Les brûlures cornéennes peuvent être causées par une exposition à
un produit chimique, à des températures extrêmes, ou à des
radiations ultraviolettes ou infrarouges.
Elles se traduisent par une
lésion plus ou moins sévère de l’épithélium cornéen et/ou
conjonctival, parfois du stroma sous-jacent, et dans les formes
graves, des structures intraoculaires du segment antérieur.
Le pronostic des brûlures chimiques dépend de l’étendue de la
surface oculaire lésée, du degré de pénétration intraoculaire, de la
concentration et de la nature de l’agent impliqué.
Les bases et
certains acides forts sont responsables des lésions les plus graves.
L’examen clinique initial, parfois difficile, doit apprécier l’existence
d’une ischémie limbique et d’une opacité stromale initiale, qui
conditionnent le pronostic.
Les techniques chirurgicales visant à
restaurer les cellules souches limbiques détruites ont amélioré le
devenir des brûlures cornéennes sévères.
Brûlures chimiques
:
A - PHYSIOPATHOLOGIE :
1- Renouvellement de l’épithélium cornéen
:
L’épithélium cornéen est constitué de cinq à six couches de cellules
pavimenteuses non kératinisées, reposant sur une membrane basale,
séparées du stroma cornéen par la membrane de Bowman.
Il se renouvelle en moyenne en 2 semaines grâce à la multiplication
de cellules amplificatrices transitoires situées dans les couches
basales de l’épithélium et du limbe cornéens.
Les cellules
épithéliales ainsi formées perdent progressivement leur pouvoir
mitotique, et migrent de façon centripète de la profondeur vers la
superficie cornéenne où elles remplacent les cellules épithéliales
superficielles qui desquament dans les larmes. Les cellules
souches de l’épithélium cornéen sont situées au niveau de la couche
basale de l’épithélium limbique.
Elles constituent un « réservoir
» de cellules peu différenciées, ayant un cycle cellulaire long, et
qui se transforment au besoin en cellules amplificatrices transitoires
à fort pouvoir mitotique.
Elles jouent également un rôle de barrière
qui empêche les cellules conjonctivales de progresser à la surface de
la cornée.
2- Réparation cornéenne après une brûlure chimique :
Après une brûlure chimique, la cornée périphérique est infiltrée par
des polynucléaires neutrophiles et des cellules mononucléées dès la
12e heure.
Ces cellules inflammatoires sont attirées sur le site de la
lésion par les produits de dégradation de la conjonctive nécrotique,
de l’épithélium et du stroma cornéens, et vont participer à la
détersion du site.
Dans les brûlures sévères, une deuxième vague
de cellules inflammatoires apparaît après la première semaine, et
persiste jusqu’à la réépithélialisation complète.
Les polynucléaires
inhibent la réparation épithéliale et stromale en libérant une
collagénase de type I.
La réparation stromale nécessite la synthèse de collagène I par les
kératocytes.
Elle débute au huitième jour et est maximale au
21e jour.
Elle requiert un cofacteur, l’ascorbate, qui est puisé dans
la chambre antérieure.
Elle est inhibée par une collagénase de
type I libérée par les kératocytes eux-mêmes, sous l’influence de
cytokines d’origine épithéliale ou inflammatoire.
Les defects épithéliaux centraux de petite taille sont rapidement
comblés grâce au glissement centripète des cellules épithéliales
bordant la lésion.
La réparation des defects plus étendus requiert
une multiplication des cellules amplificatrices transitoires et une
participation des cellules souches limbiques.
Lorsque plus de 60 %
de ces dernières sont détruites, la cicatrisation se fait à partir des
cellules conjonctivales proches du limbe qui recouvrent
progressivement la cornée.
Cette « conjonctivalisation » de la
surface cornéenne est démontrée par la présence de cellules à
mucus.
Dans les brûlures sévères, la membrane basale de l’épithélium
cornéen est lysée dès le deuxième jour, avant de se reconstituer à la
huitième semaine.
Cette lyse est favorisée par un activateur du plasminogène sécrété par les cellules épithéliales basales qui
dégradent le fibrinogène.
Elle se traduit par des ulcérations
épithéliales récidivantes.
