Angiopathies diabétiques

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Introduction :

Le diabète regroupe différentes maladies dont l’unicité tient à l’hyperglycémie chronique et à ses complications caractéristiques de microangiopathie « diabétique » : rétinopathie, glomérulopathie, neuropathie.

De fait, la définition du diabète est singulièrement restrictive, se limitant aux hyperglycémies chroniques à risque de rétinopathie, soit des glycémies égales ou supérieures à 1,40 g/L à jeun ou supérieures ou égales à 2 g/L à la deuxième heure de l’hyperglycémie provoquée orale (HGPO).

Certains proposent actuellement de revoir cette définition en conservant la valeur seuil de 2 g/L à la deuxième heure de l’HGPO mais en abaissant le seuil glycémique à jeun à 1,25 g/L (plasma veineux glucose oxydase) pour améliorer la concordance entre les deux termes.

Angiopathies diabétiques

Quoi qu’il en soit, la définition actuelle ne prend pas en compte l’étiopathogénie des diabètes bien que des progrès importants aient été réalisés en ce qui concerne le diabète insulinodépendant auto-immun et divers diabètes monogéniques (diabète MODY, diabète mitochondrial, etc).

Surtout, cette définition fait l’impasse sur le risque de macroangiopathie, bien que 75 % des diabétiques meurent d’accident cardiovasculaire.

Nous verrons donc la nature de la corrélation entre l’hyperglycémie chronique et, d’une part, la microangiopathie, d’autre part, la macroangiopathie.

Microangiopathie diabétique :

Les études thérapeutiques prospectives randomisées de Stockholm et du Diabetes control and complications trial research group (DCCT) ont permis de démontrer la responsabilité de l’hyperglycémie dans la survenue et l’aggravation des complications de microangiopathie du diabète insulinodépendant.

De façon convergente, ces deux études ont permis d’établir la relation entre l’hyperglycémie chronique définie par l’HbA1c et le risque d’apparition ou d’aggravation de la rétinopathie.

Globalement, une diminution de 1 % de l’HbA1c (pour une normale de 4 à 6%) correspond à une diminution du risque de rétinopathie de 30 %.

Toutefois, persiste un débat pour savoir si la corrélation entre la microangiopathie et l’hyperglycémie est de type exponentielle, avec un continuum à partir des valeurs normales d’HbA1c, ou s’il existe un seuil à risque.

Plusieurs études situent ce seuil autour de 1,50 à 1,60 g/L de glycémie moyenne, soit une HbA1c autour de 7,5 %. Ce débat est en partie biaisé, car on sait aujourd’hui qu’il existe, in vivo comme in vitro, une véritable mémoire de l’hyperglycémie chronique susceptible d’induire à retardement des lésions cellulaires malgré le retour à un milieu normoglucosé, les lésions rétiniennes pouvant donc apparaître secondairement après une période transitoire d’hyperglycémie.

On estime, bien que la preuve fasse défaut, que le seuil glycémique à risque de rétinopathie est également celui à risque de glomérulopathie, et de neuropathie.

Et en attendant des résultats de l’étude anglaise UKPDS, la communauté diabétologique est convaincue qu’il en va de même en ce qui concerne le diabète non insulinodépendant, bien que les modalités de l’optimisation thérapeutique restent ici à définir.

L’étude prospective randomisée du DCCT a confirmé les résultats d’études antérieures qui avaient montré un risque d’aggravation initiale de la rétinopathie ou de la neuropathie lors de l’amélioration rapide de l’équilibre métabolique.

Cette aggravation transitoire semble se faire sur le mode ischémique avec apparition au niveau de la rétine de nodules cotonneux secondaires à une obstruction artériolaire et développement éventuel d’une polyneuropathie ou d’une mononeuropathie aiguë, parfois spectaculaire mais pratiquement toujours réversible.

L’hypothèse le plus communément avancée pour expliquer cette aggravation initiale transitoire, est celle d’une chute brusque du flux sanguin capillaire entraînée par le retour à la normoglycémie, provoquant l’occlusion de vaisseaux malades.

A – PHYSIOPATHOLOGIE :

1- Hyperglycémie chronique :

Elle est en effet responsable de perturbations précoces de la microcirculation avec sur le plan fonctionnel :

– une augmentation du débit, de la pression et de la perméabilité capillaires, secondaires à une sécrétion accrue de prostaglandines PGE2, PGI2 et de monoxyde d’azote (NO).

