Assistance médicale à la procréation et problèmes de filiation Cours de
Gynécologie Obstétrique
Introduction
:
L’assistance médicale à la procréation (AMP) consiste en un
ensemble de techniques médicales, destinées à traiter ou pallier les
troubles de la fertilité d’un couple.
Or notre époque est caractérisée
à la fois par un faible taux de natalité avec un âge de la mère
croissant pour le premier enfant, et parallèlement des moyens
d’actions sur la procréation toujours plus importants.
Les bébés, rares, n’en sont devenus que plus précieux d’où aussi tout
l’engouement qu’ils suscitent et les recherches qui leur sont
consacrées.
L’avènement de techniques de plus en plus sophistiquées a rendu la
stérilité de moins en moins tolérable et l’adoption beaucoup moins
séduisante.
Ce contexte était donc propice au développement de
l’AMP pour donner un enfant aux couples stériles (tandis que
l’adoption permet de donner une famille à un enfant).
Depuis 1994, les lois de bioéthique encadrent juridiquement ces
pratiques.
Au coeur de toutes les demandes d’AMP, on retrouve ces questions
fondamentales totalement imbriquées qui structurent le sujet, la
famille et la société.
A - DÉSIR D’ENFANT :
Dans la littérature psychanalytique, il a surtout été étudié chez la
femme.
M Bydlowski distingue tout d’abord désir d’enfant et
désir de grossesse ; certaines grossesses n’ayant d’autre finalité qu’elles-mêmes, pour vérifier le bon fonctionnement du corps (et
parfois suivies de demandes d’avortement).
Sur le plan conscient,
désirer un enfant, c’est se situer comme parent : élever son propre
enfant, comme ses parents (identification), avec le fantasme de
(re)produire et de façonner un nouvel être, semblable ou différent
de soi-même, selon son propre narcissisme et la qualité de ses
propres identifications parentales.
C’est aussi se perpétuer après la
mort, « dépasser son propre destin, jouer le germen immortel contre
le soma périssable ».
Sur le plan inconscient, ce désir résulte d’une
double identification : maternelle, semblant prévalente, et paternelle.
C’est, d’une part, la réminiscence inconsciente du bébé imaginaire
désiré par la petite fille lorsqu’elle jouait avec sa poupée, qui lui
donnait alors le statut imaginaire de mère, et d’autre part, dans la
grossesse et dans l’enfantement, le prolongement de sa propre mère,
en s’identifiant à elle.
Elle règle ainsi une dette de vie envers elle.
Ce qui implique pour elle de faire le deuil de sa propre jeunesse,
d’accepter son propre vieillissement et, plus loin, sa propre mort.
En
ce qui concerne les identifications paternelles, la thèse de Freud
associant désir d’enfant et Penisneid est restée classique, thèse dans
laquelle l’enfant se substitue au Penisneid.
Le garçon, quant à lui,
s’identifiant au père, dans ce jeu de miroirs transgénérationnels.
B - FILIATION ET LIEN PARENTS-ENFANTS :
La filiation, ou lien de parenté, recouvre les règles d’attribution
sociales, mais aussi affectives, d’un enfant à des parents (et
réciproquement d’un parent à un enfant).
La filiation se décompose
selon trois axes : biologique, narcissique et institué (juridique).
La filiation biologique est basée sur la transmission des gamètes
parentaux, vecteurs des chromosomes et donc aussi des gènes.
C’est
le lien du sang (qui n’y est pour rien, mais l’image exprime bien le
mélange de deux corps en un seul).
La filiation narcissique provient de la reconnaissance affective qui se
met en place entre parents et enfants, et qui alimente le narcissisme
de chacun des protagonistes.
C’est l’introjection de l’autre (parent
ou enfant) dans son propre idéal du Moi.
Le fait de se sentir père ou
mère de …, fils ou fille de …
La filiation instituée est formée par les règles d’attribution de
l’enfant, fixées par la loi du groupe (règles juridiques).
Il n’est cependant pas nécessaire que les trois composantes de la filiation
coexistent pour qu’une famille se sente exister et soit reconnue
comme telle.
Les sociétés ont actuellement tendance à privilégier le
lien biologique.
