Cancer bronchique du sujet âgé

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Introduction :

Le cancer broncho-pulmonaire (CBP) est la première cause de mortalité par cancer dans les pays industrialisés.

Le vieillissement de la population fait apparaître une augmentation du taux de CBP chez les sujets âgés et confronte de plus en plus les cliniciens à des choix thérapeutiques chez ces patients. La définition communément admise d’une personne âgée est un âge supérieur à 65 ans.

Cancer bronchique du sujet âgéMais au-delà de l’âge civil, le « sujet âgé » reste mal caractérisé, tant dans sa définition exacte (plus de 65 ans ou à partir de 70 ou 75 ans), que dans le domaine fonctionnel. Peu d’études sont consacrées aux sujets âgés atteints de CBP. Cette population reste exclue des essais cliniques.

Les traitements du CBP sont agressifs, entraînant une morbidité non négligeable. La population âgée est fragile et hétérogène en raison des altérations physiologiques liées à l’âge.

L’âge dit « physiologique » et par extension l’activité « globale » d’un patient âgé est donc difficile à évaluer. À l’heure actuelle en cancérologie, l’évaluation de l’activité et de l’autonomie des patients est estimée par le Performance Status (PS), apprécié par l’échelle de l’Eastern Cooperative Oncology Group (ECOG) le plus souvent ou bien par l’échelle de Karnofsky.

Le PS est un indice pré thérapeutique important dans la prise en charge du patient puisque le plus souvent les patients ayant un PS supérieur à 2 bénéficient de soins palliatifs et sont exclus des traitements standards du CBP. Cependant de nombreuses observations cliniques font penser que le PS peut ne pas refléter à lui seul l’état clinique réel d’un sujet âgé, en particulier dans le cas de PS supérieur ou égal à 2.

Des échelles d’autonomie existent en gériatrie et évaluent le sujet âgé de manière multifactorielle et plus précise.

Ces indices ont été validés dans des pathologies non cancéreuses.

Malgré le développement en 1996 du Comprehensive Geriatric Assessment (CGA) en onco-gériatrie, celui-ci reste peu utilisé en pratique clinique courante. Le CGA apporte pourtant des informations complémentaires à l’évaluation du sujet âgé, y compris dans le cas de CBP.

La validité de ces scores et leurs seuils pathologiques réels en cancérologie pulmonaire chez le sujet âgé ne sont pas, à notre connaissance, connus.

Le but de notre étude est d’évaluer si le PS est corrélé ou non à des indices communément utilisés dans l’évaluation de l’autonomie en gériatrie, chez des patients porteurs d’un cancer broncho-pulmonaire et âgés de plus de 65 ans.

Matériel et méthodes :

Patients :

Il s’agit d’une étude prospective incluant des patients âgés de plus de 65 ans adressés dans le service de pneumologie du Centre Hospitalier de Versailles de septembre 2004 à septembre 2005, chez lesquels un CBP venait d’être mis en évidence.

Les patients étaient inclus consécutivement après avoir donné leur accord pour participer à cette étude. Deux groupes de patients étaient créés en fonction de l’âge : 65-74 ans et supérieur ou égal à 75 ans.

Données générales recueillies :

Elles incluaient les données démographiques, les principaux antécédents du patient, un examen clinique complet, un recueil des paramètres biologiques usuels, le type histologique du cancer broncho-pulmonaire ainsi que le(s) site(s) métastatique(s), le staging TNM.

Le PS était estimé par les échelles de Karnofsky et de l’ECOG pour chaque patient à l’inclusion dans l’étude.