Toutefois, au niveau des nerfs, l’oedème endoneural dû à l’hyperperméabilité serait responsable d’un défaut de la circulation capillaire endoneurale avec développement d’une ischémie chronique expliquant la résistance paradoxale à l’ischémie observée très précocement au cours de la neuropathie diabétique ;

– une perte de l’autorégulation hémodynamique avec vasoplégie artériolaire d’amont.

Cette vasodilatation pourrait être secondaire au niveau de la rétine à une situation métabolique de pseudohypoxie tissulaire avec production de radicaux libres de l’oxygène.

Elle s’expliquerait, au niveau du glomérule rénal, par l’augmentation de la réabsorption glucosodée tubulaire proximale.

Quoi qu’il en soit, cette vasodilatation avec perte de l’autorégulation hémodynamique explique le retentissement sur la microcirculation de l’hypertension artérielle ;

– une tendance thrombogène avec notamment une augmentation du facteur de Willebrand synthétisé par les cellules endothéliales et une augmentation de la viscosité sanguine parallèle à l’augmentation du fibrinogène responsable en particulier d’une hyperagrégabilité érythrocytaire.

2- Histologie :

Au niveau histologique, les premières lésions observées sont de deux types :

– d’une part la mort des péricytes, cellules de soutien enchâssées dans la paroi des capillaires et communiquant avec les cellules endothéliales.

Ces cellules dérivent histologiquement des cellules musculaires lisses et ont des propriétés contractiles.

Elles assureraient le maintien du tonus capillaire et contrôleraient la prolifération des cellules endothéliales. Notons qu’au niveau des capillaires musculaires, on compte un péricyte pour dix cellules endothéliales, alors qu’au niveau de la rétine, on trouve un péricyte pour une ou deux cellules endothéliales.

La mort des péricytes aurait donc des conséquences importantes sur le tonus des capillaires rétiniens et la prolifération des cellules endothéliales ;

– d’autre part, une synthèse accrue de la matrice extracellulaire (collagène, fibronectine, laminine) avec épaississement de la membrane basale et expansion du mésangium glomérulaire.

Cette augmentation de synthèse protéique, par les cellules endothéliales rétiniennes et les cellules mésangiales rénales, semble être secondaire à l’augmentation du glucose intracellulaire provoquant une glycosylation protéique susceptible de modifier l’expression génique.

En effet, cette dérégulation de la synthèse de la matrice extracellulaire, provoquée par une culture initiale en milieu enrichi en glucose, persiste après plusieurs passages cellulaires en milieu normoglucosé.

Il existerait donc une véritable mémoire génique de l’hyperglycémie.

De plus, l’accumulation de matrice extracellulaire s’expliquerait par un défaut de catabolisme par les métalloprotéases.

3- Biochimie :

Sur le plan biochimique, on ne connaît pas encore les mécanismes liant l’hyperglycémie aux perturbations fonctionnelles et histologiques observées.

Toutefois, il est intéressant de remarquer que les tissus cibles de la microangiopathie diabétique se caractérisent par une pénétration libre du glucose intracellulaire si bien que le taux de glucose intracellulaire reflète le taux de glucose extracellulaire.

Cette hyperglycocytie entraînerait une augmentation des voies métaboliques non insulinodépendantes du glucose.

Deux voies sont tout particulièrement incriminées : la voie du sorbitol d’une part, et la glycation protéique non enzymatique d’autre part.

– La voie du sorbitol-fructose pourrait être responsable d’une pseudohypoxie métabolique (augmentation du rapport NADH/NAD, augmentation du rapport lactate/pyruvate) et d’une diminution de la NaK-ATP-ase.

Elle pourrait être à l’origine de la mort précoce des péricytes rétiniens riches en enzymes contrôlant cette voie métabolique : l’aldose réductase.

– La glycation protéique serait donc non seulement extracellulaire mais aussi et peut-être surtout intracellulaire.

Elle serait responsable de la perturbation d’un certain nombre d’activités enzymatiques telles que la NaK-ATP-ase, mais surtout d’une modification de l’expression génique avec notamment augmentation de la synthèse de collagène.

La voie du sorbitol peut être inhibée par les inhibiteurs de l’aldose réductase et la glycation protéique par l’aminoguanidine. Les études animales ont donné des résultats très encourageants.

Les études chez l’homme, avec les inhibiteurs de l’aldose réductase, ont été plutôt décevantes et l’aminoguanidine semble être à l’origine d’effets secondaires obérant les essais cliniques humains.

B – FACTEURS MODULATEURS (PROTECTEURS OU AGGRAVANTS) :

La responsabilité de l’hyperglycémie chronique est en faveur d’une théorie métabolique uniciste. Cependant, la constitution des lésions est étroitement dépendante de la spécificité tissulaire.

