Chirurgie des brûlures graves aigu Cours de Chirurgie
Introduction
:
La peau, barrière protectrice de l’organisme, est très exposée aux
agressions et donc aux brûlures.
La gravité des lésions varie avec
l’agent causal et le temps d’exposition, la localisation et la qualité
des tissus touchés, ainsi que la rapidité et l’efficacité des soins de
refroidissement immédiat.
Environ 150 000 personnes seraient victimes de brûlures chaque
année en France, mais présentent heureusement le plus souvent des
lésions bénignes ; 7 000 à 10 000 d’entre elles doivent cependant être
hospitalisées pour des brûlures plus préoccupantes et 2 000 à 3 000
sont admises dans l’un des 23 Centres de traitement des brûlés
français.
Il est classique de considérer qu’une brûlure est grave si
elle menace le pronostic vital.
Il ne faut pas pour autant méconnaître
qu’elle peut également compromettre la fonction d’un organe (oeil,
main…) ou la vitalité d’un membre par effet de garrot en aval d’une
brûlure circulaire.
Dans les premières heures après l’accident, le rôle immédiat du
chirurgien est de réaliser rapidement les gestes salvateurs que sont
les incisions de décharge, la trachéotomie et la tarsorraphie de
protection oculaire.
Ultérieurement, la prise en charge des brûlures
graves ne devrait se concevoir que par une équipe pluridisciplinaire
au sein d’une structure hospitalière spécialisée, où la mise en oeuvre
conjointe de la réanimation médicale et de la chirurgie d’excisiongreffe
permet la survie du brûlé et la cicatrisation des lésions.
Physiopathologie
:
Il est indispensable de connaître les phénomènes lésionnels pour
décider d’une stratégie thérapeutique adaptée à chaque brûlure.
A - HISTOLOGIE ET PHYSIOLOGIE
:
La peau est formée de deux tissus différents et complémentaires :
l’épiderme imperméable en surface et le derme résistant et élastique
en profondeur.
1- Épiderme
:
L’épiderme est un épithélium pavimenteux pluristratifié, kératinisé
et pigmenté, qui protège contre les traumatismes par la couche de
kératine et contre la lumière par les pigments de la mélanine.
Sa
finesse le rend très vulnérable à la brûlure.
Seules les régions palmoplantaires sont protégées par l’épaisse couche cornée.
Il est fortement marqué sur le plan immunologique par les cellules
de Langerhans, ce qui explique le rejet des greffes cutanées
allogéniques.
Celles-ci ne pourront donc être utilisées que comme
substitut temporaire ou comme pansement biologique.
Sa pigmentation n’est pas homogène : intense dans les régions
soumises à un fort ensoleillement et les grands sillons anatomiques,
discrète au niveau palmoplantaire.
Il est préférable de choisir les
zones donneuses de greffes voisines du site receveur pour limiter
les dyschromies secondaires.
2- Derme
:
C’est un tissu conjonctif caractérisé par un entrelacement dense de
fibres collagènes, élastiques et réticulaires : la matrice extracellulaire.
Les fibroblastes y sont peu nombreux et synthétisent la matrice et
les protéines de structure.
Le derme superficiel (ou papillaire) est une zone d’échanges et de
cohésion avec l’épiderme par la membrane basale qui dessine une
ligne ondulée entre les crêtes épidermiques et les papilles
dermiques.
Le derme profond (ou réticulaire) représente presque
toute l’épaisseur du derme.
Il est formé d’un important lacis de
fibres collagènes, grossièrement parallèles à la surface de la peau, et
de fibres élastiques ondulées comblant les interstices du collagène.
Le derme contient des annexes épithéliales, les follicules pilosébacés
et les glandes sudoripares, présentes en grand nombre au niveau du
cuir chevelu, des aisselles, de l’aine et du périnée.
Elles jouent un
rôle fondamental dans la réparation cutanée, comme point de départ
de la cicatrisation épithéliale, à condition que la lésion respecte le
derme profond où elles sont enchâssées.
Le derme est aussi le lieu de la vascularisation cutanée, par les
plexus intra- et sous-dermiques, alors que l’épiderme est avasculaire.
La vascularisation capillaire de la peau est intéressante à plusieurs
titres chez le brûlé :
– la persistance d’un pouls cutané et d’un saignement capillaire à la
scarification traduit une atteinte limitée du derme ;
– l’importance du piqueté hémorragique après un prélèvement
cutané permet de contrôler l’épaisseur du greffon : un piqueté fin
correspond à une greffe mince, un piqueté grossier à une greffe plus
épaisse.
3- Hypoderme
:
Tissu conjonctif constitué d’adipocytes organisés en lobules, il assure
l’isolation thermique et le stockage énergétique.
Sur le plan
esthétique, sa disparition ou au contraire son épaisseur excessive
sont mal ressenties par les patients.
Sa résection doit donc être
limitée au strict nécessaire lors de l’excision des brûlures, en évitant
les raccords brutaux avec la peau saine voisine.
Au niveau du tronc
et des segments de membre proximaux, l’hypoderme est clivé par le
fascia superficialis corporalis qui constitue un plan chirurgical facile
à individualiser.
Au total, la peau est donc un organe à part entière, en situation
d’interface avec le milieu extérieur : barrière contre l’évaporation de
l’eau et les déperditions caloriques, protection contre les
traumatismes et barrage contre l’infection.
C’est aussi un organe
sensoriel essentiel par sa riche innervation sensitive, et sa
destruction fait du brûlé grave un invalide sensoriel.
B - CONSÉQUENCES LOCALES DE LA BRÛLURE
PROFONDEUR DES LÉSIONS :
La classification clinique des brûlures en trois degrés, établie par
Boyer puis reprise par Dupuytren, reste quotidiennement utilisée
un siècle et demi plus tard….
C’est Baux qui a défini en 1961
la distinction fondamentale entre les brûlures superficielles qui
cicatrisent avec des soins locaux, et les brûlures profondes qui
doivent être greffées.
1- Brûlures superficielles
:
Elles n’altèrent que superficiellement l’épiderme et respectent les
cellules souches de la couche germinative qui permettent la
cicatrisation épithéliale.