Cependant, la psychanalyse, en découvrant
l’importance de la notion d’identification inconsciente aux images
parentales, intervenant jusque dans les phénomènes de ressemblance
(de la personnalité et/ou du comportement), le développement de
l’adoption, puis de l’AMP, a amené à mettre en lumière le rôle de
l’éducation, par rapport à celui de la biologie, dans le devenir de
l’enfant, mettant ainsi en avant les filiations non biologiques.
D’où
les notions nouvelles de père d’identification et d’éducation, et de
géniteur, le premier prenant le pas sur le second.
Au travers de
l’AMP, il ne s’agit, en fait, de rien d’autre que du vieux débat entre
inné et acquis.
La question du lien théorisée par Bowlby, à partir
des travaux ethnologiques (Lorentz), vient rebondir dans ce débat.
L’empreinte, phénomène biologique, devenant ensuite une matrice
de filiation narcissique.
C - STÉRILITÉ ET HYPOFERTILITÉ
:
L’évolution actuelle de notre société est marquée, dans le domaine
de la reproduction, par une faible natalité et un avancement de l’âge
des mères à leur premier enfant.
Or l’âge est un facteur important
dans la fertilité.
C’est ainsi que 20 % des couples en âge de procréer
consultent un spécialiste en ce domaine.
De là, 25 % sont déclarés
stériles, les autres étant dits hypofertiles, soit d’origine masculine,
féminine ou encore mixte.
La stérilité, qu’elle soit d’origine masculine, féminine ou mixte,
inflige à chaque sexe la même souffrance : celle de la finitude.
Frappant comme la mort, elle provoque une rupture existentielle et
symbolique.
Elle « rompt la chaîne qui relie à ceux qui nous ont
précédés et à ceux qui nous succéderont, qui nous transcende et
nous relie à l’immortalité ».
La stérilité signifie donc exclusion (de
l’arbre de vie et du groupe des « normaux ») et deuil à faire de ce
prolongement de soi-même à travers un autre.
Le sujet stérile ne
peut régler sa propre dette de vie envers ses parents, ses
identifications parentales étant barrées.
La stérilité lui renvoie
l’image d’un corps altéré.
Elle comporte également des spécificités
pour chaque sexe.
Pour l’homme, stérilité signifie souvent atteinte de sa virilité et de
sa puissance sexuelle.
Elle est lourde à porter dans notre culture,
d’autant plus que le père transmet son nom.
C’est pourquoi la
stérilité masculine a toujours été plus occultée que celle de la femme.
Pour la femme, elle signifie plus impossibilité de grossesse
qu’absence de lien génétique.
La grossesse lui confère, en effet, le
statut social et fantasmatique de femme et de mère, d’où un
sentiment d’échec personnel et social si elle est impossible (échec
dans son identité féminine).
Sur le plan dynamique, la stérilité
ébranle aussi le couple, provoquant une crise grave de légitimité,
susceptible de le faire éclater ou, au contraire, de le rendre plus
solide.
Ceux-là pourront renoncer temporairement ou définitivement
au désir d’enfant, ou bien se tourner vers l’AMP.
Quoi qu’il en soit,
la stérilité impose toujours un travail de deuil douloureux avant de
se lancer dans l’aventure de l’AMP.
L’hypofertilité, de par son aspect non définitif, entraîne le plus
souvent les couples dans un long parcours d’examens, puis de
traitements, passant par tous les stades de l’AMP.
Il s’agit ici d’une
lutte contre le deuil de la fertilité, rendant celui-ci plus difficile si les
traitements s’avèrent inefficaces.
Historique des assistances médicales
à la procréation et de leurs
institutions :
L’insémination artificielle (IA) humaine date de 1791 (Hunter), l’IA
avec le sperme de donneur (IAD) de 1884.
L’IA se développe
rapidement pendant la première moitié du XIXe siècle, puis tombe
en disgrâce à la fin du siècle (interdiction papale et divers
jugements).
Le renouveau de l’IA sera possible grâce à la découverte
de la congélation du sperme et à une meilleure connaissance du
cycle féminin.
La première banque de sperme est créée en 1953 aux
États-Unis.
Les premiers centres français de congélation apparaissent
en 1973.
Les premières IAD et IAC (insémination avec
autoconservation du sperme) débuteront alors, s’adressant aux
stérilités masculines.
