50 cas en ont été
décrits.
Or, l’expérimentation animale a montré l’existence et la
fréquence des passages cellulaires de la mère vers le foetus.
S’il existe d’indiscutables défenses de l’unité foetoplacentaire, il est
certain que de nombreuses métastases placentaires passent
inaperçues en l’absence d’examen systématique du placenta.
Celui-ci
est particulièrement justifié en cas de cancer disséminé ou
d’hémopathie maligne.
L’analyse du placenta devrait comporter,
chez toute mère cancéreuse :
– un examen macroscopique global, avec une étude soigneuse des
tranches de section à la recherche de nodules métastatiques
suspects : le nombre, la taille et l’aspect de ces nodules doivent être
notés ;
– un examen microscopique des nodules suspects qui, seul, pourrait
en affirmer la nature métastatique et une identification des cellules
contenues dans la chambre intervilleuse.
Il est essentiel de vérifier l’envahissement histologique des villosités
choriales.
En effet, si la présence de cellules malignes dans la
chambre intervilleuse, remplie de sang maternel, se conçoit dans les
cancers en phase de dissémination ou dans les hémopathies
malignes, le franchissement de la barrière villositaire est beaucoup
plus rare et représente un risque théorique d’atteinte foetale.
Seul,
cet envahissement de la villosité répond à la définition de la
métastase placentaire vraie.
À l’opposé, la présence dans la chambre intervilleuse de cellules
néoplasiques, même groupées en amas, ne répond pas à cette
définition et correspond à un embole néoplasique intervilleux.
Les métastases placentaires vraies démontrées par un examen
histologique sont exceptionnelles : une vingtaine d’observations
dont la majorité concernent des mélanomes malins.
Elles
surviennent toujours dans le contexte d’un cancer maternel
disséminé.
Les emboles néoplasiques intervilleux où la présence de
cellules cancéreuses (tumeurs solides, lymphome malin, leucémie)
est moins rare, auxquels s’ajoutent les observations plus récentes
d’angiosarcome du vagin, de cancer du col utérin, du sein de
cancer indifférencié du poumon, de réticulosarcome d’Ewing, de
médulloblastome.
Cette constatation dénote toujours la
dissémination du cancer maternel, mais le pronostic foetal semble
meilleur que dans les métastases placentaires vraies.
Enfant né de mère cancéreuse :
Le foetus est directement ou indirectement menacé par le cancer
maternel.
D’une manière directe, un cancer pelvien ou l’altération
de l’état maternel sont responsables d’avortements spontanés ou
d’accouchements prématurés.
Dans les détériorations importantes
de l’état maternel, le foetus est menacé par la mort maternelle avant
même le terme de la grossesse.
Ce risque peut être prévenu par
l’extraction du foetus avant la phase terminale du cancer.
Le nombre de morts in utero, de décès intrapartum et de morts
néonatales, la fréquence de l’hypotrophie, la prématurité,
évoquent une souffrance foetale chronique.
Les moyens modernes
de surveillance foetale pendant la grossesse n’ayant pas été utilisés
dans des observations souvent anciennes, il est vraisemblable que la
surveillance clinique, hormonologique, échographique et
électronique du foetus est capable d’améliorer le pronostic.
La prématurité est un des risques essentiels d’un enfant né d’une
mère cancéreuse.
L’accouchement n’est accepté que lorsque la
maturité foetale est certaine ; dans le cas contraire, les drogues utérosédatives récentes permettent de juguler les menaces
d’accouchement prématuré dans la quasi-totalité des cas.
A - RISQUE CARCINOLOGIQUE :
La transmission du cancer par voie transplacentaire est
exceptionnelle.
Elle est prouvée par deux observations de la
littérature et vraisemblable dans quatre autres. Le mélanome malin
est principalement en cause.
Dans trois autres observations de la
littérature, la coexistence d’une leucémie chez la mère et chez
l’enfant évoque la possibilité d’une transmission.
Le risque pour l’enfant à naître de présenter un cancer est augmenté
mais reste le plus souvent négligeable.
Des facteurs génétiques
interviennent à l’évidence dans certaines circonstances particulières.
La transmission selon le mode autosomique dominant de la
prédisposition au rétinoblastome est bien établie. Une transmission
génétique est possible dans les tumeurs de Wilms.
Certaines
affections familiales s’accompagnent d’une probabilité de
dégénérescence qui entre en ligne de compte dans le conseil
génétique.