– Le premier degré correspond à l’atteinte des couches superficielles
de l’épiderme et se traduit par un érythème douloureux évoluant
favorablement en quelques jours.
– Le second degré superficiel atteint la couche granuleuse mais
respecte la quasi-totalité de la couche germinative.
Son signe
clinique caractéristique est la phlyctène.
La cicatrisation est acquise
en une dizaine de jours, avec comme seule séquelle une dyschromie
transitoire de quelques semaines ou plusieurs mois.
Mais il
n’apparaît jamais d’hypertrophie du derme après une brûlure
superficielle.
2- Brûlures intermédiaires
:
Elles correspondent au classique deuxième degré profond et détruisent
plus ou moins gravement la couche germinative et la membrane
basale.
Elles sont souvent difficiles à reconnaître d’emblée car il
n’existe pas ici de lésion caractéristique.
– Lorsque la brûlure préserve en partie les crêtes épithéliales, elle
est dite intermédiaire superficielle et la cicatrisation reste possible en
moins de 21 jours.
– Si la brûlure détruit profondément la jonction dermoépidermique,
elle est dite intermédiaire profonde.
La réépithélialisation reste
théoriquement possible à partir des annexes épidermiques du derme
profond et par métaplasie des cellules myoépithéliales des glandes
sudoripares.
En réalité, ces brûlures intermédiaires sont menacées
d’approfondissement sous l’action de facteurs locaux ou généraux
défavorables comme l’hypoxie, l’hypovolémie ou l’infection qui
peuvent convertir une brûlure intermédiaire en brûlure profonde.
En revanche, en l’absence de facteurs aggravants, les lésions se
stabilisent puis évoluent vers la cicatrisation qui est acquise en
quelques semaines.
3- Brûlures profondes
:
Elles détruisent la totalité de l’épiderme et du derme et quelquefois
même les tissus sous-jacents.
Ce sont les brûlures du troisième degré,
dont la lésion clinique caractéristique est l’escarre cutanée qui ne
peut pas, en principe, guérir spontanément.
En pratique, il est donc essentiel de distinguer les brûlures
superficielles qui cicatrisent spontanément en moins de 3 semaines
et les brûlures profondes qui doivent en principe bénéficier d’une
greffe cutanée.
– Les brûlures superficielles relèvent de soins locaux bien conduits
pour favoriser et diriger la réépidermisation.
– Les brûlures profondes doivent au contraire être confiées au
chirurgien pour la réalisation de greffes cutanées, leur cicatrisation
ne pouvant se faire qu’avec l’apport de kératinocytes prélevés en
zone non brûlée.
Seules les brûlures profondes de très petite surface
peuvent cicatriser sans greffe à partir des berges saines.
– Le cas des brûlures intermédiaires est plus difficile à gérer car la
cicatrisation y est aléatoire, à la fois centrifuge et centripète à partir de l’épithélium périphérique et des îlots épithéliaux restant en
profondeur.
Elle dépend autant de l’âge du brûlé que de la qualité
des soins.
Il semble raisonnable de prévoir une greffe épidermique
lorsque la cicatrisation n’est pas obtenue après la troisième semaine
d’évolution, ou la cinquième semaine pour les brûlures du dos et
des fesses (compte tenu de l’épaisseur cutanée à ce niveau).
C - MÉCANISMES DE LA CICATRISATION CUTANÉE
:
La cicatrisation cutanée suppose une séquence d’événements
cellulaires et hormonaux parfaitement coordonnés.
Elle fait
intervenir les cellules épidermiques, endothéliales et
mésenchymateuses.
Elle peut être schématisée en trois phases
évolutives, sur le plan clinique comme sur le plan histologique.
1- Phase de détersion
:
La détersion des lésions, ou séparation « du mort et du vif », précède
la cicatrisation proprement dite qui est bloquée par les protéines
dénaturées des tissus brûlés.
Elle se fait sous l’action des enzymes
protéolytiques des cellules inflammatoires (protéases, collagénases,
élastases, hydrolases, lysozyme, lactoferrine...), elles-mêmes
soumises aux substances chimiotactiques et mitogènes libérées par
la dégranulation des plaquettes au niveau des lésions (kallicréine,
thrombine, kinines, C3a, C5a …).
La dégranulation plaquettaire, la
libération des médiateurs humoraux de l’inflammation et des
facteurs de croissance (platelet derived growth factor [PDGF], insulinlike
growth factor [IGF] I, epidermal growth factor [EGF], transforming
growth factor [TGF] b…) vont initier le processus cicatriciel.
2- Phase de bourgeonnement
:
Durant cette phase, les cellules inflammatoires diminuent tandis que
les fibroblastes, les cellules épithéliales et les cellules endothéliales
se divisent et repeuplent la plaie, sous l’influence des cytokines et
des nombreux facteurs de croissance libérés par les macrophages
(fibroblast growth factor b [FGF], PDGF, TGFa et TGb, IGF I, IL 1
[interleukine] et 6, tumor necrosis factor a [TNFa]...). Sous l’action du
facteur stimulant les fibroblastes (FSF), ceux-ci vont migrer depuis
le tissu conjonctif sous-jacent pour proliférer et synthétiser les fibres
de collagène.
Simultanément, la migration et la prolifération des
cellules endothéliales aboutissent à la régénération des capillaires
sanguins.
Cette phase dépend également de facteurs chimiotactiques
(FGFa et FGFb) et de facteurs de croissance tels que le PDGF.
Le defect cutané est ainsi progressivement comblé par le tissu de
granulation, structure qui n’existe pas normalement dans
l’organisme et qui met plusieurs années à se réorganiser en un tissu
proche du derme.
Sa progression est ralentie ou stoppée par
l’infection, le dessèchement de la plaie, ou le mauvais état
nutritionnel du patient.
3- Phase d’épidermisation
:
Comme nous l’avons vu, elle n’est possible que pour les
brûlures superficielles, les brûlures intermédiaires sous certaines
conditions, mais pas spontanément pour les brûlures du troisième
degré.
