Aspects immunologiques de la gestation Cours de
Gynécologie Obstétrique
C - ORIENTATION VERS LA RÉPONSE DE TYPE TH2
:
Les cellules Th0 précurseurs, en réponse à un stimulus antigénique,
se différencient, soit en cellules Th2 en présence de IL4, soit en
cellules Th1 en présence de IL12 et d’IFNc.
La réponse Th1 (proinflammatoire)
est orientée vers la cytotoxicité cellulaire, alors que
la réponse Th2 (anti-inflammatoire) est dirigée vers la production
d’anticorps et le développement d’une immunosuppression.
La
réponse Th1 produit des cytokines de type IFNc, IL2 et TNFa, qui sont capables d’activer les cellules NK et les macrophages.
La
réponse Th2 sécrète des cytokines IL4, IL5, IL6, IL9, IL10 et IL13
capables d’inhiber les cellules NK et les macrophages.
Au cours de
la grossesse normale, un déséquilibre en faveur de la voie Th2 est
observé.
La suppression partielle de la voie Th1 systémique
au cours de la grossesse est compatible avec l’exacerbation pendant
la grossesse de certaines infections intracellulaires comme le
paludisme et les infections à cytomégalovirus.
La voie Th1 est
privilégiée dans certains cas pathologiques.
Dans le modèle
murin, les cytokines IFNc et IL2 augmentent le taux
d’avortements.
Certaines infections, comme celles à Leishmania,
qui induisent une défense de type cellulaire, entraînent des
avortements probablement dus à un déséquilibre en faveur de la
voie Th1, avec une diminution des cytokines Th2 et une
augmentation de la synthèse de IFNc et IL2.
Plusieurs mécanismes
pourraient expliquer l’arrêt de la grossesse dû à ces cytokines Th1 :
– ces cytokines activent les cellules NK déciduales dont la
cytotoxicité est inhibée pendant la grossesse ;
– IFNc et TNFa coopèrent pour détruire par apoptose les cellules
trophoblastiques.
Une étude in vitro comparant la sécrétion des lymphocytes
périphériques de patientes ayant une grossesse normale de ceux de
patientes souffrant d’avortements spontanés à répétition inexpliqués
montre l’orientation de la réponse vers Th2 lors des grossesses
normales et vers Th1 en cas d’avortement.
Le profil de sécrétion
typique de Th2 n’étant pas toujours retrouvé au niveau des
lymphocytes périphériques, il semble que l’orientation vers Th2 soit
topographiquement limitée à l’interface foetoplacentaire.
Le profil
de sécrétion de l’endomètre prélevé durant la période périimplantatoire
objective une orientation vers Th1 dans certains cas
d’avortements à répétition et vers Th2 vers les patientes ayant eu
des grossesses normales.
La source des cytokines de type Th2 et des cytokines Th1 est encore
incertaine et probablement multiple : les cellules T activées, les
cellules Tγδ, les cellules stromales, le trophoblaste et les cellules NK.
Wegman, le premier, pensait que les cellules T activées par le
trophoblaste étaient responsables de cette sécrétion, ce qui
permettait d’expliquer l’effet bénéfique obtenu par alloimmunisation.
Cette origine T a été mise en doute.
Les cellules Tγδ ont été ensuite le sujet d’une grande curiosité.
Le trophoblaste
lui-même semble capable de participer à la mise en place de cet
environnement aux cytokines favorables.
Prenons comme exemple
IL10, cytokine dite Th2, qui inhibe la synthèse des cytokines Th1 et
l’expression des antigènes HLA.
Le cytotrophoblaste invasif et les
cellules stromales pourraient fabriquer cette cytokine.
Au cours de
la grossesse, la production d’IL10 par le stroma endométrial est
multipliée par 100.
Le rôle des cellules NK dans la mise en place de cette orientation
Th2 est probable.
Le traitement de souris par un anticorps (qui
détruit les cellules NK) entraîne une diminution de l’IL10
placentaire.
La reconstitution de souris déficiente en cellules NK
rétablit une reproduction normale.
Les cellules NK déciduales
sécrètent des cytokines IL4, IL5 et IL6.
Les cytokines IL4, IL6 et LIF
sont capables de stimuler la production d’hCG par le
trophoblaste, elle-même stimulant la synthèse de progestérone
par le corps jaune.
L’IL4 empêche l’expression sur les cellules NK
déciduales des récepteurs à l’IL2, contrôlant ainsi leur activité
cytotoxique.