Il existe maintenant en France 20 centres
d’étude et de conservation des oeufs et du sperme (CECOS) : ils
conservent aussi les embryons congelés.
Sous l’impulsion de son
fondateur professeur Georges David, les CECOS se constituent en
fédération nationale et élaborent des règles déontologiques et
éthiques très rigoureuses.
Règles qui seront reprises dans les lois de
bioéthiques de 1994.
La recherche sur la stérilité féminine d’origine tubaire prend son
essor.
Le premier bébé éprouvette naît par fécondation in vitro et
transfert d’embryon (FIV) en Angleterre (Streptoe et Edwards 1978),
puis en France (Frydmann et Testart 1982).
Les centres de FIV se
multiplient et sont actuellement au nombre d’une centaine. Tous ces
centres sont soumis à un agrément ministériel.
L’apparition en 1992 de la micro-injection intracytoplasmique de
spermatozoïdes (ICSI) a permis de mieux prendre en charge les
hypofertilités masculines sévères.
Enfin, il faut citer le diagnostic préimplantatoire (DPI).
La FIV peut
être proposée dans le but de réaliser un diagnostic biologique à
partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro.
Différentes techniques d’assistance
médicale à la procréation
:
Dans un domaine en évolution rapide et très diversifié, il nous a
paru pertinent de partir du plan biologique : « De qui proviennent
les gamètes qui servent à fabriquer l’enfant ? ».
Car le plan
biologique demeure le point aigu des cristallisations et de la fixation
de toute la fantasmatique sociale sur les troubles attribués aux AMP
(cf les titres de la presse « Les bébés venus du froid »).
On distingue
trois situations.
– Les deux gamètes viennent des parents.
La stimulation de l’ovulation est la méthode la moins invasive et la
plus employée actuellement, pourtant ce n’est pas une méthode sans
risques : hyperstimulation et grossesses multiples.
L’IAC était initialement utilisée, dans les cas d’hypofertilité
masculine, dans certains troubles sexuels masculins, d’indication très
discutable (impuissance) et après certains cas de vasectomie à fin
contraceptive.
Actuellement, l’indication majeure de l’IAC est devenue la
prévention des stérilités masculines iatrogènes dues au traitement
d’une maladie grave (exemple : les chimiothérapies anticancéreuses).
Le sperme congelé, s’il est de bonne qualité, peut être utilisé après
guérison, pour rétablir une filiation empêchée par la maladie.
L’intérêt psychologique est grand : réinscription du sujet dans la
chaîne des générations, aide à la lutte contre l’angoisse
d’anéantissement par la maladie et contre le sentiment de
ségrégation inhérent aux maladies graves.
Le sujet redevient comme
les autres.
La FIV est utilisée dans les stérilités féminines d’origine tubaire.
Sa
technique est lourde.
Les risques d’échec ont amené à prélever
plusieurs ovocytes à la fois, à les féconder avec le sperme du mari,
puis à n’en réimplanter qu’un petit nombre pour augmenter les
chances de succès, tandis que les embryons non utilisés (dits
surnuméraires) sont congelés pour conservation (leur avenir pose
des problèmes éthiques très difficiles).
La principale complication
est représentée par les grossesses multiples avec leurs risques.
La micro-injection intraovocytaire du spermatozoïde ou ICSI, s’est
imposée dans les hypofertilités masculines.
Ici, les risques
sembleraient se situer au niveau des enfants, risques de transmission
d’infertilité et d’apparition de maladies transmises génétiquement.
– Un seul gamète provient des parents.
L’IAD permet de pallier principalement la stérilité masculine en
pratiquant l’IA avec le sperme d’un donneur.
L’arrivée de l’ICSI a
réduit de moitié les indications de l’IAD.
Le don est gratuit et anonyme, le donneur doit être âgé de moins de
45 ans, avoir au moins un enfant et l’accord de sa compagne.
Elle
doit se pratiquer dans un centre agréé.
Le don d’ovocytes est proposé en cas d’impossibilité d’ovulation.
Il
nécessite le recours à une FIV. Le don est ici techniquement et
psychologiquement bien plus compliqué que le recueil de sperme.
– Aucun lien biologique parental.
C’est le don d’un embryon surnuméraire à un autre couple.