La régénération de l’épiderme se fait sous l’action du facteur de
croissance épidermique (EGF) qui stimule la division et la migration
des kératinocytes.
Elle évolue en quatre stades successifs, à partir
des berges saines, des crêtes épithéliales de la jonction dermoépidermique et des annexes épidermiques du derme :
– mobilisation des kératinocytes souches qui se libèrent de la
membrane basale ;
– migration cellulaire, le long des fibres de fibrine déposées par les
cellules inflammatoires (phénomène de la « main courante »).
La
migration cesse dès que les cellules ont recouvert le lit de la plaie et
qu’elles entrent en contact les unes avec les autres ;
– prolifération cellulaire et régénération d’un néoépiderme ;
– différenciation et reconstitution des quatre assises cellulaires
caractéristiques de l’épiderme, et de la couche cornée au niveau palmoplantaire.
D - ÉVOLUTION DES BRÛLURES PROFONDES
SÉQUELLES CICATRICIELLES :
Les cicatrices hypertrophiques sont étroitement liées à la cicatrisation
anarchique du derme et de l’hypoderme après une brûlure
profonde, qui fait intervenir le tissu de granulation.
1- Derme normal
:
Il possède une matrice extracellulaire dense dont les fibres de
collagène matures sont organisées en faisceaux épais, orientés
parallèlement à la surface de la peau.
D’autres protéines, l’élastine
et la réticuline, s’associent à la matrice pour lui donner sa souplesse
et son élasticité. Les éléments cellulaires y sont peu nombreux,
principalement des fibroblastes.
2- Tissu de granulation
:
Bien que quasiment pathologique, le tissu de granulation conjonctif
est constitué des mêmes éléments que le derme normal.
Mais le
collagène est de type embryonnaire, en « amas », dont l’orientation
ne suit plus la surface de la peau.
Quant aux fibroblastes, ils
acquièrent les propriétés contractiles des cellules musculaires lisses.
Ces myofibroblastes se mettent alors en tension avec le collagène
qu’ils synthétisent de façon d’autant plus abondante que les
contraintes mécaniques locales sont importantes, ce qui explique
l’apparition des cicatrices hypertrophiques.
L’évolution secondaire
dépend ensuite de l’environnement : en l’absence de tension, c’est
l’hypertrophie qui domine et, sous tension, c’est la rétraction qui
apparaît.
3- Hypertrophie cicatricielle
:
Elle est la conséquence de la réaction inflammatoire au niveau d’une
zone peu mobile.
Elle survient précocement, à la seconde ou à la
troisième semaine après la brûlure, et va en augmentant jusqu’au
sixième mois.
Puis le collagène et les éléments cellulaires
s’organisent de façon plus harmonieuse pour constituer un tissu
cicatriciel proche du derme normal, au cours de la phase dite de
maturation qui se prolonge pendant 1 ou 2 ans.
Dans les cas
défavorables, la phase inflammatoire se pérennise et aboutit à une
cicatrice chéloïde.
L’action thérapeutique doit prévenir l’hypertrophie cicatricielle en
court-circuitant la phase de granulation conjonctive par l’excisiongreffe
précoce, puis permet d’accélérer sa maturation par la
compression élastique qui ischémie le bourgeon charnu.
4- Rétraction cicatricielle
:
Elle est exacerbée chez le brûlé par la mobilisation brutale et
inadaptée des sites anatomiques les plus mobiles (tête et cou, mains,
plis de flexion des membres…).
Plus la tension est vive sur les myofibroblastes, plus la synthèse de collagène est anarchique et plus
la rétraction du bourgeon charnu est importante.
La cicatrisation
doit donc se faire au plus tôt en position de capacité cutanée
maximale, et toute traction sauvage est proscrite.
En cas de bride
avérée, la discussion se fait entre le travail de posturation par le
rééducateur, ou la section chirurgicale avec interposition de peau
saine.
E - « PRISE » DE GREFFE CUTANÉE
:
Une greffe cutanée est un fragment de peau prélevé en le détachant
complètement, qui va être transporté vers un site receveur.
Différents
phénomènes vont alors intervenir qui vont aboutir à la prise correcte
du greffon ou à son élimination.
1- Stade d’imbibition plasmatique
:
C’est la phase ischémique pendant laquelle le greffon n’a pas encore
établi de connexions vasculaires avec la profondeur.
Celui-ci
s’imbibe d’exsudat et devient oedémateux, ce qui maintient ses
capillaires ouverts et prévient la dessiccation.
Sa tolérance à l’ischémie est d’autant moins bonne que la greffe est plus fine,
comme dans le cas des greffes dermoépidermiques très minces
pratiquées chez le brûlé.
Le taux d’échec d’une greffe cutanée est directement lié à la durée
de l’ischémie.
Elle est de 48 heures environ en cas de couverture
immédiate après excision et de 24 heures seulement en cas de greffe
différée après granulation de la plaie.
Elle se prolonge quand la zone
receveuse est de mauvaise qualité ou si la technique de greffe est
approximative.
2- Stade de revascularisation
:
La revascularisation de la greffe est assurée à la fois par la formation
d’anastomoses capillaires et par le développement de néovaisseaux
dans le greffon.
Elle exige un contact parfait entre la lumière béante
des capillaires sectionnés de la greffe et la néovascularisation
profonde.
La circulation sanguine peut alors être rétablie dans le
greffon entre le quatrième et le septième jour.
Les facteurs défavorables qui perturbent le développement des
anastomoses capillaires sont l’infection, l’interposition de débris
nécrotiques ou d’une épaisse couche de fibrine et l’apparition de
collections sérosanguines.
Il se produit alors une prolongation de la
période ischémique, tandis que se poursuit en profondeur la
prolifération des boucles vasculaires.
La revascularisation secondaire
de la greffe reste encore possible si l’ischémie n’a pas entraîné de
lésions irréversibles. Cette revascularisation retardée s’observe
fréquemment au niveau des greffons de grande surface.
Elle se
traduit par la desquamation superficielle d’une greffe qui semble
par ailleurs avoir une évolution tout à fait favorable.