La question de savoir comment s’oriente la réponse vers l’une ou
l’autre voie est l’objet de nombreux travaux.
Au cours de la réponse
immunitaire classique, l’orientation vers Th1 ou Th2 dépend
essentiellement de l’environnement.
Une richesse locale en IL12 et IFNc oriente vers Th1.
Une concentration élevée en IL4 dirige la
réponse vers Th2.
Le comportement différent des lymphocytes
circulants et des lymphocytes de l’interface foetoplacentaire confirme
l’importance de l’environnement sur l’orientation de la réponse.
L’IL12 est produite par les macrophages activés par les produits
microbiens, elle active à son tour les cellules NK à fabriquer de
l’IFNc.
Les sources de l’IL4 sont plus imprécises et les candidats
sont nombreux : les cellules T, les cellules NK, les éosinophiles et les
cellules T naïves elles-mêmes.
Les cellules NK, après fixation des antigènes trophoblastiques
HLA-G sur les récepteurs KIR et KAR, pourraient libérer des
cytokines.
Des monocytes cultivés en présence de cellules
exprimant HLA-G dévient la réponse immunitaire T de Th1 vers
Th2.
Récemment, il a pu être montré que la présence de HLA-G sur des
cellules stimulantes de lymphocytes/macrophages en culture
pouvait modifier la libération des cytokines.
Chez des femmes sans
antécédents obstétricaux pathologiques, la présence de HLA-G
diminue la libération d’IL1, augmente la sécrétion d’IL3 et diminue
celle de TNFa.
Les mêmes expériences chez des patientes souffrant
d’avortements à répétition objectivent des modifications en faveur
de la libération de cytokines de type Th1.
Le trophoblaste produit de l’IL4 et de l’IL10.
L’IL10 produite par le
trophoblaste est active puisqu’elle est capable de bloquer la sécrétion
d’IFNc par des lymphocytes activés.
La progestérone est connue pour ses propriétés immunosuppressives.
Le surnageant de splénocytes de souris gravide
cultivés en présence de progestérone est capable d’empêcher la
survenue d’un avortement dans le modèle murin CBA X DBA/J.
La
progestérone à des concentrations comparables à celles rencontrées
dans la placenta est un puissant inducteur de la production de
cytokines Th2 (IL4 et IL6).
Des lymphocytes périphériques activés
par une protéine de bacille de la tuberculose se développent en clone
qui ont un profil Th1.
L’adjonction de progestérone les transforme
en producteurs d’IL4 et d’IL5.
La progestérone induit sur ces clones
Th1 l’expression membranaire de CD30, qui est considéré par les
immunologistes comme un marqueur des cellules Th2.
L’oestradiol
et l’hCG n’ont aucun effet sur le profil des cytokines.
Mais
l’oestradiol protège les lymphocytes Th2 de l’apoptose en
augmentant la transcription du gène Bcl2, dont la protéine est
connue pour protéger de l’apoptose.
Localement, la survie des
cellules Th2 serait favorisée par le milieu hormonal.
Au cours du
cycle menstruel, la progestérone prépare l’endomètre à
l’implantation avec une diminution importante du rapport
Th1/Th2.
En présence de progestérone, les lymphocytes de femmes enceintes
libèrent une protéine de 34 kDa nommée PIBF.
Le PIBF serait le
médiateur des effets immunomodulateurs de la progestérone.
Le PIBF induit la production de cytokines de type Th2 par les
lymphocytes activés.
Une étude comparant le profil des cytokines
et la production de PIBF chez des femmes normalement fertiles et
chez des femmes aux antécédents d’avortements à répétition a
montré une augmentation de l’IL12 et une production très faible
d’IL10 et de PIBF chez les patientes aux antécédents pathologiques.
Chez des femmes enceintes, l’IL12 était produite en excès chez les
patientes qui auront un avortement spontané, alors que l’IL10 est
élevée chez les patientes qui accouchent à terme.
La mise en contact
de lymphocytes de patientes souffrant d’avortements à répétition
avec du PIBF corrige la sécrétion de cytokines, l’IL10 augmente et
l’IL12 diminue.
Le trophoblaste produit une substance, membre de la famille des TGF, le macrophage inhibitory cytokine 1 (MIC-1), dont la
concentration sérique et amniotique augmente pendant la grossesse.
Le rôle de cette substance est encore imprécis, mais des données
expérimentales montrent qu’elle inhibe la synthèse de cytokines proinflammatoires
par les macrophages activés par LPS
(lipopolysaccharide).
