Antigènes de surface en hématologie Cours
d'hématologie
Introduction
:
Les cellules hématopoïétiques sont très bien caractérisées pour les marqueurs
qu’elles portent à leur membrane : ces antigènes de surface permettent de
définir l’appartenance d’une cellule à une lignée hématopoïétique (lignée
érythrocytaire, monocytaire, lymphocytaire...) et également son stade de
différenciation et d’activation.
Une nomenclature permettant de classer ces
nombreux antigènes a été adoptée : elle consiste à regrouper, dans une même
CD, tous les anticorps monoclonaux reconnaissant une même molécule ; par
extension, la molécule elle-même est appelée CDn.
À ce jour, plus de 150 CD
sont définies.
Nous ne prétendons pas, dans cette revue, étudier l’intérêt de chaque antigène
de surface dans tous les domaines de l’hématologie, mais nous souhaitons
présenter une vision globale de l’intérêt que présente la connaissance des
antigènes de surface.
Nous n’étudierons pas les récepteurs spécifiques aux
antigènes, qu’il s’agisse du récepteur de la celluleTou des immunoglobulines
de surface pour la cellule B, nous avons également exclu les
récepteurs des cellules NK (natural killer).
Nous verrons comment les
antigènes de surface peuvent aider au diagnostic de différentes pathologies
hématologiques en nous intéressant de façon plus approfondie aux
pathologies malignes.
Nous aborderons la valeur pronostique de l’expression
de certains antigènes ainsi que leur utilisation dans le cadre de la détection de
la maladie résiduelle après traitement.
Nous nous intéresserons également à
l’intérêt croissant pour les antigènes de surface dans un but de caractérisation
et d’obtention de cellules souches hématopoïétiques.
Celles-ci peuvent être
utilisées dans le cadre de greffes (auto- ou allogéniques) devant aboutir à la
reconstitution de toutes les populations hématopoïétiques chez des patients
traités par chimiothérapie, mais également dans le cadre de la thérapie
génique.
Utilisation des antigènes de surface pour
le diagnostic des pathologies hématologiques :
A - Cas des pathologies malignes :
1- Utilisation dans le diagnostic :
La détermination du phénotype des cellules fait maintenant partie à part
entière des étapes dans l’établissement d’un diagnostic.
Celui-ci résulte
donc de la convergence de différentes approches qui font aussi bien appel à
des analyses morphologiques ou cytogénétiques qu’à la biologie moléculaire
ou à l’étude du phénotype.
L’expression des antigènes de surface est le plus
fréquemment déterminée par la technique de cytométrie en flux, dont nous ne
reprenons pas les principes.
Les antigènes de surface permettent d’emblée d’établir
l’appartenance d’une cellule à une lignée hématopoïétique.
Ainsi, dans le cas des leucémies aiguës myéloïdes (LAM), les
cellules expriment au moins un marqueur myéloïde : CD13, CD33 ou
CD11b.
Les différents stades sont définis par des critères
morphologiques et présentent des antigènes de surface associés à
divers stades de différenciation : on observe ainsi des
variations dans le taux d’expression des marqueurs myéloïdes
CD13, CD14, CD33 ou CD34 ainsi qu’une diminution de l’intensité
de l’expression du marqueur d’immaturité CD117.
Le stade de leucémie aiguë mégacaryoblastique (M7) est
diagnostiqué en grande partie grâce à l’expression de CD61 et/ou de CD41
car aucune des techniques de routine n’est discriminante.
Dans le cas des
leucémies aiguës lymphoblastiques (LAL), les antigènes de surface
permettent de déterminer si les cellules sont de la lignée lymphocytaire T ou
B et au sein de la lignée B, de déterminer le stade de différenciation.
Une
difficulté est due au fait que peu d’antigènes de surface sont restreints à une
lignée ; toutefois, les antigènes CD3 et CD22 ou CD79 alpha et bêta sont clairement
discriminants entre les lignées T et B.
On parvient, en utilisant un panel
d’anticorps monoclonaux (AcM), à définir les LAL T pour leur expression
des antigènes CD3, CD7, CD5 et/ou CD2 et les LAL B qui portent CD19 et
CD22.
La distinction entre les différents stades de différenciation B repose
essentiellement sur la présence d’une immunoglobuline (Ig) de surface au stade B, d’une Ig cytosolique au stade pré-B et sur l’absence d’Ig au stade
pro-B.
