Bilharziose hépatique (schistosomiase hépatique) Cours d'Hépatologie
Introduction
:
La bilharziose ou schistosomiase est une des helminthiases les plus
répandues dans le monde.
C’est aussi la troisième endémie
parasitaire après le paludisme et l’amibiase.
Bien que la répartition
de l’affection se soit modifiée au cours des 50 dernières années et
que des projets de lutte aient été couronnés de succès, le nombre
d’individus infectés ou à risque d’infection n’a pas diminué et serait
même en augmentation du fait de la croissance démographique et
de l’augmentation des projets de développement des ressources en
eau dans les zones d’endémie.
On estime à plus de 300 millions le
nombre d’individus infectés dans le monde (85 % d’entre eux vivant
en Afrique), à 600 millions ceux exposés au risque d’infection et à
1 million le nombre de décès annuels rapportés à cette parasitose.
Sévissant à l’état endémique dans la plupart des régions tropicales
et subtropicales du globe, la bilharziose est étroitement associée au
niveau socioéconomique des populations et pose un problème de
santé publique majeur dans les pays à économie de transition.
Les schistosomes sont des vers plats ; cinq espèces sont pathogènes
pour l’homme.
Toutes donnent une atteinte hépatique, mais seuls Schistosoma mansoni, décrit en 1902 par Manson, et les bilharzioses
asiatiques avec essentiellement S. japonicum décrit en 1888 par
Mashima, sont à l’origine de manifestations hépatiques sévères,
dominées par l’hypertension portale, et qui font toute la gravité de
la maladie.
Aussi dans certaines régions d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie, la bilharziose est-elle la cause la plus fréquente de l’hypertension portale, loin devant les cirrhoses posthépatiques ou
alcooliques.
Cette hypertension portale d’origine parasitaire est
originale sur le plan anatomopathologique et physiopathologique,
réalisant un bloc présinusoïdal très différent des lésions de cirrhose.
Son dépistage a largement bénéficié des progrès de l’échographie
hépatique qui, en facilitant les enquêtes de terrain, a permis une
meilleure compréhension de la morbidité hépatique.
Si le traitement antihelminthique à base de praziquantel est
particulièrement efficace et bien toléré à l’échelon individuel, son
utilisation au cours de traitement de masse expose à de nombreux
échecs en l’absence d’amélioration comparable des conditions de vie
et du niveau d’hygiène.
De nouvelles molécules sont actuellement à l’essai, notamment celles
agissant dans les toutes premières phases de l’infection, avant la
ponte des oeufs par les vers adultes femelles, mais dans les pays en
voie de développement, l’espoir repose désormais sur la mise au
point d’un vaccin efficace.
Épidémiologie
:
A - AGENTS PATHOGÈNES
:
1- Taxonomie
:
Les schistosomes sont des métazoaires appartenant à
l’embranchement des plathelminthes, à la classe des trématodes, au
sous-ordre des distomiens et à la famille des schistosomidés.
Ce sont
des vers plats non segmentés, sexués et hématophages.
Plus de
100 espèces de Schistosomatidae sont connues, parasitant les
vertébrés à sang chaud et ayant toutes en commun un cycle
parasitaire intermédiaire chez un mollusque gastéropode d’eau
douce.
Depuis les travaux de Bilharz, qui a décrit en 1851 S.
haematobium,l’agent de la bilharziose urinaire, quatre autres espèces
du genre Schistosoma ont été reconnues parasites de l’homme :
– S. japonicum, Mazimi, 1888, agent de la bilharziose
artérioveineuse ;
– S. mansoni, Sambon, 1907, agent de la bilharziose intestinale ;
– S. intercalatum, Fisher, 1934, agent de la bilharziose
rectosigmoïdiennne ;
– S. mekongi, Voge, Bruckner et Bruce, 1968.
Certaines autres espèces ont été très exceptionnellement rencontrées
tel S. mattheei, schistosome du bétail.
Elles sont en impasse
parasitaire chez l’homme.
2- Génétique des schistosomes
:
Plus de 6 000 gènes de S. mansoni sont connus à ce jour, soit
seulement 30 % du génome total du parasite.
Parmi les gènes isolés,
66 % sont spécifiques à S. mansoni. Ces gènes peuvent être regroupés
par famille, chacune d’entre elles participant à la production de
protéines vitales pour le développement du parasite.
Concernant
S. japonicum, les travaux sont moins avancés.
On sait cependant que
75 % des gènes découverts chez S. japonicum lui sont spécifiques.
Par ailleurs, des hybridations génomiques ont été récemment
observées entre S. intercalatum et S. haematobium.
Des travaux se poursuivent actuellement, avec la construction d’une
banque de gènes permettant de rapporter les gènes identifiés aux
différentes étapes du cycle du parasite.
B - CYCLE PARASITAIRE
:
Les schistosomes sont des parasites hétéroxènes qui présentent deux
phases de multiplication, l’une sexuée chez l’hôte définitif, l’homme,
et l’autre asexuée chez l’hôte intermédiaire, un mollusque d’eau
douce. Entre les deux hôtes, le lien est l’eau douce souvent peu
profonde, calme et herbeuse.
L’homme est l’hôte définitif. Les vers adultes, mesurant 10 à 15 mm
de long, vivent dans le système veineux porte hépatique où ils
s’accouplent, puis migrent à contre-courant dans les plexus veineux
splanchniques pour y pondre leurs oeufs.
Chaque espèce a un
territoire préférentiel mais non exclusif : vésical pour S. haematobium,
intestinal pour S. mansoni, hémorroïdaire pour S. intercalatum,
territoire variable et souvent haut situé pour S. mekongi et
S. japonicum.
La femelle fécondée de S. mansoni pond chaque jour
de 100 à 300 oeufs, libérés un par un, celle de S. japonicum émet
500 à 3 500 oeufs quotidiennement par paquets de 50 oeufs.
Libérés dans les veinules des organes profonds, les oeufs traversent
la paroi vasculaire puis la muqueuse intestinale pour être éliminés
dans la lumière des organes creux (tube digestif, vessie) ou bien
restent véhiculés dans la circulation portale jusqu’au foie où ils
s’immobilisent.
Cette migration est rendue possible par des
phénomènes mécaniques (progression des vers adultes, péristaltisme
des organes, éperon perforateur des oeufs), la sécrétion d’enzymes
protéolytiques et une réaction inflammatoire locale médiée par des
lymphocytes CD4+ T-helper.
Toutefois, un grand nombre d’oeufs vont
s’immobiliser dans les tuniques tissulaires et induire une réaction à
corps étranger à l’origine de la bilharziose-maladie, ou bien migrer
dans le courant veineux mésentérique pour gagner le foie en
s’embolisant dans les veinules portes.
Lorsqu’ils sont éliminés dans l’eau douce avec les excreta, les oeufs
libèrent un embryon cilié (miracidium) qui doit trouver en moins de
18 heures son hôte intermédiaire : il s’agit de mollusques
gastéropodes aquatiques, hermaphrodites et ovipares, différents
selon chaque espèce de schistosome, habituellement peu affectés par
le développement de l’embryon.
Après plusieurs stades évolutifs qui
durent 3 semaines à 2 mois dans des conditions climatiques
favorables, les larves se transforment en cercaires puis en furcocercaires dont le nombre émis, qui dépend de la taille du
mollusque et de l’intensité de l’infection, peut atteindre 100 000 à
200 000 en quelques semaines.
La survie des furcocercaires dans l’eau n’excédant pas 48 heures, ils
nagent à la surface de l’eau à la recherche de l’hôte définitif vers
lequel ils sont attirés par un chimiotactisme puissant lié aux
sécrétions cutanées.
Ils traversent ensuite activement le revêtement cutané, perdent leur
queue et deviennent des schistosomules (stade larvaire des
schistosomes) qui gagnent le coeur droit par voie
lymphaticosanguine puis le poumon et enfin le coeur gauche et le
système artériel avant de rejoindre le foie où va s’achever leur
maturation et leur accouplement dans les plexus veineux.
Les vers
adultes ont une longévité variable qui peut atteindre 5 ans
(S. japonicum) à 30 ans (S. mansoni) et être ainsi à l’origine d’infection
active chez des sujets qui ont quitté les zones d’endémie depuis
plusieurs années.
Le réservoir de parasites est principalement humain et
accessoirement animal pour S. mansoni, tandis que pour S. japonicum
et S. mekongi, il s’agit de zoonoses transmissibles à l’homme.
Répartition géographique
:
La bilharziose est endémique dans 76 pays et territoires, tous situés
dans les zones tropicales et intertropicales du globe (35° de latitude
nord, 25° de latitude sud).
Les exigences bioécologiques de l’hôte intermédiaire et le niveau
d’hygiène des populations rendent compte de la répartition des
différentes bilharzioses.
La température est le facteur dominant
tandis que le degré d’humidité et la présence de différents types
intermédiaires déterminent la distribution de chaque espèce :
– S. mansoni, agent de la bilharziose américaine et africaine
s’observe dans la zone intertropicale d’Amérique latine, s’étendant
jusqu’aux Antilles. En Afrique, elle n’épargne que le Maghreb ;
– S. japonicum a une répartition extrême-orientale.
Elle sévit en
Chine où la population exposée est estimée à 5 millions et la
prévalence à 500 000 personnes.
La parasitose est aussi présente en
Thaïlande, aux Philippines et en Indonésie.
Il n’est actuellement plus
rapporté de transmission au Japon ;
– S. haematobium est l’agent de la bilharziose africaine que l’on
observe du Maghreb à l’Afrique australe et sur les îles côtières.
On
la rencontre aussi dans la partie méridionale du bassin
Méditerranéen, au Moyen-Orient et en Inde ;
– S. intercalatum occupe une aire limitée à l’Afrique équatoriale et
centrale mais on observe une tendance à l’extension de son aire
géographique.
Il est aussi présent sur certaines îles côtières telles
que Saõ Tomé et Principe ;
– S. mekongi a été mis en évidence dans la péninsule indochinoise,
le long du fleuve Mékong et de ses affluents, le Mun et le Tonlé
Sap.
Les pays les plus gravement touchés en Afrique sont l’Angola,
l’Égypte, le Ghana, Madagascar, la Malawi, le Mali, le Mozambique,
le Nigeria, l’Ouganda, la République centrafricaine, la République
unie de Tanzanie, le Tchad, la Zambie et le Zimbabwe.
En Amérique,
le Brésil a les taux d’infection les plus élevés : 25 millions d’habitants
vivent en zones d’endémie, 3 millions d’entre eux sont infectés.
En
Asie, la Chine est le pays le plus touché, avec quelque 900 000
personnes infectées. Au Moyen-Orient, le Yémen est le pays qui
compte le plus de personnes infectées (environ 3 millions).
C - MODALITÉS ÉPIDÉMIOLOGIQUES
:
Les schistosomes sévissent sur un mode endémique en foyers
disséminés.
Leur transmission est étroitement liée à la nature des
contacts de l’homme avec l’eau douce : un niveau socioéconomique
modeste, la présence de sources d’eau potable en nombre réduit
favorisant les regroupements humains, l’absence de moyens de
neutralisation des excreta, et des activités professionnelles, agricoles
ou pastorales, mais aussi ludiques ou ménagères amplifient les
contacts avec l’eau.
Par ailleurs, les modifications des milieux
naturels, souvent provoquées par une poussée démographique mal
maîtrisée, créent des conditions favorables à l’extension de
l’endémie.
