Application à l’hématologie maligne des techniques de biologie moléculaire Cours
d'hématologie
Introduction
:
Depuis la découverte de la structure en double hélice de l’acide
désoxyribonucléique (ADN), il y a 40 ans, la biologie moléculaire a
transformé notre capacité à caractériser les hémopathies malignes et
à comprendre les processus qui les induisent.
Grâce aux
développements technologiques, la biologie moléculaire, d’abord
cantonnée à la recherche, s’applique de plus en plus à l’évaluation
biologique de malades atteints d’hémopathie maligne.
Ces
techniques aident au diagnostic, à l’évaluation du pronostic et au
suivi du malade après traitement.
Sur un plan plus fondamental,
l’analyse structurale et fonctionnelle des gènes dérégulés dans les
leucémies et les lymphomes a beaucoup amélioré notre
compréhension des mécanismes, à la fois oncogénique et
physiologique.
Techniques de base
de la biologie moléculaire :
A - PRÉLÈVEMENTS :
Les acides nucléiques dans la cellule sont de deux types :
– l’acide désoxyribonucléique (ADN), enchaînement de 3 milliards
de nucléotides chez l’homme répartis sur 46 chromosomes, appelé
ADN génomique ;
– l’acide ribonucléique (ARN), lien entre le génotype (l’ADN) et le
phénotype (la protéine).
Ces deux acides, même s’ils ne diffèrent que par l’absence d’un
oxygène au niveau d’un sucre de l’ADN par rapport à l’ARN, n’ont
pas les mêmes caractéristiques physicochimiques et ne donneront
pas les mêmes informations en biologie moléculaire.
L’ADN et l’ARN sont extraits des cellules nucléées : un millilitre de
sang contient en moyenne 30 à 50 µg d’ADN. L’ADN est
relativement résistant, à la différence de l’ARN.
La qualité de
l’extraction est importante pour la méthode de Southern (analyse de
l’ADN génomique) et pour l’analyse de l’ARN.
B - ANALYSE DE L’ACIDE DÉSOXYRIBONUCLÉIQUE
:
L’analyse de l’ADN en hématologie sert principalement à
caractériser :
– soit des mutations ponctuelles ;
– soit des anomalies de structure : remaniements (translocations,
réarrangements des gènes d’immunoglobulines ou du récepteur des
cellules T) ou délétion ;
– soit des polymorphismes permettant l’analyse de la clonalité soit
myéloïde, soit lymphoïde.
1- Méthode de Southern :
Quand une solution d’ADN est exposée à un pH ou une
température élevée (90 °C), les deux brins complémentaires qui
constituent l’ADN se séparent.
Ce phénomène, appelé dénaturation,
est réversible, et la réassociation peut avoir lieu entre n’importe quel
acide nucléique (ARN ou ADN) tant que les séquences sont
complémentaires. Ceci est la base de la méthode décrite initialement
par Edwin Southern en 1975.
L’ADN chromosomique est
d’abord digéré par des enzymes de restriction qui coupent à des
sites précis (comme EcoRI qui coupe entre le G et le A après avoir reconnu la séquence GAATTC) afin de diminuer la taille des
fragments à analyser.
Ces fragments sont ensuite séparés selon leur
taille par électrophorèse en gel d’agarose.
Les fragments d’ADN
ainsi séparés sont transférés sur un support solide (nylon ou
nitrocellulose) après une étape de dénaturation.
Une fois transférées,
les séquences étudiées sont mises en évidence par hybridation d’une
sonde préalablement marquée, radioactivement (phosphore 32) ou
non (avec une perte de sensibilité dans ce dernier cas).
Après lavage,
la membrane est mise au contact d’un film radiographique pour
faire apparaître le signal de radioactivité.
Le fragment détecté est :
– soit de même taille et de même intensité que le témoin (par
exemple ADN de placenta) : on parle de bande germinale, et comme l’ADN est diploïde (2n chromosomes), les
deux allèles du même gène sont tous les deux sous forme
germinale ;
– soit de même taille mais d’intensité réduite de moitié par rapport
au témoin : dans ce cas, un des deux allèles est délété tandis que
l’autre est toujours sous forme germinale ;
– soit de taille différente : on parle alors de bande réarrangée ;
– soit absence de bande en autoradiographie : les deux allèles du
gène étudié sont délétés.
Cette méthode permet de connaître la structure des gènes.
Sa
sensibilité est de l’ordre de 5 %, c’est-à-dire qu’elle peut détecter
parmi la population cellulaire analysée des cellules ayant une
modification génotypique présente dans au moins une cellule sur
20.
Cependant, elle ne permet pas de reconnaître les mutations
ponctuelles, à l’exception des mutations affectant le site reconnu par
l’enzyme de restriction nécessaire à la digestion de l’ADN.