Elle pourrait être prévenue par
l’administration précoce de corticoïdes locaux.
3- Rôle des médiateurs, cytokines et facteurs
de croissance :
De nombreux facteurs de croissance, cytokines ou médiateurs, ont
été mis en évidence au niveau du limbe et de l’épithélium cornéen.
Ils interviennent sur la vitesse de la réépithélialisation et de la
réparation stromale et joueraient un rôle dans les
brûlures cornéennes sévères.
La collagénase de type I est un facteur limitant de la réparation
stromale.
Elle a pour cible le collagène de type I du stroma.
Elle
n’est pas détectable dans une cornée normale où l’épithélium libère
une cytokine (TGF [transforming growth factor] b2) qui inhibe sa
synthèse.
Elle apparaît dans tous les processus d’altération
épithéliale où l’interruption de la sécrétion de TGFb2 est associée à
la libération d’une cytokine qui stimule sa synthèse.
Elle est
produite par les kératocytes et les polynucléaires neutrophiles.
La fibronectine favorise l’adhésion des cellules épithéliales entre elles
et à la membrane basale.
Elle est synthétisée par les cellules
épithéliales et les kératocytes dont elle favorise la migration.
Elle n’a
pas d’action sur les mitoses cellulaires.
Elle est dégradée par la
plasmine.
Son utilisation dans les essais cliniques donne des
résultats inconstants, probablement en rapport avec l’augmentation
importante des activateurs du plasminogène dans les brûlures
chimiques.
L’epidermal growth factor (EGF), présent dans les larmes, est un
facteur de croissance qui augmente la vitesse de réépithélialisation
dans les brûlures alcalines expérimentales.
Il est mitogène pour les kératocytes et les cellules épithéliales.
Il favorise l’adhésion
épithéliale.
Son rôle sur la néovascularisation stromale est
controversé.
Les résultats des essais cliniques sont variables.
Le fibroblast growth factor (FGF) est un facteur de croissance
mitogène pour les cellules épithéliales.
Il stimule la synthèse de
la membrane basale et pourrait diminuer l’inflammation stromale.
L’acide rétinoïque favorise la différenciation des cellules souches
limbiques en cellules amplificatrices transitoires, et la bonne
stabilité du film lacrymal par son action sur les cellules à mucus.
B - AGENTS CHIMIQUES RESPONSABLES
DE BRÛLURES OCULAIRES :
1- Acides
:
Les acides sont responsables de lésions de la surface oculaire.
Ils
précipitent et dénaturent les protéines de l’épithélium cornéen, qui
prend un aspect nécrotique blanchâtre sur un stroma sous-jacent
clair.
Cette barrière de protéines épithéliales empêche une
pénétration plus profonde de l’acide.
Cependant, certains acides forts, tels que l’acide
fluorhydrique qui a un petit poids moléculaire, infiltrent le stroma
et sont responsables d’une opacification cornéenne et d’une
hypertonie oculaire.
2- Bases
:
Les brûlures par bases sont fréquentes et sévères.
Elles
sont responsables de lésions du stroma et de l’endothélium
cornéens, de l’iris, du corps ciliaire et du cristallin.
Elles pénètrent
rapidement et provoquent les réactions suivantes :
– une saponification des acides gras des membranes cellulaires qui
aboutit à la mort des cellules épithéliales et facilite la pénétration du
produit ;
– une hydratation des glycosaminoglycanes extracellulaires du
stroma cornéen qui se traduit par une perte de la transparence
cornéenne ;
– une hydratation, un épaississement et un raccourcissement des
fibrilles de collagène qui provoquent un dysfonctionnement du trabéculum et une hypertonie oculaire ;
– une libération de prostaglandines ;
– une altération du corps ciliaire et une diminution de la sécrétion
d’ascorbate et de sa concentration dans l’humeur aqueuse qui
retardent la réparation stromale.
Enfin, une atrophie du globe est à craindre lorsque le pH de
l’humeur aqueuse reste supérieur à 11,5 de façon prolongée.
C - ÉPIDÉMIOLOGIE :
Les brûlures chimiques représentent 7 % à 9,9 % des traumatismes
oculaires.