Ainsi en est-il des projets d’aménagements hydrauliques,
du développement de réseaux d’irrigation nécessaires à la mise en
valeur de terres agricoles qui, en créant des conditions favorables
aux mollusques et en attirant des populations, changent la
dynamique de la transmission.
De nombreuses espèces de mollusques sont aujourd’hui identifiées :
celles rencontrées en Europe et en Amérique du Nord ne rentrent
pas dans le cycle de la bilharziose humaine.
Elles peuvent toutefois
servir d’hôte intermédiaire dans un cycle animal, pouvant à
l’occasion infecter l’homme, qui se comporte alors comme une
impasse parasitaire (dermatite cercarienne).
Les régions à forte prévalence de bilharziose sont aussi celles où la
charge parasitaire par individu est très importante.
Des variations
sont toutefois observées en fonction de l’espèce de schistosome en
cause.
Ainsi, en Asie, dans les régions d’endémie à S. japonicum,
l’atteinte hépatique est souvent plus importante et l’excrétion fécale
des oeufs dans les selles plus abondante.
À l’inverse, en Afrique et
en Amérique du Sud où l’on trouve les zones d’endémie à
S. mansoni, la prévalence des atteintes hépatiques et celle du nombre
d’oeufs émis dans les selles est moins grande.
Il existerait donc
une relation étroite entre le nombre d’oeufs émis et l’intensité de
l’infection et de nombreux modèles mathématiques ont été
développés pour adapter les stratégies de dépistage et de traitement
aux variations de la situation épidémiologique.
Physiopathologie
:
Dominée par l’embolisation des oeufs au niveau des veinules portes
et par la réaction immunitaire locale qu’ils y induisent, la
physiopathologie de la bilharziose hépatique fait intervenir des
mécanismes complexes.
Les vers adultes n’induisent pas de réaction
inflammatoire des vaisseaux, mais seulement l’apparition
progressive d’une immunité relative.
Les manifestations cliniques
s’observent chez moins de 10 % des sujets infectés, et sont sous la
dépendance de facteurs liés au parasite et à l’hôte.
Cette pathogénie
comprend plusieurs phases chronologiques, souvent intriquées :
– la phase d’invasion ne concerne que les tissus pulmonaires et
hépatospléniques, sièges de réactions immunologiques
d’hypersensibilité de caractère labile ;
– la phase d’état est dominée par la ponte des oeufs qui débute
2 mois après le contage.
Si l’aboutissement normal de la migration est l’élimination de l’oeuf
dans la lumière d’un organe creux, on estime qu’environ 50 % des
oeufs vont gagner le foie et s’emboliser dans les veinules de petit
calibre, l’intensité et la durée de la ponte ovulaire étant, de ce fait,
corrélées à la sévérité des lésions hépatiques.
Ainsi, une excrétion
de plus de 400 oeufs par gramme de selle serait, pour certains, un
facteur de pronostic défavorable.
Puis, la sécrétion par le
miracidium de substances protéolytiques et cytotoxiques, au
caractère antigénique important, va déterminer la formation du
granulome bilharzien, lésion élémentaire spécifique de la
bilharziose-maladie.
Ce granulome est l’expression de la réaction
d’hypersensibilité retardée développée au contact des antigènes
ovulaires provenant du miracidium.
Il est principalement
constitué de monocytes, de macrophages, d’éosinophiles et de
fibroblastes recrutés par des lymphokines sécrétées par les
lymphocytes Th1 et Th2 activés.
La réponse de type Th1, initiée
par les antigènes ovulaires, débute dès les premiers stades de la
formation du granulome, fait intervenir une libération d’interféron
(IFN)-gamma, d’oxyde nitrique (provenant des macrophages et des cellules
endothéliales vasculaires) et de tumor necrosis factor (TNF)-alpha, cette
dernière cytokine jouant un rôle clé dans la formation du granulome
(mais pas dans la fibrose hépatique).
La réponse de type Th2 avec
production d’interleukine (IL)13 stimule la production de collagène
par les fibroblastes participant à la formation du granulome.
Présents en grand nombre au sein du granulome, les éosinophiles
modulent cette réponse immunitaire par l’intermédiaire de
nombreuses cytokines, notamment IL2, IL4, IL5, IL10, IL12 et IFN-gamma
tout en ayant une cytotoxicité directe sur les oeufs par l’intermédiaire
de la protéine basique majeure (eosinophilic major basic protein
[EMBP]).
L’IL12 régulerait à la fois la formation du granulome et
l’évolution vers la fibrose, alors que l’IFN-gamma n’est impliqué que dans
le développement de la fibrose.
Outre ces phénomènes
inflammatoires (et qui rendent compte de l’absence de granulomes
en cas d’immunodépression), le pouvoir toxique des oeufs est
directement à l’origine d’altérations endothéliales avec fuite
plasmatique et remaniement vasculaire portal aggravant les lésions.
La formation d’un granulome est donc une étape essentielle dans la
pathogénie de l’infection, traduisant une réponse défensive de l’hôte
face à l’agression induite par les oeufs.
À terme, ces oeufs sont
détruits et des cellules géantes de type Müller apparaissent,
entourant la coque et les débris ovulaires, puis précédant l’évolution
vers la fibrose caractéristique de la bilharziose.
La fibrose succède à la réaction granulomateuse. Débutant autour
des granulomes, cette fibrose hépatique est particulière car il n’y a pas de processus de régénération, la fibrose atteignant les espaces
portes avec respect de l’architecture lobulaire du foie sans que
l’hépatocyte soit lésé, sauf dans le stade terminal de l’atteinte
hépatique par S. japonicum où le lobule atteint prend un aspect
comparable à celui de la cirrhose atrophique.
Sa topographie portale
engainant les vaisseaux rend compte de l’aspect en « tuyaux de
pipe » décrit en 1904 par Symmers et sa diffusion est
proportionnelle à l’intensité de la réponse immunitaire aux
antigènes, elle-même sous déterminisme génétique lié au système human leucocyte antigen (HLA).
Cette matrice fibrosante
extracellulaire réalise un réseau dense de bandes parallèles
constituées de fibres de collagène I, III, IV et V entrecroisées, de
fibronectine, laminine, protéoglycane au sein desquelles peuvent
s’observer polynucléaires neutrophiles ou éosinophiles,
lymphocytes, macrophages ou même mastocytes.
Dans certains
endroits existent des zones de dissolution contenant des
prolongements cytoplasmiques ou du matériel amorphe.
Des fibres
musculaires lisses, isolées, synthétisant de l’élastine, ont été
également observées dans les granulomes hépatiques, mais de façon
très inégale d’un individu à l’autre.
Provenant des cellules
musculaires des vaisseaux portes détruits, leur implication dans le
processus fibrosant semble transitoire, certaines d’entre elles
disparaissant, d’autres se différenciant en fibroblastes ou conservant
un pouvoir contractile qui pourrait participer à l’hypertension
portale.
Bien que longtemps considérée comme irréversible, la fibrogenèse
apparaît désormais comme un processus précoce, dynamique,
alternant synthèse et dégradation de fibres collagènes, comme
semblent le démontrer la coexistence de fibres saines et fragmentées
et l’élévation de taux sérologiques de procollagènes I et III (reflet de
la synthèse collagénique) ou de procollagènes IV et VI (reflet de la
dégradation).
Le dosage de ces marqueurs sérologiques
spécifiques, associé ou non à celui de l’acide hyaluronique ou de la
pyridinoline urinaire, peut être ainsi utilisé pour suivre l’évolution
de la fibrose hépatique qui peut, dans certains cas, régresser
spontanément ou après traitement antibilharzien précoce.
La bilharziose est une des causes majeures d’hypertension portale
dans le monde.
Cette hypertension portale est la conséquence de
l’oblitération puis de la destruction du réseau veineux portal.
Il
s’agit habituellement d’un bloc présinusoïdal respectant le système
centrolobulaire, parfois associé à un bloc sinusoïdal consécutif au
dépôt de collagène dans l’espace de Disse.
Des shunts artérioveineux intraspléniques pourraient également aggraver
l’hypertension portale.
Des infections répétées accentuent le risque de fibrose périportale
par augmentation du recrutement du nombre de lymphocytes
sécréteurs de facteurs fibrosants, comprenant notamment les IL.
L’hypertension portale, de type présinusoïdal, a une pression
veineuse longtemps normale, augmentant parallèlement au
développement de la fibrose, sauf chez les patients cirrhotiques qui
ont d’emblée une pression élevée.
La fonction hépatique est
longtemps préservée jusqu’aux stades tardifs de la maladie.
Des
hémorragies digestives peuvent survenir de façon itérative par
rupture des varices oesophagiennes précédant la décompensation
hépatique finale.
Une splénomégalie fibrocongestive peut parfois s’observer dans les
stades précoces de la maladie ou plus tardivement lorsque l’atteinte
hépatique est sévère.
Cependant, les vers adultes sont rarement
retrouvés dans la veine splénique de même que la présence d’oeufs
dans le tissu splénique.
Réceptivité humaine
:
S’il n’y a pas d’immunité naturelle contre les cinq espèces de
schistosomes, il existe une immunité acquise, responsable d’une
protection partielle retrouvée chez l’adulte en zone tropicale.
Elle
réduit le niveau de réinfection par diminution de la fécondité
parasitaire, sans détruire cependant les vers adultes eux-mêmes.
La
compréhension des mécanismes effecteurs de la réponse immune a
bénéficié de l’utilisation de modèles expérimentaux développés chez
l’animal.
Dès la pénétration du parasite, l’hôte est en permanence
exposé à une grande variété d’antigènes issus des oeufs et des vers
adultes entraînant une réponse humorale complexe, adaptée au
cycle parasitaire.
Chez le jeune enfant, la production
d’immunoglobulines (Ig) M dirigées contre les schistosomules et les
oeufs de schistosomes, associée à celle d’IgG2 et IgG4, dirigés contre
les vers adultes et les antigènes ovulaires, permet de réduire la
réinfection.
Les anticorps ainsi produits pourraient intervenir dans
le cadre d’une cytotoxicité cellulaire dépendante d’anticorps (ADCC)
associant des populations cellulaires pro-inflammatoires
(macrophages, éosinophiles, plaquettes) à certaines sous-classes d’Ig,
notamment IgM et IgG2, dirigées contre les antigènes de
schistosome.
Ainsi, l’expression de la susceptibilité ou de la
résistance à la réinfection dépend-elle des rapports anticorps effecteurs-anticorps bloquants, c’est-à-dire du rôle régulateur
bloquant joué par les différentes classes ou sous-classes d’anticorps
dans l’expression de la fonction effectrice des classes d’anticorps
cytotoxiques.
Il est également démontré que le taux des anticorps
bloquants décroît lentement avec l’âge, tandis que celui des IgE
s’élève.
Ces anticorps de type IgE semblent particulièrement
impliqués dans la résistance des individus à la réinfection par
S. mansoni.
Ils sont dirigés contre une protéine de 22 kDa (Sm22)
située dans les téguments, et le revêtement gastrique des vers
adultes et des derniers stades des schistosomules.
D’autres
mécanismes sont impliqués dans la réduction de la fécondité et la
viabilité des oeufs pondus : ils reposent sur l’action neutralisante des
anticorps de type IgA dont l’antigène cible est une protéine de
28 kDa, la glutathion-S-transférase (Sm28 GST).
Enfin, des études
menées chez la souris ont montré qu’une immunisation avec
l’antigène ovulaire p40 réduisait la formation du granulome.