Ainsi, 60 % des LAL sont de phénotype pro-B et les lymphoblastes
expriment alors les antigènes de surface HLA-DR et CD19 dans quasiment
tous les cas.
C’est un antigène non spécifique de lignage CD10 qui a été l’un
des premiers utilisés pour la sous-classification des LAL.
Son expression était
considérée comme un marqueur des LALcommunes : il fut identifié en 1975
comme un antigène de surface de 100 kDa associé aux tumeurs et d’abord
baptisé CALLA (common acute lymphoblastic leukemia antigen).
Plus
récemment, il est apparu que CD10 était exprimé sur les précurseurs
lymphoïdes T et B, sur les blastes B et sur les granulocytes ainsi que sur des
cellules non hématopoïétiques.
Il s’agit de l’endopeptidase neutre associée à
la membrane qui clive des peptides du côté aminoterminal de résidus
hydrophobes : son rôle dans la différenciation et la prolifération cellulaires
n’est pas clair.
En utilisant les antigènes de surface, il apparaît qu’il existe un certain nombre
de leucémies aiguës dites biphénotypiques, c’est-à-dire dont les blastes
coexpriment des antigènes associés à plus d’un lignage.
Ainsi, on trouve
des cas de LALde l’enfant qui coexpriment des marqueurs myéloïdes (CD13,
CD33) et des cas de LAM de l’enfant qui coexpriment des marqueurs
lymphoïdes (CD2, CD19, CD20). Dans certaines LAL, les blastes
coexpriment des marqueurs T et B (CD2+/CD19+ ou CD7+/CD19+).
Des
corrélations sont apparues entre la translocation t(8 ; 21) et la coexpression
de CD19 avec CD15 ou CD34, entre t(9 ; 22) et la coexpression de CD19 avec
CD34 et enfin entre t(15 ; 17) et la coexpression de CD2 avec des antigènes
de surface myéloïdes.
Ces translocations n’impliquent pas les régions
chromosomiques codant les antigènes impliqués : la relation entre ces
translocations et l’expression de certains marqueurs n’est donc pas établie.
Dans le cadre des leucémies chroniques, la détermination des antigènes de
surface est de peu d’utilité pour les leucémies myéloïdes chroniques dont le
stade de différenciation est très caractéristique et dont le diagnostic est
confirmé par la présence du chromosome Philadelphie résultant de la
translocation t(9 ; 22).
Pour la leucémie lymphoïde chronique (LLC), qui
représente la plus commune des leucémies adultes en Europe de l’Ouest et en
Amérique du Nord, le phénotype de surface peut être utile.
Les antigènes de
surface de la lignée lymphocytaire B sont typiquement exprimés comme
CD19, CD20, l’Ig de surface (IgM ou IgD), CD43, CD79alpha avec dans tous les
cas une coexpression de CD5.
L’antigène CD5 a été
d’emblée identifié comme marqueur commun aux lymphocytes T et aux
lymphocytes B de LLC puis il a été identifié sur une sous-population de
cellulesBnormales dans le sang de cordon foetal, la rate et les ganglions, ainsi
qu’à la périphérie des centres germinaux de ganglions adultes.
L’antigène
CD23 est également exprimé dans les LLC ce qui permet de les distinguer
des lymphomes à cellules du manteau qui sont CD23-.
L’antigène CD10 est
absent, CD20 et CD22 sont faibles et CD11c et CD25 sont généralement
exprimés mais faiblement.
Dans les leucémies prolymphocytaires B,
généralement plus agressives, les cellules présentent une expression d’Ig de
surface plus importante et sont le plus souvent CD5- avec une expression plus
forte de CD22, ce qui permet de les différencier.
Dans l’identification des lymphomes, l’immunophénotype apporte une aide
précieuse, mais là encore, c’est l’expression de tout un panel d’antigènes de
surface qui doit être prise en compte.
Ainsi, les lymphomes à cellules du
manteau (qui représentent 2 à 8 % des lymphomes) sont des néoplasmes
clonaux de cellules B exprimant les antigènes de surface classiques :
CD19, CD20, CD22 et CD43.
Le réarrangement clonal touche plus
fréquemment la chaîne k que la chaîne j et ces cellules expriment
relativement peu ou pas d’Ig à leur surface ; de plus, elles sont CD5+, CD23-
et CD10-.
Elles sont donc faciles à distinguer des cellules de LLC.