Elles concernent essentiellement l’adulte jeune
(16-45 ans), de sexe masculin (70-86 %).
Elles sont plus rares
chez l’enfant (7 %).
Elles surviennent souvent dans le cadre
d’accidents industriels et d’accidents du travail (63 %), parfois
d’accidents domestiques (37 %) ou au cours d’une agression
(10 %).
L’hospitalisation est nécessaire dans 7,7 à 48 % des
cas, selon les séries. Bien que les bases soient fréquemment
impliquées, le pronostic des brûlures chimiques est bon dans 88 %
des cas.
D - CLINIQUE :
1- Signes fonctionnels
:
La symptomatologie est souvent bruyante et peut associer un blépharospasme, une photophobie, un larmoiement, une rougeur,
une douleur oculaire et une baisse de l’acuité visuelle.
2- Examen clinique
:
L’examen clinique initial est essentiel car il permet d’établir le
pronostic et d’adapter le traitement à la sévérité des lésions.
Il évalue :
– l’étendue et la sévérité de la brûlure conjonctivale, l’existence
d’une ischémie, voire d’une nécrose, de la conjonctive bulbaire et/ou
limbique ; les zones d’ischémie limbique sont reportées sur un
schéma qui est consulté avant une éventuelle autogreffe limbique,
afin d’éviter le prélèvement dans des zones déjà altérées ;
– l’étendue de la brûlure cornéenne à l’aide des colorants vitaux
(fluorescéine), sa profondeur, et l’existence d’une opacification stromale ;
– le tonus oculaire ;
– la réaction inflammatoire de la chambre antérieure ;
– la clarté du cristallin.
3-
Classification :
La classification de Hughes, modifiée par Roper-Hall, permet
d’établir un pronostic dès la phase initiale.
Elle repose sur l’étendue
d’une éventuelle ischémie limbique et l’importance de l’opacité stromale.
4- Évolution
:
Les brûlures cornéennes se manifestent par des lésions qui varient
entre la kératite ponctuée superficielle et le délabrement épithélial avec opacité stromale.
Les atteintes les plus sévères sont observées
après le contact avec une base.
Elles sont parfois associées à une
destruction des cellules souches limbiques, qui se traduit par des
ulcérations épithéliales récidivantes, un recouvrement de la surface
cornéenne par un épithélium de type conjonctival, et une néovascularisation stromale profonde.
La destruction de la
conjonctive proximale, ou juxtalimbique, ne permet plus le
recouvrement conjonctival et s’accompagne d’un ulcère stromal
chronique.
Le processus de réparation cornéenne se fait en trois phases.
Au cours de la première semaine (première phase), la réépithélialisation n’est complète qu’en l’absence de perte de cellules
souches limbiques (grade I).
Entre la première et la troisième
semaine (deuxième phase), la réépithélialisation est possible dans
les déficits partiels en cellules souches limbiques (grades II et III),
grâce au glissement circonférentiel des cellules amplificatrices
transitoires. Une néovascularisation cornéenne sectorielle est parfois
observée en regard des zones limbiques ischémiques.
Après la
troisième semaine (troisième phase), la réparation des brûlures avec
déficit total en cellules souches limbiques (grade IV) se fait par une
« conjonctivalisation » (métaplasie conjonctivale) de la cornée, dans
les cas où la conjonctive juxtalimbique est préservée.
Dans les
déficits complets en cellules souches, associés à une nécrose
conjonctivale étendue (grade IV), l’absence de réépithélialisation
favorise le développement d’un ulcère stromal chronique stérile.
Ainsi, l’étendue de l’ischémie limbique, évaluée cliniquement, est
corrélée à l’importance de la destruction des cellules souches
limbiques, et elle conditionne la réépithélialisation cornéenne.
Une absence de réépithélialisation à la troisième semaine plaide en
faveur d’un grade IV de Hughes.
Les brûlures cornéennes sont souvent associées à des lésions
conjonctivales qui peuvent évoluer vers l’inflammation chronique et
la fibrose.
Par ailleurs, la destruction des cellules épithéliales
conjonctivales et des cellules caliciformes de la conjonctive,
responsables de la sécrétion du mucus, provoque une altération du
film lacrymal.