Il existe donc des facteurs locaux ou généraux, aggravants ou protecteurs, expliquant d’une part la discordance parfois observée entre l’équilibre métabolique et la survenue des complications, et d’autre part la dissociation fréquente des complications de rétinopathie, de glomérulopathie et de neuropathie.

– L’hypertension artérielle est un facteur aggravant essentiel pour la glomérulopathie diabétique mais aussi pour la rétinopathie et la neuropathie diabétiques.

En cas de microangiopathie diabétique, on cherche donc à obtenir une pression artérielle inférieure à 130/85 mmHg. Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) auraient un bénéfice particulier en raison de leur action sur la pression hydrostatique transcapillaire.

En réalité, cet avantage n’a été démontré que pour le développement de la glomérulopathie diabétique de type I, mais il n’est pas établi pour la glomérulopathie diabétique du diabète de type II, et encore moins pour la rétinopathie et la neuropathie, malgré quelques observations cliniques et des expérimentations animales.

Quoi qu’il en soit, les IEC ont apporté un argument important à la théorie hémodynamique de la microangiopathie diabétique qui fait de l’hyperdébit-hyperpression-hyperperméabilité capillaires le mécanisme fondamental de la microangiopathie diabétique.

En faveur de cette théorie hémodynamique, on peut également retenir le caractère protecteur vis-à-vis de la microangiopathie diabétique, d’une sténose athéromateuse de l’artère rénale ou de l’artère ophtalmique.

– le glaucome primitif (en entraînant une augmentation de la pression interstitielle ?) et la myopie sévère (en entraînant une diminution des besoins en oxygène de la rétine ?) sont des facteurs protecteurs reconnus de la rétinopathie diabétique sévère.

– le décollement partiel du vitré, semble favoriser (pour des raisons mécaniques ?) la prolifération rétinienne.

Au contraire, un décollement total du vitré d’ailleurs plus fréquent chez le diabétique, est un facteur de protection de la prolifération rétinienne.

– L’âge (> 50 ans) semble être un facteur indépendant de protection vis-à-vis de la rétinopathie proliférante et de la glomérulopathie diabétiques, mais c’est en revanche un facteur de susceptibilité majeure de la neuropathie diabétique, expliquant que l’on puisse observer chez des patients de 70 ans, une neuropathie diabétique sévère en l’absence de toute rétinopathie.

– Le sexe masculin et la grande taille (en raison de la longueur axonale ?) seraient des facteurs de susceptibilité de la neuropathie diabétique.

– L’artérite des membres inférieurs, en majorant l’ischémie neuronale, est également un facteur d’aggravation de la neuropathie diabétique.

– L’hyperlipidémie serait un facteur d’aggravation de la glomérulopathie diabétique, de même que plus généralement l’ensemble des facteurs de risque d’athérosclérose, y compris les antécédents familiaux d’athérome et l’insulinorésistance elle-même.

En effet, si près de 50 % des diabétiques insulinodépendants développent une rétinopathie sévère, seulement la moitié d’entre eux présentent une glomérulopathie clinique.

Et si l’incidence annuelle de la rétinopathie sévère reste stable, autour de 3 % après 20 ans de diabète, celle de la glomérulopathie s’effondre après 20 ans de diabète pour tomber à 3 ‰ après 30 ans d’évolution.

Autrement dit, le diabétique qui n’a pas développé de glomérulopathie dans les 30 premières années de sa maladie, a un risque très faible de la voir apparaître, même si son diabète a toujours été mal équilibré et s’il a une rétinopathie sévère.

Il existe donc des facteurs de protection ou de susceptibilité de l’atteinte glomérulaire.

Ces facteurs sont essentiellement d’ordre génétique, car plusieurs études ont montré l’existence d’une agrégation familiale de la glomérulopathie diabétique.

Les progrès de la génétique moléculaire laissent espérer la détermination prochaine des facteurs de susceptibilité de la microangiopathie diabétique (parmi les nombreux gènes étudiés, citons les gènes de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, de l’angiotensinogène, du facteur de Willebrand, des déterminants de la matrice extracellulaire, etc).

On pourra ainsi dépister les patients à haut risque de microangiopathie, en particulier de glomérulopathie.

En attendant, force est de proposer à tous les diabétiques un objectif glycémique les mettant, autant que faire se peut, à l’abri des complications de microangiopathie.

Macroangiopathie diabétique :

Par opposition à la microangiopathie qui touche la microcirculation, on désigne sous le terme de macroangiopathie diabétique, l’atteinte des artères musculaires allant de l’aorte jusqu’aux petites artères distales d’un diamètre supérieur à 200 ím.