Il est
assimilé à une adoption anténatale (l’enfant n’ayant pas de lien
chromosomique avec ses parents), avec des différences de taille : la
grossesse et l’accouchement créent un authentique lien biologique
avec les parents ; de plus l’enfant n’a pas connu, même brièvement,
d’autres parents.
S’il est envisagé par les lois de bioéthique, il n’est
toujours pas possible en l’absence de décrets d’application.
Les pratiques avec mères porteuses sont, elles, interdites par la loi.
Problèmes psychologiques
chez les couples demandeurs
d’assistance médicale à la procréation :
A - ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION SANS DON
DE GAMÈTES (IAC, FIV, ICSI)
:
Le fait positif essentiel est l’absence d’introduction d’un gamète
étranger au couple ; cela évite de rompre la filiation biologique,
épargnant aux demandeurs de nombreuses inquiétudes sur la
ressemblance et des blessures narcissiques.
Néanmoins, des
problèmes peuvent se poser.
1- Dissociation sexualité-procréation :
Dans toutes les AMP, il y a procréation sans coït.
Ceci peut-il avoir
une incidence sur le devenir de l’enfant ?
Ce problème se pose
essentiellement lorsqu’il existe des troubles sexuels masculins
(impuissance) que l’IAC permet d’occulter et, surtout, de ne pas
traiter.
Comment ces couples éduqueront-ils leur enfant par rapport
à la sexualité ?
Le père parviendra-t-il à assumer authentiquement
une position virile par rapport à l’enfant (surtout si c’est un
garçon) ?
Ce problème semble beaucoup moins gênant dans la FIV.
Les femmes, dans l’échantillon de Raoul Duval, ne présentent pas
de pathologie psychique particulière.
Tout au plus, certaines femmes
immatures, à la sexualité mal génitalisée, évoquent-elles des
fantasmes archaïques de parthénogenèse ou de grossesse virginale.
La FIV remet donc peu la femme en question (à la différence de
l’homme).
2- Stress lié à la technique
:
Si la masturbation n’est pas culpabilisée, l’IAC est une technique
simple.
La FIV, en revanche, consomme beaucoup de temps et
d’énergie.
Les périodes de FIV sont souvent vécues dans un climat
tendu et anxieux.
La technique, agressive pour le corps féminin,
réveille des fantasmes archaïques d’intrusion et d’effraction
(ponction des ovocytes).
Le couple craint enfin souvent que le
passage dans l’éprouvette n’altère son embryon et ne donne un
enfant anormal.
Ces craintes sont renforcées dans le cas des ICSI, et
non sans quelque fondement comme on l’a vu.
3- Stérilités psychogènes :
Le recours à une AMP sans élaboration psychique suffisante peut
occulter ce langage du corps qu’est la stérilité (ambivalence du désir
d’enfant) et enfermer le couple dans une escalade de réponses
techniques, alors la demande d’AMP n’est qu’une tentative pour se
rassurer sur le fonctionnement du corps.
Ce viol de l’ambivalence
peut, de plus, être dommageable pour la relation parents-enfants.
B - TECHNIQUES AVEC DON DE GAMÈTE
:
Elles impliquent une rupture du lien biologique, soit unilatéral (don
de sperme ou d’ovocytes), soit bilatéral (don d’embryon), et sont
donc psychologiquement plus « lourdes ».
1- Insémination artificielle avec donneur :
L’homme stérile, exclu de la fabrication de l’enfant, peut se sentir en
insécurité quant à sa paternité.
Certains pères éprouvent des
difficultés à trouver leur place dans la famille.
C’est sans
doute pourquoi la grande majorité des couples souhaitent garder le
secret de l’insémination.
Le secret a un double rôle imaginaire :
préserver l’image d’un père viril et le garder intégré dans la chaîne
des générations.
L’IAD peut, de façon marginale, éveiller des
fantasmes d’adultère et de jalousie du mari vis-à-vis du donneur
(chez les paranoïaques).
Mais l’institution CECOS, avec ses rituels
austères, fait efficacement écran et évacue habituellement ces
fantasmes.
Les IAD pour cause génétique sont au contraire vécues
très positivement : l’homme n’est pas stérile, c’est sa lignée qui est
malade.
L’IAD met fin à la malédiction génétique qui la touche (effet
réparateur).