La couche muqueuse est en effet essentielle pour
l’adhésion du film à la surface oculaire.
Enfin, dans les brûlures sévères par bases, les lésions de la surface
oculaire sont parfois associées à des lésions intraoculaires.
Une
hypertonie oculaire peut être observée dès le premier jour.
Elle
résulte d’une altération du trabéculum par l’agent chimique et de
l’inflammation intraoculaire.
Elle nécessite un traitement hypotonisant précoce.
L’hypotonie par destruction du corps ciliaire
est rare.
Au stade cicatriciel peuvent se développer un glaucome
chronique (22,2 % des cas) ou une cataracte (45,6 % des cas).
E - TRAITEMENT :
La prise en charge des brûlures cornéennes a pour objectifs d’assurer
une vascularisation limbique suffisante, de contrôler l’inflammation stromale, et de suppléer dès la troisième semaine à l’éventuelle
déficience en cellules souches limbiques.
1- Prise en charge initiale
:
Le lavage abondant de la surface oculaire et des voies lacrymales
doit précéder l’examen clinique.
Il est débuté sur le lieu de l’accident
et poursuivi en milieu médical pendant une durée de 15 à
30 minutes.
Le sérum physiologique est habituellement utilisé.
La
normalisation du pH des larmes confirme l’efficacité du lavage.
Il
n’est pas nécessaire d’administrer un antidote de l’agent chimique,
car elle pourrait être responsable de lésions supplémentaires.
On
note cependant l’intérêt de l’EDTA 0,01 M pour libérer les particules
de ciment enchâssées dans la conjonctive.
Une double éversion de
la paupière supérieure est indispensable pour mettre en évidence
certaines particules solides incarcérées.
La ponction et le lavage de la chambre antérieure n’ont pas
démontré leur efficacité et ne sont plus recommandés par la plupart
des auteurs.
2- Traitement médical
:
* Larmes artificielles
:
Une destruction des cellules à mucus est fréquemment observée dans les brûlures caustiques.
Elle est responsable d’anomalies de
l’adhésion du film lacrymal à la surface cornéenne et contribue à la
fragilisation de l’épithélium cornéen.
L’instillation pluriquotidienne
de larmes artificielles est donc largement recommandée, et parfois
associée à l’occlusion des canalicules lacrymaux.
Elle est prolongée
après la réépithélialisation.
Les conservateurs ont une action
détergente propre et sont proscrits.
* Mucomimétiques :
Le hyaluronate de sodium est un glycosaminoglycane qui augmente
la mouillabilité de la surface oculaire et améliore l’adhésion du film
lacrymal.
Il pourrait favoriser la migration épithéliale et prévenir la
fibrose conjonctivale.
* Lentilles de contact :
Les lentilles pansements peuvent avoir un rôle favorable sur la réépithélialisation.
Elles sont cependant mal tolérées sur ce terrain,
et comportent des risques de surinfection.
* Stéroïdes :
L’utilisation des corticoïdes dans le traitement des brûlures
chimiques a longtemps été controversée.
À leur action antiinflammatoire
bénéfique, s’oppose le retard de réparation épithéliale
et stromale.
En effet, les stéroïdes diminuent le chimiotactisme pour
les cellules inflammatoires, stabilisent les membranes cellulaires et lysosomiales des polynucléaires, et possèdent donc une action
anticollagénase.
Ils retardent également la rupture de la membrane
basale notée après des brûlures par bases.
Cependant, ils
diminuent la migration des kératocytes, inhibent la synthèse de
collagène, et retardent la cicatrisation cornéenne.
Mais la phase
de réparation stromale n’étant activée de façon significative qu’après
le dixième jour, les corticoïdes locaux peuvent être utilisés
pendant la première semaine sous surveillance.
Ils sont ensuite
arrêtés, parfois relayés par les anti-inflammatoires non stéroïdiens
(AINS), et éventuellement réintroduits après la sixième semaine
si la réaction inflammatoire persiste.
Leur utilisation prolongée et
continue n’est toutefois pas recommandée.