En réalité, la macroangiopathie diabétique associe deux maladies artérielles distinctes :

– d’une part, l’athérosclérose qui semble histologiquement identique à l’athérosclérose du non-diabétique ;

– d’autre part, l’artériosclérose, caractérisée par une prolifération endothéliale et une dégénérescence de la média aboutissant à la médiacalcose.

A – ÉPIDEMIOLOGIE : FRÉQUENCE ET GRAVITÉ

Parallèlement aux progrès des traitements hypoglycémiants et antiinfectieux, l’athérosclérose est devenue la principale cause de décès des diabétiques, bien avant les comas métaboliques et les complications infectieuses.

En effet, 75 % des diabétiques décèdent d’accident vasculaire, au premier rang desquels l’ischémie coronarienne responsable de 50 % des décès.

Lorsqu’on prend en compte les facteurs de risque classiques tels que l’âge, l’hypertension artérielle, l’hypercholestérolémie et le tabagisme, le diabète entraîne un risque relatif modéré de 2 à 3, chez l’homme, plus important de 4 à 5, chez la femme.

En effet, en matière d’athérosclérose, la femme diabétique perd son avantage naturel sur l’homme avec un sex-ratio hommes diabétiques/femmes diabétiques entre 1 et 2 alors qu’il se situe dans la population non diabétique de moins de 50 ans entre 5 et 10.

En fait, le poids relatif des facteurs de risque vasculaires varie selon la topographie artérielle.

Ainsi, le diabète entraîne un risque relatif d’athérosclérose hiérarchisé : de 1,5 à 2 pour les accidents vasculaires cérébraux, de 2 à 4 pour l’insuffisance coronaire, de 5 à 10 pour l’artérite des membres inférieurs.

En réalité, les lésions anatomiques telles qu’on peut les diagnostiquer par l’imagerie vasculaire non invasive (ou lors d’études autopsiques) sont encore plus fréquentes chez le diabétique : environ 5 fois pour l’insuffisance coronaire, 8 fois pour l’atteinte cervicocérébrale, 14 fois pour l’artérite des membres inférieurs.

B – RÔLE DES FACTEURS DE RISQUE ET DE L’HYPERGLYCÉMIE : CONSÉQUENCES CLINIQUES

Pour chaque facteur de risque vasculaire, il importe de répondre aux questions suivantes :

1- S’agit-il d’un facteur causal ou seulement d’un facteur lié à un autre facteur causal, ou encore d’un facteur d’aggravation ?

À l’évidence, l’hyperglycémie est un facteur causal de la microangiopathie diabétique, de même que l’hypertension artérielle et l’hypercholestérolémie sont des facteurs étiologiques de l’athérosclérose.

Il n’en va pas de même en ce qui concerne les liens unissant hyperglycémie et athérosclérose.

L’hyperglycémie apparaît plus ici comme un facteur lié à un facteur causal ou surtout comme un facteur aggravant majorant l’effet délétère des autres facteurs de risque au prorata du risque lui-même.

Autrement dit, plus le risque est élevé, plus la majoration par l’hyperglycémie est grande, comme cela a été démontrée par l’étude MR FIT.

2- Existe-t-il un seuil à risque ou s’agit-il d’un continuum et quel est le niveau global de risque ?

En matière d’athérosclérose coronarienne, il n’existe pas de seuil à risque pour la pression artérielle ou pour le cholestérol, mais un continuum avec un risque croissant parallèlement à l’élévation de la pression artérielle et à l’augmentation du taux de low density lipoproteins (LDL cholestérol).

Lorsqu’il existe un continuum, fixer une barre visant à séparer le « normal » du « pathologique » est forcément arbitraire.

Il est alors nécessaire pour le clinicien de fixer la barre d’intervention en fonction du risque vasculaire global du patient.

On peut schématiquement distinguer trois niveaux de risque :

– un risque faible, ne relevant que de mesures hygiénodiététiques et d’une surveillance régulière ;

– un risque moyen, justifiant si les mesures hygiénodiététiques sont insuffisantes, une prescription médicamenteuse pour des valeurs seuils assez élevées (par exemple 160/95 mmHg pour la pression artérielle, 1,60 g/L pour le LDL cholestérol) avec des objectifs adaptés (par exemple, moins de 140/90 mmHg pour la pression artérielle, moins de 1,30 g/L pour le LDL cholestérol) ;

– un risque élevé (ce qui est le cas de la prévention secondaire et de l’association de trois, ou plus, facteurs de risque distincts).