Le profil d’expression des Ig de surface, associé à la présence de CD5 et à
l’absence de CD23, permet la distinction avec les lymphomes folliculaires.
Ces derniers sont également caractérisés par une expansion clonale B, mais
les cellules présentent dans ce cas beaucoup d’Ig à leur surface et n’expriment
en revanche ni CD5, ni CD43, ni CD11c.
Ce dernier critère permet de les
distinguer des cellules des lymphomes marginaux. Dans ce cas, les cellules
présentent le phénotype de cellules B de zone marginale postfolliculaire :
elles sont CD5-, CD10-, CD23- et le plus souvent CD11c+ mais n’expriment
pas CD25.
Ces cellules pourraient être des cellules mémoires, ce qui
expliquerait leur association avec des maladies auto-immunes : on observe
en effet chez beaucoup de patients atteints de ce type de lymphome des
antécédents de maladie auto-immune (du type thyroïdite de Hashimoto) ou
de gastrite à Helicobacter.
Les leucémies à tricholeucocytes sont peu communes mais très bien
caractérisées.
Les cellules tumorales expriment les antigènes de surfaceB :
CD19, CD20, CD22, CD79alpha ainsi qu’une Ig de surface avec une restriction
clonale au niveau de la chaîne légère.
Ces cellules sont souvent CD21-, elles
expriment fortement CD11c et CD22 et plus faiblement CD25.
Ces caractéristiques indiquent un stade de différenciation B plus tardif que
dans le cas des LLC.
L’antigène mucosal CD103 constitue le marqueur le plus
net pour distinguer cette leucémie des autres leucémies B.
Il s’agit d’un
antigène exprimé par les lymphocytes T intraépithéliaux ainsi que par certains
lymphocytes activés ; il appartient à la famille des intégrines, dont il
constitue la chaîne alphaE qui forme en général un hétérodimère avec la chaîne
bêta7 et dont le ligand est la E-cadhérine, exprimée par les cellules épithéliales
ce qui suggère un rôle possible de CD103 dans la domiciliation et la rétention
des lymphocytes dans les épithéliums.
L’utilisation des antigènes de surface présente plus de difficultés dans les
autres pathologies malignes.
Les myélomes multiples et autres désordres des
plasmocytes sont difficiles à évaluer en cytométrie en flux du fait de la
difficulté d’isoler la sous-population maligne.
La plupart des antigènes de
surface de la lignée B sont perdus, sauf CD38 qui est fortement exprimé ; de
plus, il existe des marqueurs caractéristiques du stade plasmocytaire comme
l’antigène CD138 (ou syndecan-1) dont l’utilisation s’avère extrêmement
utile dans le diagnostic.
Dans le cas des désordres périphériques T
, les cellules présentent un phénotype de cellules T périphériques
bien distinct du phénotype thymique observé dans les LAL T ou les
lymphomes lymphoblastiques et se caractérisant essentiellement par la
coexpression de CD3 avec l’un des marqueurs CD4 ou CD8,
exclusivement.
Dans le cas de la leucémie T adulte associée à HTLV-1, les
cellules présentent un phénotype de cellules T activées avec une forte
expression de HLA-DR, de CD25 et également une surexpression de CD62-L
(ou L-sélectine).
Dans le cas de la maladie de Hodgkin, la détermination des
antigènes de surface est difficile compte tenu du fait que la grande majorité
des cellules sont des cellules inflammatoires non malignes.
Toutefois, une
analyse phénotypique des cellules de Reed-Sternberg a permis de rapporter la
présence de marqueurs T dans environ 50 % des cas alors que les marqueurs
B sont moins communs.
Ces cellules expriment de façon importante
l’antigène CD30 (qui a été identifié la première fois à leur surface) : il s’agit
d’un membre de la superfamille duTNFR (récepteur duTNF : tumor necrosis
factor) dont le ligand est CD153.
L’interaction CD30-CD153 costimule la
prolifération des lymphocytes T. D’autre part, les cellules de Reed-Sternberg
surexpriment CD80 (ligand de CD28) et CD40.
2- Valeur pronostique des antigènes de surface et utilisation
dans la détection de la maladie résiduelle :
La valeur pronostique de l’expression de certains antigènes de surface n’est
pas clairement établie ; toutefois quelques corrélations ont pu être faites.