La médroxyprogestérone a une action anti-inflammatoire modérée
et inhibe la collagénase, sans effet délétère sur la réparation stromale.
Elle a été proposée par certains auteurs comme relais des
corticoïdes.
* Citrate :
Le citrate diminue le chimiotactisme pour les cellules
inflammatoires, inhibe la capacité de phagocytose des polynucléaires
et la libération d’enzymes lysosomiales.
Il peut ainsi diminuer la
libération de collagénase en empêchant la deuxième vague d’infiltrat
inflammatoire.
Il a par ailleurs une action anticollagénase
propre.
Administré précocement (dans les 12-24 heures) par voie
topique (citrate 10 %), il diminue l’incidence d’ulcérations
cornéennes de façon significative.
* Ascorbate :
L’ascorbate est un cofacteur de la synthèse du collagène.
L’administration précoce d’ascorbate 10 % diminue l’incidence des
ulcérations cornéennes.
La voie topique est préférable à la voie
générale, car le corps ciliaire perd sa capacité à concentrer l’ascorbate
dans l’humeur aqueuse.
L’administration tardive d’ascorbate est
moins efficace et ne permet pas de limiter l’extension des ulcères
déjà constitués.
* Cyclines :
Les cyclines réduisent l’activité de la collagénase par le biais d’une
chélation du zinc.
Elles diminuent le chimiotactisme et l’activité
des polynucléaires.
Administrées par voie systémique, elles
réduisent l’incidence et favorisent la cicatrisation des ulcérations
épithéliales.
*
Inhibiteurs de la collagénase :
L’efficacité de l’acétylcystéine comme inhibiteur de collagénase est
controversée.
Dans des études expérimentales, des inhibiteurs
plus puissants (inhibiteurs thiol synthétiques, inhibiteurs peptide carboxyls, inhibiteurs tissulaires de métalloprotéinases) ont
démontré leur efficacité sur la diminution de l’amincissement
cornéen et du risque de perforation, mais aucune étude clinique
n’a encore été publiée.
* Autres :
L’administration de facteurs de croissance (EGF, FGF) qui ont un
effet favorable sur la réépithélialisation a été rapportée dans de
nombreuses études expérimentales et cliniques avec des résultats
variables.
Elle n’est cependant pas pratiquée couramment.
3- Traitement chirurgical
:
*
Débridement des tissus nécrotiques :
La détersion de l’épithélium conjonctival nécrotique est nécessaire
dès la phase précoce.
Elle supprime un facteur chimiotactique pour
les cellules inflammatoires et a donc une action favorable sur la réépithélialisation cornéenne.
* Prévention de la formation de symblépharons :
La prévention de la formation de symblépharons doit être envisagée
dans toutes les brûlures conjonctivales étendues.
Différentes méthodes ont été proposées, dont :
– la libération régulière des adhérences dans les culs-de-sac
conjonctivaux à l’aide d’un écouvillon ;
– la mise en place de verres scléraux ;
– l’utilisation de lentilles de contact de grand diamètre ;
– la mise en place d’une éponge en gélatine dans les culs-de-sac
conjonctivaux pendant la phase de réparation de l’épithélium
conjonctival.
* Transplantation conjonctivale :
La greffe conjonctivale seule ne permet pas la restauration d’un
épithélium cornéen normal et a été remplacée par la greffe de
cellules limbiques.
Au stade cicatriciel, elle permet de reconstruire
les culs-de-sac conjonctivaux dans les fibroses conjonctivales.
Elle
est cependant moins utilisée que les greffes de muqueuse buccale
ou nasale (qui comporte plus de cellules à mucus), ou les
avancements tarsoconjonctivaux.
* Plastie ténonienne :
Le rapprochement au limbe d’un ou plusieurs lambeaux ténoniens
de 2 à 3mm d’épaisseur rétablit une vascularisation limbique
dans les stades IV de Hughes associés à une nécrose conjonctivale
étendue.
Il doit être réalisé précocement, après le parage de la
conjonctive nécrotique, et peut être suivi d’une greffe de cellules
souches limbiques.
Il évite la nécrose du segment antérieur et
favorise la cicatrisation des ulcérations sclérales.