D’autres travaux ont également souligné le rôle joué par la
prédisposition génétique dans la réceptivité à l’infection et dans le
développement de la fibrose hépatique.
Un gène SM1, situé dans la
région chromosomique 5q31-q33, contrôlerait les niveaux d’infection
par S. mansoni en régulant la réponse Th1/Th2.
Un gène SM2,
localisé en 6q22-q23 très proche du gène IFNGR1 (codant pour le
récepteur de l’IFN-gamma), influencerait la progression vers la fibrose
hépatique sévère, éventuellement associée à une régulation de
l’IFN-gamma, cytokine antifibrosante.
L’apparition de shunts portocaves extrahépatiques liés au
développement de l’hypertension portale pourrait également
intervenir dans la résistance à la réinfection.
Cette immunité est lente à acquérir.
Elle reste toujours incomplète,
doit être entretenue par la présence du parasite et les réinfections
itératives, ne devenant réellement efficace qu’au-delà de la
20e année.
Cela explique la gravité et le caractère massif de
l’infection chez l’enfant de moins de 15 ans, davantage exposé aux
contacts avec l’eau douce que l’adulte.
Toutefois, les adultes
transplantés, originaires de zones non épidémiques, sont exposés au
même risque d’infection que les enfants peu ou pas encore
immunisés.
Dans tous les cas, la sévérité de l’infection et de la
morbidité reste très variable selon les individus, dépendant du type
de schistosome en cause, de l’état nutritionnel du sujet et de la
présence ou non d’une atteinte hépatique infectieuse associée
(paludisme, hépatite virale, brucellose …).
Anatomopathologie
:
L’atteinte hépatique est retrouvée quelle que soit l’espèce de
schistosome en cause, le mécanisme physiopathologique étant
ubiquitaire.
Si les lésions sont constantes sur le plan anatomique,
leur gravité et leur expression clinique varient selon l’espèce de
schistosome en cause : rapide et grave pour S. japonicum et
S. mekongi, fréquente et sévère pour S. mansoni, fréquente et bénigne
pour S. intercalatum, rare et bénigne pour S. haematobium.
A - ASPECT MACROSCOPIQUE
:
Le foie est augmenté de volume, notamment au niveau du lobe
gauche.
Il a une coloration brun foncé en raison du dépôt de
pigment bilharzien.
La surface du foie est d’aspect variable selon le
stade évolutif, lisse, micro- ou macronodulaire.
Dans les stades
avancés, s’observent facilement des zones étendues de fibrose
portale, pathognomonique de la maladie (« tuyaux de pipe » de Symmers).
À la coupe, l’architecture du parenchyme hépatique est
habituellement bien préservée mais des zones d’infarcissement et
des nodules de régénération peuvent s’observer près de la capsule
hépatique.
Le péritoine diaphragmatique préhépatique, épaissi et infiltré par
blocage lymphatique, peut participer à la constitution d’une
ascite.
B - ASPECT MICROSCOPIQUE
:
La lésion caractéristique est le bilharziome ou granulome centré par
un oeuf embolisé dans une veinule ou un sinusoïde.
Cet oeuf
provoque une nécrose de la paroi vasculaire et pénètre dans les
tissus.
L’identification
de l’oeuf est souvent difficile, le plan de coupe ne passant que
rarement par celui de l’éperon d’un oeuf de toute façon déformé par
la fixation de la pièce.
On peut s’aider
d’une recherche de l’acido-alcoolo-résistance de la coque par une
coloration de Ziehl-vert de méthyle.
Celle-ci est négative pour
S. haematobium et positive pour les autres espèces parasites de
l’homme.
Il existe un grand polymorphisme des aspects microscopiques qui
peut en imposer pour une inflammation spécifique ou faire redouter
une tumeur maligne.
Mais, sur le plan histologique, l’unicité du
processus inflammatoire gomme les variations liées aux spécificités
d’organe.
Dans les infections récentes, l’oeuf apparaît isolé dans le
tissu, peu altéré.
Il est alors souvent réduit à une cuticule flexueuse
entourée d’une nappe fibrinoïde dense qui irradie dans les cellules
avoisinantes (phénomène de Splendore-Hoeppli).
Il peut être
englobé dans un granulome jeune de type exsudatif avec un halo
central de nécrose.
Autour s’organisent les éléments d’un granulome
nodulaire à composante histiocytaire et polynucléaire éosinophile.
À la phase intermédiaire, le granulome diminue de taille, et
macrophages et fibroblastes deviennent prédominants.
Avec le
temps s’installe un polymorphisme lésionnel lié à la coexistence des
stades évolutifs de l’inflammation sur une même lésion. L’oeuf peut
disparaître totalement ou persister, imprégné de sels calcaires.
L’évolutivité de l’affection se juge sur la persistance d’oeufs peu
altérés en migration, mais l’appréciation de la viabilité est aléatoire
et une décalcification des tissus peut entraîner une fausse
interprétation dans le sens d’une viabilité ou d’une mort récente.
L’occlusion des petites branches portales est fréquente.
La
confluence des granulomes entraîne la formation d’une fibrose
extensive entourant une artériole et un canalicule biliaire, mais sans
veinule. Dans les stades tardifs, le développement de la fibrose
s’accompagne d’une hypertension portale.
Il s’agit d’abord d’une
fibrose en bandes, agencée le long des veines et veinules portes, dite
fibrose en « tuyaux de pipe » ou fibrose de Symmers et engainant les canaux et
les artères.
Les veinules ont une lumière
comprimée par la sclérose ou effacée par une thrombophlébite avec
ou sans bilharziome.
Les branches de l’artère hépatique sont
augmentées en taille et en nombre, avec hypertrophie de leur
musculeuse et sclérose de leur intima.
Les vaisseaux principaux sont
parfois entourés d’un réseau capillaire angiomateux.
Cette fibrose
conserve longtemps une topographie portale, mais peut s’étendre
aux septa périlobulaires, aboutissant à des pseudocirrhoses
irrégulières.
Le parenchyme reste longtemps normal ou très
discrètement stéatosique.
Le matériel biopsique obtenu par ponction-biopsie hépatique à
l’aiguille ne permet pas toujours d’observer la fibrose périportale de
Symmers.
Son étude permet cependant d’identifier des lésions
hépatiques éventuellement associées ou d’écarter un autre
diagnostic. Aussi est-il préférable de disposer, lorsque c’est possible,
de matériel plus abondant (biopsie chirurgicale).
De nombreux autres prélèvements peuvent être retrouvés porteurs
d’oeufs de schistosome : pièces d’appendicectomie, de colectomie ou
de vésicule biliaire.
Clinique
:
Les manifestations cliniques évoluent en trois phases d’importance
inégale correspondant aux différents stades évolutifs du parasite
chez l’homme.
L’atteinte hépatique s’intègre dans la dernière phase
de focalisation viscérale.
Elle fait suite aux phases d’infection et
d’invasion, cliniquement inconstantes.
A - PHASE D’INFECTION CERCARIENNE
:
Dans l’heure qui suit le contact infestant, la réaction cutanée à la
pénétration des furcocercaires, facilitée par la sécrétion d’une sérine
protéase par le cercaire, se traduit par une dermite allergique
caractéristique, d’intensité variable : discrète ou inapparente pour S.
haematobium et S. intercalatum, plus intense pour S. mansoni et
surtout pour S. japonicum (Kabure en Asie).
Rapidement surviennent
un érythème puis des papules parfois centrées par une tache purpurique.
Ces lésions se localisent électivement au niveau des
parties corporelles immergées, restent prurigineuses plusieurs jours
puis peuvent confluer et donner des vésicules persistantes 10 à 15
jours.
Selon les régions, ce syndrome est appelé « dermite des
baigneurs », « démangeaisons du chercheur de palourdes » ou
encore « koganbyo » (maladie du bord du lac).
Cette phase de dermite cercarienne s’observe habituellement chez le
sujet non immunisé.
Elle peut être parfois très accentuée, se
manifestant par un malaise général fébrile bien contrôlé avec un
traitement symptomatique.
À l’inverse, les réinfections cercariennes,
parfois quotidiennes en zone d’endémie, sont le plus souvent
inapparentes.
B - PHASE D’INVASION
:
Survenant après une période muette de durée variable,
habituellement comprise entre 2 à 10 semaines, elle correspond à la
période de migration des schistosomules et de maturation en vers
adultes.
C’est au cours de cette phase (plus courte pour
S. haematobium et S. mansoni que pour les autres types de
schistosome) que surviennent les manifestations cliniques liées aux
réactions immunoallergiques.
Symptomatique chez le jeune enfant
en zone tropicale et chez l’Européen vierge d’immunisation au cours
ou au décours d’un séjour en zone d’endémie, le tableau général,
souvent inapparent pour S. haematobium et S. intercalatum, peut être
parfois très intense lorsque l’atteinte est secondaire à S. mansoni
(fièvre de safari) ou S. japonicum (fièvre de Katayama).
Les signes
cliniques sont d’intensité variable. La fièvre domine ce tableau : elle
est habituellement importante (à plus de 39 °C), irrégulière, parfois
isolée ou accompagnée de signes fonctionnels cutanés allergiques
(prurit, urticaire, oedèmes), pulmonaires (toux sèche persistante,
dyspnée asthmatiforme, bronchopneumopathie, oedème aigu
fébrile), algiques (myalgies, arthralgies), digestifs (douleurs
abdominales, diarrhée) ou encore neurologiques (céphalées, épisode
confusionnel, crise comitiale).
Le cortège tropical de cette altération de l’état général est souvent
atypique, pouvant alors égarer le diagnostic vers une affection
bactérienne (salmonellose), virale (hépatite) ou parasitaire
(paludisme, trypanosomiase).
Cliniquement, cependant, une hépatosplénomégalie d’importance
variable est présente.
Mais c’est essentiellement la découverte d’une
éosinophilie sanguine atteignant ou dépassant 10 000/mm3 qui fait,
de principe, rechercher une helminthiase que les caractéristiques
épidémiologiques (séjour en zone d’endémie, bain en eau douce)
recueillies par l’interrogatoire permettent d’orienter vers une
schistosomiase.
Il importe dès lors d’insister sur la qualité de
l’interrogatoire minutieux qui doit s’attacher à rechercher un contact
même bref, avec l’eau douce : celui-ci peut être évident (baignade
dans un marigot ou un fleuve, mais une simple traversée avec des
chaussures perméables suffit) ou atypique (douche artisanale,
baignade dans une piscine mal équipée).
Un prurit après un bain en
eau exposée a une grande valeur d’orientation, mais manque
parfois.
À ce stade, la confirmation diagnostique pourrait être
apportée sérologiquement ou par la mise en évidence d’une hépatite
granulomateuse après ponction-biopsie hépatique.
La durée totale de ces manifestations excède rarement 3 mois.
C - PHASE DE POLARISATION INTESTINALE ET HÉPATIQUE
:
Cette phase de localisation digestive apparaît quelques mois à
quelques années après le contact infestant, sans qu’il y ait toutefois
de passage obligé par une phase intestinale patente (présente chez
un tiers des patients).
Les manifestations cliniques intestinales et/ou
hépatiques peuvent s’intriquer à des degrés divers, mais dans la
plupart des cas, l’expression clinique est unifocale.
Il semble
cependant que le développement d’une hypertension portale sévère
chez certains individus soit la conséquence d’une défaillance de
l’immunomodulation comme semblent le montrer la réponse
humorale de type Th1 et le type des cytokines produites (IL10 à des
taux très bas, parfois indétectables).