Des extraits placentaires obtenus après
accouchement prématuré contiendraient moins de MIC-1 que des
extraits de grossesse normale.
Une autre hormone, la relaxine (RLX), serait impliquée dans
l’orientation de la réponse Th.
Cette molécule de 6 kDa est produite
par le corps jaune gravide et la decidua.
En plus de son action sur
l’appareil génital, la RLX, ajoutée à des cultures de lymphocytes
stimulés par un antigène, augmente la sécrétion d’IFNc sans
modifier celle d’IL4.
Cet effet ne serait pas secondaire à une stimulation de la sécrétion d’IL12 par les cellules présentatrices de
l’antigène.
La RLX influence directement la différenciation et la
fonction des cellules T CD4+ et contrebalance l’activité Th2 de la
progestérone.
La decidua produit la pregnancy-specific glycoprotein (PSG) qui
stimule la sécrétion par les macrophages de l’IL10.
Le gène de la PSG s’exprimerait moins dans la decidua de certaines patientes
souffrant d’avortements à répétition.
D - RÔLE DES MACROPHAGES :
Les macrophages placentaires ont un rôle ambigu : certaines de leurs
fonctions protègent l’embryon ; d’autres sont nuisibles.
La majorité
des macrophages déciduaux sont dits activés « alternativement »,
car ils ont une influence anti-inflammatoire.
Au contraire des
macrophages activés « classiquement », puissants agents
inflammatoires, comme ceux activés par l’IFNc ou les
lipopolysaccharides, les macrophages « alternatifs » produisent peu
de radicaux oxygénés et beaucoup de cytokines anti-inflammatoires
comme l’IL10 et l’antagoniste du récepteur à IL1 (IL1R).
Bien
qu’activés alternativement, les macrophages placentaires libèrent des
cytokines inflammatoires comme l’IL1b et le TNFa.
Des effets
bénéfiques et néfastes ont été attribués à ces cytokines.
L’IL1b
régulerait l’invasion trophoblastique en stimulant l’activité métalloprotéasique et favoriserait la sécrétion trophoblastique d’hCG
et d’oestrogènes.
En bloquant la différenciation des cellules stromales, l’IL1 interviendrait dans la décidualisation.
Le TNFa,
comme l’IL2 et l’IFNc, est impliqué dans des avortements.
Son
administration en début de gestation chez la souris interrompt la
grossesse, des quantités importantes de TNFa sont détectées dans
les produits d’avortements spontanés.
Chez la souris destinée à
avorter, des macrophages riches en TNFa sont trouvés en excès dans
la decidua, avant que n’apparaissent les lésions embryonnaires.
L’IL1b et le TNFa contribueraient aux mécanismes présidant les
accouchements prématurés infectieux et à ceux installant la prééclampsie.
Le liquide amniotique contient ces deux cytokines en cas
d’infections et elles stimulent la sécrétion de PG par les cellules
déciduales.
La prééclampsie s’accompagne d’une augmentation
des cytokines placentaires IL1 et TNFa. Un mauvais remodelage des
artères spiralées par le trophoblaste entraîne une hypoxie locale du
placenta qui, en retour, sécrète l’IL1b et le TNFa.
Ces cytokines
passent dans la circulation, où elles léseront les endothéliums.
Au niveau des macrophages, l’équilibre entre bénéfices et
inconvénients serait obtenu grâce aux cytokines Th2 qui régulent la
production de cytokines macrophagiques.
Cet équilibre pourrait être
rompu par une infection, une hypoxie locale.
E - INDUCTION D’UNE TOLÉRANCE SPÉCIFIQUE
:
Des travaux récents ont comparé la prolifération lymphocytaire de
femmes enceintes saines ou souffrant du syndrome des avortements
à répétition induite par un antigène tétanique ou grippal.
Les
patientes enceintes sans antécédents ont une prolifération très
diminuée, alors que dans le groupe des patientes aux avortements à
répétition seules les patientes avec grossesse évolutive ont une
prolifération diminuée, les lymphocytes des patientes dont la
grossesse s’interrompt prolifèrent normalement. Une immunosuppression accompagnerait la grossesse normale.
On ne
sait pas si la régulation négative est spécifique des antigènes utilisés
ou s’ils ressemblent à certains antigènes exprimés par le
trophoblaste.
Les mécanismes par lesquels la tolérance induite
pourrait être maintenue sont multiples.
La grossesse normale
pourrait induire l’apparition d’anticorps anti-HLA paternel qui
masqueraient les sites antigéniques.
