Le rôle principal des paupières est de protéger le globe oculaire des
agressions du milieu extérieur par clignement ou par occlusion
complète.
Elles participent par ailleurs à la mimique du visage et à
l’aspect esthétique du regard.
Des brûlures, qu’elles soient thermiques, chimiques ou électriques,
peuvent compromettre ce double équilibre fonctionnel et esthétique
assuré par les paupières.
Il est important de connaître les premiers gestes à réaliser en urgence
afin de diminuer au maximum les séquelles.
À distance de
l’accident, seule la chirurgie reconstructrice, avec principalement des
greffes de peau, permet d’obtenir une protection oculaire
satisfaisante.
À ce stade, le résultat esthétique est souvent médiocre.
Considérations physiopathologiques
:
Les paupières sont des structures musculoaponévrotiques
recouvertes d’un revêtement cutané en avant et tarsoconjonctival en
arrière.
La peau des paupières est la plus fine du corps et constitue
la première barrière contre les brûlures.
On parle de différents
degrés des brûlures selon la profondeur des tissus lésés :
– premier degré : atteinte de l’épiderme, simple érythème sur le
plan clinique avec évolution favorable ;
– deuxième degré : atteinte du derme, potentiel de rétraction,
nécessité de traitement chirurgical en cas de malocclusion
importante ;
– troisième degré : atteinte du muscle orbiculaire pouvant aller
jusqu’à la carbonisation, source de rétraction et de séquelles
fonctionnelles et esthétiques majeures.
La profondeur des lésions dépend de la cause de la brûlure et de la
durée de contact entre la paupière et l’agent causal.
Les brûlures thermiques sont de loin les plus fréquentes.
Il s’agit
le plus souvent d’accidents domestiques ou professionnels.
Les brûlures chimiques sont plus rares.
Classiquement, les brûlures
par les bases sont plus graves que celles provoquées par les acides
du fait de leur agressivité chimique et de leur caractère évolutif
après le moment de l’accident.
Les brûlures électriques sont plus anecdotiques mais ne doivent pas
être négligées.
Elles ne peuvent agir qu’en profondeur.
La cataracte
est la principale lésion à rechercher, même à distance de
l’accident.
D’autres complications comme des atteintes du nerf
optique et des rétinopathies ont été décrites.
Les paupières ne sont pas parfaitement identiques dans leurs
caractéristiques statiques et dynamiques.
En effet, la paupière
supérieure a un rôle prépondérant dans l’occlusion palpébrale.
Son
dysfonctionnement par rétraction cutanée ou par atteinte de
l’orbiculaire dans les brûlures plus profondes nécessite une prise en charge chirurgicale prioritaire afin de protéger au plus vite la surface
oculaire.
Cela prend encore plus d’importance chez des patients
gravement brûlés, curarisés et n’ayant plus de Charles Bell.
Sur le plan statique, la pesanteur est défavorable à la paupière
inférieure.
En cas de rétraction des paupières, une greffe de peau
fine dermoépidermique peut être réalisée à plus ou moins longue
échéance en paupière supérieure.
La plupart des auteurs s’accordent
à dire qu’en paupière inférieure, une greffe de peau totale s’impose.
Outre les paupières, la brûlure peut toucher le globe oculaire, la
conjonctive, les culs-de-sac et les voies lacrymales.
Le clignement
réflexe permet de protéger ces différentes structures.
La face, dans son ensemble, peut être touchée par la brûlure avec,
dans ce cas, des conséquences encore plus graves sur le plan
esthétique et fonctionnel.
Enfin, une brûlure étendue à une large
surface corporelle peut mettre en jeu le pronostic vital.
Conduite à tenir en urgence
:
Deux situations se présentent : le patient vu sur les lieux de
l’accident ou le patient vu dans un milieu médicalisé (urgences,
service des brûlés...).
A - SUR LES LIEUX DE L’ACCIDENT :
Comme toujours, dans un contexte d’accident, il est important de
calmer et de rassurer le blessé afin de pouvoir l’examiner et de
débuter le traitement dans les meilleures conditions.