2- Fécondation in vitro avec don d’ovocytes
:
La situation est tout à fait différente.
La femme est enceinte et porte
l’enfant.
La grossesse lui confère le statut imaginaire et social de
mère, ainsi que la maternité légale de l’enfant, par l’accouchement.
À la différence de l’homme, elle ne sent pas vraiment sa stérilité
puisqu’elle fabrique l’enfant.
La production d’ovocytes étant interne
et invisible, celle-ci passe au second plan derrière la gestation qui se
ressent et se voit.
Le problème du secret perd du même coup de son
acuité, car la mère, gestante, et le père, producteur du
spermatozoïde, se sentent parents de l’enfant.
Par ailleurs, les règles
éthiques du don, secret, anonymat, gratuité, écartent les fantasmes
d’homosexualité procréatrice rencontrés chez les receveuses quand
le don n’était pas anonyme.
Devenir des enfants nés
par insémination artificielle avec don
de sperme et par fécondation in vitro :
Au-delà des problèmes posés aux parents, le devenir physique et
psychologique des enfants constitue la question la plus importante.
L’IAD et la FIV ont été les plus étudiées.
A - ENFANTS NÉS PAR INSÉMINATION ARTIFICIELLE
AVEC DON DE SPERME
:
Actuellement, le nombre d’enfants IAD est d’environ 35 000 en
France.
Les plus âgés ont eu 25 ans en 1998. Seules des études
longitudinales, sur des échantillons statistiquement fiables,
permettraient de dégager une évolution indiscutable.
Ces études
sont impossibles actuellement car de nombreux parents ont choisi
de garder le secret sur l’IAD et sont donc réticents quant à
l’intrusion d’observateurs dans leur vie.
Un certain nombre d’études
directes, ou indirectes, apportent néanmoins des informations.
La
première étude psychanalytique de Gerstel sur cinq enfants était
très pessimiste, décrivant de nombreux troubles après la naissance :
dépression du post-partum, dépression du père, relations mèreenfant
difficiles, troubles du développement chez l’enfant.
L’absence
de méthodologie en limite la portée.
Les études ultérieures, sur des
groupes plus importants, infirment d’ailleurs cette opinion et
convergent toutes.
Izuka et al, étudiant 56 enfants IAD âgés de
2 ans et demi, Ferrier et al, comparant 222 enfants suivis jusqu’à
3 ans à un groupe témoin, Segur-Semenov, examinant 86 enfants
IAD âgés de 6 mois à 3 ans, et très récemment Manuel et al, dans
une vaste enquête longitudinale auprès des parents de 112 enfants
IAD, comparés à un groupe témoin, à 3 mois, 18 mois et 3 ans,
concluent tous que les enfants IAD ont un développement psychomoteur supérieur au groupe témoin.
Ils ont aussi une
avance au niveau du langage et du contrôle sphinctérien.
En
revanche, ils présentent plus de difficultés affectives mineures :
troubles de l’appétit, du sommeil, excitabilité accrue, difficultés à la
séparation nocturne, qui témoignent de l’hyperinvestissement
anxieux dont ils font l’objet.
Cette hyperexcitabilité est retrouvée par Clayton et Kovacs (interview de 50 mères), mais démentie par
Leeton et Backwell (examen de 80 enfants IAD).
Quels qu’ils soient, les troubles de l’enfant sont généralement mieux
tolérés par les parents que dans le groupe témoin.
Les couples
IAD paraissent plus stables que les autres.
Ils ont généralement un
âge plus élevé (la stérilité, puis le recours à l’IAD, retardent l’âge de
naissance du premier enfant), ce qui semble à l’origine d’un désir
d’enfant plus mûr, plus élaboré et très intense (le parcours du
combattant que représente l’AMP sélectionne les plus motivés).
D’autre part, avoir un enfant plus tard permet d’obtenir un meilleur
niveau socioéconomique, donc moins de problèmes matériels, un
meilleur épanouissement et une maturation personnelle. Le désir
d’enfant est alors mieux partagé avec le partenaire.
Tout ceci
explique un meilleur ajustement des femmes plus âgées à la
maternité.
Sous cet éclairage, la stérilité devient un avantage pour
l’enfant, plutôt qu’un risque.
La position du père est sans doute la
plus difficile.