L’enfant de mère cancéreuse est menacé par les effets carcinogènes
possibles des thérapeutiques administrées à la mère.
Les données
expérimentales concernant les cancers chimio-induits par voie
transplacentaire sont nombreuses.
Cette possibilité doit être
envisagée en clinique humaine en cas de chimiothérapie
anticancéreuse, surtout depuis la démonstration récente du rôle des
estrogènes de synthèse administrés à la mère dans la genèse des
adénocarcinomes du vagin chez la jeune femme.
Il est également
possible que l’irradiation, même faible, du foetus in utero, augmente
la mortalité par cancer et par leucémie.
B - CHIRURGIE ET GROSSESSE
:
Lorsque le traitement chirurgical est indiqué chez une femme
enceinte, l’intervention est le plus souvent possible malgré la
grossesse.
Le risque opératoire apparaît peu modifié chez la femme enceinte,
sous réserve de précautions anesthésiques particulières.
En
revanche, l’acte chirurgical risque de nuire à l’évolution de la
grossesse en provoquant un avortement ou un accouchement
prématuré, surtout en chirurgie abdominale.
Il est difficile de
déterminer ce qui revient dans le risque foetal à l’anesthésie, à l’acte
chirurgical ou à la maladie en cause.
Le pronostic foetal a cependant
été amélioré par les produits utérosédatifs majeurs permettant la
prévention de l’interruption de grossesse.
C - RADIOTHÉRAPIE ET GROSSESSE :
Le traitement par isotopes radioactifs est constamment dangereux.
En particulier, l’iode 131 se concentre dans la thyroïde foetale dès la
14e semaine et induit des hypothyroïdies majeures avec arriération
mentale irréversible.
Son administration est clairement contreindiquée
pendant la grossesse et même l’allaitement.
La radiothérapie peut induire au niveau cellulaire, selon la dose,
des anomalies chromosomiques (dont les conséquences sur la
carcinogenèse et le risque génétique ont déjà été évoquées) ou une
mort cellulaire.
Cette dernière se traduit pour le produit de
conception par un risque létal (avortement, mort in utero), un retard
de croissance intra-utérine, des malformations multiples
(microcéphalie), des troubles de l’histogenèse cérébrale avec retard
mental.
C’est dire que l’irradiation directe du foetus est contreindiquée
quel que soit l’âge de la grossesse, et que, à la période très
sensible de l’organogenèse du premier trimestre, toute irradiation
thérapeutique est interdite : 3,5 Gy à ce stade de la grossesse tuent
l’embryon et la dose minimale acceptable vraisemblablement non
tératogène (1,5 à 5 cGy) risque toujours d’être atteinte.
On ne peut
donc autoriser pendant la grossesse que l’irradiation susdiaphragmatique
par électronthérapie au deuxième trimestre (après
l’organogenèse, avant que l’utérus ne s’approche par sa croissance
des limites du volume irradié), à la condition bien rare que
l’indication en soit à la fois formelle et urgente.
D - CHIMIOTHÉRAPIE ET GROSSESSE :
Les antimitotiques exercent chez le foetus une double action.
La
multiplication cellulaire est altérée, impliquant un effet tératogène
possible, un retard de croissance, des troubles de l’histogenèse
cérébrale, une destruction des cellules germinales responsable de
stérilité.
Les antimitotiques mettent également en danger l’intégrité
du génome cellulaire et en conséquence l’avenir génétique.
Les risques sont très différents selon l’âge de la grossesse.
Au
premier trimestre, tous les antimitotiques sont potentiellement
tératogènes.
La toxicité est majeure pour certains produits, avec
l’exemple historique de l’aminoptérine, mineure pour d’autres dont
la vinblastine et l’azathioprine.
Pour la majorité des antimitotiques
couramment utilisés, la tératogénicité en pathologie humaine est
inconstante, très inférieure à ce que suggère l’expérimentation
animale.
En pratique, toute chimiothérapie reste déconseillée au
premier trimestre.
En cas d’exposition accidentelle, l’indication
d’avortement thérapeutique n’est pas systématique ; elle est laissée
au libre choix de la mère, instruite du risque tératogène majeur des antifoliques, et à moindre degré des alkylants, du danger très limité
des antipuriques, du busulfan et des alcaloïdes végétaux, et de notre
ignorance concernant la tératogénicité de la quasi-totalité des autres
drogues.