Évaluation gériatrique :

Elle était réalisée avant tout traitement par un médecin (CD ; RA). Elle comprenait :

– une évaluation de la fonction cognitive par le MMS (Mini Mental Status) qui varie de 0 à 30 ; les troubles cognitifs significatifs sont définis pour un MMS inférieur à 24 ;

– une évaluation des activités de la vie quotidienne par les échelles ADL (Activities of Daily Living) cotée de 6 (indépendant et autonome) à 30 et IADL (Instrumental Activities of Daily Living) cotée de 9 (indépendant et autonome) à 36 ;

– une évaluation de la mobilité physique par le test Get up and go coté de 0 (normale) à – 12 ;

– une évaluation nutritionnelle comprenant le PINI (Prognostic).

Inflammatory and Nutritional Index) côté à plus de 20 pour une dénutrition sévère (PINI = (CRP (mg/l) x orosomucoïde (g/l))/(albumine (g/l) x pré albumine (mg/l)), et le MNA (Mini Nutritional Assessment) de dépistage coté jusqu’à 14 avec un risque de malnutrition si le score est inférieur à 11. L’état nutritionnel des patients était également estimé par l’index de masse corporelle (IMC = poids/taille²).

Le score de Charlson était calculé à partir des antécédents du patient et ses co-morbidités.

Les questionnaires ADL, IADL, MMS et le test Get up and go sont présentés en annexe.

Prise en charge des patients :

Conformément aux bonnes pratiques, la stratégie thérapeutique de chaque patient a été établie par le comité pluridisciplinaire d’oncologie thoracique du service sur la base des données habituelles incluant le PS mais sans information sur l’évaluation gériatrique. Le(s) traitement(s) effectivement reçu(s) par le patient étai(en)t recueilli(s) (chimiothérapie, radiothérapie, chirurgie, traitements combinés, soins palliatifs).

La survie était définie par le délai entre la date de l’histologie et la date des dernières nouvelles.

Statistiques :

L’analyse statistique des données a été faite à l’aide du logiciel Statview® (version 5, SAS Institute Inc.). Les résultats des données numériques sont exprimés en moyenne ± SD.

Les résultats pour les données catégorielles sont exprimés en fréquence (%). Le test-t de Student a été utilisé pour comparer les données quantitatives non appariées. La recherche de corrélations entre les différents indices d’activité a été effectuée par le test non paramétrique de Spearman. La limite de significativité était établie pour un p < 0,05.

Résultats :

De septembre 2004 à septembre 2005, quarante et un patients âgés de plus de 65 ans dont 13 femmes (31,7 %), ont été pris en charge dans notre service pour un CBP de novo ; tous ont été inclus dans l’étude. Les patients de 75 ans ou plus représentaient 51,2 % des patients. Neuf patients (21,9 %) étaient non-fumeurs. L’adénocarcinome représentait la majorité des cancers, suivi des carcinomes à grandes cellules.

Dans 44 % des cas, les patients étaient d’emblée métastatiques au moment du diagnostic dont 17 % de métastases cérébrales. Six patients (14,6 %) n’avaient aucune co-morbidité significative. Le score de Charlson était plus important pour les patients de moins de 75 ans (p = 0,007). Une grande majorité des patients (85,3 %) avait un PS inférieur ou égal à 2.

Il n’y avait pas de différence significative pour le PS entre les patients de moins de 75 ans et ceux de 75 ans et plus.

Résultats de l’évaluation gériatrique :

Le temps nécessaire pour l’évaluation gériatrique était d’environ 30 minutes par patient. Aucun patient n’avait perdu plus de 10 % de son poids habituel à l’inclusion. Le MMS moyen était de 24,9 ± 5,2 et un tiers des patients avaient des troubles cognitifs significatifs.

Près de la moitié des patients était estimée dépendante selon l’ADL et 95,2 % étaient dépendants pour l’IADL. Parmi les patients dépendants simultanément pour l’ADL et l’IADL, 6 (30 %) avaient un PS à 1. La moitié des patients avaient une mobilité anormale au test Get up and go avec un score inférieur ou égal à -1. Il n’y avait pas de différence significative pour tous les paramètres étudiés entre les patients de moins de 75 ans et ceux de 75 ans et plus.