À l’inverse, une atteinte
modérée, plutôt intestinale, serait davantage associée à une réponse
humorale de type Th2.
1- Atteinte du gros intestin
:
Elle est essentielle dans la bilharziose intestinale, même si l’ensemble
du tractus intestinal et le foie sont concernés par l’infection.
Cela se
traduit typiquement par une diarrhée sanglante, des ténesmes et des
crampes abdominales, l’examen clinique pouvant montrer un
abdomen distendu et douloureux.
Une anémie ferriprive et une hyperéosinophilie
peuvent, dès ce stade, s’observer.
L’examen
endoscopique peut mettre en évidence de manière inconstante (50 %
des cas) des granulations quelquefois confluentes en « taches de
bougie » au sein d’une muqueuse oedématiée, avec parfois des
plages d’ulcération superficielle.
On peut également observer des
formations polypoïdes et des suffusions hémorragiques.
Les complications de la bilharziose intestinale à S. mansoni ont été
bien décrites par certains auteurs : il peut s’agir d’entéropathie
exsudative avec déperdition protéique, d’occlusion intestinale
partielle ou complète due à des bilharziomes volumineux, de
prolapsus rectal, de fistules anorectales.
Ces atteintes sont
semblables aux complications habituellement observées dans les
atteintes inflammatoires de l’intestin, seul l’examen histologique
permet alors de redresser le diagnostic en montrant les granulomes
et les oeufs de schistosomes.
Lorsque l’infection est secondaire à
S. japonicum, l’atteinte intestinale est souvent plus étendue et plus
sévère, pouvant se propager jusqu’à l’estomac et entraîner
hémorragies locales et/ou obstruction du pylore.
2- Atteinte hépatique
:
Elle fait la gravité de la maladie.
Les circonstances de découverte
sont variées : hépatomégalie, altération de l’état général avec
fébricule et douleurs abdominales, méléna, hémorragie digestive
inaugurale (par rupture de varices oesophagiennes), voire
échographie hépatique montrant des images pathognomoniques.
L’examen clinique révèle assez fréquemment une hépatomégalie
modérée, homogène, indolore, prédominant au lobe gauche et ferme
à la palpation avec un bord inférieur tranchant.
L’association à une
splénomégalie est fréquente, même en l’absence d’hypertension
portale, en réponse à une stimulation antigénique.
Lorsque la
bilharziose est due à S. mansoni ou S. japonicum, cette splénomégalie
peut être volumineuse, plongeant dans le pelvis.
La circulation
collatérale, qui témoigne de l’hypertension portale, s’observe sous
la peau de l’abdomen et les varices oesophagiennes, mises en
évidence par l’examen endoscopique peuvent, à tout moment, menacer le pronostic vital.
Ces varices sont généralement mieux
tolérées que celles compliquant une hypertension portale survenant
sur une hépatopathie virale ou alcoolique.
L’ascite est beaucoup plus
tardive, de même que les manifestations d’insuffisance
hépatocellulaire, du fait d’une perfusion vasculaire artérielle
hépatique longtemps conservée.
Toutefois, l’absence de symptômes
à l’examen clinique ne permet pas d’exclure une schistosomose
hépatique, même si l’hépatomégalie est absente.
Examens paracliniques
:
A -
ÉCHOGRAPHIE HÉPATIQUE
:
L’échographie, réalisée par un opérateur entraîné, a fortement
contribué à une meilleure connaissance de la morbidité liée à S. mansoni.
Si l’avantage des ultrasons est indiscutable pour la mise en
évidence des lésions profondes jusqu’alors inaccessibles sauf par
biopsie, il est également très net pour l’appréciation objective des
modifications de taille des organes accessibles à la palpation.
Des
études ont rapporté, sur un même échantillon de patients en zone
d’endémie, l’existence de 35 % d’hépatomégalies et 15 % de
splénomégalies quand l’échographie en objectivait respectivement
11 et 36 %.
Ainsi, en raison de l’expression clinique parfois tardive
de la bilharziose hépatique, le degré de l’atteinte peut être évalué
par l’échographie qui reste la technique de référence pour apprécier
l’hypertension portale, grâce à sa reproductibilité et à sa simplicité.
Différentes classifications échographiques ont été proposées pour
quantifier l’importance des anomalies.
La spécificité des méthodes
employées, bien que non précisément quantifiée, est élevée pour la
fibrose périportale sévère, mais plus faible pour les complications
débutantes vis-à-vis desquelles les performances des diverses
classifications peuvent être discordantes.
La classification mise au
point par le groupe de travail de l’Organisation mondiale de la santé
(OMS) au Caire en 1991 répartit en quatre stades les anomalies
d’échostructure du parenchyme hépatique et celles liées à l’hypertension
portale.
Elle est
cependant insuffisante pour faire le diagnostic des formes
débutantes de la maladie et différencier les deux premiers stades,
ce qui explique la disparité des études réalisées en Afrique noire.
Le critère le
plus fiable paraît cependant être la mesure de l’épaisseur des
branches portales périphériques qui semble corrélée à la gravité de
la maladie.
Une classification plus complexe, élaborée lors d’un
atelier au Niger, compare les déviations standards de certains
paramètres mesurés par rapport aux valeurs normales
habituellement observées dans le groupe ethnique concerné.
Bien
que séduisante car permettant de calculer un score prédictif de
l’existence d’une hypertension portale, l’appréciation de certains
paramètres de mesure (structures hyperéchogènes périphériques, veines
collatérales), également observés au cours d’autres hépatopathies chroniques tropicales notamment virales, reste
subjective, opérateur-dépendante, rendant difficile la comparaison de plusieurs
séries d’examens échographiques.
De nombreux
travaux ont tenté de réévaluer l’incidence des principales anomalies
échographiques.
C’est ainsi
qu’un score modifié semble permettre de sélectionner tous les sujets
porteurs d’hypertension portale (score >ou= 4), mais aussi de
caractériser dans une zone d’endémie récente et intense la
population à risque (score >ou= 2) qu’il faut surveiller
médicalement et explorer par endoscopie digestive si une forte
présomption clinique fait suspecter une hypertension portale.
Par ailleurs, si de nombreuses études
échographiques tentent d’établir une corrélation entre l’intensité de
l’infection à S. mansoni, mesurée essentiellement sur l’importance
de l’élimination d’oeufs, et le score échographique de fibrose
périportale, les résultats sont très discordants, allant de l’absence
totale de relation jusqu’à des corrélations très significatives.
Les meilleures applications de l’échographie en matière de
bilharziose sont le diagnostic communautaire et le suivi après
traitement dans les programmes de lutte.
En matière de diagnostic
individuel, la valeur prédictive d’un résultat positif est élevée en
zone de transmission intense de la bilharziose, mais elle est mal
établie lorsque le patient est vu hors d’un contexte connu de forte
prévalence, avec un score échographique de fibrose périportale peu
élevé ou des examens parasitologiques négatifs.
B -
ENDOSCOPIE DIGESTIVE
:
L’endoscopie digestive haute précise l’importance des varices
oesophagiennes ainsi que l’existence d’une gastropathie
d’hypertension portale, rendant compte de la gravité de
l’hypertension portale.
C - TOMODENSITOMÉTRIE
:
Lorsqu’elle est disponible, la tomodensitométrie, avec et sans
injection, permet ainsi d’objectiver :
– un aspect évocateur de cirrhose, prédominant sur un lobe gauche
hypertrophié (alors qu’habituellement, dans les cirrhoses,
l’augmentation du volume intéresse plus volontiers le lobe caudé) ;
– une fibrose périportale extensive, apparaissant sous la forme
d’une zone hypodense pathognomonique ;
– des calcifications intra- et extrahépatiques (pariétale, colique,
péritonéale, portale, mésentérique supérieure) qui, lorsqu’elles sont
intenses et sévères, peuvent se regrouper en « carte de géographie ».
Plus rarement ont été rapportées des calcifications spléniques.
Les
oeufs déposés dans la racine du mésentère provoquent une fibrose
et un épaississement avec rétraction des feuillets du mésentère qui
donnent un aspect de masse habituellement associé à une ascite
abondante.
D - IMAGERIE PAR RÉSONANCE MAGNÉTIQUE
:
L’imagerie par résonance magnétique (IRM) n’est pas indiquée pour
dépister les calcifications, mais permet, lors de l’étude pondérée en
T2, de distinguer plus rapidement les stades précoces (inflammation
des veines périportales avec augmentation du signal) des stades
tardifs (atteinte sans oedème des veines portales et des artères
hépatiques collatérales, baisse du signal) de l’atteinte hépatique.
E - AUTRES EXPLORATIONS
:
La laparoscopie, qui est moins d’actualité, a longtemps permis une
aide au diagnostic montrant des aspects macroscopiques allant du
foie à surface granitée à l’hépatomégalie « marquetée ».
La biopsie hépatique, pratiquée à l’aveugle ou guidée par
l’endoscopie, retrouve les lésions précédemment décrites, précise
l’étendue de la fibrose périvasculaire, confirme l’absence de nodules
de régénération et permet d’écarter une pathologie associée.
Évolution de la bilharziose hépatique
:
L’évolution est menacée par de nombreuses complications.
L’hypertension portale domine le pronostic.
Les hémorragies
digestives par rupture de varices oesophagiennes ont ici
classiquement une meilleure évolution initiale que chez le
cirrhotique en raison de l’absence d’insuffisance hépatocellulaire.
Elles menacent cependant gravement le pronostic vital, notamment
dans les régions peu médicalisées où les ressources thérapeutiques
sont limitées.
De nombreuses équipes ont tenté d’évaluer le risque
vital chez ces patients à l’aide d’indices endoscopiques ou ultrasonographiques : ainsi, la présence d’une gastropathie
congestive avec suffusions hémorragiques, associées ou non à
l’augmentation du diamètre de la veine porte et celle de la taille des
varices oesophagiennes, seraient prédictifs d’un risque important de
saignement.
L’hypersplénisme peut entraîner une pancytopénie
qui doit être prise en compte dans les choix thérapeutiques, de
même que l’existence d’une volumineuse splénomégalie, source
potentielle de complications mécaniques (douleur, compression,
rupture).
De rares cas de lymphomes spléniques ont également été
rapportés, associés à la maladie.
L’insuffisance hépatocellulaire survient de façon tardive et inconstante.
Si l’encéphalopathie est favorisée par les interventions chirurgicales
de dérivation, le syndrome oedématoascitique est relativement fréquent dans les formes évoluées, parfois majeur et réfractaire au
traitement médical.
Cependant, tout épisode de décompensation
doit faire rechercher une affection associée, notamment une hépatopathie chronique virale.
S. japonicum a comme particularité
d’entraîner plus rapidement que les autres schistosomoses une
atteinte hépatique sévère et compliquée.
La co-infection de la bilharziose par des virus hépatotropes B et C fait
l’objet de nombreuses études contradictoires.
Pour certains, les
patients atteints de bilharziose sont significativement plus souvent
infectés par les virus B et C, notamment en raison de la
superposition des zones d’endémie bilharzienne et des zones
d’endémie virale.
Une surinfection virale peut être secondaire aux
transfusions sanguines ou aux traitements par voie parentérale
utilisant des aiguilles mal stérilisées.