2- Amplification en chaîne
par une ADN polymérase thermostable (PCR) :
Cette méthode a révolutionné la biologie moléculaire des années
1990 et a été couronnée par l’attribution du prix Nobel de chimie en
1993.
Elle est basée sur l’amplification de fragments d’ADN
délimités par deux courtes séquences reconnues par deux oligonucléotides, dites amorces, grâce à une ADN polymérase
résistante à haute température (95 °C).
Il existe trois phases distinctes lors de l’amplification en chaîne par
la polymérase (le sigle américain de cette méthode, PCR pour polymerase chain reaction, universellement connu, est utilisé dans le
texte) :
– dénaturation : l’ADN est dénaturé par chauffage à haute
température (95 °C), température à laquelle l’ADN polymérase
résiste à la dégradation : les deux brins se séparent ;
– hybridation : la température de la solution est ramenée à une
température de l’ordre de 50 à 60 °C, pour permettre à deux petits
fragments d’ADN simple brin d’une vingtaine de bases (amorces),
complémentaires de la région à amplifier et l’encadrant, de
s’apparier à l’ADN génomique dénaturé (la distance entre les deux
amorces peut varier entre une centaine de paires de bases et environ
2 kb en routine).
Ces amorces se fixent préférentiellement à la région
à amplifier.
Elles sont nécessaires au fonctionnement du système car
la polymérase ne peut initier d’elle-même la réplication, et apportent
aussi la spécificité de la réaction ;
– élongation : la température est remontée à 72 °C, température
optimale d’activité de l’ADN polymérase, enzyme extraite d’une
bactérie thermophile isolée au niveau de geysers, Thermus aquaticus,
à laquelle elle doit son nom : Taq polymérase.
Cette enzyme n’est
pas dégradée par l’étape de dénaturation de 95 °C, à la différence
des ADN polymérases qui avaient été préalablement utilisés.
La Taq
polymérase copie l’ADN simple brin à partir des deux amorces.
Le
fragment d’ADN compris entre les deux amorces s’est alors
dupliqué.
Puis ces trois étapes (un cycle) sont répétées.
Après n cycles, le nombre de copies de la région amplifiée est
théoriquement de 2n.
Ces cycles étant répétés habituellement 30 fois,
on obtient en théorie 230 copies du gène initial, soit une amplification
de l’ordre du milliard !
Le produit de l’amplification est ensuite visualisé sur un gel soit d’agarose, soit d’acrylamide (selon la taille
du fragment amplifié), qui permet la résolution des fragments en
fonction de la taille.
Plus récemment, l’utilisation d’amorces
fluorescentes a permis d’améliorer la résolution de l’analyse du
produit de PCR.
L’une des amorces (généralement l’antisens)
est rendue fluorescente par la fixation, à son extrémité 5’, d’une
molécule capable d’émettre une fluorescence de longueur d’onde
déterminée après une excitation laser.
Par cette approche, le produit
de PCR obtenu après amplification est détectable par la fluorescence
émise lors du passage devant la fenêtre de lecture au cours d’une
migration capillaire électrophorétique sur un analyseur de
fragments.
Ceci permet de lui attribuer une taille précise, et améliore
la sensibilité de détection du signal.
Plus généralement, la PCR apporte un énorme gain de sensibilité :
le minimum nécessaire pour la méthode de Southern est de 5 µg,
soit environ 750 000 cellules, tandis qu’avec la PCR on peut aller
jusqu’à l’analyse d’une seule cellule.
Elle est donc particulièrement
indiquée pour la détection de séquences très peu représentées, ou
quand on dispose de peu de matériel pathologique.
Cette méthode
possède de nombreux avantages par rapport à la méthode de Southern, d’où son utilisation plus fréquente en routine : rapidité
(1 jour contre 1 semaine), sensibilité, possibilité d’analyser du
matériel partiellement dégradé (ADN fixé) et absence de produits
radioactifs.
Mais la sensibilité très élevée de cette méthode
représente cependant un inconvénient majeur, le risque de faux
positifs par amplification d’ADN présent comme aérosol dans le
laboratoire, ou contaminant les échantillons à analyser, d’où la
nécessité de travailler dans des conditions très rigoureuses
permettant de rendre des résultats fiables.
3- Analyse des mutations
:
Pour étudier les mutations ponctuelles pouvant affecter le
fonctionnement des gènes, plusieurs méthodes peuvent être
utilisées :
– l’établissement de la séquence des nucléotides constituant ce gène,
méthode relativement lourde mais fiable ;
– deux autres méthodes indirectes de recherche de mutations
ponctuelles, l’électrophorèse en gel de gradient dénaturant, et le
polymorphisme conformationnel des structures simple brin.