Le niveau d’intervention et les objectifs sont alors plus stricts (par exemple, respectivement 140/90 mmHg et moins de 130/85 mmHg pour la pression artérielle, 1,30 g/L et moins de 1 g/L pour le LDL cholestérol).

En ce qui concerne la majoration du risque coronarien par l’hyperglycémie elle-même, les études internationales divergent.

Certaines ne montrent aucune corrélation, d’autres au contraire démontrent l’existence d’un seuil à risque, mais pour des valeurs glycémiques nettement plus basses que celles retenues pour la définition du diabète.

Bien qu’il n’y ait pas d’accord international sur ces valeurs, on peut retenir 1,20 g/L à jeun et 1,40 g/L à la deuxième heure de l’HGPO.

Cela dit, contrairement au risque de rétinopathie, le risque coronarien n’augmente pas parallèlement au degré de l’hyperglycémie, si bien qu’en matière de macroangiopathie, il semble que le bénéfice soit faible, voire nul lorsque l’HbA1c s’abaisse de 9 à 8%, voire de 8 à 7%.

Un bénéfice ne pourrait être démontré que pour une quasi-normalisation de l’HbA1c au-dessous de 6 % (soit une moyenne glycémique audessous de 1,20 g/L).

Resterait alors à évaluer le bénéfice escompté, eu égard au risque encouru d’hypoglycémies.

3- Quelle est la pathogénie de l’athérosclérose du diabétique ?

Remarquons d’abord que le diabète respecte l’inégalité de fréquence de l’athérosclérose selon les populations du globe.

Ainsi, le diabétique japonais a un taux faible d’athérosclérose comme la population japonaise et le diabétique finnois a un taux élevé comme la population non diabétique, bien que dans les deux cas, le diabète soit un facteur de majoration du risque.

Le diabète ne semble donc pas intervenir directement, mais plutôt en potentialisant les facteurs de risque d’athérosclérose, ou en aggravant l’athérome constitué.

Le diabète pourrait ainsi intervenir de cinq manières différentes.

* Association des facteurs de risque :

Il comporte fréquemment une association des facteurs de risque vasculaire.

Ainsi, l’hypertension artérielle est 2 fois plus fréquente chez les diabétiques que dans la population non diabétique, et l’hyperlipidémie 5 à 10 fois plus fréquente, tandis que le tabagisme est hélas aussi fréquent.

* Augmentation de la sensibilité des tissus cibles :

Le diabète entraînerait une augmentation de la sensibilité des tissus cibles (cardiovasculaires) aux facteurs de risque vasculaire.

– Ainsi, l’hypertension artérielle aurait un effet délétère chez le diabétique pour des valeurs de pression artérielle plus faibles que celles observées dans la population non diabétique. Cette sensibilité pourrait être due à l’accélération du vieillissement de la paroi vasculaire par le diabète.

La conséquence pratique est importante puisque la majorité des auteurs s’accordent pour traiter l’hypertension artérielle du diabétique de moins de 60 ans dès que la pression artérielle dépasse 140/90 mmHg (après les précautions et confirmations d’usage : avec un brassard adapté en cas d’obésité, au repos, en l’absence de facteur de stress, à plusieurs reprises) sans attendre les chiffres de 160/95 mmHg.

Il n’y a pas, à ce jour, d’argument physiopathologique pour modifier les valeurs seuils du diagnostic d’hypercholestérolémie et d’intervention médicamenteuse.

Il n’en va pas de même en ce qui concerne l’hypertriglycéridémie, bien qu’il s’agisse plus d’un marqueur du risque d’athérosclérose que d’un agent causal.

En effet, 20 à 50 % des diabétiques, en particulier des diabétiques non insulinodépendants, présentent une hypertriglycéridémie.

Celle-ci évolue souvent parallèlement à l’hyperglycémie et à la surcharge pondérale.

Elle est due à une augmentation de la synthèse hépatique des VLDL (very low density lipoproteins), stimulée par l’hyperinsulinisme et à un défaut de dégradation des VLDL circulantes par dysfonctionnement de la lipoprotéine lipase aggravé par l’insulinorésistance.

L’hypertriglycéridémie s’accompagne donc d’un défaut de la voie métabolique, menant physiologiquement des VLDL aux LDL.

Témoignent de ce défaut, l’augmentation du taux de remnants de VLDL (IDL) et du taux de formation de LDL petites et denses, toutes lipoparticules hautement athérogènes, tandis que le HDL2 cholestérol participant à l’épuration du cholestérol tissulaire vers le foie, est diminué.