À l’inverse, pour d’autres,
ces observations s’appuient sur des études conduites en milieu
hospitalier, les études en population réalisées sur le terrain n’ayant
jamais confirmé ce type d’association pour S. mansoni ni pour S.
japonicum.
Quoi qu’il en soit, l’infection à bilharzie potentialise
l’hépatopathie virale en prolongeant les phénomènes inflammatoires
et en augmentant le risque d’un passage à la chronicité.
Il peut
être cependant parfois difficile sur un « foie viral » de mettre en
évidence histologiquement ou par échographie une fibrose bilharzienne.
On souligne enfin la possibilité de sérologie antihépatite
C faussement positive par interaction avec les anticorps
antischistosomes.
La prévention de l’hépatite B par vaccination
spécifique permettrait cependant de réduire le risque d’aggravation
de la fonction hépatique.
Des études menées en zone d’endémie ont
montré, chez des enfants infectés par S. mansoni, une bonne réponse
immunitaire à l’immunisation antihépatite B, en dépit d’une
hépatosplénomégalie retardant parfois la séroconversion.
La dégénérescence néoplasique de la bilharziose hépatique vers un
carcinome hépatique a fait l’objet de nombreux travaux en raison de
la superposition des zones de prévalence de ces deux affections.
Pour certains auteurs, s’il n’y a pas de lien clairement établi entre S. mansoni et la survenue d’une néoplasie, des études
épidémiologiques menées en Chine et au Japon montreraient une
possible association entre S. japonicum et un carcinome
hépatocellulaire ou colorectal.
Pour la plupart des auteurs, il
semble cependant que la fréquence du carcinome hépatocellulaire
soit davantage en rapport avec le haut niveau de prévalence du
virus de l’hépatite B dans ces mêmes régions et que les perturbations
immunologiques induites par les schistosomes favorisent le passage
à la chronicité.
Le rôle direct de la schistosomose dans la
carcinogenèse est d’autant moins probable que celle-ci respecte très
longtemps les hépatocytes.
Manifestations associées à l’atteinte
hépatique :
A - ATTEINTE RÉNALE
:
Elle survient dans 12 à 15 % des bilharzioses hépatiques à S. mansoni
et se manifeste par une glomérulonéphrite mésangiale à dépôts
d’IgA ou membranoproliférative.
Cette atteinte rénale est
essentiellement la conséquence d’une réponse immune et
inflammatoire à la suite du dépôt, dans les glomérules rénaux,
d’immuns complexes générés par le pouvoir antigénique des vers
adultes.
Elle est révélée par une protéinurie, voire un syndrome néphrotique et progresse vers une insuffisance rénale mal contrôlée
par le traitement antiparasitaire, car ces lésions évoluent pour leur
propre compte.
B -
AUTRES LOCALISATIONS EXTRAHÉPATIQUES
:
Elles sont favorisées par les shunts portosystémiques, conséquences
de l’hypertension portale, ou par des embolisations d’oeufs dans des
territoires vasculaires inhabituels.
Elles sont parfois de découverte autopsique et plus fréquentes en cas d’infestation à S. japonicum, un
peu moins par S. mansoni.
1- Manifestations pulmonaires
:
Elles sont secondaires à l’embolisation des oeufs dans la veine cave
inférieure avec formation de granulomes bilharziens.
La nature des
lésions varie selon l’espèce, l’abondance des oeufs et la réponse
immunitaire.
Les lésions secondaires à une infestation par S. mansoni
(100 à 300 oeufs/j par couple) sont plus souvent des lésions
vasculaires par obstruction capillaire responsable d’un shunt
artérioveineux.
Les lésions pulmonaires dues à S. haematobium (20 à
100 oeufs/j par couple) sont plus volontiers tissulaires en raison de
leur passage à travers l’endothélium et de leur migration tissulaire
dans l’interstitium.
Les manifestations respiratoires aiguës sont
précoces, contemporaines à la phase d’invasion, parfois bruyantes
et sévères, de type immunoallergique, toujours transitoires.
Les
manifestations chroniques sont découvertes au décours d’une
hémoptysie, d’une radiographie thoracique révélant une miliaire bilharzienne, ou, plus tardivement encore, au stade d’hypertension
artérielle pulmonaire et de coeur pulmonaire chronique.
Des études nécropsiques ont révélé que les atteintes pulmonaires concernaient
20 à 40 % des patients infectés par S. mansoni.
Les formes
respiratoires infra-cliniques, révélées par une exploration
fonctionnelle respiratoire perturbée, sont fréquentes et
concerneraient 60 % des bilharzioses asymptomatiques.
Le
diagnostic repose sur le contexte épidémiologique et clinique, la
certitude n’étant apportée que par la biopsie pulmonaire
exceptionnellement réalisée.
2- Atteintes cutanées
:
Elles sont relativement rares et de diagnostic difficile.
Leur aspect
clinique est variable, lié aux différentes phases du cycle parasitaire.
En dehors de la dermite cercarienne déjà décrite au cours de la
phase d’invasion, deux formes cliniques peuvent s’observer lors de
la phase d’état. Elles sont la conséquence du dépôt d’oeufs de
bilharzies dans la peau avec formation d’un granulome
inflammatoire.
Leur topographie s’explique par les anastomoses
(ombilicales, rectales) entre le système porte (dans lequel se trouvent
habituellement les schistosomes) et le système cave.
Les lésions cutanées extragénitales semblent plus fréquentes avec
S. mansoni qu’avec les autres espèces de bilharzies.
Elles s’observent
plus souvent au niveau thoracique, iliaque ou péri-ombilical, sous la forme d’un
prurigo en « éclaboussures » ou en « bouquet », constitué de papules
de 2 à 3mm de diamètre, plus ou moins fermes, non douloureuses,
parfois prurigineuses. Elles
peuvent confluer entre elles, se recouvrir de squames ou se lichénifier.
Les lésions génitales et périnéales sont essentiellement observées avec
S. haematobium.
Elles se présentent, soit sous un aspect pseudotumoral induré, papillomateux pouvant confluer et prendre
un aspect bourgeonnant, soit sous un aspect de condylome plan.
Les lésions cutanées sont habituellement précédées ou suivies d’une
expression clinique de bilharziose systémique mais peuvent, dans
de rares cas, être un mode de révélation isolé.
La biopsie est
nécessaire pour mettre en évidence le granulome bilharzien.
3- Localisations rares
:
* Localisations neurologiques
:
La migration des oeufs de schistosomes au niveau du système
nerveux est rare.
L’atteinte cérébrale peut être rencontrée avec S. japonicum.
Les oeufs
réalisent des bilharziomes intracrâniens tumoraux ou infiltratifs
parfois volumineux, responsables d’épilepsie, de syndrome
déficitaire et d’hypertension intracrânienne.
La bilharziose médullaire, peu fréquente (60 cas décrits en 20 ans)
mais régulièrement rapportée, est due quasi exclusivement à S. mansoni et S. haematobium, les cas dus à S. japonicum étant
exceptionnels.
L’atteinte du cône médullaire et de la moelle
dorsolombaire est probablement due à l’existence d’anastomoses
entre les veines du pelvis et les plexus vertébraux avalvulaires.
Trois
formes cliniques sont classiquement observées : la forme myélitique
transverse aiguë ou subaiguë, la forme compressive et la forme
radiculaire.
Plus rarement a été décrite une occlusion de l’artère
spinale antérieure secondaire à une vascularite.
Le retard
diagnostique après les premiers symptômes neurologiques est en
moyenne de 1 mois, mais peut prendre jusqu’à 6 ans après
l’infestation.
Ce diagnostic doit être évoqué chez les patients ayant
séjourné en zone d’endémie, même en l’absence de signes ou
d’antécédents de bilharziose intestinale ou urinaire.
Le liquide
céphalorachidien (LCR) peut être normal ou montrer une
pléiocytose avec hyperprotéinorachie, la sérologie (sang, LCR) n’est
pas toujours spécifique et l’imagerie médicale, parfois prise en
défaut en cas de myélite transverse, peut montrer des images
évocatrices de granulomes bilharziens, notamment au niveau du
cône médullaire élargi, tuméfié, irrégulier.
Le diagnostic de certitude
n’est apporté que par l’histologie médullaire qui révèle l’existence
d’oeufs de schistosomes.
* Localisations articulaires
:
La migration d’oeufs, puis la constitution de granulomes dans les
synoviales articulaires se révèlent par des tableaux d’arthrites aiguës
ou chroniques.
Mais comme pour le rein, l’atteinte récurrente et
polymorphe des articulations peut également être la conséquence
d’une réponse immune et inflammatoire, secondaire au dépôt de
complexes immuns circulants imputé aux schistosomes.
* Localisations oto-rhino-laryngologiques et ophtalmologiques
:
De rares cas de granulomes bilharziens localisés au niveau du
larynx, de l’oreille moyenne, du nasopharynx et des structures de
l’oeil ont été rapportés dans la littérature.
C - INFECTIONS VIRALES OU BACTÉRIENNES ASSOCIÉES
:
Du fait de la superposition des zones d’endémies à virus de
l’immunodéficience humaine (VIH) et à S. mansoni, de nombreux
travaux ont été conduits pour évaluer l’interaction de ces deux
infections.
Chez les sujets VIH positifs, l’excrétion des oeufs dans les
selles est significativement moins abondante, le niveau d’excrétion
étant par ailleurs directement corrélé au taux des lymphocytes CD4+
circulants.
Toutefois, il n’a pas été mis en évidence, chez ces
mêmes sujets, de variation significative du taux plasmatique de
l’antigène circulant circulating cathodic antigen (CCA), antigène
corrélé à la charge parasitaire adulte.
Enfin, les réponses
thérapeutiques au praziquantel sont équivalentes en termes de
réduction de l’excrétion fécale des oeufs et de réduction du CCA
chez les sujets infectés et ceux non infectés par le VIH.
Des cas de bactériémie persistante et chronique à Salmonella, souvent multispécifiques, ont été décrits en association à une infection à
S. mansoni accompagnée d’un état fébrile silencieux. Ces syndromes
seraient surtout observés chez les sujets de sexe masculin âgés de
10 à 30 ans.
Bien que les processus de l’interaction parasite-bactérie
soient assez mal établis, des études en microscopie électronique
montrent, sur la paroi externe des vers adultes et dans leur intestin,
une fixation élective des bactéries par l’intermédiaire de leurs
pilis.
La pyélonéphrite est rare dans l’infection à S. mansoni, mais
fréquente chez les patients infectés par S. haematobium.
Sa réponse
au traitement antibiotique suivi de l’administration de schistosomicides est en général favorable.
Des abcès cutanés et hépatiques à pyogènes (Staphylococcus aureus)
ont également été rapportés à une association à S. mansoni. Leur
mécanisme exact de survenue est mal connu.
Diagnostic
:
A - CIRCONSTANCES DU DIAGNOSTIC
:
L’interrogatoire est un temps capital, non seulement pour le
diagnostic individuel de la maladie, mais aussi pour un diagnostic
communautaire en zone d’endémie dans le cadre des programmes
de contrôle des schistosomoses.
La notion d’un séjour en zone
d’endémie et d’un contact même bref avec de l’eau douce doit faire
évoquer de principe une bilharziose et entreprendre des
investigations cliniques et paracliniques.
La confirmation du diagnostic repose sur des examens paracliniques
dont l’intérêt et l’utilisation varient selon les conditions d’exercice et
le stade évolutif de la maladie.
On peut distinguer des examens non
spécifiques permettant de caractériser l’atteinte hépatique et des
examens spécifiques à visée étiologique.