Ainsi, dans le cas des leucémies lymphoblastiques pré-B, un mauvais
pronostic est corrélé à l’absence de CD10 et de CD34 ou de CD10 et de CD24
ou bien encore à l’expression de CD13 et CD33.
Dans le cas des LAL de
l’enfant, l’absence de CD10 paraît être associée à un pronostic défavorable :
il semble en fait que cela soit lié au fait que la fréquence d’une hyperploïdie
avec plus de 50 chromosomes (qui constitue clairement un pronostic
favorable) soit plus grande dans les cas de LAL CD10+.
Au contraire, la pseudoploïdie est présente chez la majorité des patients présentant une LAL
pré-B CD10-.
Dans un des sous-types de LAM (M2 selon la classification FAB), l’expression de CD19 ainsi que celle, bien que moins fréquente, de
CD56 sont associées avec la translocation t(8 ; 21), marqueur de pronostic
favorable chez l’adulte.
En ce qui concerne la valeur pronostique de
l’expression d’antigènes lymphocytaires dans le cadre de LAM de l’enfant,
la situation est très controversée : pour certains, l’expression d’antigènes
comme CD2 et CD19 associés à la lignée lymphocytaire présage d’un
pronostic plus favorable alors que pour d’autres, elle ne semble avoir
aucune valeur de cet ordre.
De façon générale, la valeur pronostique des
données immunophénotypiques dans le cadre des LAM est controversée.
Pour la détection de la maladie résiduelle, les méthodes conventionnelles
comme la morphologie cellulaire, la cytogénétique ou l’analyse par southern
blot ont des sensibilités comprises entre 1 et 5 %.
La détection des
réarrangements par la technique de PCR (polymerase chain reaction) permet
d’atteindre une beaucoup plus grande sensibilité mais son utilisation n’est pas
toujours possible.
La détermination d’antigènes de surface par des techniques
de double marquage (ou plus) en immunofluorescence est un procédé qui
permet de détecter jusqu’à une cellule néoplasique pour 103 à 104 cellules
normales.
Cette méthode repose sur l’utilisation d’une combinaison
d’antigènes de surface la plus spécifique et discriminante possible des blastes
leucémiques.
Dans le cas des LLC, on peut ainsi utiliser l’expression de
CD5 avec la monoclonalité de la chaîne légère de l’Ig de surface pour obtenir
une sensibilité de 5 %et quand on associe l’un des marqueurs CD5, CD20 ou
CD19 avec un marquage des deux chaînes légères j et k, on atteint une
sensibilité inférieure à 1 %.
Dans le cas des LAL de lignée B, les cellules
expriment CD19, CD10 et, pour une petite proportion de cas, CD34 : toute
combinaison de ces marqueurs associée avec un marqueur aberrant comme
CD13, CD33 ou CD15 permet d’identifier spécifiquement les cellules deLAL
parmi des cellules de moelle osseuse normale ou des cellules de sang
périphérique.
On peut noter que, d’emblée, l’utilisation du caractère
quantitatif de la cytométrie en flux permet de distinguer les précurseurs B
normaux des précurseurs B leucémiques ; en effet, les précurseurs normaux
présentent moins de molécules de CD10 et CD19 que les blastes de LAL.
Pour les LAM, plusieurs combinaisons permettent également une
identification sensible des blastes dans la plupart des cas.
Les cellules
des leucémies à tricholeucocytes sont facilement identifiables, avec une
sensibilité inférieure à 1 %, parmi les cellules circulantes en utilisant des
doubles marquages avec CD103 et CD22 ou CD19 et CD11c ou CD25.
L’utilisation des antigènes de surface pour la détection de la maladie
résiduelle constitue donc un outil intéressant souvent associé à la PCR, qui
permet de révéler les réarrangements caractéristiques dans le cas des
proliférations clonales.
B - Cas des pathologies non malignes
:
Beaucoup de ces pathologies ont des caractéristiques tellement claires que le
diagnostic ne nécessite pas un recours à la détermination d’antigènes de
surface.
Toutefois dans certains cas, cette approche a permis d’élucider les
caractéristiques d’une pathologie.
L’hémoglobinurie nocturne paroxystique
est une pathologie rare dont le tableau clinique était connu depuis plusieurs
décennies.
Cette affection résulte d’une sensibilité excessive des globules
rouges à l’action du complément et on a pu montrer que celle-ci est liée à
l’absence des protéines qui régulent négativement le complément à la surface
des érythrocytes, c’est-à-dire CD55 et CD59.