Il n’empêche
cependant pas la fibrose conjonctivale (27 % des cas) et ne suffit
pas à assurer une réparation épithéliale cornéenne correcte.
* Kératoépithélioplastie :
La kératoépithélioplastie a été décrite par Thoft dans des brûlures
sévères bilatérales pour traiter un defect épithélial chronique.
Elle
consiste à greffer sur l’oeil atteint quatre lenticules cornéens prélevés
sur oeil de cadavre.
Les greffons comportent un épithélium
intact et peu de stroma cornéen.
Ils sont suturés au limbe de l’oeil
receveur, après une péritomie limbique et une kératectomie
lamellaire superficielle.
La migration centripète de l’épithélium du
donneur permet ainsi un recouvrement du stroma dénudé.
Les
inconvénients de cette technique sont liés à la difficulté du
prélèvement des greffons, aux risques de rejet, aux résultats
inconstants qui dépendent de l’existence de cellules limbiques dans
les lenticules cornéens greffés.
* Transplantation de cellules limbiques
:
La greffe de limbe a remplacé l’autogreffe conjonctivale et la kératoépithélioplastie qui traitaient les defects épithéliaux
récidivants en apportant respectivement des fragments de conjonctive ou des lenticules cornéens au niveau du limbe altéré.
Elle a été initialement décrite par Kenyon pour réhabiliter la
fonction visuelle d’yeux ayant développé une néovascularisation
cornéenne plusieurs semaines après une brûlure chimique.
Réalisée
précocement, elle permet une réépithélialisation normale des grades
III et IV de Hughes, prévient le développement d’ulcères stromaux
chroniques et la cicatrisation sous forme de pannus vasculaire.
En effet, la restitution d’un épithélium normal inhibe la
libération de collagénase par les kératocytes et empêche les
polynucléaires d’accéder au stroma cornéen.
Dans les brûlures unilatérales, le limbe est prélevé sur l’oeil sain sous
forme de deux croissants d’un arc de 4 heures, comportant
0,5-1 mm de cornée et 2 mm de conjonctive.
Les greffons sont
suturés au niveau du limbe de l’oeil receveur après une péritomie
limbique et un grattage du pannus, voire une kératectomie
superficielle.
Dans les brûlures bilatérales, le prélèvement est
effectué sur l’oeil d’un collatéral ou d’un cadavre.
Le succès de la greffe de limbe est conditionné par un contrôle
préalable de l’inflammation de la surface oculaire, une bonne
revascularisation limbique, si nécessaire après plastie ténonienne, une qualité suffisante du limbe prélevé dans les autogreffes,
et une prévention de rejet des allogreffes par un traitement
systémique par ciclosporine A.
La restauration d’un épithélium
normal et la disparition des cellules caliciformes au niveau de la
surface cornéenne sont obtenues en 8 à 10 jours.
Elles
s’accompagnent d’un éclaircissement du stroma dans les néovascularisations superficielles.
Une kératoplastie transfixiante est
parfois nécessaire après la transplantation limbique lorsque la
néovascularisation stromale est profonde.
La transplantation de cellules limbiques est recommandée par la
plupart des auteurs dans les grades III ou IV de Hughes, dès la
troisième semaine après la brûlure.
En effet, les greffes
précoces (avant le deuxième mois) donnent de meilleurs résultats
que celles réalisées au stade cicatriciel (après le neuvième mois).
Le pronostic pourrait être amélioré par les allogreffes HLA
compatibles (70-80 % de succès à 2 ans), la culture cellulaire de
cellules limbiques, et l’association à la transplantation de
membrane amniotique.
* Transplantation de membrane amniotique :
La transplantation de membrane amniotique a été décrite pour la
première fois par Kim et Tseng sur des yeux de lapin présentant
un déficit total en cellules limbiques.
La membrane amniotique représente la partie la plus interne du
placenta.
Elle est constituée d’une membrane basale épaisse,
composée de collagène de types IV et V, et de laminine.
Elle libère
des cytokines (TGFb, bFGF) et possède un effet antiapoptotique
sur les cellules épithéliales, dont elle favorise la migration et la
différenciation cellulaire.