B - DIAGNOSTIC BIOLOGIQUE
:
1- Diagnostic parasitologique indirect
:
L’hyperéosinophilie est contemporaine des manifestations
d’hypersensibilité.
La rattacher à une infection bilharzienne est
parfois difficile, d’une part parce qu’elle survient chez des sujets
souvent polyparasités, d’autre part parce que ses valeurs ne sont
pas nécessairement très élevées.
Une importante augmentation du
chiffre des éosinophiles, atteignant 10 000 à 15 000
éosinophiles/mm3, est fréquente lors de l’infection, mais elle peut
être beaucoup plus modeste, classiquement lorsque l’espèce en cause
est S. haematobium, espèce la plus adaptée à l’homme, ou lors
d’infection peu importante.
En phase toxémique, cet examen a donc
une valeur d’orientation qui doit conduire, dans le contexte
épidémiologique, à la demande d’examens immunologiques.
L’évolution se fait vers une normalisation du chiffre des éosinophiles
sanguins ou une stabilisation à un niveau faible, les éventuelles
réinfections n’ayant que peu d’influence.
Une réascension peut être
observée sous l’effet d’une thérapeutique spécifique.
2- Diagnostic parasitologique direct
:
La recherche d’oeufs dans les excreta de l’hôte (selles, urines)
constitue la technique la plus courante pour démontrer la présence
de vers adultes et reste la méthode de référence pour toutes les
autres techniques de diagnostic.
Particulièrement spécifique (proche
de 100 %), simple à réaliser même sur le terrain et peu coûteuse,
cette technique permet une approche qualitative et quantitative du
niveau de l’infection.
Cependant, ces examens ne sont contributifs
que dans un délai de 6 à 8 semaines après la contamination, délai
correspondant à la durée de la phase de maturation du parasite et
de migration des oeufs.
En outre, les médicaments antibilharziens
ne sont efficaces que sur les vers adultes.
Il existe donc un décalage
important dont il faut tenir compte pour l’évaluation de l’efficacité
thérapeutique (mort du ver adulte).
Les examens parasitologiques
ne sont négatifs que 2 mois plus tard, délai correspondant à la durée
de migration des oeufs.
Cette recherche peut être parfois difficile. La collecte d’échantillons
est fastidieuse, en particulier pour les échantillons de selles, pas
toujours acceptés culturellement, ce qui peut nuire à l’observance.
De plus, la production d’oeufs dans les selles est intermittente,
comme de nombreux travaux l’ont montré pour S. mansoni, S.
japonicum, S. haematobium. Enfin, dans les régions où l’intensité de
l’infection est faible, il est nécessaire de procéder à des examens
répétés pour obtenir des données quantitatives et qualitatives
fiables.
Aussi utilise-t-on parfois des modèles mathématiques pour
mettre au point des outils (par exemple des graphiques) permettant
d’obtenir la prévalence « vraie » dans une population à partir
d’estimations basées sur un examen unique.
Un diagnostic parasitologique fondé sur un examen unique est également difficile
à corréler avec la morbidité, surtout au niveau individuel.
Il ne
remplace donc pas l’examen clinique pour évaluer la morbidité,
notamment dans les formes intestinales ou hépatiques de la
bilharziose.
La mise en évidence à l’état frais d’un oeuf doit s’accompagner d’une
étude de la vitalité de l’oeuf, en raison de la possible émission d’oeufs
non viables chez les personnes traitées ou anciennement infectées.
Celle-ci s’apprécie par l’observation de la mobilité des cils
périphériques et des flammes vibratiles du miracidium.
Cet examen
peut être complété par un test d’éclosion en eau hypotonique à
28 °C, en lumière du jour. L’éclosion libère en 30 minutes à 1 heure
le miracidium qui se déplace à la surface de l’eau.
– Dans les selles, les oeufs des cinq espèces pathogènes peuvent être
recherchés.
Mais quand l’infection est peu intense, leur mise en
évidence est difficile d’autant que l’excrétion est discontinue, en
particulier pour S. japonicum.
En conséquence, le simple examen parasitologique a une sensibilité insuffisante que l’on peut améliorer
en répétant les prélèvements des selles et en utilisant une technique
de concentration parasitaire.
La méthode d’enrichissement de Kato-
Katz, simple et utilisable lors d’enquête épidémiologique, est la plus
pertinente.
Elle permet en outre de rendre un résultat semiquantitatif.
Lors d’infection de faible intensité ou de suivi
thérapeutique, il est habituel de proposer trois examens de selles
avant de rendre un résultat parasitologique négatif.
– La biopsie rectale est la méthode de recherche la plus sensible,
équivalente à une série de trois analyses de selles.
Elle est réalisée
sous contrôle de la vue au cours d’une rectoscopie.
Le prélèvement
se fait au niveau des granulations ou en muqueuse saine en
l’absence de lésion.
Il est préférable de pratiquer trois biopsies, cette
méthode élevant la sensibilité de la technique.
Le prélèvement est
examiné à l’état frais, après une légère dilacération, entre lame et
lamelle.
On peut s’aider d’une coloration au Lugol double.
3- Méthodes immunologiques
:
Les méthodes immunologiques se limitent encore au diagnostic
indirect par la mise en évidence des anticorps spécifiques, le dosage
des antigènes circulants, en particulier circulating anodic antigen
(CAA), et du circulating cathodic antigen (CCA), n’étant encore
réalisés que par un nombre limité de laboratoires.
De nombreuses techniques ont été développées pour la mise en
évidence des anticorps spécifiques bilharziens.
Les réactions
sérologiques utilisent essentiellement des antigènes de S. mansoni.
Elles utilisent des parasites entiers soit des antigènes purifiés, voire
recombinants et peuvent permettre la mise en évidence des isotypes
d’anticorps. De la qualité de cet antigène dépend celle de la
réaction :
– les techniques d’agglutination de particules sensibilisées
(hémagglutination indirecte) ont une sensibilité qui varie de 60 à
90 % selon l’antigène utilisé et l’espèce de schistosome en cause ;
– l’immunofluorescence indirecte sur coupe de vers adultes de
S. mansoni a une sensibilité de 85 %.
Cette technique est positive
très précocement car les anticorps mis en évidence sont dirigés
contre des antigènes sécrétés par les parasites dès les stades
précoces.
En outre, elle permet de rechercher les anticorps de classe
M ;
– la technique enzyme-linked immunosorbent assay (Elisa), utilisant un
antigène soluble d’oeuf de S. mansoni, a une sensibilité de 98 % et
une spécificité de 95 %.
Les résultats sont d’autant meilleurs que
l’on est en phase aiguë ;
– l’immunoélectrophorèse met en évidence l’arc 4 spécifique de
l’infection schistosomienne et l’arc 8 spécifique de l’infection à
S. mansoni.
Cette réaction tend à être supplantée par
l’électrosynérèse qui exige une moins grande quantité d’antigène.
Les anticorps apparaissent, selon la réaction utilisée, 3 à 6 semaines
après l’infection.
Les réactions croisées avec les autres helminthiases
sont rares mais possibles, aussi la pratique simultanée de deux
réactions et une interprétation respectant rigoureusement les seuils
de positivité doivent-elles être systématiques.
À ces conditions,
leur valeur est telle qu’elles aboutissent fréquemment à une décision
thérapeutique alors même que les méthodes parasitologiques et la
détection des antigènes circulants peuvent être tenues en échec.
Le taux reste élevé, même après traitement pendant plusieurs mois
ou années ne permettant pas de différencier infection récente et
chronique ni de suivre les effets des thérapeutiques.
Il n’y a pas de
corrélation entre le taux des anticorps spécifiques et l’intensité de
l’infection.
Les schistosomes excrètent et sécrètent divers antigènes dans la
circulation de l’hôte.
Ces antigènes peuvent être classés en fonction
du stade de développement du parasite.
Mais rares sont ceux qui
sont utilisables pour le diagnostic en raison d’un catabolisme rapide
ou de l’existence de résistance croisée avec d’autres parasites.
Les plus utilisés sont les antigènes circulants produits par les
parasites adultes au niveau du tube digestif.
Ils sont émis par le ver
dans la circulation de l’hôte lors des régurgitations régulières du
contenu non digéré de son tube digestif borgne et traduisent donc
une infection active.
On recherche essentiellement le CAA et le CCA,
ainsi nommés en raison de leur mobilité électrophorétique.
Ils sont
excrétés dans la circulation sanguine puis éliminés dans les urines.
On les recherche dans ces deux liquides organiques.
Ce test a fait la
preuve de son intérêt pour toutes les espèces de schistosomes, sauf
pour S. mekongi pour lequel les études manquent.
La technique Elisa-sandwich est la plus employée.
La sensibilité de
ces tests est de 65 à 100 % des cas parasitologiquement prouvés,
selon l’intensité de l’infection et sans réaction croisée avec d’autres
helminthes.
La quantité d’antigènes circulants CAA et CCA dans le
sang et les urines est détectable respectivement 3 et 5 semaines après l’infection.
Quantitativement, le résultat est étroitement corrélé à
l’excrétion des oeufs et aux lésions tissulaires dans les formes
chroniques et chute rapidement après un traitement efficace.
L’étude de la cinétique urinaire des antigènes circulants solubles
ovulaires (circulating soluble egg antigen [CSEA]), libérés par les oeufs
viables retenus dans les tissus de l’organisme, reste encore du
domaine de la recherche.
Il existerait une bonne corrélation entre le CSEA et la sévérité de l’atteinte hépatique, appréciée sur des critères
échographiques.
C - STRATÉGIES DIAGNOSTIQUES
:
À la chronologie des manifestations cliniques correspond une
cinétique des résultats des explorations biologiques qu’il faut
interpréter selon le contexte épidémiologique.
1- Voyageur de retour d’une zone d’endémie
:
Durant la phase de migration et de maturation, les arguments du
diagnostic sont indirects : modifications de l’hémogramme et nature
des réactions immunologiques.
En phase toxémique,
l’hyperéosinophilie sanguine a une valeur d’orientation qui doit
conduire, dans le contexte épidémiologique, à la demande
d’examens immunologiques.
La recherche des anticorps spécifiques
est un examen très contributif chez le voyageur ne résidant pas
habituellement en zone d’endémie.
Les recherches d’antigènes CAA
et CCA sont à ce stade plus souvent positives dans le sérum que
dans les urines.
Dans ce cadre, il peut être proposé une
prophylaxie de la maladie et non de l’infection, par un traitement
de première intention au retour de la zone d’endémie.
Ce traitement
est prescrit uniquement sur des arguments épidémiologiques (notion
de bain contaminant) et sérologiques.
La phase d’état est caractérisée cliniquement par le développement
d’une pathologie liée à la migration des oeufs et biologiquement par
la possibilité d’un diagnostic parasitologique direct, seul diagnostic
de certitude.
Il peut arriver, bien que les examens d’orientation et le
délai depuis l’infection présumée soient compatibles avec le
diagnostic, que les tests parasitologiques répétés restent non
contributifs.
Cela peut être éventuellement en relation avec une
infection par un seul sexe mais beaucoup plus sûrement à une
infection peu intense.
L’émission des oeufs dans les excreta est alors
en dessous du seuil de détection des méthodes parasitologiques.
Après répétition des examens, un malade ne présentant pas de
signes biologiques d’orientation et restant négatif pour tous les tests
immunologiques et parasitologiques est classé indemne d’infection
bilharzienne.