L’hypothèse de ces anticorps
bloquants serait à l’origine des traitements d’immunisation par des
lymphocytes paternels dont l’efficacité reste discutée.
Plusieurs travaux ont montré que la tolérance induite par la
grossesse était spécifique des antigènes paternels.
Des souris
transgéniques pour un récepteur T (TcR) spécifique d’un antigène
exprimé par le père ont permis de suivre le destin de ce clonotype
spécifiquement antipaternel au cours de la grossesse.
Deux modèles
expérimentaux avec des cellules T exprimant soit un TcR
antiantigène d’histocompatibilité (H-2Kb), soit un TcR spécifique
de l’antigène H-Y, ont montré une disparition des cellules T
spécifiques des antigènes paternels étudiés.
Ce mécanisme de
tolérance acquise par délétion clonale apparaît à des concentrations
antigéniques physiologiques.
Plusieurs mécanismes ont été décrits
pour expliquer l’installation de cette tolérance périphérique.
1- Altération locale du métabolisme du tryptophane
:
Le tryptophane est un acide aminé nécessaire pour les cellules T.
Cet acide aminé doit leur être fourni car elles ne sont pas capables
de le fabriquer.
La quantité de tryptophane disponible pour les
cellules T peut moduler la réponse immunitaire.
Certaines cellules,
en particulier les macrophages, inhibent la prolifération des cellules
T par la dégradation du tryptophane qu’elles entraînent, grâce à une
enzyme qu’elles contiennent et qu’elles libèrent, l’indoléamine 2,3-
dioxygénase (IDO).
Il existe un stade critique du cycle cellulaire des
cellules T où la présence de tryptophane est indispensable.
À
l’interface foetoplacentaire humaine, des cellules fabriquant de l’IDO
sont présentes aux régions de contact entre des tissus d’origine
foetale et le système immunitaire maternel.
Pendant la grossesse, la
concentration sérique du tryptophane diminue progressivement du
premier au troisième trimestre, tandis que se développe le placenta.
Des souris traitées par un inhibiteur de l’IDO (1-méthyltryptophane)
ont toujours un avortement ; l’injection de l’inhibiteur est sans
effet lors des grossesses syngéniques ou des grossesses allogéniques
après déplétion des cellules T.
Ces expériences favorisent
l’hypothèse d’une réponse immunitaire maternelle modulée par les
cellules fabriquant de l’IDO.
La dégradation du tryptophane est
positivement corrélée à certains indicateurs d’activation des
macrophages et à la présence de certaines cytokines comme le M-CSF.
Les macrophages seraient à l’origine de l’essentiel de cette
sécrétion, mais les cellules trophoblastes en fabriquent aussi.
L’embryon serait ainsi capable de se protéger lui-même. Deux
modèles sont proposés :
– la suppression immunitaire serait due à la pauvreté en
tryptophane elle même ;
– la suppression serait secondaire à une accumulation de
métabolites (sérotonine et ses dérivés, kynurénine, acide
quinolinique) eux-mêmes immunomodulateurs.
2- CD95 et son ligand (CD95 et CD95L)
:
Lorsque les cellules T activées ont terminé leur travail, elles doivent
être détruites.
Un mécanisme de mort cellulaire programmée, ou apoptose, se déclenche.
Parmi les mécanismes déclenchant
l’apoptose, le plus utilisé est le système CD95 et son ligand CD95L
(CD95/CD95L).
Ce duo est impliqué dans la régulation du
renouvellement cellulaire, dans l’élimination des cellules tumorales et dans la protection des dangers que peuvent représenter les
cellules T activées.
Il participe à la destruction des cellules T
réactives vis-à-vis des autoantigènes protégeant des maladies autoimmunes.
Ce système fonctionne selon le modèle suivant : CD95L
est exprimé par les cellules effectrices, tandis que CD95 se trouve
sur les cellules cibles ; en l’occurrence, il s’agit des cellules T et des
cellules NK activées.
Dans certains sites immunologiquement
privilégiés comme l’oeil ou le testicule, le couple CD95/CD95L est
actif.
CD95L est exprimé sur le trophoblaste et capable de se fixer
sur les lymphocytes CD95 qui entrent en contact avec le
trophoblaste, entraînant la destruction des lymphocytes réactifs.
Un modèle expérimental confirme ce mécanisme : du trophoblaste
de souris normale détruit des lymphocytes CD95+, alors que du
trophoblaste de souris gld, qui n’exprime pas CD95L, en est
incapable.