Certains vivent leur enfant (surtout un garçon) comme
un rappel permanent et douloureux de leur stérilité, menaçant leur
identité virile, parfois même avec des troubles sexuels (ces hommes
ont eu le plus souvent des difficultés identificatoires à un père décrit
comme tyrannique).
Certaines de ces études souffrent de biais
méthodologiques (absence de groupes témoins le plus souvent).
Les
études indirectes, basées sur les réponses des parents, ne peuvent
remplacer l’examen direct des enfants (risque de manque
d’objectivité des parents au sujet de leur propre enfant, même si
l’investigation est menée avec un questionnaire standardisé), mais
surtout elles ne dépassent pas l’âge de 6 ans, alors qu’il nous
faudrait des informations jusqu’à l’adolescence et l’âge adulte.
Cependant, malgré ces limites, l’impression d’ensemble est très
rassurante.
Deux arguments indirects vont aussi dans ce sens :
– de nombreux couples demandent un deuxième enfant IAD,
témoignant alors de l’épanouissement du premier et de leur
bonheur ;
– on ne retrouve pas, dans la littérature psychiatrique internationale,
de publications relatant une pathologie liée à l’IAD.
Reste la question du secret de l’IAD : faut-il absolument révéler à
l’enfant le recours à l’IAD ?
Le monde psychiatrique admet
généralement, sur des bases difficiles à évaluer, que le secret dans la
filiation est pathogène et, se référant à l’adoption, paraît favorable à
la révélation.
Les couples IAD et l’opinion publique sont en
revanche très majoritairement favorables au secret (60 à 89 %),
même s’ils ont parfois des comportements contradictoires (révélation
à leur entourage, par exemple).
Manuel et al estiment que le
« secret absolu ou la confidence limitée ne semblent pas, bien au
contraire, associés à des risques particuliers, aux âges et sur les
indicateurs de notre étude ».
Il faut également se souvenir que,
chaque année en France, naissent environ 55 000 enfants adultérins,
que le mari le sache ou non.
Or, ces enfants ne présentent pas de
pathologie psychique systématiquement liée à leur origine.
En
révélant l’IAD, les parents craignent surtout, disent-ils, de
traumatiser leur enfant.
Crainte non méprisable, car l’énoncé est
effectivement violent.
Oubliant la filiation narcissique, ils redoutent
de fragiliser surtout la position du père, celui-ci craignant un
désaveu de paternité venant de l’enfant.
Leur attitude est liée à leur
vécu de cette stérilité : castration angoissante et donc non révélable,
ou épreuve sublimée et alors peut-être verbalisable.
Mais si les
« psys » plaident avec sincérité en faveur de la filiation narcissique,
que signifie, de leur côté, cette obligation de dire le biologique, ce
retour obligatoire du biologique ?
Si ce n’est un certain désaveu
inconscient pour la filiation narcissique.
Avec le risque de confronter
l’enfant à une impasse (le père biologique étant impossible à
retrouver).
La prudence s’impose donc.
Car on ne peut ni affirmer
ni infirmer totalement le caractère pathogène du secret.
C’est
l’expérience du couple qui tranchera.
B - ENFANTS NÉS PAR FÉCONDATION IN VITRO
:
La FIV entraîne une augmentation importante du taux de grossesses
multiples.
Tout comme les inductions de l’ovulation.
On a pu
calculer qu’en 1993, environ 30 % des 9 208 grossesses gémellaires
et 75 % des grossesses multiples d’ordre supérieur sont dus aux
stimulations.
Ainsi, on peut estimer que 5 808 enfants jumeaux et
618 enfants triplés sont nés après une stimulation de l’ovulation,
dont respectivement 1 800 et 300 après FIV.
L’étude scientifique des enfants nés après FIV nécessite donc de
séparer des sous-groupes puisque cette population n’est pas
homogène.
Elle se divise en singletons (50 % des enfants), jumeaux
(45 %) et triplés (5 %).
Chacun de ces groupes doit idéalement être
rapporté à une population de référence.
Pour les singletons, la méthodologie mise au point dans le cadre de
l’IAD peut être reprise ici : appariement des enfants à ceux d’un
groupe témoin tout-venant et à ceux d’un groupe d’enfants conçus
sans FIV, mais après un long passé de stérilité, pour différencier
l’effet FIV de l’effet stérilité.