Aucune information précise ne peut être extrapolée à partir
de données expérimentales, en raison des très grandes différences
de susceptibilité, de l’effet retardé possible par accumulation sur le
foetus, et de variations individuelles dans les dates de
l’organogenèse.
Au deuxième et au troisième trimestres, les
conséquences de la chimiothérapie sont moins sévères.
Il existe un
risque connu mais non chiffrable d’hypotrophie foetale, modéré
même sous polychimiothérapie.
L’interférence de la maladie en
cause est d’ailleurs possible dans ces cas, et prédominante dans les
quelques cas de mort in utero ou d’accouchement prématuré.
Plus théoriques sont les troubles de l’histogenèse cérébrale, le risque de
stérilité par atteinte de la lignée germinale, la possibilité d’une
dépression médullaire transitoire du nouveau-né.
À ce stade de la
grossesse, une chimiothérapie est donc possible, à condition que
l’urgence réelle et le bénéfice escompté pour la mère la justifient.
L’utilisation de l’interféron alpha au cours de la grossesse pour
contrôler un syndrome myéloprolifératif relève des mêmes
possibilités.
E - HORMONOTHÉRAPIE ET GROSSESSE :
L’hormonothérapie des cancers utilise soit les corticoïdes, soit les
hormones sexuelles.
Ces dernières n’ont aucune indication pendant
la grossesse, l’emploi des estrogènes comme des progestatifs étant, à
l’évidence illogique, et l’emploi des androgènes ou des antiestrogènes dangereux.
L’emploi des hormones thyroïdiennes à dose physiologique ne pose
par ailleurs aucun problème chez la femme enceinte.
Il semble que les corticoïdes puissent être administrés à doses
thérapeutiques même au premier trimestre, en cas d’indication
formelle.
Si une corticothérapie est décidée, par exemple dans une
leucémie aiguë lymphoblastique ou dans certains lymphomes
malins, le nouveau-né à la naissance comme la mère doivent faire
l’objet d’une surveillance particulière.
Chez la femme enceinte,
l’administration de corticoïdes est susceptible d’accentuer des
manifestations oedémateuses et hypertensives.
Une corticothérapie
au long cours ne doit jamais être interrompue brutalement, en
particulier au moment de l’accouchement qui représente à la fois un
stress et un sevrage en corticoïdes.
Conclusion
:
Nous pouvons donc répondre aux questions posées en introduction.
Le cancer est-il aggravé par la grossesse ?
L’expérience clinique
accumulée dans la littérature malgré le caractère isolé des observations
dans les localisations rares est claire : aucun argument ne se dégage
cependant pour affirmer l’influence biologique de la grossesse.
Des
comparaisons avec un groupe témoin sont parfois fournies pour les plus
fréquents des cancers, où le résultat habituel est l’absence d’aggravation
du cancer par la grossesse, sauf peut-être pour le cancer du sein et le
mélanome malin.
Faut-il interrompre la grossesse ?
La précipitation thérapeutique fondée
sur des arguments expérimentaux qui ne peuvent être transposés à
l’homme ou sur des données cliniques fragmentaires pourrait conduire
à une interruption abusive de la grossesse.
En réalité, on vient de le
voir, l’aggravation du cancer par la grossesse est rare.
Même dans le cas
où existe un effet défavorable, l’interruption de la grossesse n’améliore
pas le pronostic du cancer.
Peut-on traiter le cancer au cours de la grossesse ?
Seule la
radiothérapie est incompatible, sauf exception, avec une grossesse.
Proposer pendant la grossesse les autres moyens classiques du
traitement en cancérologie, chirurgie, chimiothérapie, hormonothérapie,
nécessite une évaluation rigoureuse du risque foetal.
Le danger foetal de
ces thérapeutiques, parfois agressives, mais dont la toxicité a été
surestimée, est comparé au bénéfice escompté pour le cancer maternel,
ou à la simple attente de la maturité foetale.
Une grossesse est-elle autorisée après traitement d’un cancer ?
La
réponse à cette question doit tenir compte du risque de récidive et de
métastases et de la gêne thérapeutique si celles-ci surviennent pendant
la grossesse, mais aussi de l’espérance de vie de la mère et de son désir
de maternité.
En général, les cancers en rémission ne sont pas un
obstacle à la grossesse, et même les cancers impliquant une ovariectomie
deviennent potentiellement accessibles à une fertilité ultérieure.