En conséquence, la barre de 2 g/L adoptée par les consensus internationaux pour le traitement de l’hypertriglycéridémie, n’apparaît pas appropriée pour la population diabétique.

Bien qu’il n’y ait pas d’accord international, la plupart des auteurs estiment qu’il faut intervenir pour des valeurs de triglycérides supérieures à 1,50 g/L ou de HDL cholestérol inférieur à 0,40 g/L chez la femme, et à 0,35 g/L chez l’homme.

* Complications thrombotiques de l’athérosclérose :

L’hyperglycémie pourrait favoriser les complications thrombotiques de l’athérosclérose.

Si le déséquilibre du diabète ne semble pas responsable d’une athérosclérose plus sévère, il pourrait jouer un rôle important dans la survenue des complications thrombotiques d’un athérome déjà constitué.

En effet, l’hyperglycémie s’associe à des troubles de la crase sanguine prothrombogènes réversibles avec le parfait équilibre glycémique :

– hyperfibrinémie, augmentation du facteur VIII de Willebrand ;

– augmentation du facteur VII corrélée à l’hypertriglycéridémie ;

– défaut de fibrinolyse.

* Accélération du vieillissement de la paroi artérielle :

L’hyperglycémie pourrait être un agent causal de l’accélération du vieillissement de la paroi artérielle (artériosclérose) dont la pathogénie fait intervenir :

– la glyco-oxydation des protéines, en particulier des protéines de la matrice extracellulaire et notamment du collagène ;

– la dénervation sympathique des vaisseaux due à la dysautonomie diabétique ;

– l’atteinte des vasa vasorum par la microangiopathie diabétique.

Cette artériosclérose serait responsable d’un défaut de compliance artérielle, participant à l’autoaggravation de l’athérosclérose et majorant son retentissement cardiaque.

De plus, elle expliquerait l’atteinte distale artériolaire dont l’association à l’athérome des grosses artères rendrait compte de la gravité de l’ischémie tissulaire.

* Rôle délétère en cas de nécrose tissulaire :

Au cours d’un accident ischémique aigu responsable d’une nécrose tissulaire, l’hyperglycémie pourrait jouer un rôle délétère comme cela a été parfaitement démontré chez l’animal rendu diabétique avant ligature artérielle.

De même, plusieurs études ont montré une corrélation entre l’HbA1C et le pronostic de l’accident vasculaire.

Le rôle délétère de l’hyperglycémie s’expliquerait par deux raisons :

– d’une part hémorrhéologique, avec activation plaquettaire thrombogène, défaut de fibrinolyse et surtout augmentation de la viscosité sanguine notamment par défaut de déformabilité et hyper-agrégabilité érythrocytaires ;

– d’autre part métabolique, avec augmentation de la production locale de lactates aggravant l’acidose et l’hypoxie tissulaires.

De plus, l’augmentation des acides gras libres accompagnant le déséquilibre du diabète, favorise les troubles du rythme cardiaque en cas d’ischémie myocardique.

Cela justifie de ne pas aggraver l’hyperglycémie par une perfusion glucosée lors de la survenue d’un accident vasculaire et de chercher au contraire un équilibre glycémique optimal (glycémie entre 1,20 et 1,60 g/L) en cas d’ischémie critique des membres inférieurs, d’infarctus du myocarde ou d’accidents vasculaires cérébraux avec une surveillance pluriquotidienne (6 à 8 fois/j) de la glycémie capillaire, compte tenu du risque de l’hypoglycémie sur ces terrains (trouble du rythme cardiaque, crise comitiale).

C – PARTICULARITÉS CLINIQUES DE LA MACROANGIOPATHIE DIABÉTIQUE :

1- Tableaux cliniques :

En pratique, on peut distinguer deux « tableaux cliniques » à haut risque d’athérosclérose :

– d’une part le diabétique insulinodépendant (ou non insulinodépendant) développant une glomérulopathie diabétique associée le plus souvent à une rétinopathie sévère ischémique ayant justifié une panphotocoagulation au laser.

L’albuminurie supérieure à 300 mg/24 heures et le déclin progressif de la fonction glomérulaire s’accompagnent d’une hypertension artérielle, d’une dyslipidémie, d’une tendance thrombogène et peut être d’une rétention des produits terminaux de la glycation normalement éliminés par le rein.

L’ensemble de ces facteurs concourent à la constitution d’une véritable angiopathie maligne associant microangiopathie sévère, athérosclérose étendue, artériosclérose accélérée.