Dans ce modèle murin, les auteurs ont montré que les
lymphocytes T détruits exprimaient un récepteur TcR (grâce auquel
ils reconnaissent l’antigène) spécifique des antigènes paternels.
Du trophoblaste humain en culture est capable d’induire l’apoptose
de lymphocytes.
CD95L est exprimé sur le trophoblaste extravillositaire et villositaire.
CD95L est au moins partiellement
responsable de l’apoptose des lymphocytes, puisque l’addition d’un
anticorps bloquant anti-CD95L diminue fortement ce phénomène de
mort cellulaire.
Des lymphocytes déciduaux activés car exprimant
la molécule CD45 portent la molécule CD95.
Des cellules
lymphocytaires en apoptose sont identifiées dans la decidua
humaine dès le début de la grossesse.
Le couple CD95/CD95L
semble fonctionner différemment selon la localisation du
trophoblaste.
Des travaux récents ont permis de localiser les
molécules CD95L principalement sur le trophoblaste extravillositaire
alors qu’elles sont peu nombreuses sur le trophoblaste des
villosités.
Il est à signaler que le trophoblaste exprime les deux molécules
CD95 et le récepteur.
Le couple CD95/CD95L trophoblastique
aurait un rôle dans la régulation de la prolifération du trophoblaste.
Une métalloprotéase peut détacher CD95L, donnant un ligand
soluble de 26 kDa biologiquement actif et pouvant intervenir à
distance.
Un autre couple de la famille des TNF peut intervenir pour le
maintien d’un certain privilège localement : le couple
TRAIL/TRAIL-R (TNF-related apoptosis-inducing ligand et son
récepteur) a été identifié au niveau placentaire.
L’expression du TRAIL serait surtout sur le syncytiotrophoblaste des villosités.
3- Rôle de l’HLA-G :
Dans les expériences de réaction lymphocytaire mixte où les cellules
stimulantes et répondantes sont identiques pour les antigènes HLA
de classe I et dissemblables pour les antigènes HLA de classe II, la
réaction lymphocytaire mixte est due à la sensibilisation des
lymphocytes CD4 contre les antigènes HLA de classe II.
Dans ce
système expérimental, l’expression par les cellules stimulantes de HLA-G inhibe la prolifération des cellules T CD4+.
Ne bénéficiant
plus de l’aide des cellules CD4+, la prolifération des cellules CD8+
est diminuée.
F - RÔLE DU COMPLÉMENT :
Le système du complément, un des éléments majeurs de l’immunité
non spécifique, comprend un groupe d’une quinzaine de protéines
plasmatiques.
L’activation du système du complément, qui
déclenche une cascade amplificatrice de protéolyse, se fait de trois
façons :
– la voie classique est activée par les complexes antigène-anticorps ;
– la voie alterne par les parois cellulaires des agents pathogènes ;
– la voie des lectines par la fixation d’hydrates de carbone des
agents pathogènes sur une protéine plasmatique fixant le mannose.
Quelle que soit la voie d’activation, le résultat est l’apparition de
substances immunologiquement actives.
Par exemple, le fragment
résultant de la scission du C3, la molécule C3b, se dépose à la
surface des microbes, facilitant leur phagocytose par les cellules
spécialisées qui expriment un récepteur pour le C3b.
Les fragments
C5b, C6, C7, C8 et C9 composent le complexe cytotoxique en
perforant la membrane cellulaire.
Le coeur du système est le
troisième composant C3, qui est l’intermédiaire entre la
reconnaissance et le bras armé de la cascade du complément. C3 est
activé en permanence à bas niveau, assurant une activation
immédiate en cas de nécessité.
Cette activation a minima présente
un risque d’emballement du système, étant donné l’efficacité de la
cascade amplificatrice. Les membranes cellulaires de l’organisme
sont donc pourvues de protéines capables de contrôler la régulation
de l’activation du complément.
Chez l’humain, trois protéines de la
membrane cellulaire participent à cette fonction régulatrice : le decay
accelerating factor (DAF ou CD55) qui accélère la destruction du
complément activé et la membrane cofactor protein (MCP ou CD46)
qui empêche l’activation de C3 en bloquant le site de liaison du
complément sur les anticorps sur le fragment Fc, tandis que CD59
intervient plus tard dans la cascade en prévenant les lésions induites
par le complexe cytotoxique.
Les souris et les rats possèdent une protéine régulatrice Crry
indispensable pour le déroulement de la grossesse.
Des souris
« knock-out » pour le gène de cette protéine sont incapables de
mener une grossesse.