C’est le déficit en ces deux
antigènes de surface qui permet de diagnostiquer de façon claire la maladie.
Le point commun entre CD55 et CD59 est que ce sont deux protéines
membranaires ancrées dans la bicouche lipidique par l’intermédiaire d’un
pied glycophosphatidylinositol (GPI), dont la synthèse est affectée chez
les patients atteints d’hémoglobinurie nocturne paroxystique.
Cette
déficience résulte de la mutation du gène GPI-A localisé sur le
chromosome X.
Différentes mutations ont été identifiées, qui se traduisent
différemment en termes d’expression de CD59 et qui semblent intervenir à
un stade relativement précoce de la différenciation hématopoïétique pour
engendrer un clone qui prend le dessus sur tous les autres clones.
Ce clone
donne naissance à toutes les lignées hématopoïétiques, et on trouve ainsi chez
les malades des lymphocytes circulants présentant un déficit en molécules
ancrées par un GPI (comme CD59).
Nous avons donc vu que la détermination des antigènes de surface portés par
les cellules permet de préciser le diagnostic dans le cadre de différentes
pathologies.
Dans le cadre des pathologies malignes, cette détermination est
particulièrement utile et permet dans certains cas de déterminer l’équivalent
« sain » de la cellule tumorale.
Elle peut également s’avérer intéressante pour
la détection de la maladie résiduelle.
Utilisation des antigènes de surface
dans la caractérisation et l’obtention
de cellules souches hématopoïétiques :
L’existence de cellules souches hématopoïétiques est connue depuis les
années 1950.
L’intérêt pour elles a pris un essor particulier dans le contexte
des thérapies par greffe de cellules souches allogéniques puis maintenant
autologues.
La caractérisation des cellules souches hématopoïétiques n’est
toutefois pas encore parfaite puisqu’on ne parvient pas à obtenir la cellule
véritablement souche, totipotente et capable d’autorenouvellement.
Néanmoins, un certain nombre de marqueurs sont connus comme étant des
marqueurs de cellules pluripotentes et capables d’autorenouvellement donc
capables d’assurer une reconstitution hématologique correcte chez des
patients.
Le premier anticorps monoclonal ayant permis
d’identifier et de purifier les cellules souches humaines de moelle osseuse a
été MY-10, obtenu par immunisation avec une lignée myéloïde immature,
KG-1a. Cet anticorps fut classé lors du IIIe Atelier sur les antigènes de
différenciation des leucocytes humains avec BI-3C5 dans le cluster CD34.
Depuis, de nombreux anticorps dirigés contre cette molécule ont été obtenus
et ont permis de confirmer que CD34 était un antigène de surface des cellules
souches hématopoïétiques immatures mais également des cellules déjà
engagées dans une lignée.
L’antigène CD34 est aussi présent sur les cellules
endothéliales des petits vaisseaux et sur les fibroblastes embryonnaires.
Les cellules CD34+ de moelle osseuse ne représentent que 1,5 %des cellules mononucléées de la moelle et dans le sang, elles ne sont que 0,5 %.
La
population exprimant fortement CD34 contient la plus grande part des
cellules progénitrices hématopoïétiques immatures alors que les cellules déjà
engagées dans une lignée expriment moins intensément l’antigène CD34 qui
est une protéine transmembranaire de type I de 115 kDa fortement glycosylée,
et qui ne montre aucune homologie avec d’autres protéines connues mais
quelques parentés sont notables.
Ainsi, la région aminoterminale fortement
glycosylée de CD34 est similaire à celle de CD43, une sialoglycoprotéine
spécifique des cellules hématopoïétiques.
L’antigène CD43 paraît jouer un
rôle à la fois dans l’adhésion et dans l’activation cellulaire bien que sa
fonction précise soit inconnue ; CD34 présente également de faibles
similarités avec d’autres molécules d’adhésion dont CD62L et CD62E.
De
façon intéressante, certaines études révèlent que la L-sélectine (CD62L) ou
une protéine proche pourrait être un ligand de CD34 ce qui pourrait
expliquer la localisation des cellules souches CD34+ dans la moelle suite à un
phénomène de homing impliquant dans un premier temps une interaction
entre CD34 et CD62L puis une forte interaction mettant en jeu des intégrines
au niveau du stroma ; CD34 serait alors impliquée dans l’adhésion des
cellules hématopoïétiques au stroma de la moelle osseuse.