* Séquençage :
La méthode décrite par Sanger est basée sur l’arrêt de l’élongation
lors de la réplication par une ADN polymérase.
Cet arrêt est réalisé
par la présence de didésoxynucléotides (ddNTP) qui, à la différence
des désoxynucléotides (dNTP ou N signifie une des quatres bases) constituant l’ADN, ne permettent pas l’ajout de la base
suivante lors de l’élongation car le radical hydroxyl nécessaire a été
remplacé par un simple atome d’hydrogène.
En modifiant le ddNTP
incorporé (par exemple ddATP au lieu de dATP) et en faisant migrer
les quatre réactions d’élongation sur un gel de polyacrylamide
permettant la résolution à une base près, on peut définir précisément
l’enchaînement des nucléotides dans le gène étudié.
* Polymorphisme conformationnel des structures simple brin
:
Cette méthode met à profit les différences de réappariement des
molécules d’ADN simple brin sur elles-mêmes, aboutissant à une
structure en épingle à cheveu, cette structure variant en fonction
de la composition en nucléotides de l’ADN.
Ainsi, lors d’une
électrophorèse sur un gel de polyacrylamide non dénaturant, après
dénaturation des deux brins de l’ADN à étudier, on observe une
différence de migration non seulement selon leur taille mais aussi
selon leur séquence, ce qui permet de distinguer un fragment
d’ADN simple brin muté d’un fragment témoin, non muté.
* Électrophorèse en gel de gradient dénaturant :
Une des premières méthodes développées pour rechercher des
mutations dans des régions étendues de l’ADN fut l’électrophorèse
en gel de gradient dénaturant.
Cette technique est basée sur le
fait que l’ADN simple brin migre beaucoup moins vite que l’ADN
double brin.
Un ADN double brin contenant un défaut
d’appariement (hétéroduplex réalisé in vitro entre un ADN simple
brin muté et un ADN simple brin témoin) sera dénaturé plus
rapidement qu’un ADN double brin parfaitement apparié.
En
présence d’un gradient d’agent dénaturant (urée…), l’ADN mal
apparié se dissocie plus rapidement, d’où un arrêt de sa migration
plus précoce par rapport à l’ADN double brin témoin.
Une
différence d’une seule base entre l’ADN muté et l’ADN témoin est
suffisante pour provoquer des profils de migration différents.
4- Étude du polymorphisme
:
Dans un certain nombre de cas, il est utile de distinguer les deux
allèles d’un même chromosome, par exemple pour analyser la clonalité myéloïde, ou pour effectuer une étude de chimérisme
postallogreffe.
Le polymorphisme étudié peut être de différents
types :
– présence sur un allèle et absence sur l’autre d’un site de
restriction.
En utilisant d’une part cette enzyme de restriction lors
de l’analyse par la méthode de Southern, et d’autre part une sonde
spécifique de cette région, il est possible de distinguer les deux
allèles.
C’est le polymorphisme de longueur des fragments de
restriction (RFLP en anglais pour restriction fragment length
polymorphism) ;
– le polymorphisme étudié peut provenir également d’une séquence
répétée d’une manière différente sur chaque allèle (par exemple, 10 répétitions sur un allèle et 15 sur l’autre) analysé soit par la
méthode de Southern, soit par PCR.
Ces séquences sont plus ou
moins longues :
– de 11 à 60 nucléotides pour les minisatellites ou VNTR (variable
number of tandem repeats), utilisées pour l’analyse du chimérisme
postallogreffe ;
– de une à quatre bases pour les microsatellites ou STR (short tandem
repeats), répétitions de 12 à 40 copies (application à la clonalité
associée à l’inactivation aléatoire du chromosome, par exemple avec
le gène du récepteur aux androgènes dont le microsatellite est
représenté par la séquence CAG répétée de 12 à 26 fois).
L’informativité relative de ces polymorphismes est nettement plus
importante pour les microsatellites et les minisatellites que pour les
RFLP.
C - ANALYSE DE L’ACIDE RIBONUCLÉIQUE
:
L’étude des produits de transcription permet la détection des ARN
messagers normaux, ainsi que des ARN messagers de fusion
résultant de translocations chromosomiques telle que bcr-abl,
caractéristique de la leucémie myéloïde chronique.
L’étude de ces
translocations est pratiquement impossible au niveau de l’ADN, car
leurs points de cassure sont éparpillés sur les introns.
Lors de
l’épissage des ARN messagers après transcription de l’ADN, les exons sont
raboutés les uns aux autres, générant ainsi des ARN et des
protéines de fusion uniformes.
La grande sensibilité de l’ARN vis-à-vis des ribonucléases,
enzymes dégradant l’ARN et non l’ADN, présentes de manière
ubiquitaire (mains…) et elles-mêmes résistantes à la
dégradation, implique un soin particulier lors de sa
manipulation.