Le risque de mortalité coronarienne et d’amputation des membres inférieurs est multiplié par 10 par rapport aux diabétiques insulinodépendants de même âge n’ayant pas d’atteinte rénale ;

– d’autre part, le diabétique non insulinodépendant présentant une obésité androïde : obésité faciotronculaire avec bosse de bison, rapport taille/hanches supérieur à 0,80 chez la femme, à 0,95 chez l’homme, contrastant avec une lipoatrophie relative des cuisses, parfois une hypertrichose, voire un discret hirsutisme et un syndrome des ovaires polymicrokystiques, une oligospanioménorrhée, etc.

Cette obésité androïde, et tout particulièrement viscérale, est responsable d’une insulinorésistance métabolique avec hyperinsulinisme, augmentation des acides gras libres (AGL), augmentation de la synthèse des VLDL, rétention sodée, augmentation du PAI1.

Elle associe fréquemment, dans un ordre d’apparition variable, une diminution de la tolérance glucidique, une hypertension artérielle, une dyslipidémie (triglycérides élevés, HDL cholestérol diminué), une hyperuricémie, avec un risque élevé d’insuffisance coronaire.

L’existence d’une microalbuminurie supérieure 30 mg/24 heures à plusieurs reprises avec un examen cytobactériologique des urines (ECBU) normal, semble faire le lien entre ces deux syndromes.

En effet, d’une part elle représente le premier symptôme d’une glomérulopathie diabétique débutante, d’autre part elle témoigne d’une souffrance endothéliale diffuse, conséquence du syndrome d’insulinorésistance métabolique.

Témoignent également de cette souffrance endothéliale : l’élévation du facteur de Willebrand, l’augmentation de la perméabilité capillaire, le défaut d’activité de la lipoprotéine lipase, etc.

Ainsi, une microalbuminurie supérieure à 30 mg/24 heures à plusieurs reprises, en l’absence d’autres pathologies uronéphrologiques et de déséquilibre aigu du diabète, comporte un risque de mortalité coronarienne multiplié par 3 dans les 10 ans suivants.

Elle est d’ailleurs souvent associée à une hypertrophie ventriculaire gauche.

2- Complications de l’athérosclérose :

Elles ont également un certain nombre de particularités cliniques chez le diabétique en dehors de leur gravité même, marquée par une mortalité globalement double de celle du non diabétique.

* Accidents vasculaires cérébraux :

Ils sont plus rarement hémorragiques chez le diabétique en dépit de l’augmentation de la fréquence de l’hypertension artérielle.

En revanche, les micro-infarctus responsables de lacunes semblent plus fréquents chez le diabétique, en particulier en cas d’association diabète et hypertension artérielle.

* Ischémie coronarienne :

Elle est deux à trois fois plus souvent indolore chez le diabétique que chez le non-diabétique.

Cette absence de douleur ne semble pas expliquée par une neuropathie végétative avec dénervation sympathique cardiaque.

L’infarctus du myocarde est ainsi très souvent indolore, bien que plus rarement asymptomatique. Le traitement de l’infarctus du myocarde ne diffère pas de celui des non-diabétiques, mais il impose l’arrêt des hypoglycémiants oraux et le recours à une insulinothérapie au moins transitoire, avec pour objectif une glycémie entre 1,20 et 1,60 g/L.

Le séjour en unité de soins intensifs est souvent prolongé, en raison du risque de mort subite retardée, en particulier en cas de dénervation cardiaque avec allongement de QT (> 0,44 ms).

Finalement la mortalité est double à 1 mois, à 1 an et à 5 ans par rapport aux non diabétiques.

Cette surmortalité tient essentiellement à la fréquence de l’insuffisance cardiaque séquellaire, en particulier chez la femme diabétique obèse.

L’insuffisance cardiaque du diabétique peut être de mécanismes multiples. Elle peut être secondaire à :

– un infarctus antérieur étendu plus fréquent ; – à une cardiopathie ischémique avec infarctus rudimentaires multiples passés inaperçus ;

– ou encore à une cardiomyopathie ni ischémique, ni hypertensive secondaire à un « processus de vieillissement accéléré » du myocarde, marqué initialement par un défaut du remplissage diastolique, puis par une altération de la fonction systolique.

Au total, 9 % environ des patients présentant un infarctus du myocarde sont des diabétiques connus, auxquels il faut ajouter 6 % environ présentant une hyperglycémie supérieure à 1,40 g/L en l’absence de diabète antérieurement connu. Une fois sur deux, il s’agit en réalité d’un diabète méconnu dont témoigne l’élévation de l’HbA1C, ou d’une intolérance aux hydrates de carbone qui persistera après l’infarctus du myocarde.