Des soins
locaux adaptés et l’immobilisation correcte du site receveur
permettent son intégration tardive.
Diagnostic de profondeur et de gravité
:
Cette étape évalue l’étendue des brûlures et recherche les facteurs
de gravité.
Elle permet d’établir les scores pronostiques et d’adapter
les choix thérapeutiques.
A - DIAGNOSTIC DE PROFONDEUR
:
C’est un diagnostic difficile qui repose exclusivement sur l’examen
clinique.
Diverses investigations calorimétriques, thermographiques
ou radio-isotopiques ont été proposées ; elles sont en réalité peu
contributives.
Quant au diagnostic histologique sur biopsie, il ne
concerne qu’un très petit fragment de la brûlure.
1- Anamnèse
:
Le diagnostic de profondeur d’une brûlure peut se faire « au
téléphone », les éléments à connaître étant la nature de l’agent causal
et le temps d’exposition.
À titre indicatif, il est pratique de se
souvenir que pour créer une lésion irréversible, il faut 1 heure de
contact à 45 °C, 1 minute à 50 °C, et moins de 1 seconde à 70 °C.
2- Examen des lésions
:
* Brûlure du premier degré
:
Il s’agit d’un érythème oedémateux et douloureux avec sensation de
cuisson.
Il n’existe pas de phlyctènes au début, mais elles peuvent
apparaître secondairement.
La guérison se fait en quelques jours,
avec une desquamation d’importance variable.
Ces lésions n’obèrent
jamais le pronostic fonctionnel ou vital et ne sont donc pas prises en
compte lors de l’évaluation initiale des surfaces brûlées.
* Brûlure du second degré
:
+ Second degré superficiel
:
Le signe clinique caractéristique est la phlyctène à paroi épaisse et à
contenu translucide.
Après excision, on découvre le derme
rouge vif, suintant et très douloureux.
Les annexes pileuses restent
solidement enchâssées et leur résistance à l’arrachement est un bon
test.
Ces lésions peuvent ensuite prendre un aspect croûteux qu’il
ne faut pas confondre avec une nécrose cutanée car leur évolution
est rapidement favorable en une dizaine de jours.
+ Second degré profond
:
Il n’existe pas de lésion clinique caractéristique de ce stade.
Les
phlyctènes sont inconstantes. Les brûlures sont suintantes, rouges
ou brunes, avec de petites zones blanchâtres plus profondes.
La
douleur est importante. Les poils s’arrachent facilement, ce qui
traduit l’atteinte du derme profond. Mais la persistance du
saignement capillaire à la scarification montre la perméabilité des
vaisseaux dermiques.
La cicatrisation spontanée reste possible, mais
longue et aléatoire.
Ces lésions risquent également de s’approfondir
vers un troisième degré en fonction des difficultés du traitement
local et général.
* Brûlures du troisième degré
:
La lésion caractéristique est l’escarre cutanée, cartonnée, froide et
insensible d’où vascularisation et innervation ont disparu.
Sa
couleur est variable, blanche, brune ou noire par carbonisation.
Les
brûlures par ébouillantement sont rouges en raison du fort degré
d’hémolyse.
La peau brûlée par flamme est recouverte par une fine
couche d’épiderme noirâtre.
La présence d’un réseau de veines souscutanées
thrombosées aux ramifications noirâtres est
pathognomonique du troisième degré.
La cicatrisation
spontanée est en principe impossible, sauf pour de très petites
lésions, et le patient doit être rapidement confié au chirurgien pour
l’excision et la greffe des lésions.
Dans les cas les plus graves, la
destruction des structures sous-jacentes (muscles, tendons, axes
vasculaires, os) peut amener à discuter la conservation ou non du
segment de membre lésé.
L’appréciation de la profondeur des brûlures n’est pas toujours
évidente, même pour des praticiens entraînés.
Si le premier et le troisième degrés sont caractéristiques et ont un profil évolutif
relativement prévisible, la distinction entre second degré superficiel
et profond est souvent difficile au début.
Par ailleurs, les lésions sont
rarement homogènes et l’association en « mosaïque » de brûlures de
différentes profondeurs au niveau d’un même site est fréquente.
Cette classification néglige aussi l’aspect dynamique et
évolutif de la brûlure, en particulier pour les brûlures intermédiaires
qui risquent de s’aggraver pendant les premiers jours.
B - ÉTENDUE DE LA BRÛLURE
:
De nombreuses tables existent pour déterminer la surface cutanée
brûlée (SCB) en pourcentage de la surface corporelle totale (SCT).
– La plus simple et la plus schématique est la « règle des 9 » de
Wallace, qui assimile chaque segment corporel à un multiple de 9 %,
sauf la région génitale qui représente 1 %.
Elle est simple et rapide à
utiliser, surtout pour une première catégorisation sur les lieux de
l’accident.
Elle a cependant tendance à surévaluer la surface brûlée,
en particulier pour les brûlures peu étendues.
Elle n’est pas non plus
adaptée pour l’enfant et le nourrisson dont la tête et les membres
représentent des surfaces plus importantes.
– Les petites surfaces brûlées de répartition inhomogène peuvent
être facilement évaluées par la méthode de la « paume de main »,
puisque la paume de la main et les doigts du brûlé représentent
environ 1 % de sa surface cutanée, et ce quel que soit son âge.
– Dès que le brûlé est hospitalisé, on utilise des tables plus
complexes qui tiennent compte des pourcentages précis représentés
par chaque segment corporel en fonction de l’âge. Les plus
utilisées sont la règle de Berkow et les tables de surface corporelle
de Lund et Browder.
Elles permettent une cartographie précise des
lésions à l’admission en centre spécialisé, sur des feuillets préimprimés
avec un code de couleurs pour les différentes profondeurs,
qui sert de référence au cours des premiers pansements.
C - FACTEURS DE GRAVITÉ ASSOCIÉS
:
1- Âge et terrain
:
L’âge est un élément déterminant du pronostic vital des brûlures
dont la gravité est significativement accrue avant 5 ans et après
65 ans.