En ce qui concerne
le rôle de CD34 dans la différenciation, les choses sont encore peu claires : il
semble toutefois que la diminution de l’expression de CD34 soit nécessaire
pour que la différenciation ait lieu.
Mais CD34 n’est pas un antigène exclusivement associé aux cellules souches
hématopoïétiques les plus immatures ; aussi, la caractérisation de ces
dernières a été améliorée en identifiant d’autres antigènes exprimés à leur surface.
Une équipe américaine a identifié une population candidate pour être
celle des cellules souches hématopoïétiques humaines parmi des cellules de
moelle osseuse portant l’antigène CD34 mais aucun des marqueurs de lignée :
ces cellules sont alors appelées Lin-.
D’autre part, les cellules exprimant le
marqueur Thy-1 avec CD34 montraient une plus grande fréquence
d’initiation de cocultures à long terme que les cellules sans Thy-1.
Enfin, il
apparaissait que cette population CD34+ Lin- Thy-1+ était capable de
s’implanter dans une souris SCID humanisée et de générer des cellules de la
lignée myéloïde et lymphoïde.
Un peu plus tard, une autre équipe a
clairement établi que Thy-1 était exprimé sur les cellules souches
hématopoïétiques humaines.
L’étude portait sur les cellules hématopoïétiques
du foie, de la moelle osseuse et du sang de cordon foetaux : les cellules CD34+
Thy-1+ apparaissent comme les plus primitives du point de vue phénotypique
et fonctionnel.
L’expression de Thy-1 est relativement faible sur les cellules
CD34 et elle diminue avec l’engagement dans une voie de différenciation.
Depuis ces travaux, Thy-1 a été rangé dans la classe de différenciation
CD90, qui est une protéine ancrée dans la membrane par un GPI.
Une autre
molécule de ce type, CD109 est également sélectivement exprimée par la sous-population immature des cellules CD34+.
Deux autres marqueurs sont également uitlisés pour définir la population de
cellules souches hématopoïétiques : il s’agit de CD38 et HLA-DR.
L’antigène
de surface CD38 n’est pas exprimé par les cellules souches hématopoïétiques.
Un enrichissement notable en progéniteurs pluripotents est obtenu en
éliminant des cellules CD34+ les cellules qui coexpriment CD38.
Et
plusieurs articles établissent clairement que c’est seulement parmi la
population CD34+ CD38- que se trouvent les cellules totipotentes.
En ce qui
concerne l’antigène de surface HLA-DR, la situation est moins claire : dans
le sang de cordon foetal, dans le foie foetal et dans la moelle osseuse foetale, les
cellules coexprimant HLA-DR avec CD34 sont enrichies en cellules
souches.
En revanche, dans la moelle adulte, les progéniteurs primitifs
n’expriment pas HLA-DR.
Parmi les cellules de la moelle osseuse adulte, peu
nombreuses sont celles qui sont doublement négatives pour CD38 et HLADR.
On peut donc définir deux sous-populations différentes : l’une
CD34+CD38- et l’autre CD34+HLA-DR-, toutes deux sont enrichies en
cellules souches hématopoïétiques avec toutefois un plus grand
enrichissement dans la sous-population CD34+CD38-.
L’utilisation des mêmes marqueurs permet également de caractériser les
cellules souches hématopoïétiques mobilisées dans le sang périphérique après
administration de facteurs de croissance.
Il est ainsi apparu qu’il existe dans
le sang périphérique une population de cellules CD34+ CD90+ Lin- qui
montrent une activité hématopoïétique à long terme aussi bien in vitro qu’in
vivo et ayant la capacité de générer des cellules myéloïdes et des lymphocytes
T et B.
Un autre marqueur permettant de discriminer les cellules souches
hématopoïétiques est le marqueur c-kit ou CD117.
Il s’agit d’un récepteur
membranaire possédant une activité tyrosine kinase intrinsèque codé par le proto-oncogène c-kit.
Il est exprimé sur les cellules souches de la moelle
osseuse mais il semble que les progéniteurs les plus primitifs n’expriment
CD117 que faiblement à leur surface.
La population qui
montre une forte expression de l’antigène c-kit est majoritairement celle des
cellules progénitrices engagées dans la lignée granulomonocytaire ; puis, au
fil de la maturation, l’expression de c-kit diminue et disparaît.
Le ligand de c-kit est connu : il s’agit du SCF (stem cell factor), facteur de croissance des
cellules souches.