Les embryons homozygotes crry -/- meurent après déposition de complément sur le trophoblaste et
envahissement par de nombreuses cellules inflammatoires vers 9,5
jours de grossesse.
Pour vérifier que l’activation spontanée du
complément est responsable de mort de l’embryon, des souris
déficientes en complément (souris C3-/-) ont été traitées pour porter
la mutation Crry.
Ces souris C3-/- Crry-/- sont capables de mener à
bien leur grossesse sans dépôt de complément et sans envahissement
du trophoblaste par des cellules inflammatoires.
La molécule MCP n’est pas exprimée dans le modèle murin, tandis que DAF
n’apparaît que tardivement pendant la grossesse.
La protéine Crry
serait donc seule à jouer un rôle protecteur chez la souris.
Les
mécanismes activant le complément restent encore inconnus.
Chez l’homme, seules les molécules DAF, MCP et CD59 ont été
identifiées sur le placenta.
Quelques sujets identifiés comme
porteurs d’un déficit en DAF et CD59 ont été identifiés.
Le fait qu’ils
aient survécu indemnes à la grossesse rend peu probable
l’importance de ces molécules.
Aucun sujet porteur d’un déficit en MCP n’a pu être identifié, soit parce que MCP est absolument
indispensable à l’individu, soit au contraire que MCP n’a pas de
fonction et que son absence n’a aucun retentissement sur le
phénotype.
Il est urgent de confirmer l’activation anormale du
complément dans certaines situations pathologiques, comme les
avortements ou l’éclampsie, d’autant que des molécules hautement
efficaces en tant qu’inhibiteurs du complément ont été mises au
point et pourraient être introduites en thérapeutique.
G - « LEUKEMIA INHIBITORY FACTOR »
ET SON RÉCEPTEUR
:
Le LIF est une cytokine de la famille de l’IL6.
Elle règle la croissance
et la différenciation des cellules souches embryonnaires, des cellules
primordiales, des ostéoblastes, des neurones, des adipocytes et des
cellules endothéliales.
Des travaux sur des souris génétiquement
incapables de fabriquer du LIF (souris LIF-/-) ont montré que ces
souris étaient fertiles, mais que les embryons étaient incapables de
s’implanter, à moins de traiter les animaux avec du LIF recombinant.
Les embryons vivants récupérés (LIF-/-) pouvaient s’implanter
normalement dans une souris fabriquant du LIF (souris LIF+/- ou
LIF+/+).
Au niveau de l’interface humaine, les récepteurs au LIF ne sont
détectés que sur le blastocyste et sur le cytotrophoblaste villositaire
et extravillositaire du premier trimestre.
Le LIF et son ARNm sont
présents dans l’endomètre en fin de phase lutéale et dans les cellules
NK et les cellules T de la decidua.
Les oestrogènes produits autour
de l’ovulation pourraient déclencher la sécrétion de LIF qui serait
nécessaire pour la décidualisation.
La production de LIF dans la
decidua est inhibée par les cytokines Th1 (IL12, IFNa et IFNc) et est
stimulée par l’IL4 et la progestérone, qui facilitent l’orientation vers
Th2.
Un défaut concomitant de production locale de LIF, d’IL4 et
d’IL10 par les cellules T est observé chez certaines patientes
souffrant d’avortements à répétition.
La réduction de production de LIF, d’IL4 et d’IL10 n’est pas observée sur les lymphocytes
périphériques, indiquant qu’il ne s’agit pas d’une anomalie
intrinsèque des lymphocytes T, mais d’une altération due au
microenvironnement utérin.
La forte concentration locale de
progestérone capable de stimuler les cellules productrices d’IL4 et
de LIF semble montrer la présence locale d’un réseau hormonoimmunologique.
L’IL4, produite par les cellules Th2, stimulerait la
sécrétion de LIF.
Lors de la différenciation du trophoblaste, certaines villosités
atteignent la matrice extracellulaire pour devenir les villosités
crampons.
Le trophoblaste jonctionnel de ces villosités crampons ne
fabrique plus d’hCG, mais produit des intégrines ou molécules
d’adhérence, en particulier la tropho-utéronectine (TUN), qui réalise
l’attachement du placenta à l’utérus.
Le LIF intervient en opérant la
différenciation d’un trophoblaste sécrétant des hormones vers le
trophoblaste jonctionnel.
Le LIF diminue la synthèse de l’hCG et
augmente celle de la TUN. En théorie, l’abondance de LIF autour de
l’épithélium endométrial initie l’attachement de l’embryon.