1- Northern-blot :
Cette méthode permet d’étudier les produits de transcription, mais
nécessite une trop grande quantité d’ARN pour être utilisée en
routine.
Elle est fondée sur le même principe que celle développée
par Edwin Southern, et elle fut dénommée par jeu de mots la
méthode du Northern.
L’ARN est migré dans un gel d’agarose
dénaturant (pour maintenir sa forme simple brin linéaire), puis il
est transféré sur une membrane de nylon et hybridé avec une sonde
radioactive, comme pour le Southern.
Un ARN de fusion n’aura pas
la même taille que l’ARN messager sauvage.
Cette méthode permet
une quantification de l’ARN messager d’une manière plus fiable que
la RT-PCR (PCR après transcription inverse), mais avec une sensibilité moindre.
2- Dot-blot :
Cette méthode est une simplification de la méthode du Northern, qui permet la
quantification des ARN messagers sans évaluer leur taille.
Elle ne distingue pas un ARN de fusion d’un ARN normal.
Une goutte d’ARN est directement déposée sur une membrane de
nylon ou de nitrocellulose (formant un petit disque sur cette
membrane, d’où le nom anglais : dot = point).
La membrane est ensuite mise au contact de la sonde marquée,
puis l’hybridation spécifique est révélée par autoradiographie.
3- RT-PCR :
L’étude des ARN de fusion est devenue très aisée avec l’apport de
la PCR.
Cette méthode avait été initialement décrite pour l’ADN,
mais une simple modification permet de l’utiliser aussi pour
l’ARN.
Elle utilise une enzyme caractéristique des rétrovirus, la
transcriptase inverse, une ADN polymérase ARN-dépendante, qui
permet de copier, en présence d’une amorce, une molécule d’ARN
simple brin en une molécule d’ADN simple brin complémentaire de
la séquence de l’ARN messager.
Une fois cette molécule
d’ADN complémentaire (ADNc ou cDNA) obtenue, la réaction
classique de PCR peut être effectuée avec deux amorces spécifiques
du gène à étudier.
D - MÉTHODES QUANTITATIVES : PCR EN TEMPS RÉEL
Cette technique récente mesure la cinétique de formation du produit
d’amplification au cours de la réaction de PCR, sans l’interrompre,
et en déduit une quantification de la cible dans l’échantillon analysé.
Elle peut s’appliquer aussi bien à l’analyse en RT-PCR qu’à l’analyse
génomique sur matrice d’ADN.
Cette approche nécessite un marqueur fluorescent, dont le signal
augmente de manière spécifique avec l’amplification au cours de la
réaction de PCR, et un système de mesure externe de la fluorescence
en temps réel.
Le module de détection fait appel à une excitation
par laser ou diode de tungstène par des fibres optiques et la mesure
de la fluorescence réémise par une caméra CDD à des intervalles
très rapprochés au cours de la réaction de PCR.
Deux systèmes fluorescents sont disponibles :
– Sybr Green : agent intercalant qui émet une fluorescence lorsqu’il
se fixe à l’ADN double brin.
Il présente l’avantage d’être utilisable
sans restriction avec tous les systèmes de détection, mais n’assure
qu’une spécificité relative qui peut nécessiter une vérification ;
– Sonde spécifique : ce système utilise soit une sonde doublement
marquée à ses deux extrémités, soit deux sondes se fixant en tandem
sur la séquence cible.
La particularité de cette dernière technologie (système Taqman) est
d’ajouter aux deux amorces une sonde fluorescente qui possède
deux fluorophores différents : un Reporter (FAM) en 5’ et un
Quencher (TAMRA) en 3’.
Lorsque la sonde est intacte, la proximité du Reporter et du Quencher induit la suppression de la fluorescence
du Reporter par le phénomène de tranfert d’énergie appelé FRET
(fluorescent resonance energy transfert).
Lors de la PCR, la Taq
polymérase commence l’élongation et dégrade la sonde par son
activité 5’exonucléasique, et donc sépare le Reporter du Quencher
qui ne pourra alors plus empêcher l’émission fluorescente du
Reporter.
La fluorescence émise par le Reporter est ainsi
proportionnelle à la quantité de sonde dégradée et donc de produit
de PCR accumulé.
Les avantages de l’approche sonde spécifique sont, d’une part la
grande spécificité apportée par la sonde, et d’autre part, pour
certaines applications, la possibilité de coamplifier plusieurs
séquences cibles dans la même réaction en utilisant des sondes
marquées par des fluochromes différents.
Son coût est cependant
nettement plus élevé.
La quantification de la séquence cible se fait grâce à l’établissement
d’une courbe de calibration avec des dilutions d’une lignée positive
ou des plasmides.