Les tares préexistantes décompensent en cas de brûlure grave
et entraînent des difficultés de réanimation chez l’insuffisant
cardiorespiratoire, l’alcoolique et l’immunodéprimé.
2- Localisation des brûlures
:
Au niveau de certains sites anatomiques, les brûlures présentent des
risques particuliers, au plan vital ou fonctionnel.
– Au niveau de l’extrémité cervicocéphalique, la liberté des voies
aériennes supérieures peut être rapidement menacée par l’oedème
de la face et du cou.
L’intubation endotrachéale, quand elle reste
possible, ou la trachéotomie sont nécessaires pour permettre une
ventilation efficace.
Les brûlures de la face ont également un risque
de séquelles esthétiques et fonctionnelles majeures, en particulier
dans les régions périorificielles.
– Au niveau de la paroi thoracique, les brûlures profondes peuvent
gêner l’ampliation thoracique et imposer des incisions de décharge.
– Au niveau des membres, les brûlures circulaires profondes créent
un effet garrot avec ischémie d’aval et risque de nécrose.
Seule la
levée rapide de l’obstacle par des incisions de décharge rompt le
cercle vicieux inextensibilité tégumentaire-ischémie-oedème.
Au
niveau des membres supérieurs, les brûlures des faces dorsales des
mains sont graves car la finesse du revêtement cutané expose
l’appareil tendineux extenseur des doigts.
– Au niveau du périnée, les brûlures peuvent être responsables
d’une sténose rapide des voies excrétrices urinaires qui doivent être
rapidement sondées avant que l’infiltration oedémateuse ne rende
ce geste impossible.
Mais il s’agit surtout d’une localisation
éminemment septique où la cicatrisation est souvent compromise
ou retardée.
3- Lésions associées
:
Les brûlures cutanées peuvent être associées à d’autres lésions
menaçant également le pronostic vital.
– Dans le cas de brûlures en espace clos, on suspecte des lésions
d’inhalation des voies respiratoires, thermiques ou caustiques par
les suies, ainsi qu’un risque d’intoxication par le monoxyde de
carbone ou l’acide cyanhydrique.
– En cas d’accident de la voie publique et de choc à grande vitesse,
on recherche toutes les lésions traumatiques habituelles
(cranioencéphaliques, viscérales, osseuses) susceptibles de modifier
la séquence thérapeutique.
– En cas d’explosion, le brûlé peut également être un polytraumatisé
et un blasté.
D - SCORES PRONOSTIQUES
:
Différents scores ont été établis pour apprécier le pronostic vital du
brûlé au terme du bilan initial.
Notons qu’ils excluent tous les
surfaces brûlées au premier degré.
– Le score de Baux est le plus simple : il correspond à la somme de
l’âge et du pourcentage de la surface brûlée.
Le nombre obtenu
permet de définir les chances de survie du patient, un chiffre
supérieur à 75 annonçant un mauvais pronostic.
– Le score de gravité UBS (unité de brûlure standard) correspond
au pourcentage de surface totale brûlée auquel on ajoute trois fois le
pourcentage de surface brûlée au troisième degré.
La brûlure est
grave pour un score de 100 à 150 UBS, elle est gravissime pour un
score supérieur à 150 UBS.
– Le score ABSI (abbreviated burn severity index) regroupe plusieurs
paramètres : l’âge, le sexe, la surface brûlée totale, la présence de
brûlures du troisième degré et de lésions d’inhalation.
– La table de Bull prend en compte l’âge et la surface brûlée.
Enfin, il est évident que la survie du brûlé dépend aussi des
conditions de prise en charge et l’on ne peut espérer les mêmes
résultats dans un centre de traitement des brûlés moderne, et en
situation de crise avec afflux massif de blessés, en particulier dans
un pays démuni sur le plan économique.
E - CATÉGORISATION DES BRÛLÉS
:
On peut schématiquement distinguer deux types de situation : le
brûlé de faible gravité et le brûlé de gravité importante.
1- Brûlé de faible gravité
:
Il est licite d’envisager une prise en charge « à titre externe » lorsque
la brûlure est peu importante et que le patient se présente de luimême
à la consultation :
– brûlures inférieures à 10 % SCT, ou 5 % chez l’enfant et le
vieillard ;
– sans atteinte de la face, des mains ni du périnée ;
– sans autre facteur de gravité associé ;
– chez un patient susceptible de se présenter régulièrement à la
consultation pour le suivi des pansements.
L’hospitalisation peut cependant être motivée sur les critères
suivants :
– surface brûlée dépassant 10 % SCT, ou 5 % chez le petit enfant et
le vieillard ;
– brûlures du troisième degré sur 1 % au moins de la SCT ;
– brûlures de l’extrémité céphalique, des mains ou du périnée, ou
brûlures profondes circulaires d’un membre ;
– retentissement hémodynamique ou respiratoire ;
– présence de lésions associées (polytraumatisme, blast, lésions
d’inhalation) ;
– brûlures électriques ou brûlures chimiques mal identifiées ;
– conditions sociales précaires.
2- Brûlé de gravité importante
:
Il s’agit d’une brûlure qui a nécessité une prise en charge
médicalisée sur les lieux mêmes de l’accident. Une brûlure grave
suppose l’existence de l’un des critères suivants :
– atteinte lésionnelle du second degré au moins égale à 20 % de la SCT, ou atteinte du troisième degré d’au moins 10 % de la SCT ;
– brûlures de l’extrémité céphalique, des mains, du périnée ou
brûlures circulaires d’un membre ;
– patient présentant une tare physiologique ;
– atteinte respiratoire associée, ou polytraumatisme, ou blast ;
– électrisation à haut voltage ou brûlures chimiques mal identifiées.
Rappelons qu’en principe, tout brûlé hospitalisé devrait être admis
en milieu spécialisé.
Il existe, en France, 23 centres de traitement des
brûlés.
Gestes chirurgicaux initiaux
:
Tout chirurgien devrait savoir réaliser dans les meilleurs délais les
gestes salvateurs que sont la trachéotomie, les incisions de décharge et la blépharorraphie de protection oculaire.