L’examen ne peut être que sommaire.
Il insiste sur le recueil précis
des circonstances de l’accident, l’appréciation de l’étendue et de la
profondeur des brûlures.
Cela conditionne l’urgence thérapeutique
et le choix du lieu de transfert du blessé.
L’examen ophtalmologique initial, certes incomplet, est fondamental
dans les premières heures.
En effet, l’oedème des paupières peut
survenir très rapidement, secondaire à l’inflammation et surtout au
remplissage vasculaire nécessaire dans les brûlures étendues.
La position semi-assise permet de diminuer l’oedème dans les
brûlures de la face.
Cet examen initial permet de déceler des lésions du globe oculaire
et de vérifier l’état des culs-de-sac.
En cas de brûlure chimique, il faut rincer abondamment, si possible
au sérum physiologique.
Il faut laver les paupières, les yeux et les
culs-de-sac et retirer d’éventuels corps étrangers.
En cas de brûlure thermique, un lavage avec de l’eau froide ou du
sérum froid est préféré.
Dans tous les cas de brûlure palpébrale, un examen
ophtalmologique est souhaitable.
En cas de brûlure superficielle avec simple érythème palpébral, le
bilan peut être réalisé dans un cabinet d’ophtalmologie.
Le traitement est souvent limité à une application de pommade à la
vitamine A et une instillation de collyre antiseptique ou antibiotique.
En cas de brûlure profonde et/ou étendue au reste du visage ou du
corps, une prise en charge en milieu hospitalier, si possible spécialisé
dans les brûlures, est obligatoire.
B - EN MILIEU MÉDICALISÉ :
L’examen ophtalmologique doit être le plus complet possible dans
les plus brefs délais avant l’apparition d’éventuels oedèmes
palpébraux.
Il apprécie l’étendue et la profondeur des brûlures
cutanées.
Le résultat est reporté sur un schéma dans le dossier du
patient.
L’acuité visuelle est chiffrée dans la mesure du possible.
L’examen à
la lampe à fente est fondamental.
Il permet l’appréciation de l’état
cornéen, élément pronostique majeur à ce stade. Un test à la
fluorescéine complète cet examen et est répété à intervalles réguliers.
La profondeur des fornix et l’état de la conjonctive sont à évaluer
(surtout dans les brûlures chimiques).
L’atteinte des méats
lacrymaux et des canalicules peut justifier la mise en place de
bouchons méatiques ou des sondes mono- ou bicanaliculonasales
afin de prévenir une sténose secondaire.
L’état des cils et des sourcils peut renseigner sur l’importance de la
brûlure.
Après l’évaluation clinique, un lavage abondant et prolongé est
renouvelé, surtout en cas de brûlure chimique.
L’examen pluriquotidien des premiers jours apprécie
particulièrement l’état cornéen et guide l’attitude thérapeutique.
Localement, la lubrification est assurée par la pommade vitamine A
dans les yeux et sur les paupières.
L’adjonction d’un collyre
antibiotique permet de lutter contre une surinfection.
Si la brûlure touche le reste du visage, des feuilles de tulles gras ou
d’antibiotulles sont placées sur la surface atteinte.
Si le patient est en réanimation, l’examen doit être répété au lit avec
de la fluorescéine et une lumière bleue.
La lampe à fente portable
est d’une grande utilité dans ce cas.
Évolution
:
Les brûlures superficielles sont en général bénignes et cicatrisent
sans séquelle en quelques jours.
A - BRÛLURES DU DEUXIÈME DEGRÉ
:
Elles ont une évolution plus péjorative, proportionnelle à la
profondeur de la brûlure.
L’élément qui va guider le traitement
chirurgical est principalement l’état cornéen.
Si la protection oculaire est assurée, les soins locaux sont continués avec un suivi clinique
régulier.