En revanche, il est avéré que les tests parasitologiques
et les tests de recherche des antigènes CAA et CCA manquent de
sensibilité et peuvent être pris en défaut lors des faibles infections,
d’où la justification dans les autres cas du traitement présomptif.
La quantification des oeufs émis et le dosage des CAA et CCA
permettent un suivi biologique pour juger de l’efficacité du
traitement hors risque de réinfection.
Les taux d’anticorps
spécifiques restent stables pendant plusieurs mois, y compris pour
les IgM, et ne sont donc pas pertinents dans cet objectif.
2- Population vivant en zone d’endémie
:
Les enquêtes sur le terrain ont montré qu’aucune méthode
diagnostique ne peut apporter tous les renseignements nécessaires à
titre individuel et communautaire.
Aussi, c’est en fonction des
particularités de chaque foyer, notamment la ou les espèces de
schistosomes présentes et la prévalence attendue, qu’une stratégie
est retenue.
Les indicateurs cliniques (aspect macroscopique des urines et microhématurie pour S. haematobium), parasitologiques comme les
méthodes de diagnostic direct, permettent d’éviter le recours
systématique à un traitement exhaustif de la population exposée.
La
méthode de Kato dans les selles et la technique de filtration des
urines sur membrane permettent de plus une étude de la charge
parasitaire utile pour le suivi des programmes de contrôle.
Les
examens échographiques sont devenus un outil incontournable pour
l’évaluation de la morbidité par S. mansoni à tous les stades des
programmes de contrôle.
Traitement
:
La mise en oeuvre précoce du traitement médical permet d’éviter le
stade des séquelles dont la morbidité nécessite le plus souvent des
solutions chirurgicales.
A - TRAITEMENT MÉDICAL
:
1- Médicaments schistosomicides
:
Jusqu’en 1960, les dérivés antimoniés intraveineux ont constitué
l’unique traitement de la bilharziose. Leur toxicité générale sévère
imposa leur abandon.
Après une longue période de stagnation, la
recherche a permis de découvrir de nouvelles molécules de
remplacement.
Cependant, l’hycanthone, administré par voie
intramusculaire, n’était pas actif contre S. japonicum et a été à
l’origine d’hépatites mortelles.
L’oltipraz n’a pas été commercialisé
en raison de sa neurotoxicité.
Le métrifonate et le niridazole ne sont
plus distribués. Aujourd’hui, le traitement médicamenteux des
schistosomoses est effectué avec deux molécules : le praziquantel,
schistosomicide de référence et l’oxamniquine.
On ne peut malgré
tout prendre le risque d’occulter les anciennes thérapeutiques par
crainte d’émergence de résistance.
* Praziquantel (Biltricide)
:
La molécule [2-cyclohexylcarbonyl-1,2,3,6,7,11b-hexahydro-4Hpyrazino(
2,1-a) isoquinoline-4-one] constitue la pierre angulaire du
traitement par son spectre étendu à toutes les bilharzioses, son faible
coût, son mode d’administration oral en prise unique et sa bonne
tolérance.
Elle se présente sous forme de comprimé tétrasécable
dosé à 600 mg.
L’absorption du praziquantel est rapide et quasi complète, avec un
pic sérique 1 à 2 heures après la prise orale.
La demi-vie
d’élimination est de 90 minutes, 80 % de la dose absorbée étant
éliminée par voie urinaire en 24 heures.
Le praziquantel et ses
métabolites sont largement distribués dans l’organisme, de faibles
concentrations sont retrouvées dans la bile, les selles, le LCR, le lait
maternel.
Il ne semble pas y avoir d’accumulation même en cas de
prise répétée.
L’action du praziquantel s’explique par une tétanisation de la
musculature du ver adulte et une vacuolisation du revêtement
syncytial.
Ces effets, associés à une modification de la membrane
protectrice sous l’effet d’une rentrée d’ions calciques, entraînent la
mort du parasite.
La posologie généralement admise est de 40 mg/kg en une prise
pour S. haematobium, S. mansoni et S. intercalatum.
D’après plusieurs
études épidémiologiques, ce schéma permet de guérir 72 à 100 %
des bilharzioses urinaires, 90 % des bilharzioses à S. intercalatum et
78 à 90 % des infections à S. mansoni.
Pour cette dernière, deux doses
de 25 mg/kg données à 4 heures d’intervalle procurent aussi une
guérison dans 63 à 90 % des cas.
Pour S. japonicum et S. mekongi, la
dose est de 60 mg/kg en 8 heures (trois prises de 20 mg/kg espacées
de 4 heures) avec un bon résultat parasitologique chez 71 à 99 % des
malades. Concernant S. mekongi, il est bien souvent nécessaire de
répéter la dose unitaire pour être efficace.
En fait, il est tout à fait
concevable d’adopter pour l’ensemble des bilharzioses une dose
unique de 60 mg/kg, délivrée en trois prises de 20 mg/kg espacées
de 4 heures, avec des taux de guérison de 60 à 98 %.
De plus, une
nouvelle cure guérit 80 à 100 % des patients qui continuent à
excréter des oeufs.
L’absence d’incident sévère prouve l’excellente tolérance
médicamenteuse. Les quelques effets secondaires sont discrets ou
transitoires, disparaissant en moins de 24 heures.
Il s’agit surtout
d’inconfort digestif (nausées, diarrhée), de céphalées, de somnolence, de vertiges, de réaction urticarienne ou prurigineuse,
voire de fièvre.
Aucune précaution d’emploi ne se justifie chez
l’enfant ou la personne âgée.
À ce jour, il n’a pas été signalé de
complication chez les femmes enceintes ayant consommé le
médicament par inadvertance.
Par précaution, on évite toutefois sa
prescription pendant le premier trimestre de grossesse.
* Oxamniquine (Vansil)
:
La molécule a comme formule chimique : [6-hydroxyméthyl-2-Nisopropylaminométhyl-
7-nitro-1,2,3,4,-tétrahydroquinoline].
Après
administration orale, le pic plasmatique est atteint en 1 à 4 heures.
L’excrétion est essentiellement urinaire sous la forme de deux
métabolites n’ayant pas d’action schistosomicide.
Le médicament
agit en désorganisant complètement la structure de surface du ver,
aboutissant à des lésions irréversibles plus marquées chez le mâle
que la femelle, et donc à sa mort.
Le spectre d’action est étroit car limité à S. mansoni en raison d’une
plus grande concentration du produit dans le système mésentérique.
En Amérique du Sud et en Afrique de l’Ouest, une faible posologie
(15 à 20 mg/kg en une seule prise) permet d’obtenir chez l’adulte
un taux de guérison de 60 à 95 %.
Ailleurs, des doses supérieures
sont préconisées, allant de 30 mg/kg en Afrique de l’Est et centrale,
jusqu’à 60 mg/kg en 2 à 3 jours en Afrique du Sud, en Égypte et au
Zimbabwe.
Chez l’enfant de moins de 30 kg, la dose est répartie en
deux prises identiques à 4 ou 6 heures d’intervalle.
Les principaux effets secondaires sont minimes et transitoires.
Il
s’agit d’une somnolence, de céphalées, ou de vertiges apparaissant
dans les 12 premières heures et pour 6 heures au plus. Une crise
convulsive est possible chez des sujets prédisposés.
Des
hallucinations, des vomissements ou une diarrhée sont également
décrits.
Une fièvre peut apparaître après 24 à 72 heures, traduisant
la destruction du parasite.
Elle s’associe à un infiltrat pulmonaire,
une éosinophilie et une excrétion urinaire d’antigènes schistosomiaux.
La coloration rouge orangé des urines est due à
l’excrétion des métabolites.
Le médicament est contre-indiqué en
début de grossesse, chez l’insuffisant rénal et chez l’épileptique.
Il
peut être délivré en cas d’atteinte hépatique sévère.
2- Résistance aux antibilharziens
:
Chez l’homme, la résistance aux schistosomes est confinée à
l’hycanthone et à l’oxamniquine.
La résistance au praziquantel
est décrite en laboratoire sur l’animal, mais aucun cas n’a encore été
rapporté chez l’homme. Malgré tout, S. mansoni serait déjà
tolérant au praziquantel dans la population pédiatrique de certains
villages du delta du Nil et au nord du Sénégal.
On ne peut donc
exclure, dans un avenir proche, que des mutations génomiques
rendent le praziquantel inefficace.
Il faudrait dans ce cas recourir
aux autres antibilharziens.
En pratique, il faut isoler et analyser les
hypothétiques mutants résistants, maintenir la production
potentielle des « vieux » médicaments tout en développant des
alternatives thérapeutiques.
Ainsi, l’arthéméther possède une action
contre S. mansoni et S. japonicum.
Les travaux sur S. haematobium
sont en cours.
La molécule a montré son efficacité en empêchant le
développement de S. mansoni chez l’animal, à condition d’être
utilisée dans le mois suivant l’infection et particulièrement entre la
troisième et la quatrième semaine, avec un taux de réduction
parasitaire entre 75 et 82 %.
Une récente étude a évalué l’effet
préventif de l’artemisine dans la bilharziose à S. mansoni chez des
enfants de Côte-d’Ivoire.
Elle a montré l’excellente tolérance et
surtout l’efficacité de ce médicament en cure séquentielle (toutes les
3 semaines à six reprises) sur l’incidence de l’infection.
Les
restrictions sur l’utilisation de ce médicament viennent du fait qu’il
s’agit d’un antipaludique de réserve et du risque de susciter des
résistances à ce produit en Afrique noire.
Concernant S. japonicum,
les résultats des expérimentations animales sont en faveur du
bénéfice d’une association praziquantel-arthéméther sur l’infection.
3- Conduite du traitement
:
Si le malade reste en zone d’endémie sans être soustrait aux réinfestations itératives, il faut mettre en balance l’efficacité du
traitement avec ses dangers et son coût.
Dans le cas contraire, il faut
utiliser la molécule la plus adaptée au schistosome et
préférentiellement le praziquantel. La seule présence d’oeufs dans
les excreta suffit à proposer le traitement.
La découverte d’une sérologie bilharzienne positive, d’une
hyperéosinophilie ou de toute autre symptomatologie évocatrice au
retour d’une zone d’endémie, impose un traitement d’épreuve par
le praziquantel.
4- Surveillance après traitement
:
La surveillance post-thérapeutique est fonction du stade évolutif de
la maladie.
Le résultat d’une cure est différent selon que l’on traite
une bilharziose aiguë avec peu de lésions viscérales, ou une
bilharziose ancienne avec son cortège de troubles digestifs ou
urinaires. Idéalement, les malades devraient être suivis 1 an.
Outre
l’examen clinique, on pratique systématiquement un examen parasitologique de contrôle des selles ou des urines permettant de
confirmer la disparition de la ponte ovulaire au troisième puis
sixième mois.
Une persistance de l’excrétion des oeufs prolongée de
plusieurs mois peut rendre nécessaires d’autres contrôles jusqu’à
1 an.
Une banale réaction hyperéosinophilique peut s’observer vers
le 15e jour, elle disparaît en 6 à 12 mois.
La surveillance sérologique
est inutile. Les anticorps s’élèvent en effet entre la deuxième et
quatrième semaine pour disparaître lentement en 2 à 3 ans.
B - TRAITEMENT DE L’HYPERTENSION PORTALE
:
1- Traitements non chirurgicaux
:
Le traitement d’urgence des hémorragies digestives de
l’hypertension portale bilharzienne ne présente pas de particularités
et fait appel aux moyens habituels, dans la mesure de leur
disponibilité parfois restreinte en zone d’endémie.