Nous décrivons la
technique des incisions de décharge et de la blépharorraphie ; la
technique de la trachéotomie, qui n’est pas spécifique, n’est pas
rappelée ici.
La prise en charge immédiate du brûlé grave inclut
également des soins locaux et la réalisation du pansement initial.
Les topiques antibactériens actuels permettent un contrôle efficace
du risque infectieux, sous couvert d’une utilisation correcte dans le
cadre de protocoles de soins rigoureux.
A - INCISIONS DE DÉCHARGE (OU ESCARROTOMIES)
:
1- Pourquoi pratiquer des incisions de décharge ?
Elles permettent de prévenir les complications des escarres
cartonnées et inextensibles des brûlures du troisième degré.
– Au niveau des membres, les brûlures circulaires profondes créent
un effet de garrot et l’oedème sous-jacent entraîne alors une
augmentation de pression rapide des loges musculaires, puis
l’interruption des flux vasculaires.
– Au niveau cervical, le carcan cutané comprime le larynx et la
partie haute de la trachée, ainsi que l’axe vasculaire jugulocarotidien.
– Au niveau du tronc, les brûlures profondes limitent l’ampliation
thoracique et entraînent des troubles de la mécanique ventilatoire.
La réalisation rapide d’incisions de décharge lève l’effet de garrot et
permet l’expansion de l’oedème et la libération des structures
sous-jacentes.
Leurs indications doivent donc être larges.
2- Quand pratiquer des incisions de décharge ?
L’oedème s’établit dans les 24 premières heures après la brûlure.
Les escarrotomies doivent donc être réalisées de façon prophylactique
dès la prise en charge initiale du brûlé, avant que n’apparaissent les
signes de compression sous-jacente.
L’examen clinique est suffisant
pour poser l’indication qui s’impose devant une brûlure circulaire
du troisième degré, cartonnée et indolore, qui tranche sur la peau
saine.
Le diagnostic est parfois plus difficile devant des téguments à
peine rosés ou décolorés, ou devant l’association en « mosaïque » de
brûlures superficielles et profondes.
La palpation montre alors la
disparition de l’élasticité cutanée et le décollement après frottement
de l’épiderme et de ses annexes.
Si les incisions de décharge ne sont pas réalisées rapidement, les
signes de compression apparaissent.
– Au niveau du cou, la strangulation entraîne une dyspnée
inspiratoire avec protrusion de la langue, une turgescence veineuse
et une exophtalmie.
– Au niveau du tronc, les troubles de la mécanique ventilatoire
aboutissent à une détresse asphyxique.
– Au niveau des membres, la stase veineuse et l’ischémie artérielle
ne peuvent être correctement évaluées qu’en peau saine, sur un
blessé déchoqué.
La stase veineuse se traduit par la turgescence des
veines superficielles et l’aspect bleuté des téguments.
L’ischémie
artérielle doit être suspectée devant un membre blanc et froid, avec
diminution ou abolition des pouls distaux.
Les signes
neuromusculaires sont plus tardifs et traduisent déjà une souffrance
tissulaire.
Le stretch test est facilement réalisé chez le brûlé, avec le
déclenchement d’une douleur aiguë à l’étirement passif des muscles.
– Au niveau des mains, le diagnostic précoce de compression est
difficile et son retentissement fonctionnel peut être gravissime.
Une
tension cutanée et des paresthésies douloureuses doivent attirer
l’attention, ainsi que la flexion irréductible des articulations interphalangiennes et métacarpophalangiennes accompagnée de
douleurs à l’étirement passif.
L’indication des incisions de décharge repose donc essentiellement
sur l’examen clinique.
L’examen doppler des flux artérioveineux est
souvent difficile à interpréter sur des téguments brûlés et
oedématiés.
La mesure des pressions intratissulaires, l’imagerie par
résonance magnétique ou l’artériographie peuvent être discutées,
mais sans retarder la réalisation de ce geste techniquement simple
dont l’intérêt prophylactique reste indiscutable.
3- Comment réaliser des incisions de décharge ?
Elles peuvent être pratiquées en dehors du bloc opératoire, dans le
sas d’urgence ou la salle de déchocage, à condition qu’un minimum
de matériel soit disponible : bistouri à lame 21 ou 23,
thermocoagulation, pinces à hémostase, fils de suture tressés
résorbables 2/0 et 3/0 et compresses hémostatiques type Pangent
ou Surgicelt.
Bien qu’aucune anesthésie ne soit en principe
nécessaire (l’escarrotomie se faisant par définition en peau brûlée…),
elles sont réalisées le plus souvent sous sédation.
Les incisions doivent être parallèles à l’axe du membre, du cou ou
du tronc, pour ouvrir le garrot cutané.
Il est préférable de progresser
depuis la racine du membre vers la distalité, pour faciliter le
drainage des veines turgescentes.
Des incisions transversales
complémentaires au niveau des plis de flexion du coude et du genou
permettent de compléter la libération des axes vasculaires.
L’escarrotomie doit ouvrir le fascia superficialis, entre les plans
graisseux superficiels et profonds.
L’aponévrotomie, c’est-à-dire
l’ouverture de l’aponévrose musculaire, n’est pas systématique, sauf
en cas d’électrisation ou de troubles ischémiques patents des masses
musculaires.
Nous recommandons de réaliser ce geste en maintenant
le bord cubital de la main qui opère en appui sur la peau à inciser,
pour assurer une garde de sécurité et éviter l’approfondissement
brutal de l’incision.
Il faut être particulièrement prudent au niveau
des zones où le revêtement cutané est mince, comme la face interne
des membres ou les doigts.
L’hémostase doit être draconienne, en
liant au fil les principaux pédicules veineux et en coagulant les petits
vaisseaux cutanés et sous-cutanés des berges de l’incision, puis en
la protégeant sur toute sa longueur de l’incision par des compresses
hémostatiques (Pangen, Surgicel).
L’efficacité immédiate de l’incision de décompression s’apprécie sur :
– l’exsudation du liquide interstitiel dans l’incision ;
– la réapparition des pouls distaux et capillaires du membre et la
recoloration des tissus non brûlés ;
– une meilleure efficacité respiratoire après libération cervicale ou
thoracique.