Il semble que la transduction du signal consécutive à
l’interaction de CD117 avec son ligand joue un rôle important dans les stades
précoces de l’hématopoïèse.
En réalité, toute une série d’antigènes de surface
appartenant à la même famille de récepteurs tyrosine kinase que CD117 ont
été identifiés : il s’agit de FLK-2/FLT-3, du produit du proto-oncogène c-fms,
de TIE qui semblent tous jouer un rôle important dans la prolifération
cellulaire.
Tous ces antigènes paraissent exprimés sur les cellules souches
hématopoïétiques.
Ainsi, il a été montré qu’une grande partie de ces cellules
sont CD34+CD38-TIE+ ; TIE possède dans son domaine extracellulaire des
domaines du type immunoglobuline et des domaines d’homologie avec le
facteur de croissance épidermique (EGF) ; c’est une protéine dont
l’expression est aussi observée sur les cellules B.
Le ligand de TIE est inconnu
et son rôle dans l’hématopoïèse précoce n’est pas établi.
Le facteur de
croissance hématopoïétique FLT-3 joue un rôle clé dans la croissance des
cellules souches hématopoïétiques.
Le récepteur de FLT-3 est un récepteur
tyrosine kinase qui est exprimé sur les cellules hématopoïétiques normales et
malignes.
L’homologue murin de ce récepteur, FLK-2, a clairement été
identifié comme un récepteur tyrosine kinase spécifique des populations
souches hématopoïétiques enrichies en progéniteurs.
Ce récepteur pourrait
avoir un rôle déterminant dans la transduction du signal dans les cellules
souches totipotentes et dans leur progénie immédiate.
CD135 (= le récepteur
de FLT-3) est exprimé sur les cellules souches hématopoïétiques précoces
et aussi sur les cellules engagées dans la lignée monocytaire mais le niveau
d’expression reste toujours relativement faible.
Ce sont donc les cellules
CD34+CD38- (ou faible) HLA-DR- CD117 faible qui expriment
CD135.
De plus, l’expression de CD90 est essentiellement restreinte à
la population CD135 faible.
Un troisième membre de cette famille de
récepteurs tyrosine kinase, CD115 ou produit du proto-oncogène c-fms est
également exprimé sur une sous-population de cellules souches
hématopoïétiques : il semble toutefois que son expression soit plus restreinte
aux cellules ayant un devenir dans la lignée monocyte/macrophage.
Plusieurs travaux rapportent que des anticorps monoclonaux dirigés contre
l’antigène de surface récemment « clustérisé » CD164 (ou MGC-24v) ne
reconnaissent pas seulement des tumeurs solides de différentes origines mais
aussi les cellules précurseurs érythroïdes et la majorité des cellules de la
moelle osseuse exprimant CD34.
L’antigène de surface CD164 est une
molécule du type mucine qui avait été identifiée au départ sur une lignée de
cellules de carcinome gastrique, il semble qu’elle agisse comme un régulateur
négatif de l’hématopoïèse.
Récemment, un nouveau marqueur des cellules souches hématopoïétiques a
été identifié grâce à un nouvel anticorps monoclonal : AC133.
L’antigène de
surface reconnu présente une structure originale puisqu’il possède cinq
domaines transmembranaires.
AC133 marque les populations progénitrices exprimant fortement CD34 dérivées de la moelle osseuse.
Contrairement à CD34, cet antigène n’est pas exprimé sur les cellules
endothéliales de type HUVEC, ni sur la lignée KG-1a, ni sur les fibroblastes.
L’anticorps AC133 définit donc une population de cellules immatures et de
cellules engagées dans la voie granulomonocytaire : cet antigène pourrait
donc s’avérer utile dans la sélection des cellules souches hématopoïétiques
en plus de CD34.
Dans le cadre de la recherche de nouveaux marqueurs, un nouvel anticorps
monoclonal, AY19, a été obtenu : il reconnaît les cellules souches
hématopoïétiques du sang de cordon foetal et définit les progéniteurs
granulomonocytaires.
Enfin, un certain nombre d’antigènes sont utilisés pour déterminer
l’engagement d’une cellule dans une voie de différenciation hématopoïétique.
CD33 permet ainsi d’identifier les cellules engagées dans la voie myéloïde,
CD64 est un marqueur de l’engagement granulomonocytaire, CD7 et
CD19 permettent, respectivement, d’identifier les cellules engagées vers les
lymphocytes T ou B.