Les différentes enquêtes montrent, chez les jeunes enfants, les
mêmes éléments psychologiques que ceux retrouvés chez les enfants
IAD : troubles du sommeil, troubles alimentaires et problèmes
relationnels sans élément de gravité sont légèrement supérieurs dans
le groupe FIV.
Pour les jumeaux, ce qui conditionne en premier lieu l’avenir de ces
familles est le problème des grossesses multiples avec leur cortège
de mortinatalité, de prématurité, d’hospitalisations précoces et de
difficulté de mise en place de la relation mère/enfants.
La morbidité
maternelle est aussi augmentée, physique et surtout psychologique,
le taux de dépression du post-partum est élevé : 40 à 50 % contre
15 %.
Nous avons pu comparer trois populations de jumeaux : des
jumeaux monozygotes spontanés, des jumeaux dizygotes spontanés
et des jumeaux dizygotes provoqués par FIV.
En effet, la FIV
augmente le pourcentage de jumeaux dizygotes par réimplantation
de plusieurs embryons.
Du point de vue psychologique, ce sont les familles ayant des
jumeaux monozygotes qui expriment le plus d’inquiétudes centrées
autour du problème de la ressemblance, de la peur des confusions.
Le groupe des familles ayant eu recours à la FIV est celui qui
exprime le moins d’inquiétude, n’ayant souvent pas d’enfant
antérieurement, ils se réjouissent d’avoir deux enfants d’un coup,
alors que leur âge et leur difficulté à concevoir leur faisaient craindre
de ne pas avoir d’autre grossesse.
Ils se débrouillent en moyenne
mieux sur le plan matériel que ceux des deux autres groupes.
Il est
à noter qu’ils sont en moyenne plus âgés et donc souvent plus
installés dans la vie.
Pour les triplés, tous les problèmes sont multipliés, tant médicaux
que psychologiques.
Les familles sont débordées par les tâches
matérielles (24 biberons par jour, 700 couches par mois).
Les mères
souffrent particulièrement de l’insuffisance de temps à consacrer à
chaque enfant, et donc de l’absence plaisir.
Les familles sont
entraînées vers des mécanismes opératoires d’élevage.
Elles
souffrent aussi de la rupture du secret car les triplés signent les
difficultés à concevoir et le recours à la FIV.
La dépression maternelle
est quasi constante et longue. Il faut souligner la nécessité d’une
aide globale pour ces familles non seulement physique pour
suppléer aux tâches de soins, aux tâches ménagères, mais aussi
psychologique.
En conclusion, si les résultats concernant le devenir psychologique
des enfants conçus grâce à l’AMP sont rassurants, des inquiétudes
demeurent : pour les mères, le taux de dépression du post-partum
qui est corrélé avec le nombre d’enfants par grossesse ; pour les
enfants, les risques liés à la prématurité, elle aussi corrélée à la multiparité ; enfin, les risques de transmission d’anomalies
génétiques, plus fréquentes dans la population qui a recours à
l’AMP.
Échecs des assistances médicales
à la procréation :
Il est important de rappeler qu’en dépit de leur importante
médiatisation, les échecs de l’AMP restent malheureusement
nombreux, ils concernent un couple sur deux.
Les médecins ont
alors un rôle important d’accompagnement à jouer, pour éviter que
le couple ne s’enlise dans l’amertume, la dépression, ou ne les
rejette, eux et tout projet d’enfant.
Pour s’orienter ensuite
sereinement vers l’adoption, le couple devra faire le deuil de l’enfant
produit par lui-même, pour que l’enfant adopté trouve une vraie
place et ne soit pas qu’un enfant de remplacement, source d’une
nostalgie incurable.
Conclusion :
L’AMP a atteint en l’an 2000 un rythme de croisière. Le recours au don
de gamète comme palliatif aux troubles de la fertilité a tendance à
diminuer au profit de nouvelles techniques de soins comme l’ICSI.
La
multiparité, source de prématurité, doit être contrôlée par des
réimplantations limitées à deux embryons, mais force est de constater
que l’AMP n’a pas provoqué les grands bouleversements tant redoutés
dans la famille, ni justifié les craintes alarmées de leurs débuts.