Pour chaque point de la gamme, on définit le
seuil de détection également appelé « cycle threshold » (Ct) à partir
duquel la fluorescence détectée dépasse le seuil de positivité
(threshold), ce qui permet d’établir une courbe d’étalonnage.
Il suffit
alors de reporter le Ct obtenu pour l’échantillon à analyser dans
cette courbe et d’en déduire une quantification de la cible.
L’efficacité et la spécificité de la PCR sont évaluables par la pente de
cette courbe (slope) qui doit être proche de 3,3, ce qui correspond à
une efficacité de 100 %.
Le résultat est corrigé grâce à l’amplification sur le même échantillon
d’un gène domestique d’expression ubiquitaire qui permet la
normalisation quantitative et qualitative de l’échantillon analysé.
Le
choix de ce gène est crucial, en effet il doit être d’expression
constante quels que soient les tissus ou les pathologies en cause.
De
plus, son niveau d’expression et sa cinétique de dégradation doivent
être proches de ceux du gène cible analysé.
Différents modes de
calcul sont proposés.
Leur description dépasse le cadre de cet article.
Il faut enfin signaler que cette technologie permet également la mise
en évidence de mutations ponctuelles grâce à des « courbes de
fusion », dont les applications, très larges en génétique, n’ont pas
été encore définies en hématologie.
En conclusion, cette technologie apporte, au-delà de son aspect
quantitatif, une définition de la qualité du matériel étudié, grâce à
l’utilisation d’un gène domestique, très nettement supérieure aux
approches qualitatives.
Sa facilité d’utilisation et les avantages
qu’elle apporte en font certainement une approche dont les
applications seront de plus en plus larges.
Applications à l’hématologie maligne :
A - ÉVALUATION INITIALE :
1- Détection d’une population clonale
:
La mise en évidence d’une population clonale est un argument
important de la nature maligne d’une prolifération hématopoïétique,
bien que la corrélation ne soit pas parfaite.
Les techniques
les plus répandues permettant de détecter une population cellulaire clonale sont soit l’examen cytogénétique montrant une anomalie caryotypique, soit l’étude du réarrangement des gènes
d’immunoglobulines (Ig) ou du récepteur des cellules T (TCR pour
T cell receptor) dans une prolifération lymphoïde, soit l’étude de
l’inactivation d’un seul chromosome X chez une femme pour l’étude
d’une prolifération myéloïde.
* Clonalité lymphoïde
:
Bien que la détection d’une population lymphoïde B mature clonale
soit possible depuis longtemps par une analyse de l’expression des
chaînes légères d’Ig (j ou k) par immunophénotypage ou par
détection d’une paraprotéine monoclonale, une analyse équivalente
des populations lymphoïdes pré-B ou T n’était pas possible.
L’identification et la caractérisation des gènes codant des molécules
de surface (Ig pour les lymphocytes B, TCR pour les lymphocytes T)
ont permis la mise en évidence de clones lymphoïdes par détection
des réarrangements soit des gènes d’Ig, soit ceux du TCR,
initialement par hybridation par la méthode de Southern puis par
PCR.
+ Réarrangements des gènes d’Ig et du TCR :
Les Ig sont composées de deux chaînes lourdes et de deux chaînes
légères, tandis que le complexe du TCR comporte soit une chaîne a
et une chaîne b, soit une chaîne c et une chaîne d.
La structure et les mécanismes de réarrangement des gènes
codant les chaînes lourdes (IgH, chromosome 14q32), les chaînes
légères (Ig j, chromosome 2p12 et Ig k, chromosome 22q11), le locus
des TCR a/d (chromosome 14q11), le TCR b (chromosome 7q35) et
le TCR c (chromosome 7p15) sont similaires.
Dans leur configuration
non réarrangée (appelée germinale), elles consistent en de nombreux
segments discontinus dénommés : variable (V), de jonction (J) et,
pour les gènes des IgH, du TCR b et du TCR d uniquement, de
diversité (D).
Il existe aussi en aval de ces segments, un ou deux
segments constants (C).
Au cours de la différenciation lymphoïde, la
diversité des gènes d’Ig et du TCR est générée par un processus de
recombinaison entre ces segments V, (D) et J.
Dans le système IgH, par exemple, un des deux allèles IgH subit d’abord une
recombinaison génique entre un des segments DH et un des
segments JH, entraînant l’excision de l’ADN les séparant.
Dans un
deuxième temps, un des segments VH se recombine au
réarrangement DHJH, créant ainsi une unité de transcription
VHDHJH.
Ce gène réarrangé est d’abord transcrit en pré-messager
puis, après épissage des introns séparant le segment JH du segment
CH, l’ARN messager (ARNm) VHDHJHCH est traduit en protéine
IgH mature.