Cette protection cornéenne est souvent favorisée par
l’oedème palpébral dû à l’inflammation et au remplissage vasculaire
dans les brûlures étendues.
En cas de lagophtalmie par rétraction précoce, un traitement
chirurgical s’impose.
Différents procédés ont été proposés allant
d’une simple tarsorraphie transitoire jusqu’à la greffe de peau
totale.
La tarsorraphie transitoire sans avivement des bords
libres permet une occlusion provisoire en même temps qu’un bon
suivi cornéen.
Si une rétraction palpébrale est prévisible du fait de
la profondeur de la brûlure, ce geste ne peut en général pas la
prévenir.
Les greffes dermoépidermiques ont l’avantage d’assurer une
meilleure mobilité palpébrale, fait essentiel pour les paupières
supérieures, mais luttent moins bien contre le potentiel de rétraction.
B - BRÛLURES DU TROISIÈME DEGRÉ
:
Elles s’accompagnent parfois de carbonisation, et une greffe de peau
totale peut être indiquée rapidement afin de protéger le globe
oculaire.
Des procédés de sauvetage avec recouvrement
conjonctival et greffe de peau ont été décrits.
Le résultat esthétique à
long terme est souvent médiocre.
C - CAS PARTICULIERS :
L’atteinte des méats lacrymaux et des canalicules peut justifier la
mise en place de bouchons méatiques ou des sondes mono- ou
bicanaliculonasales afin de prévenir une sténose secondaire.
Correction chirurgicale des séquelles
:
En 1875, un chirurgien ophtalmologiste, John Reisberg Wolfe (1824-
1904), a décrit pour la première fois l’utilisation d’une greffe de peau
totale pour la correction d’un ectropion de paupière inférieure
secondaire à une brûlure.
Malgré des premiers soins bien conduits, y compris des greffes dermoépidermiques précoces, certaines brûlures profondes finissent
par provoquer une lagophtalmie par ectropion cicatriciel.
Il est
important de distinguer les causes « extrinsèques » avant
d’entreprendre une chirurgie reconstructrice palpébrale.
En effet, des
brûlures de la face et du cou peuvent transmettre des forces de
traction aux paupières.
Le traitement consiste en la correction
première des cicatrices cervicofaciales.
En l’absence de souffrance cornéenne, il semble important d’attendre
la « maturation » de la cicatrice.
L’assouplissement possible des
cicatrices, aidé par les massages, justifie un délai de 6 mois avant la
reconstruction.
A - GREFFE DE PEAU :
Le meilleur moyen de traiter le déficit cutané est la greffe de peau.
Les lambeaux sont réservés aux formes les plus graves avec déficit
vasculaire sous-jacent.
Ils sont plus épais que les greffes et
donnent un résultat fonctionnel et esthétique de moindre qualité.
Le principe de reconstruction est de libérer complètement les zones
de cicatrice, puis de mettre en place une greffe de peau assez large
afin de combler la perte de substance, souvent supérieure à la perte
estimée, et d’obtenir une surcorrection volontaire.
Il est habituel de
commencer par la paupière supérieure et de ne jamais faire les
paupières supérieures et inférieures dans le même temps
opératoire, car la surcorrection serait impossible.
Pour la même
raison, le maintien d’un fil de traction en postopératoire doit être
préféré à une tarsorraphie.
La mise en place du bourdonnet de tulle
gras en fin d’intervention a pour but de bien fixer la greffe sur son
site receveur afin d’améliorer la prise et d’éviter toute collection de
sang ou de sérosité qui pourrait compromettre la vitalité du greffon.
Il est retiré entre le 2e et le 5e jour postopératoire.
Si le bourdonnet
est de bonne qualité et la greffe assez large, le fil de traction devient
inutile.
Une autre notion fondamentale est le respect de l’unité esthétique
palpébrale.
L’incision va d’un canthus à l’autre en débordant
légèrement.
En hauteur, la greffe couvre du sourcil jusqu’à 2 mm du
bord libre en paupière supérieure, et de 2 mm du bord libre au sillon palpébrojugal en paupière inférieure.