4- Dangers anatomiques
:
– Au niveau cervical : le principal risque est le rameau mentonnier
du nerf facial et il ne faut donc pas inciser à moins de deux travers
de doigts du rebord mandibulaire.
La plaie d’une veine jugulaire
externe turgescente peut être spectaculaire, mais son contrôle par
une ligature appuyée ne pose en principe pas de difficulté.
– Au niveau thoracique : les incisions de décharge ne posent pas de
problème particulier, à condition de respecter la région susclaviculaire
et le sommet du creux axillaire.
Elles suivent les deux
lignes axillaires antérieures, en commençant environ 1 cm sous le
bord inférieur de la clavicule, jusqu’au rebord costal inférieur et
respectent le mamelon.
Elles sont éventuellement doublées par des
incisions parallèles internes et externes et par une incision
horizontale sous le rebord costal.
– Au membre supérieur : au niveau du bras, les incisions sont situées
aux bords interne et externe, à la manière d’un plâtre bivalvé, en
contrôlant les veines superficielles basilique et céphalique.
Au coude,
l’incision est transversale pour débrider les vaisseaux huméraux au
pli de flexion.
Elle respecte la gouttière épitrochléenne qui protège
le nerf cubital.
À l’avant-bras, les incisions prolongent celles du bras,
interne et externe.
Elles peuvent faire saigner les veines superficielles
radiales et cubitales et exiger des ligatures.
Les principaux rapports
dangereux se situent au poignet, où il faut absolument éviter
d’ouvrir le ligament annulaire du carpe pour ne pas exposer les
éléments vasculonerveux et tendineux.
À la main, les incisions sont
dorsales et radiaires, dans l’axe des métacarpiens.
Au niveau des
doigts, elles sont effectuées juste en arrière de la jonction latérale,
entre la peau palmaire et la peau dorsale, un peu décalées vers la
face dorsale pour éviter les éléments vasculonerveux collatéraux.
Elles doivent également préserver les commissures interdigitales,
souvent respectées par la brûlure, dont la reconstruction ultérieure
serait difficile.
– Au membre inférieur : les incisions de la cuisse suivent l’axe du
membre, à son bord interne et externe.
Le seul obstacle est le
saignement de la veine saphène interne, facilement contrôlé par des
ligatures appuyées.
Au genou, le débridement du creux poplité est
transversal, au-dessus du niveau de la crosse saphène externe qui
peut poser des problèmes d’hémostase ardus.
L’autre danger
anatomique est le tronc du nerf sciatique poplité externe, très
superficiel au croisement avec la tête du péroné.
À la jambe, les
incisions se poursuivent aux bords interne et externe, pour ne pas
exposer la crête tibiale antérieure.
À la cheville, le débridement est
transversal en respectant les vaisseaux pédieux sous le ligament
annulaire du carpe et l’axe tibial postérieur dans la gouttière rétromalléolaire.
Les incisions de la face dorsale du pied sont
radiaires.
5- Surveillance
:
La récidive d’un saignement est le principal incident observé,
obligeant à une reprise de l’hémostase après l’ouverture du
pansement.
L’efficacité de la décompression est surveillée par la clinique :
réapparition des pouls distaux au niveau d’un membre, efficacité
respiratoire au niveau cervicothoracique. Sinon, les incisions doivent
être reprises et étendues.
Le syndrome de la « levée de garrot » est
la conséquence d’une décompression trop tardive au stade
d’ischémie irréversible et relève de la réanimation médicale.
Il peut
engager à la fois le pronostic vital et le pronostic fonctionnel, ce qui
justifie la réalisation précoce, à titre prophylactique, des incisions de
décharge.
B - BLÉPHARORRAPHIE DE PROTECTION
:
C’est un geste chirurgical simple qui permet l’occlusion temporaire
de la fente palpébrale pour protéger la cornée sous-jacente.
1- Pourquoi une blépharorraphie de protection ?
Elle consiste à suturer le bord libre des paupières supérieure et
inférieure pour fermer temporairement la fente palpébrale et protéger la cornée quand celle-ci est anormalement exposée.
C’est
un geste simple, fiable et qui ne nécessite pas de matériel spécialisé.
Elle permet également d’immobiliser les paupières en position de
capacité cutanée maximale après une greffe cutanée palpébrale.
2- Quand pratiquer une blépharorraphie ?
Elle est réellement efficace à condition d’être réalisée précocement
au cours des 3 ou 4 premiers jours.
En revanche, elle n’est pas
suffisante à elle seule pour prévenir à long terme la rétraction et les
troubles de l’occlusion palpébrale après cicatrisation dirigée qui ne
peuvent être traités efficacement que par l’apport de greffes
cutanées.
3- Comment réaliser une blépharorraphie ?
Elle doit être systématiquement précédée d’un lavage oculaire
abondant, débuté si possible sur le lieu même de l’accident et
prolongé au moins une demi-heure.
C’est sa rapidité et sa qualité
qui permettent au brûlé de sauver ses yeux.
Il est réalisé d’abord à
l’eau du robinet, puis dès que possible au sérum physiologique, avec
un ballon laveur ou une seringue à gros embout.
Il faut irriguer
abondamment la cornée, les paupières et les culs-de-sac
conjonctivaux, en éliminant d’éventuels corps étrangers.
L’application d’un anesthésique cornéen peut soulager le brûlé, mais
il vaut mieux commencer le lavage sans attendre ses effets.
On
prescrit également des collyres vasodilatateurs, antibiotiques et
trophiques.
Enfin, un bilan ophtalmologique est demandé dès que
possible.
Dans le cas des projections chimiques, l’emploi de produits
neutralisants a été préconisé, mais ils entraînent en réalité un risque
d’aggravation des lésions.
Le matériel nécessaire à la réalisation de la blépharorraphie
proprement dite comprend du fil monofilament non résorbable
(Prolène) 5/0 serti sur une aiguille courbe triangulaire 3/8 de
cercle, un porte-aiguille fin, et un cathlon souple de 1 mm de
diamètre qui est sectionné en plusieurs tronçons longs de 5 mm pour
gainer le fil.