L’ordre de réarrangement des gènes d’Ig est IgH
puis Ig j et enfin Ig k tandis que celui des gènes des TCR est : TCR
d puis TCR c et TCR b et finalement TCR a avec délétion du TCR d
sur le même allèle puique le locus du TCR d est à l’intérieur du
locus TCR a, entre les segments Va et Ja.
La production d’une Ig ou
d’un TCR fonctionnel nécessite la juxtaposition, dans une même
unité de transcription et dans le même cadre de lecture, des
segments V, D et J.
Si le réarrangement V-(D)-J du premier allèle
s’avère fonctionnel, le processus dit d’exclusion allélique empêche
le réarrangement du deuxième allèle.
Sinon un deuxième
réarrangement a lieu sur l’autre allèle, augmentant ainsi la
possibilité de produire un récepteur fonctionnel.
Le réarrangement de segments V, D et J est réalisé par
l’intermédiaire de signaux de recombinaison (RSS pour recognition
signal sequences) situés en aval des segments V, en amont des
segments J et de part et d’autre des segments D.
Ces RSS, qui sont
similaires dans tous les gènes d’Ig et du TCR, comportent un
heptamère (c’est-à-dire une séquence de sept nucléotides) hautement
conservé et un nonamère (une séquence de neuf nucléotides) riche
en bases A et T, séparés par une séquence non conservée soit de 12,
soit de 23 paires de bases.
Ces RSS servent à diriger le système de
recombinaison, encore mal compris mais partiellement médié par
deux gènes, RAG-1 et 2 (recombinase activating gene), vers les
segments V, D et J.
Trois mécanismes concourent à la génération de la diversité des
gènes des Ig et du TCR :
– réarrangement combinatoire.
La diversité des gènes des Ig et du
TCR, qui peut être générée par la recombinaison V(D)J, est
déterminée par le nombre de segments V, D et J de chaque locus.
Cette diversité combinatoire varie
beaucoup selon les gènes ;
– diversité jonctionnelle.
Lors du réarrangement, les séquences
situées à la jonction des segments V, D ou J, peuvent être modifiées
soit par la délétion des nucléotides situés en aval des segments V, en
amont des segments J, et de part et d’autre des segments D, soit par
l’addition de courtes séquences non codées à l’état germinal, et
ajoutées grâce à l’activité de la terminal-désoxynucléotidyltransférase
(TdT), créant ainsi les régions « N » ou CDR3
(complementarity determining region) de séquences et de longueurs
hautement variables.
Dans la majorité des cas (deux tiers en
théorie), ces processus de recombinaison créent une séquence dont
le cadre de lecture n’est pas conservé : elle peut être transcrite en
ARN mais ne peut être traduite en protéine (réarrangement non
fonctionnel).
Lors de la différenciation lymphoïde, seuls les
lymphocytes capables d’exprimer un récepteur à l’antigène
fonctionnel sont sélectionnés.
Il en découle que les réarrangements
retrouvés dans une cellule ou dans un clone lymphoïde immature
peuvent être non fonctionnels, mais qu’au moins un des deux
réarrangements des populations lymphoïdes matures est
fonctionnel ;
– mutation somatique.
La séquence des gènes d’Ig réarrangés (mais
pas celle des gènes du TCR) peut être modifiée par mutation
ponctuelle des nucléotides avoisinant les régions codant les
séquences protéiques qui reconnaissent l’antigène.
Ce mécanisme
sert à augmenter l’affinité de la molécule d’Ig vis-à-vis de son
antigène (maturation d’affinité).
+ Détection d’un réarrangement d’Ig ou du TCR :
– Hybridation par la méthode de Southern.
Le processus de réarrangement des gènes d’Ig ou du TCR entraîne
une modification des positions relatives des sites de restriction, et
donc de la taille des fragments d’ADN reconnus par une sonde IgH,
par exemple.
Dans une prolifération lymphoïde polyclonale, chaque
réarrangement produit un fragment d’ADN de taille différente selon
les segments V et D utilisés ; en raison de cette hétérogénéité, chaque
réarrangement reste en dessous du seuil de détection par la méthode
de Southern (sensibilité d’environ 5 à 10%).
Dans une population
clonale, en revanche, tous les réarrangements sur un allèle sont de
taille identique et produisent une bande réarrangée.
Comme
le locus IgH se réarrange en premier, la détection d’une population
lymphoïde B clonale se fait surtout par analyse de ce locus.
Dans les proliférations plus matures, le réarrangement des chaînes
légères peut être utile pour confirmer leur caractère clonal.
Cependant, le locus Ig j est parfois délété, et l’analyse du locus Ig k
par Southern est rendue plus complexe par la présence de plusieurs
gènes Ck.