Corrélations du PS et des indices gériatriques :

Il existait une excellente corrélation entre le PS-ECOG et le PS-Karnofsky (r = -0,86 ; p < 0,0001). Le PS était très bien corrélé avec les paramètres nutritionnels, avec le MMS et avec les paramètres d’activités de la vie quotidienne (ADL, IADL). En revanche, aucune corrélation n’a été retrouvée entre le PS et le score de co-morbidité de Charlson, ni entre le PS et le test « Get up and go ».

Traitement et suivi des patients :

Trente-quatre patients (82,9 %) ont reçu un traitement anticancéreux spécifique. Sept d’entre eux (20,6 %) ont été d’emblée opérés ; deux sont décédés en post-opératoire, l’un à la suite d’une pneumopathie hypoxémiante et l’autre par insuffisance cardiaque ; parmi les survivants, 3 patients ont reçu une chimiothérapie adjuvante. Trois patients (8,8 %) ont été traités par radiothérapie thoracique exclusive sans complication.

Au total, 29 patients (85,3 %) ont reçu une chimiothérapie contenant pour 50 % d’entre eux un sel de platine associé à une drogue de 3e génération (Vinorelbine, Docétaxel, Gemcitabine). L’autre moitié des patients traités par chimiothérapie a reçu une monothérapie (Vinorelbine orale, Gemcitabine).

Six patients ont reçu une radiothérapie concomitante associée à la chimiothérapie. Il n’y a pas eu de réduction des doses de chimiothérapie à la première cure.

Aucun décès toxique lié à la chimiothérapie n’est survenu.

Dans 17 % des cas, il existait des métastases cérébrales d’emblée pour lesquelles tous les patients ont reçu une irradiation cérébrale à la dose de 30 Gy. La décision de soins palliatifs d’emblée a été prise pour 17 % des patients. Le motif d’abstention thérapeutique a été une altération sévère de l’état général avec un PS supérieur ou égal à 2. Il existait une différence significative pour le PS, le MMS et le Charlson entre ces 2 groupes de patients. En revanche, aucune différence n’est observée pour l’ADL, l’IADL et le PINI.

Au 1er octobre 2005, 17 patients (12 H/5 F) étaient décédés.

Leur survie moyenne était de 121 jours (7 – 447 jours).

Discussion :

Cette étude prospective montre que le Performance Status (PS) est corrélé aux indices simples gériatriques d’activités de la vie courante et instrumentale, nutritionnels et cognitifs chez des patients âgés de plus de 65 ans porteurs d’un cancer broncho-pulmonaire (CBP). Le PS est indépendant du score de co-morbidité de Charlson. Le score de Charlson et le MMS apparaissent comme des facteurs d’évaluation pré thérapeutiques, qui dans les situations de PS supérieur à 2, pourraient concourir à la décision de soins palliatifs chez des patients âgés de plus de 65 ans atteints d’un CBP.

Actuellement, l’« activité » globale d’un patient atteint de CBP est évaluée par le PS défini en 1948 par Karnofsky sur une échelle allant de 0 à 100 % puis modifiée par l’ECOG en 5 classes de 0 à 4 en 1982. Ces deux échelles sont corrélées et le PS-ECOG est actuellement le plus utilisé.

Le PS est un indice extrêmement important en cancérologie thoracique, il participe à la décision thérapeutique .

Il est utilisé comme critère d’exclusion dans les essais et est un facteur pronostique de survie dans le CBP.

D’utilisation courante en pratique clinique, il n’a cependant pas été validé, à notre connaissance, chez le sujet âgé atteint d’un CBP. Le PS est un indice d’activité globale, prenant en compte plusieurs facteurs qui concourent à définir une activité motrice, psychosociale, professionnelle et instrumentale.

Ces différents composants sont soumis à des variations au cours de l’âge, de la maladie et de l’état neuropsychologique d’un sujet.