L’analyse de l’expression de CD45RA, un des
isomorphes de l’antigène CD45, permet de discriminer les progéniteurs
myéloïdes de façon précoce : les cellules CD34+ myéloïdes précoces sont
CD45+/RA- contrairement aux cellules myéloïdes qui sont CD45RA+
(fortement exprimé) et CD33+.
Le phénotype des cellules souches hématopoïétiques s’est donc notablement
précisé depuis les premiers travaux avec CD34.
Il apparaît que celles-ci
expriment un certain nombre d’antigènes : CD34, CD90,
CD117, CD135, CD164, AC133 et au contraire n’expriment aucun antigène
caractéristique d’une lignée hématopoïétique, ni les marqueurs CD38 et HLA-DR (pour les cellules souches de la moelle osseuse adulte).
En ce qui concerne l’obtention de cellules souches hématopoïétiques, elles
sont actuellement essentiellement récupérées dans le sang périphérique après
mobilisation (selon différents protocoles).
Des leucaphérèses sont donc
réalisées et les cellules sont triées pour récupérer un maximum de cellules
souches hématopoïétiques.
Le marqueur utilisé en routine est CD34 puisqu’il
existe des colonnes sur lesquelles l’anticorps CD34 est adsorbé et qui
permettent ainsi de retenir les progéniteurs CD34+ et d’éliminer les cellules
tumorales.
Mais nous avons vu qu’il existe beaucoup d’autres marqueurs : il sera donc
nécessaire pour augmenter le degré de purification d’utiliser plusieurs
anticorps.
Actuellement, des colonnes utilisant une double sélection basée sur
l’expression de CD34 et CD90 sont à l’essai.
Une des questions actuelles est de savoir si l’antigène CD34 permet
réellement d’identifier la cellule la plus primitive.
En effet, certains travaux
récents tendent à montrer que la cellule souche la plus primitive ne porterait
pas CD34 et serait vraisemblablement pauvre en antigènes de surface, ce qui
rendrait sa caractérisation et sa purification extrêmement difficiles.
Les antigènes de surface permettent donc de diagnostiquer des pathologies et
également d’identifier les cellules souches hématopoïétiques.
La
détermination des antigènes de surface peut aussi avoir des applications dans
le cadre de la thérapie génique.
En effet, on sait que le système immunitaire
peut se révéler incapable de générer une réponse immune correcte contre des
cellules tumorales.
Cela peut être dû à plusieurs défauts sur les cellules
tumorales : une absence de molécules du complexe majeur d’histocompatibilité
(CMH), l’absence d’antigène tumoral, un défaut d’apprêtement
des antigènes ou une absence de molécules de costimulation.
Un intérêt
croissant se manifeste pour induire l’immunité antitumorale en introduisant
de nouveaux gènes dans les cellules tumorales.
Une approche consiste à
introduire les gènes codant pour des molécules de costimulation comme B7-1
(CD80) ou B7-2 (CD86).
Dans des modèles animaux, il est apparu que la transfection de CD80 dans une lignée de mélanomes induisait une immunité
protectrice ; toutefois, dans d’autres modèles de tumeurs, l’introduction de
CD80 n’a conféré aucune protection, ce qui suggère que l’efficacité de la
transfection dépend du type de tumeur et vraisemblablement de son
immunogénicité de départ.
Dans le cas des tumeurs hématopoïétiques, la
transduction de molécules costimulatrices pourrait être bénéfique car ces
cellules expriment fortement les molécules du CMH de classe I comme de
classe II et sont capables, au moins dans certaines circonstances, de présenter
un antigène mais la plupart d’entre elles sont déficitaires pour l’expression de
CD80, CD86 ou les deux.
Dans un modèle murin de leucémie myéloïde
aiguë, il a été montré que des cellules de LAM transduites avec le gène de
CD80 et irradiées induisaient une immunité des souris pour une période de
5 à 6 mois contre des cellules de LAM administrées consécutivement.
De
plus, l’injection de cellules de LAM CD80+ irradiées engendrait un rejet des
leucémies chez des souris atteintes de stades précoces.
Il apparaît donc
que la caractérisation des cellules tumorales en termes d’antigènes de surface
impliqués dans l’induction d’une réponse immunitaire permettra de cibler les
molécules à utiliser dans le cadre de la thérapie génique.