Les réarrangements des TCR b, c et d ont lieu à la fois dans les précurseurs T ab et cd, et leur mise en évidence ne permet
donc pas de distinguer entre les proliférations des deux lignées.
Un
réarrangement du TCR a indique une différenciation vers la lignée
TCR ab mais comme le nombre important de segments Ja rend
difficile l’analyse directe de ce locus par la technique de Southern,
c’est souvent la présence d’une délétion biallélique du TCR d qui
fournit une évidence indirecte du réarrangement du TCR a.
La
détection d’une population T clonale par la méthode de Southern se
fait le plus souvent avec une sonde du TCR b, ce locus étant
réarrangé à un stade relativement précoce de la différenciation T.
Un réarrangement majoritaire des TCR c ou d indique la
présence d’une population clonale, et peut être utile dans les
proliférations très précoces.
En revanche, le nombre limité de
combinaisons de segments V, D et J des TCR c et d, et l’utilisation
préférentielle de certains segments dans certains tissus
signifient que la présence d’une bande minoritaire réarrangée peut
représenter soit une sous-population clonale, soit des lymphocytes
T réactionnels qui utilisent tous les mêmes segments V et J, limitant
ainsi l’intérêt de ces loci pour la détection des clones minoritaires.
– PCR.
La technique de Southern, malgré l’amélioration qu’elle a apportée
dans notre compréhension des proliférations lymphoïdes, présente
certains désavantages.
La détection des réarrangements
clonaux des Ig ou du TCR par PCR représente une stratégie
alternative plus rapide, non radioactive et au moins aussi sensible,
qui en outre peut être effectuée avec beaucoup moins d’ADN.
L’amplification à partir de l’ADN avec des amorces spécifiques des
segments V et J, permet l’amplification de la région hypervariable
V(D)J, dite région N ou CDR3.
Dans une population lymphoïde
clonale, la jonction V-(D)-J est identique dans toutes les cellules,
tandis que dans une prolifération polyclonale, la taille des jonctions
est variable.
L’analyse des produits d’amplification après
électrophorèse sur gel d’acrylamide, de meilleur résolution que celle
sur gel d’agarose, permet la distinction entre population clonale
(bande discrète) et polyclonale (traînée d’ADN).
L’utilisation
de ces techniques pour la détection de la clonalité a été appliquée à
l’analyse des réarrangements des gènes du TCR c et des IgH.
Le
répertoire restreint du locus du TCR c permet l’utilisation
d’un mélange d’oligonucléotides spécifiques de chaque segment V
et J, tandis que la complexité du locus des IgH nécessite l’utilisation
d’oligonucléotides « consensus » qui reconnaissent des séquences
conservées entre les différents segments V et J, soit de toutes les
familles VH
L’inconvénient majeur de l’utilisation du TCR c pour l’analyse par
PCR est la présence dans le sang de jonctions V-J « canoniques »
ayant peu de diversité jonctionnelle pouvant donner des résultats
faussement positifs par PCR avec certains segments (Vc9 et JP par
exemple) si leur présence n’est pas suspectée.
La qualité de l’analyse du produit de PCR peut être améliorée grâce
à l’utilisation d’amorces fluorescentes.
Par cette approche, on peut
définir de manière précise la taille du réarrangement amplifié, ce
qui peut être d’une aide précieuse lors de l’analyse de prélèvements
de suivi, ou pour définir un envahissement a minima (bilan
d’extension) de prélèvements périphériques.
Par ailleurs, l’utilisation
d’amorces marquées par des fluochromes différents, permet dans
une PCR multiplex, d’identifier les différents segments V ou J
impliqués dans le réarrangement.
Ceci apporte une meilleure
compréhension des répertoires utilisés dans différentes pathologies,
et peut également s’avérer utile pour l’analyse de prélèvements de
suivi.
On peut par ailleurs identifier les réarrangements dits
canoniques, et éliminer ainsi le risque de faux positifs lié
à leur présence au sein d’un répertoire très restreint.
Cette approche
présente par ailleurs l’avantage d’être très reproductible et facile à
mettre en oeuvre.
Il faut cependant signaler le risque de détection de faux positifs par
la PCR fluorescente, notamment lorsque le répertoire étudié est
restreint ou peu utilisé, comme par exemple dans l’analyse des
réarrangements du TCR gamma ou delta.
En conclusion, si cette méthologie présente d’indiscutables avantages, son utilisation
suppose une bonne expérience et une interprétation ici plus
qu’ailleurs, en fonction de la pathologie sous-jacente.
+ Apport de l’analyse des réarrangements des gènes des Ig et du TCR
:
La mise en évidence d’un réarrangement clonal des gènes des Ig et
du TCR représente un argument décisif de la nature clonale d’une
prolifération lymphoïde.