La prévention des
accidents hémorragiques a fait l’objet de nombreux travaux,
notamment en Amérique du Sud et au Moyen-Orient ; elle repose
sur différents moyens, médicaux, instrumentaux et chirurgicaux :
– le propranolol a fait la preuve de son efficacité dans la prévention
secondaire des hémorragies digestives du cirrhotique, mais a été peu
étudié au cours de l’hypertension portale d’origine bilharzienne.
Il
diminue de façon significative le flux veineux azygos et s’est montré
capable de prévenir la récidive hémorragique dans la courte période
précédant le traitement chirurgical ;
– la sclérose des varices oesophagiennes est utilisée depuis plus de
10 ans maintenant.
Elle a fait l’objet de quelques études dont les
résultats concordent pour en souligner l’efficacité dans
l’hypertension portale bilharzienne. Le contrôle des
hémorragies actives, la prévention des récidives précoces et la survie
sont meilleurs dans la bilharziose que dans la cirrhose.
La sclérose
est également très efficace dans le traitement des récidives
hémorragiques après chirurgie, qui seraient pour certains sa
meilleure indication.
Les auteurs japonais ont cependant montré
que la seule sclérose permettait d’obtenir l’éradication des varices
oesophagiennes dans 70 % des cas avec un recul de 48 à 132 mois ;
– la ligature des varices oesophagiennes peut également être employée.
Une étude randomisée récente n’a pas montré de différence
significative entre les résultats des scléroses de varices et des
ligatures.
2- Chirurgie
:
Dans ces pays en voie de développement où l’accès à la médecine
d’urgence n’est pas à la portée de la majorité de la population, le
traitement chirurgical reste le traitement de référence des
complications de l’hypertension portale de la bilharziose hépatique,
d’autant que la fonction hépatocellulaire reste longtemps préservée
dans cette affection.
Trois interventions ont surtout été utilisées : la dévascularisation oesogastrique avec splénectomie, le shunt
splénorénal proximal avec splénectomie et le shunt splénorénal distal avec conservation de la rate selon Warren.
Les études
comparatives avec suivi à long terme des patients sont peu
nombreuses et émanent principalement d’Amérique du Sud et
d’Égypte.
Si l’accord est fait pour abandonner définitivement
le shunt splénorénal proximal, le choix entre les deux autres
méthodes est encore affaire d’école, avec peut-être un avantage pour
l’intervention de Warren ; ses résultats sont meilleurs que ceux
obtenus au cours des cirrhoses, le taux d’encéphalopathies
postopératoires est de 4,4 %, tandis que son efficacité sur la récidive
hémorragique est de 91 %.
La thrombose du shunt n’a été notée que
dans 7 % des cas.
Les auteurs brésiliens, dont l’expérience est
très importante, restent attachés à la dévascularisation oesogastrique
avec splénectomie suivie de sclérose endoscopique en cas de
récidive, en raison de taux moindres d’encéphalopathie et de
mortalité.
Pour certains également, le caractère illogique de la
conservation de la rate, souvent volumineuse, plaide pour la
splénectomie.
Prophylaxie
:
La prophylaxie individuelle, qui s’applique à des séjours
temporaires en zone d’endémie est simple et efficace.
Elle vise à
protéger le sujet réceptif.
La prophylaxie collective qui est une
stratégie globale de lutte contre l’endémie est très difficile à mener à
bien.
Après de multiples désillusions, les programmes de contrôle
de l’endémie ont été conduits avec succès dans quelques pays, mais
les schistosomoses restent un problème de santé publique avec
environ 200 millions de personnes infectées, surtout en Afrique.
L’éradication ne peut être envisagée que dans des conditions géoclimatiques et socioéconomiques très favorables.
A - PROPHYLAXIE INDIVIDUELLE
:
1- Prophylaxie de l’infection
:
Elle est simple et efficace : toute collection d’eau douce est a priori
suspecte et les contacts avec cette eau sont interdits.
Certaines eaux
sont inoffensives ou rendues telles en raison de l’absence ou de
l’élimination des cercaires : eaux de mer, eau de puits profonds, eau
filtrée, eau ayant reposé en l’absence de mollusques hôtes
intermédiaires pendant 48 heures.
Lors de contacts obligatoires avec une eau suspecte, on peut
conserver chaussures hautes et pantalon de toile serré aux chevilles.
Les furcocercaires ne peuvent passer au travers d’un tissu sans
perdre leur queue et devenir inoffensives.
En cas de contact
accidentel avec une eau suspecte, il faut limiter au maximum la
durée de l’exposition au risque et la surface corporelle immergée,
ces deux facteurs étant étroitement corrélés avec l’intensité de
l’infection, puis se frotter énergiquement avec une solution
savonneuse ou alcoolique.
2- Prophylaxie de la maladie
:
Il peut être proposé une prophylaxie de la maladie par prescription,
au retour de la zone d’endémie, par traitement de principe par praziquantel, dans un contexte de contamination probable,
argumenté sur le contexte anamnestique, la présence d’une
hyperéosinophilie sanguine et une sérologie bilharzienne positive.
B - PROPHYLAXIE COLLECTIVE
:
La lutte contre l’endémie bilharzienne est théoriquement possible
mais se heurte à de grandes difficultés de réalisation.
Les
programmes actuels recherchent une amélioration de la situation et
une limitation de l’extension de cette endémie.
1- Lutte contre le réservoir de parasite
:
Elle fait intervenir au premier chef le traitement des malades qui
participe aussi à la lutte contre la morbidité.
Cette action sur le
réservoir de parasite humain fait appel au dépistage des sujets
parasités.
L’emploi d’indicateurs d’évaluation permet d’évaluer la
sévérité de l’atteinte bilharzienne dans une population en vue
d’adapter la stratégie. Le traitement fait appel essentiellement au praziquantel.
En ce qui concerne S. japonicum, l’intérêt du traitement
médical du réservoir de parasites humains de cette zoonose ne
permet pas d’envisager une éradication, mais concourt à la lutte
contre la morbidité.
En l’absence d’une stérilisation du réservoir de
virus, cette action ne peut prévenir la réinfection.
2- Lutte contre la transmission
:
Elle repose sur la gestion de l’environnement et l’éducation sanitaire.
Si la destruction des mollusques hôtes intermédiaires à l’aide de molluscicides est efficace, cette méthode ne se conçoit qu’après un
inventaire des points d’eau à traiter et n’est réalisable que dans les
zones où les eaux de surface sont regroupées ou rares.
Le niclosamide, actif sur les mollusques et les cercaires, est le plus
utilisé. Les stratégies d’application doivent être évaluées pour éviter
une recolonisation à partir de zones de transmission persistante.
La lutte écologique, qui consiste à modifier les composantes de
l’environnement indispensables à l’installation et à la reproduction
du mollusque, ne peut être appliquée que pour des actions
géographiquement limitées (assèchement des canaux, destruction
périodique des végétaux aquatiques) et doit être envisagée
systématiquement lors des aménagements du réseau hydrique de
surface.
La protection de l’eau par l’hygiène des excreta constitue le
second volet.
Cette action rentre dans le cadre plus vaste de la lutte
contre les maladies du péril fécal et urinaire.
Face aux habitudes et
aux moeurs ancestrales, on doit opposer une approche collective et à
long terme des problèmes par l’éducation sanitaire.
L’éducation
sanitaire est sans nul doute importante et ses résultats durables.
Mais elle est très longue à porter ses fruits et, dissociée d’une
amélioration des conditions de vie, elle paraît peu réaliste.
L’amélioration du niveau socioéconomique est donc un facteur
indispensable au succès de ces projets.
3- Protection du sujet réceptif en zone d’endémie
:
Elle ramène aux notions ici inapplicables de prophylaxie
individuelle.
En effet, supprimer tout contact avec une eau douce
contenant des mollusques infestés est efficace mais impossible car le
point d’eau est le lieu incontournable de nombreuses activités
professionnelles et ménagères que l’on ne peut supprimer.
Une
mesure alternative est de promouvoir le creusement de puits,
l’aménagement des points d’eau de surface.
La protection du sujet
réceptif passe aussi par la mise au point d’un vaccin.
Cette
protection immunitaire est indispensable pour contrôler cette
endémie même si le traitement médical est efficace.
En effet, la
thérapeutique seule, même itérative, ne permet d’éviter les
réinfections survenant de façon quasi constante chez les jeunes
enfants. À la différence des autres protozoaires, les schistosomes ne
se multiplient pas chez leur hôte.
La morbidité observée est
essentiellement liée à l’étonnante fécondité des vers femelles dont
les oeufs se déposent chaque jour par centaine dans les muqueuses
et les tissus.
Sur la base de nombreuses études expérimentales et
épidémiologiques, une réduction significative et partielle de 60 %
de la charge parasitaire représentée par les vers adultes diminuerait
de manière importante la pathologie liée au dépôt des oeufs et
affecterait à terme la transmission parasitaire.
Le vaccin a pour cible
l’oeuf.
Il apparaît en effet difficile de neutraliser directement le furcocercaire en raison de la difficulté de mise en place d’une
immunité cutanée et/ou le ver adulte du fait de ses nombreux
mécanismes d’échappement à la réponse immune.
Ainsi, les
travaux visent à réduire la population parasitaire, à diminuer la
fécondité et la viabilité des oeufs émis, et donc à affecter le potentiel
de transmission et l’incidence ultérieure de la maladie.
4- Démarche vaccinale
:
Les premières étapes de l’élaboration d’un vaccin ont permis
d’identifier les mécanismes effecteurs de l’immunité contre S. mansoni.
Le profil immunitaire est de type Th2, aboutissant à la
production d’anticorps IgA et IgE dont le rôle protecteur est
essentiel.
L’antigène cible de cette réponse effectrice est une enzyme
de 28 kDa, une glutathion S transférase (Sm28GST).
La
reconnaissance par les IgE de cette protéine de surface déclenche
une réaction de cytotoxicité cellulaire provoquant la mort du
schistosome.
L’inhibition de l’activité enzymatique de la 28GST par
les IgA est associée à une forte réduction de la fécondité parasitaire
et de la viabilité des oeufs pondus. Diverses expériences vaccinales
ont montré une protection allant de 50 % à 80 % chez certains
animaux.
Ce mode d’action a récemment été confirmé dans des
populations humaines.
La Sm28GST représente à l’heure actuelle le
candidat vaccinal le plus prometteur.
5- Stratégie vaccinale
:
La population cible pour une vaccination est représentée par les
enfants, largement exposés à l’infection et naturellement dépourvus
de défense immunitaire.
Ce faisant, l’acquisition d’une immunité
capable de stériliser le parasite éviterait l’apparition de pathologies
liées aux réinfections multiples.
Une synergie entre le vaccin 28GST
et le praziquantel a été démontrée chez la souris.
Cette approche
associant chimiothérapie et vaccin devrait permettre une réduction
notable de l’incidence de l’infection dans les zones d’endémie.
Conclusion
:
Originale par sa physiopathologie, redoutable par son pronostic, la
focalisation hépatique de la bilharziose demeure un problème
préoccupant de santé publique dans les pays en voie de développement
où sévissent les schistosomes.
L’amélioration de l’hygiène générale, l’apparition de traitement en prise
unique et la prochaine administration d’un vaccin devraient permettre,
à moyen terme, une forte régression de cette forme grave du « foie
parasitaire ».