Lorsque
l’embryon a traversé l’épithélium et qu’il commence sa migration stromale, sa propre sécrétion d’IL1, de TNFa, de platelet derived
growth factor (PDGF) et de TGFb augmente celle de LIF dans le
stroma environnant qui, en retour, stimule la production de
fibronectine par le trophoblaste et facilite l’implantation.
Le LIF
interviendrait également sur le trophoblaste invasif, car il peut
réguler la production d’urokinase plasminogen activator (uPA) et de
gélatinase dont on connaît le rôle essentiel dans l’installation du
trophoblaste.
Le LIF aurait un rôle dans les mécanismes
d’angiogenèse dans les villosités dont l’endothélium exprime des
récepteurs au LIF.
Le LIF pourrait augmenter l’expression sur le
trophoblaste de l’antigène HLA-G.
Des observations humaines semblent confirmer le rôle du LIF.
Le
traitement d’embryons améliore leur qualité et augmente ceux qui
progressent jusqu’au stade de blastocyste.
Dans le produit de lavage
de la cavité utérine de femmes fertiles, le LIF apparaît au jour LH
(luteinizing hormone) + 7 et augmente régulièrement, pour atteindre
un maximum au jour LH + 12 ; la quantité de LIF présente dans le
produit de lavage est moindre chez certaines patientes souffrant de
stérilité inexpliquée.
L’endomètre de certaines patientes souffrant
d’avortements spontanés à répétition mis en culture sécréterait en
phase lutéale très peu de LIF.
Le RU486 prescrit quotidiennement à
faible dose (0,5 mg) empêche l’apparition du
LIF au moment de
l’implantation. L’effet contraceptif de faible dose de mifépristone
serait le résultat de son effet délétère sur la sécrétion de LIF.
H - PLACE DU SYSTÈME IMMUNITAIRE NON SPÉCIFIQUE :
De nombreuses observations montrent une activation du système
immunitaire non spécifique.
Les monocytes et les granulocytes
circulants sont plus nombreux dès le début de la grossesse.
Les
monocytes circulants expriment des marqueurs d’activation comme
au cours des infections systémiques.
Les capacités de phagocytose
et l’activité respiratoire des monocytes sont augmentées.
Les
monocytes expriment plus le récepteur à l’endotoxine CD14.
En
réponse aux endotoxines, les monocytes des femmes enceintes
saines produisent plus de cytokines pro-inflammatoires de type 1
comme l’IL12.
Plusieurs études ont objectivé une activation des
granulocytes pendant les grossesses, ainsi qu’une augmentation des
taux plasmatiques de certains facteurs circulants typiques de la
réponse non spécifique.
Mais tous les facteurs circulants de la
réponse non spécifique ne sont pas augmentés, par exemple la
production d’IFNc par les cellules NK est diminuée.
Une hypothèse en cours d’évaluation propose que des molécules ou
des particules d’origine embryonnaire ou placentaire ont des effets
opposés sur les réponses maternelles spécifiques et non spécifiques.
La réponse spécifique serait soit évitée, soit supprimée, et la réponse
non spécifique serait activée.
Les monocytes seraient les cibles de
cette activation et ils libéreraient des facteurs solubles : cytokines, enzymes et lipides.
Ceci est en accord avec l’observation que les
monocytes sont les acteurs principaux de la réaction de Shwartzman
à laquelle les animaux gravides sont particulièrement vulnérables.
Plusieurs produits placentaires déversés directement dans la
circulation maternelle ont simultanément une action suppressive sur
les lymphocytes T et un pouvoir activateur sur les monocytes.
Des
cellules d’origine foetale ou trophoblastique, des vésicules de
membrane de syncytiotrophoblaste sont retrouvées dans la
circulation.
On ne sait pas si ces particules sont déversées
accidentellement ou intentionnellement.
Les monocytes sont activés
par la phagocytose et par les lipides membranaires qui se fixent sur
les récepteurs CD14 et CD11b.
L’hypothèse proposée attribue aux particules placentaires
et aux facteurs solubles une fonction d’adjuvant ou de signal 2 de la
voie de l’immunité spécifique, et une fonction activatrice des
monocytes qui produisent des cytokines pro-inflammatoires comme
l’IL12 et qui expriment des molécules membranaires dites
costimulantes comme CD80.
Une relative absence de présentation
de l’antigène spécifique (signal 1) empêche la mise en place d’une
réponse de rejet de type 1.
La particularité de la réponse au cours de
la grossesse serait d’être promue par un signal 2 en l’absence du
signal 1.