Ceci est particulièrement important
lorsque l’aspect morphologique ou histologique est polymorphe, ce
qui est parfois le cas dans certains lymphomes.
Il faut cependant
signaler que, bien que dans la plupart des cas la présence d’une
population clonale signifie une population maligne, ceci n’est pas
toujours vrai.
D’une part, il existe certaines proliférations
lymphoïdes clonales dont l’évolution clinique ne correspond pas à
celle d’un processus malin, telles les populations lymphoïdes B
associées à une gammapathie monoclonale bénigne, la papulose
lymphomatoïde et certaines proliférations à grands lymphocytes à
grains (LGL pour large granular lymphocytes).
D’autre part, le
développement de techniques de plus en plus sensibles permet de
mettre en évidence la présence de populations réactionnelles, qui
représentent en fait l’expansion d’une population clonale lymphoïde
stimulée par l’antigène.
Ces populations réactionnelles clonales
sont détectées surtout si le répertoire de réarrangements des TCR
est restreint, comme dans les lymphocytes T cd du sang et les
lymphocytes T ab de l’intestin.
Malgré ces limitations, la mise
en évidence d’une population lymphoïde clonale a beaucoup aidé
notre capacité à distinguer les proliférations bénignes des
proliférations malignes.
L’analyse des réarrangements des Ig et du TCR permet aussi de
déterminer la nature lymphoïde de certaines proliférations.
Historiquement, avant le développement des anticorps
monoclonaux spécifiques des sous-populations lymphoïdes, c’est la
mise en évidence des réarrangements des gènes d’IgH qui a permis
la démonstration de l’appartenance à la lignée B de la plupart des
LAL de l’enfant.
De la même manière, la détection des
réarrangements des gènes des Ig a fourni la preuve que les
leucémies à tricholeucocytes étaient des tumeurs lymphoïdes B.
La
démonstration d’une population T clonale, même minoritaire, dans
certaines proliférations polymorphes, telles que la lymphadénopathie angio-immunoblastique, a permis de les classer
dans le cadre des lymphomes T périphériques.
L’analyse des
réarrangements des gènes d’Ig et du TCR dans une population
lymphoïde, dont la nature T ou B n’est pas clairement établie par
l’immunophénotypage, permet parfois de déterminer la lignée
lymphoïde impliquée (T ou B), surtout dans les proliférations
matures.
Il existe cependant une incidence non négligeable de
réarrangements dits « illégitimes » dans les proliférations
lymphoïdes immatures, surtout dans les LAL.
Le TCR c, par
exemple, est réarrangé dans 40 à 70 % des LAL de la lignée B.
L’explication de ces réarrangements illégitimes dans les LAL est
probablement liée au fait que les lymphocytes T et B utilisent le
même système de recombinaison des gènes des Ig ou du TCR.
Il en
découle que l’utilisation des réarrangements des gènes du TCR ou
des Ig pour faire la distinction entre prolifération T ou B est plus
fiable pour l’analyse des populations matures dans la mesure où ces
réarrangements « illégitimes » sont beaucoup plus rares, mais, dans
tous les cas, ces résultats doivent être interprétés en fonction des
données cliniques, morphologiques et immunologiques.
* Clonalité associée à l’inactivation aléatoire du chromosome X
:
Quand l’étude du réarrangement des gènes d’Ig et du TCR n’est pas
possible, la détermination de la présence d’une population clonale
est plus délicate.
L’analyse de la clonalité associée à l’inactivation
aléatoire du chromosome X est basée sur deux principes :
– l’existence de polymorphismes sur les deux chromosomes X,
permettant la distinction des deux allèles ;
– l’inactivation aléatoire d’un des deux chromosomes X chez la
femme au cours de l’embryogenèse (habituellement au stade huit à
16 cellules).
L’inactivation du chromosome X peut être étudiée de deux
manières :
– au niveau de l’expression (soit des protéines [glucose 6-phosphate
déshydrogénase], soit des ARN messagers, le chromosome inactif
n’étant pas transcrit) ;
– par étude de la méthylation, en utilisant des enzymes sensibles à
la méthylation comme HpaII ou HhaI, qui ne coupent pas quand le
site de restriction est méthylé.
En effet, le chromosome inactif est hyperméthylé.
En pratique, trois gènes sont étudiés pour l’analyse de la clonalité :
le gène de la phosphoglycérate kinase (PGK), celui de
l’hypoxanthine phosphoribosyl transférase (HPRT), et celui du
récepteur des androgènes (AR).
Combinées, ces trois méthodes
permettent d’analyser la clonalité chez la quasi-totalité des femmes,
mais elles sont limitées aux femmes ayant des proliférations
majoritaires (> 25 % de la population cellulaire analysée) et leurs
analyses sont d’interprétation délicate.