Ainsi, la densité des cellules épithéliales basales double sur les surfaces recouvertes de membrane
amniotique.
Par ailleurs, la membrane amniotique n’exprime
habituellement pas de phénotype HLA et ne comporte donc pas
de risque de rejet.
La membrane amniotique est récupérée à partir de placentas de
césariennes, après une recherche du virus de l’immunodéficience
humaine (VIH), des virus de l’hépatite B et C et de la syphilis. Vingt
pièces de 3 x 3 cm sont obtenues à partir d’un placenta et peuvent
être conservées plusieurs mois à -80 °C.
La membrane est suturée, après une péritomie limbique, une
libération des adhérences conjonctivales jusqu’à 5-7 mm en arrière
du limbe, et une résection du pannus cornéen.
Elle recouvre ainsi la sclère et le stroma cornéen dénudés.
La greffe de membrane amniotique favorise la réépithélialisation
conjonctivale et prévient la fibrose.
Elle permet la reconstruction
des culs-de-sac conjonctivaux, en cas de fibrose déjà installée, grâce
à ses propriétés antiadhésives.
Dans les déficits limbiques partiels, elle permet une réépithélialisation normale.
Dans les déficits limbiques étendus,
elle ne suffit pas à restaurer l’intégrité épithéliale et doit être
associée à une transplantation de cellules souches.
En
réduisant l’inflammation stromale, elle améliore le pronostic de
la transplantation limbique et diminue le risque de rejet.
Enfin,
une kératoplastie transfixiante peut succéder à la double
transplantation (amnios et limbe) dans les déficits limbiques diffus
accompagnés d’une néovascularisation stromale profonde.
Elle
comporte cependant un risque important de rejet (64 %), malgré le
traitement systémique par ciclosporine A.
* Kératoplastie transfixiante :
+ De grand diamètre :
La kératoplastie transfixiante d’un diamètre de 11-12 mm présente
un double intérêt. Elle restitue l’architecture du globe oculaire tout
en apportant des cellules limbiques allogéniques qui assurent une
réépithélialisation normale et le maintien d’un stroma cornéen
clair.
Elle peut être réalisée aux stades précoce ou cicatriciel des brûlures
sévères.
Elle est cependant associée à un risque important de rejet,
malgré les traitements immunosuppresseurs.
En pratique, elle est
souvent remplacée par une greffe de cellules limbiques qui peut être
suivie d’une kératoplastie transfixiante de diamètre habituel en cas
de néovascularisation stromale profonde.
+ De diamètre habituel
:
La kératoplastie transfixiante d’un diamètre de 7-8 mm rétablit la
transparence cornéenne en présence d’une cicatrice néovascularisée,
et permet de rétablir l’architecture tectonique du globe après une
perforation supérieure à 1 mm qui ne peut bénéficier d’une
application de colle cyanoacrylate.
Elle n’apporte pas de cellules
souches épithéliales, mais des cellules amplificatrices transitoires qui
ont une durée de vie limitée.
Elle ne suffit donc pas à traiter les
instabilités épithéliales observées dans les ischémies limbiques
étendues.
Elle doit alors être associée à une transplantation
limbique.
Le pronostic de ces greffes sur des cornées néovascularisées, souvent
associées à une fibrose conjonctivale ou des cicatrices palpébrales,
est souvent réservé.
Le recours aux kératoprothèses est parfois
nécessaire dans les brûlures sévères bilatérales.
Brûlures thermiques
:
A - HAUTES TEMPÉRATURES :
1- Épidémiologie
:
Dans les brûlures thermiques par flamme, l’atteinte oculaire est rare
(20-27 %) et le pronostic dépend des brûlures de la face et des
paupières.
Les brûlures cornéennes par contact direct avec un
élément chaud sont plus fréquentes.
Leur sévérité dépend de la
durée du contact. Elles sont essentiellement observées après
projection d’eau ou d’huile chaudes, et sont parfois associées à un
corps étranger intraoculaire.
Elles compliquent plus rarement une phacoémulsification, et siègent alors en regard de l’incision
cornéenne.
2- Clinique
:
Les lésions cornéennes sont souvent superficielles.