1- Type de greffe
:
La discussion concerne surtout le type de greffe : greffe dermoépidermique ou greffe de peau totale.
La greffe de peau totale
est plus résistante à la rétraction.
Étant plus épaisse, elle est
parfaitement indiquée dans les reconstructions de paupière
inférieure.
Les greffes dermoépidermiques, sont plus fines et
s’adaptent mieux aux mouvements palpébraux.
Elles s’adressent
donc davantage aux paupières supérieures.
Dans tous les cas, si la
brûlure est profonde avec un fort potentiel de rétraction, la
greffe de peau totale est préférée.
2- Sites de prélèvement
:
Pour les greffes dermoépidermiques, la face antérieure de la cuisse est un site de choix.
En ce qui concerne les greffes de peau totale, la région rétro-auriculaire est de loin la plus utilisée.
En cas d’impossibilité,
les régions sus-claviculaire ou antébrachiale peuvent être utilisées.
Dans les rares cas où la paupière supérieure controlatérale n’est
pas touchée par la brûlure, elle représente le site idéal de
prélèvement.
Les résultats fonctionnels et esthétiques ne peuvent être
correctement jugés qu’à partir du 6e mois postopératoire.
B - GESTES ASSOCIÉS :
Des cicatrices rétractiles peuvent entraîner des déformations au
niveau du canthus latéral ou médial.
Leur traitement fait appel à
des plasties en Z simples ou multiples, et parfois à des plasties en
V-Y.
La sténose des voies lacrymales, non prévenue en phase initiale,
peut être responsable de larmoiement gênant, de traitement très
difficile en cas de sténose canaliculaire majeure.
En effet, le seul
traitement dans ce cas est une lacorhinostomie.
Dans les brûlures chimiques, l’atteinte cornéoconjonctivale est plus
fréquente.
Elle peut entraîner une opacité cornéenne par déficit en
cellules souches limbiques, mais également des symblépharons et
un comblement des fornix.
Le lavage abondant, dès les premières
minutes, le suivi quotidien avec révision des culs-de-sac et la mise
en place d’un conformateur annulaire dans certains cas permettent
de limiter les lésions.
À un stade séquellaire, ou à un stade aigu pour certains auteurs,
des greffes de cellules souches limbiques prélevées sur l’oeil
adelphe ou dans la fratrie (human leucocyte antigen [HLA]
compatible), et plus récemment des greffes de membrane
amniotique ont été proposées avec des résultats encourageants.
Les fornix peuvent être reconstruits par des greffes de
muqueuse labiale ou encore de membrane amniotique.
Il est
important de fixer le fornix au périoste par un ou plusieurs point(s)
transcutané(s).
En cas de brûlure profonde, il peut exister une disparition totale des
cils et des sourcils.
Les sourcils peuvent être reconstruits par des greffes de cuir
chevelu.
Le résultat avec ces greffes libres semble supérieur aux
lambeaux pédiculés.
L’aspect esthétique peut être amélioré, chez la
femme, par le maquillage et les tatouages.
L’absence de cils est surtout visible sur le plan esthétique en
paupière supérieure.
La correction fait appel aux greffes de
follicules pileux prélevés, dans la mesure du possible, au niveau
des sourcils.
Le maquillage semble supérieur à toutes les greffes.
Conclusion
:
Les brûlures palpébrales sont, dans la grande majorité des cas, des
accidents.
La prévention impose des précautions au niveau des
sources de chaleur et des sources électriques à domicile et au niveau
des manipulations de produits chimiques ou des objets pouvant en
contenir en milieu professionnel.
Les bons gestes réalisés dans les
premières heures et les premiers jours, ainsi qu’une surveillance
clinique
rapprochée, permettent de limiter les lésions.
La chirurgie des
séquelles, basée principalement sur des greffes cutanées, est une
chirurgie fonctionnelle et non cosmétique.