Le signal 2 est potentiellement dangereux car il peut
participer à la mise en place de la réponse spécifique qui pourrait
être dirigée contre le foetus.
L’hypothèse propose que ce signal 2 soit
généré dans la circulation où les contacts prolongés et efficaces entre
les lymphocytes et les cellules présentatrices de l’antigène (signal 1)
sont peu probables.
Au cas où la présentation aurait lieu, des
facteurs placentaires comme la progestérone, PGE2 et les cytokines
Th2 orienteraient la réponse vers Th2. Si la réponse s’oriente vers
Th2, certaines cytokines promotrices de la réponse Th1 (IL12, par
exemple) devraient être absentes.
Mais en réalité, au cours de la
grossesse, les monocytes sont capables de sécréter en abondance de
l’IL12.
L’hypothèse propose que le signal 2 pendant la grossesse soit
différent de celui des infections.
Les composants lipidiques des
membranes trophoblastiques, peut-être conjointement avec des
facteurs solubles placentaires, induiraient un signal 2 spécifique à la
grossesse.
Pour souligner l’importance du système immunitaire non
spécifique dans la reconnaissance de l’état de grossesse, les auteurs
de cette hypothèse appellent le signal 2 le « signal P ».
La nature
du signal P n’est pas élucidée, mais il pourrait s’agir d’une
surexpression membranaire de certains antigènes et de la sécrétion
de certaines cytokines monocytaires comme l’IL12, le TNFa et le
monocyte chemotactic factor 1.
Le signal P aurait un rôle suppresseur
comme le prouve l’augmentation gravidique du nombre des
monocytes circulants suppresseurs.
L’effet suppresseur du signal P
pourrait expliquer l’amélioration de certaines maladies autoimmunes
pendant la grossesse.
Dans certaines situations, le système
immunitaire activé de la femme enceinte peut participer à
l’aggravation de certaines infections.
Le système immunitaire
possède des mécanismes de régulation plus grossiers que l’immunité
spécifique, ce qui fait que lorsque les agents infectieux résistent et
ne sont pas détruits rapidement, il en résulte une hyperstimulation
de l’immunité non spécifique, avec le risque de phénomènes de cytotoxicité par les cytokines.
Un exemple de cet état est la nécrose
tubaire corticale dont sont susceptibles les femmes enceintes.
Synthèse :
La mise en place du placenta se fait par étapes successives connues
sous le nom d’implantation.
Les cellules trophoblastiques envahissent l’endomètre modifié (la decidua).
Le trophoblaste se
différencie en deux populations :
– le trophoblaste villositaire qui recouvre les villosités permettant la
fourniture de l’oxygène et des nutriments au foetus ; les villosités
flottent dans le sang maternel de la chambre intervilleuse et sont en
contact avec les cellules maternelles circulantes ;
– le trophoblaste extravillositaire qui envahit la decidua jusqu’au
myomètre ; une des fonctions importantes du trophoblaste
extravillositaire est la destruction de la paroi musculoélastique des
artères spiralées, les transformant en vaisseaux à faible résistance et
à grande capacité, permettant un flux adapté à la grossesse ; une
insuffisance de ces modifications vasculaires peut compromettre la
circulation et l’approvisionnement du foetus ; les systèmes
immunitaires de la mère et du foetus apparaissent comme des
acteurs essentiels de l’implantation.
L’implantation et la grossesse ne ressemblent ni à une allogreffe, ni
à une tumeur, ni à une réaction inflammatoire, car les mécanismes
mis en jeu sont strictement contrôlés dans le temps et dans l’espace.
Les déséquilibres favorisant l’invasion trophoblastique sont
rencontrés dans la grossesse extra-utérine, le placenta accreta, la
môle hydatiforme, le choriocarcinome.
Un défaut d’invasion peut
conduire aux avortements, aux retards de croissance intra-utérins, à
la mort in utero et la prééclampsie.
L’analogie la plus proche pourrait être le « parasitisme transitoire »
car la mère et l’unité foetoplacentaire se tolèrent activement, mais en
bonne intelligence la mère et l’embryon coopèrent pour s’adapter
(la mère) et se développer (le foetus).
La diversité des mécanismes
mis en oeuvre et leur redondance s’expliquent par l’importance de
la reproduction pour l’évolution des espèces et la variété des
agressions que rencontrent la mère et son foetus pendant la
grossesse.
La connaissance et la manipulation de ces mécanismes aboutissent à
traiter plus efficacement certains échecs de la reproduction et
prévenir certaines pathologies apparaissant à l’âge adulte.