La blépharorraphie occlut les deux tiers externes de la fente
palpébrale, ce qui permet une protection efficace du globe tout en
aménageant un abord oculaire pour les soins locaux.
La conservation
d’une partie du champ de vision a également un effet anxiolytique.
Elle est réalisée avec le fil monobrin gainé par les tronçons de
cathéter.
Le trajet de l’aiguille est parallèle au bord libre de la
paupière et doit rester dans le plan du tarse, sans être transfixiant.
Les deux extrémités du fil sont nouées avec une tension suffisante
pour mettre les deux paupières en contact et protéger la cornée.
Le
noeud ne doit pas blesser la cornée, et on vérifie qu’il n’existe pas
d’enfouissement des cils.
L’occlusion peut être au besoin complétée
par deux ou trois points séparés placés côte à côte.
4- Soins oculaires après blépharorraphie
:
La prévention de l’infection repose sur l’instillation de solution pour
lavage oculaire et de topiques antiseptiques cinq ou six fois par jour,
en écartant délicatement la portion interne des paupières.
C - PANSEMENT INITIAL
:
Chez le brûlé grave, le pansement initial ne se conçoit qu’après une
prise en charge correcte au plan médical : oxygénothérapie et
assistance ventilatoire, abords veineux de bon calibre en zone non
brûlée, premiers bilans biologiques et remplissage vasculaire,
sédation et analgésie efficaces.
1- Lavage et parage des brûlures
:
Il s’agit de réaliser le nettoyage des surfaces brûlées et la détersion
des phlyctènes.
Cette phase doit être la plus propre possible, dans
des conditions d’asepsie chirurgicale.
Le premier geste est la
réalisation d’écouvillonnages multiples au niveau des brûlures et
des orifices naturels pour établir la cartographie bactérienne initiale.
Le brûlé est ensuite débarrassé de toutes les suies, débris telluriques
et vêtements brûlés.
L’ensemble de la surface cutanée est nettoyé à
l’aide d’une solution antiseptique.
Si les brûlures atteignent la face
et le scalp, il est nécessaire de raser le patient.
Toutes les phlyctènes
sont réséquées avec des ciseaux fins.
Après ce parage, il est alors
possible de réaliser une première schématisation des brûlures.
2- Pansement initial
:
La plupart des Centres de traitement des brûlés utilisent des
topiques antibactériens en crème qui permettent une meilleure
prévention de l’infection, sont faciles à utiliser et offrent un meilleur
confort que les classiques pansements gras ou l’exposition à l’air.
On applique en première intention la sulfadiazine argentique
(Sicazine, Flammazine, Silvadène), ou la cérium
silversulfadiazine (Flammacérium) qui inclut en plus un ion
cérium, ce qui a un effet tannant appréciable quand il n’est pas
possible d’envisager une excision chirurgicale précoce.
Ils sont
recouverts de compresses en quantité suffisante pour drainer les
exsudats, ou en pansement ouvert au niveau de la face.
L’action de la sulfadiazine est optimale pendant les 12 premières
heures.
Son renouvellement est donc quotidien pendant les
8-10 premiers jours.
Elle a une grande efficacité sur les germes à
Gram négatif, pyocyanique et entérobactéries en particulier, ainsi
que sur le staphylocoque doré et Candida albicans, avec un faible
risque de sélection d’organismes multirésistants.
Un comptage
bactérien sur des biopsies tissulaires est réalisé en cas de doute sur
une surinfection.
La résorption transcutanée de ces topiques est très
faible, mais ils doivent être en principe évités chez le nouveau-né, le
prématuré et la femme enceinte ou allaitante.
Les cas
d’eczématisation de contact, de photosensibilisation et de
leucopénies sont exceptionnels.
Le nitrate d’argent en solution à 0,5 % constitue également un
traitement local efficace des brûlures.
Son application doit être
fréquemment renouvelée, plusieurs fois par jour, sur des compresses
qui doivent rester humides.
Il n’est pas toxique, mais des cas
d’hyponatrémie avec convulsions ont cependant été rapportés chez
l’enfant.
Enfin, comme la sulfadiazine argentique, le nitrate d’argent
ne pénètre pas la profondeur de l’escarre et n’est donc pas curatif en
cas de surinfection avérée des brûlures.
L’acétate de mafénide (Sulfamylon) a un bon pouvoir pénétrant de
l’escarre et a prouvé son efficacité dans les brûlures surinfectées.
Il
doit cependant rester un produit de seconde intention du fait de ses
effets secondaires. Son application est douloureuse, avec une
sensation de cuisson intense, chez le brûlé conscient.
Et surtout, il
peut majorer d’éventuelles lésions pulmonaires par alcalose
respiratoire.
Les autres topiques antibactériens sont insuffisants ou
toxiques chez le brûlé.
La polyvidone iodée a un spectre bactérien
plus limité que celui de la sulfadiazine mais reste paradoxalement
très utilisée.
La toxicité de la gentamicine en crème sur le
parenchyme rénal et l’oreille interne limite son utilisation à de très
petites surfaces.
3- Place des pansements biologiques
:
Certaines études ont fait état de résultats encourageants après
application de substituts cutanés et de pansements biologiques sur
les brûlures superficielles ou intermédiaires.
Leurs avantages sont
multiples : contrôle des fuites liquidiennes et caloricoazotées,
prévention de la contamination microbienne, amélioration de la
trophicité tissulaire, ce qui optimise la réépithélialisation ou la prise
de la greffe.
Le substitut cutané de référence reste l’hétérogreffe humaine
prélevée sur des donneurs humains décédés et appliquée fraîche ou cryopréservée.
Elle est soumise aux aléas du don d’organe et exige
des contrôles stricts du risque de contamination virale ou
bactérienne.
C’est pourquoi les greffes animales (xénogreffes
porcines), des substituts cutanés synthétiques et des substrats
cellulaires (kératinocytes cultivés allogéniques, peau reconstituée
Transcyte) sont également proposés dans cette indication.