Si les échelles ECOG et Karnofsky sont bien définies dans la littérature, il est observé une certaine subjectivité inter-observateur dans l’évaluation du patient. Des différences d’interprétations du PS sont observées en fonction de l’opérateur (médecin, infirmière, patient) entraînant une absence de reproductibilité. À notre sens, les items mêmes du PS basés sur le concept « d’activité » sont trop globaux pour caractériser une personne âgée dont la définition « d’activité » est floue.

Faut-il l’apprécier par rapport au sujet jeune qui a une activité professionnelle, sportive, sociale ou faut-il l’adapter à un sujet âgé à la retraite mais conservant une vie sociale, intellectuelle ?

Le développement d’indices gériatriques fonctionnels comme l’ADL en 1959, validé ensuite par Katz et coll. a permis de mieux caractériser le sujet âgé. Ces indices permettent un suivi longitudinal et temporel du patient au cours de sa maladie et sont des facteurs pronostiques de survie.

Mais ils ne sont pas validés en cancérologie pulmonaire même s’ils sont parfois utilisés en pratique clinique. Soixante et un pour cent de nos patients ont un PS inférieur à 2 (on peut les qualifier d’autonomes) ; près de la moitié est considérée indépendant pour l’ADL selon la définition (ADL = 6) mais seulement 4,8 % d’entre eux sont indépendants pour l’IADL (IADL = 9). Cette discordance est rapportée dans deux études.

L’IADL est un reflet de l’activité instrumentale dont les items, nombreux, sont déclaratifs. L’ADL est un indice des fonctions simples de la vie courante constatées le plus souvent de visu par le médecin qui recueille les informations. Le score d’IADL a tendance à surestimer la dépendance du patient ; il est également influencé par les troubles cognitifs. Une dépendance pour l’ADL est rapportée par Fukuse et coll. comme un facteur pronostique de complications post-opératoires après chirurgie thoracique chez des patients âgés porteurs d’un CBP. Dans cette même étude, un MMS inférieur à 24 est également un facteur pronostique de complication post-opératoire, alors que le PS ne l’est pas évaluées par le score de Charlson (SC) sont en revanche des données indépendantes du PS. Nous avons également observé ce résultat dans notre étude.

Enfin, si un PS supérieur à 2 (ou un PS Karnovsky inférieur à 70 %) est un facteur pré thérapeutique défavorable en terme de morbi-mortalité reconnu, ceci ne s’applique pas aux indices gériatriques. En effet, leur utilisation reste limitée par l’absence de seuil à partir duquel on considère que le patient entre dans une catégorie à risque élevée de morbi-mortalité liée aux traitements du CBP. Dans notre série, nous observons que les seuils pour chaque indice gériatrique pour les PS supérieurs à 2 sont respectivement : supérieur à 25 pour le PINI, supérieur à 10 pour l’ADL, supérieur à 20 pour l’IADL et inférieur à 20 pour le MMS. Ces données méritent bien sûr d’être réévaluées et confirmées par une étude prospective multicentrique sur une large série de patients âgés atteints de CBP.

Notre étude présente quelques limites. Il s’agit d’une étude monocentrique et d’une petite série de patients, mais néanmoins inclus de manière prospective et consécutive. Nos patients ont un bon PS dans la plupart des cas, mais ils rejoignent en cela l’étude de Piquet et coll. menée en France où 75,6 % des patients de plus de 70 ans ont au moment du diagnostic un PS inférieur ou égal à 2. Il s’agit d’un biais de recrutement courant puisque les patients trop altérés ne sont pas adressés dans nos services en raison d’un état général jugé trop précaire par le médecin traitant ou l’entourage.

Conclusion :

En conclusion, le PS est un bon indice d’activité du sujet âgé et est corrélé aux indices gériatriques simples. Nous pensons que les calculs des indices gériatriques prennent toute leur importance dans le cas de PS supérieur ou égal à 2 pour affiner les décisions thérapeutiques. La détermination de seuils des indices gériatriques pourra être utile dans l’élaboration de futures études multicentriques.

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