Elles peuvent
associer une nécrose épithéliale, une opacification stromale, un
pannus néovasculaire, un amincissement, voire une ectasie
cornéenne.
Les brûlures liées à la phacoémulsification peuvent
provoquer un astigmatisme, voire une opacification cornéenne
localisée, qui régressent habituellement en quelques semaines.
3- Traitement :
Le traitement des lésions épithéliales aiguës associe une
antibiothérapie locale, des cicatrisants cornéens, des cycloplégiques
et un pansement oculaire.
La prise en charge des defects épithéliaux
chroniques, des opacités cornéennes néovascularisées et des
amincissements cornéens se rapproche de celle des brûlures
chimiques.
B - BASSES TEMPÉRATURES :
Les brûlures cornéennes par le froid sont rares. Elles peuvent
survenir au décours d’une cryothérapie.
Elles se manifestent par
un oedème cornéen, des plis de Descemet, et parfois des lésions
endothéliales cornéennes.
Brûlures par rayonnements
:
A - ULTRAVIOLETS :
Dans le spectre ultraviolet (UV), on distingue les UVA (320-400 nm),
les UVB (290-320 nm) et les UVC (200-290 nm).
Les rayons absorbés
par la cornée ont des longueurs d’onde comprises entre 200 et 300 nm, avec un maximum d’absorption épithéliale autour de
280 nm, et une absorption stromale à 300 nm.
1- Physiopathologie
:
Les UV réagissent avec les acides nucléiques et les protéines
cellulaires, et augmentent la perméabilité membranaire.
Leur effet
est cumulatif et est compensé par un mécanisme de réparation
permanent de la cornée.
Ils provoquent un détachement des
cellules épithéliales superficielles, un oedème épithélial, une
vacuolisation des kératocytes, et un oedème stromal par rupture des
glycosaminoglycanes ou par lésion endothéliale.
Une lésion des
nerfs cornéens est responsable d’une hypoesthésie transitoire jusqu’à
la quatrième heure après l’exposition.
2- Clinique
:
Les brûlures cornéennes par UV surviennent après une exposition
au soleil (souvent en présence d’une surface réfléchissante : neige,
mer), aux lampes à UV ou aux arcs électriques.
Les signes fonctionnels apparaissent de façon retardée (6-12 heures).
L’examen retrouve une kératite ponctuée superficielle dans l’aire de
la fente palpébrale, parfois un oedème stromal modéré, et peu ou
pas de réaction inflammatoire dans la chambre antérieure.
L’exposition chronique aux UV favorise le développement de ptérygions, de kératopathie sphéroïdale (droplet climatic
keratopathy) et d’épithélioma in situ.
3- Traitement
:
Le traitement associe des antalgiques per os, un cicatrisant cornéen,
un cycloplégique et une antibiothérapie topique.
L’occlusion
palpébrale pendant 24 heures soulage les symptômes.
B - INFRAROUGES :
Les rayonnements infrarouges ont une longueur d’onde comprise
entre 900 et 1 000 nm. Ils provoquent des lésions oculaires par effet
thermique.
Ils sont mis en cause dans les explosions par armes à
feu, dans les industries des métaux ou du verre en fusion, et dans
les expositions solaires prolongées (éclipse).
Les lésions
cornéennes sont habituellement limitées à une kératite ponctuée
superficielle, et associées à des opacités cristalliniennes ou à une
atteinte rétinienne.
Conclusion
:
Les brûlures cornéennes peuvent être responsables d’une altération
sévère et bilatérale de l’acuité visuelle.
Le développement des cultures de
cellules souches limbiques pourrait permettre à l’avenir des autogreffes
limbiques dans les brûlures sévères bilatérales, en évitant le risque de
rejet des allogreffes.
Par ailleurs, l’utilisation de facteurs de
croissance purifiés, obtenus par génie génétique, pourrait accélérer les
processus de cicatrisation dans la plupart des brûlures cornéennes.
Enfin, la prévention des accidents du travail dans le secteur industriel
est essentielle pour diminuer l’incidence des brûlures chimiques qui
représentent les brûlures cornéennes les plus fréquentes.