Mais une fois sur deux, il s’agit d’une hyperglycémie de stress due à l’hypersécrétion des hormones de contre-régulation témoignant de la gravité de la situation hémodynamique et donc de mauvais pronostic.

En dehors de l’infarctus, le traitement de l’ischémie myocardique ne diffère pas, que ce soit chez le diabétique ou le non-diabétique.

Il en est de même en ce qui concerne les pontages coronaires et les angioplasties, avec toutefois une mortalité périopératoire environ double (5 % versus 2,5 %) et un risque de resténose après angioplastie plus élevé.

* Artérite des membres inférieurs :

Elle se révèle parfois par une claudication intermittente avec sa douleur constrictive en étau, imposant l’arrêt de la marche.

En réalité, cinq fois sur six cette douleur fait défaut en raison de la coexistence d’une neuropathie diabétique.

La survenue d’une douleur nocturne des membres inférieurs peut faire évoquer une artérite au stade III justifiant une exploration artérielle (échodoppler, si besoin artériographie), avant l’apparition d’un trouble trophique (stade IV).

Mais il peut s’agir d’une douleur neuropathique à prédominance nocturne.

Cependant cette douleur, loin de s’aggraver, cède plutôt à la marche.

Elle est bilatérale, volontiers à type de brûlure, de dysesthésie, de décharge électrique, voire de broiement. Les pouls sont perçus, parfois bondissants.

Les pieds sont chauds.

La trophicité de la peau et des phanères est respectée.

En cas de doute, l’exploration par échodoppler et la mesure de la pression transcutanée en oxygène permettent de faire la part de l’ischémie.

Outre l’association fréquente à une neuropathie responsable du caractère indolore de l’ischémie, l’artérite des membres inférieurs du diabétique est caractérisée par sa topographie : une fois sur trois elle est proximale, bien corrélée aux facteurs de risque classiques (hypertension artérielle, hyperlipidémie, tabagisme), une fois sur trois elle est distale, siégeant au-dessous du genou et une fois sur trois globale, proximale et distale.

Par chance, même lorsqu’elle est distale, une artère au-dessous de la cheville reste le plus souvent perméable.

La palpation d’un pouls pédieux n’élimine donc en rien l’existence d’une artérite sévère des axes jambiers sus-jacents, mais il est sûrement un des meilleurs arguments pronostiques de l’artérite diabétique.

En effet, cette persistance permet de réaliser des pontages distaux (utilisant la veine saphène interne dévalvulée in situ ou inversée), dans le cadre d’un sauvetage de membre nécessité par une gangrène du pied.

L’artérite des membres inférieurs du diabétique se révèle en effet trop souvent par un trouble trophique avec début de gangrène secondaire à un traumatisme même minime (frottement dans la chaussure, ongle mal taillé blessant l’orteil voisin, ongle incarné, absence de protection des talons lors de l’alitement prolongé, etc).

La survenue d’un tel trouble trophique avec nécrose ischémique, impose toujours l’hospitalisation du patient pour explorations vasculaires (échographie doppler, mesure de la pression transcutanée en oxygène et artériographie) qui permettront une décision thérapeutique de sauvetage.

En effet, la gangrène, même limitée, n’est jamais secondaire à une microangiopathie diabétique ; elle témoigne toujours d’une atteinte des artères musculaires, même s’il s’agit d’artères de petit calibre, et elle doit donc bénéficier, à chaque fois que cela est possible, d’une revascularisation.

Un geste d’amputation « a minima » fait sans exploration vasculaire, risque de ne jamais cicatriser et d’entraîner une aggravation secondaire de l’ischémie avec amputation majeure.

Conclusion :

La prévention de la microangiopathie diabétique passe par l’équilibration du diabète avec pour objectif des glycémies préprandiales inférieures à 1,40 g/L et une HbA1c inférieure à 7,5 %.

Cet objectif peut être atteint grâce à une optimisation du traitement nécessitant une éducation spécialisée des patients.

La prévention de la macroangiopathie diabétique est moins codifiée.

Elle nécessite une thérapeutique plurifactorielle cohérente cherchant à corriger à la fois l’hypertension, l’hyperlipidémie, l’hyperglycémie, les troubles de la crase sanguine.

Elle se heurte souvent à un défaut de compliance des patients. Bien que le bénéfice sur le risque cardiovasculaire global du traitement de l’insulinorésistance par des mesures hygiénodiététiques soit aujourd’hui bien établi, le bénéfice des traitements médicamenteux (metformine ou thiazolidinediones), reste à démontrer.

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