Anémies hémolytiques auto-immunes Cours
d'hématologie
Étiologie
:
L’incidence des anémies hémolytiques auto-immunes
(AHAI) est environ de 1/80 000, la fréquence augmentant
au delà de 40-50 ans.
Les cas d’hémoglobinurie paroxystique a frigore se distinguent par leur rareté et
leur survenue dans l’enfance après une infection virale ;
leur évolution est habituellement transitoire.
Plus de la moitié des anémies hémolytiques autoimmunes
reste idiopathique, on doit mettre à part les
hémolyses immuno-allergiques, essentiellement médicamenteuses,
qui n’appartiennent pas stricto sensu aux
hémolyses auto-immunes mais qui doivent être mentionnées
en raison de la positivité fréquente d’un test de
Coombs.
Dans les anémies
hémolytiques auto-immunes, il y a perte de tolérance
vis-à-vis de certains antigènes du globule rouge; si son
mécanisme est inconnu, les affections associées, hémopathies
lymphoïdes, maladies auto-immunes, déficit
immunitaire sont révélatrices d’anomalies génétiques ou
acquises de l’immunité humorale.
Parmi les maladies lymphoprolifératives, la leucémie
lymphoïde chronique est l’affection sous-jacente la plus
fréquente (7 à 25 %) alors que l’incidence d’autres
maladies, lymphome non hodgkinien ou hodgkinien est
beaucoup plus rare (moins de 2 %).
Une place particulière
doit être faite aux lymphadénopathies angio-immunoblastiques
(lymphomes de nature T avec hypergammaglobulinémie
et auto-anticorps) ; en effet, dans près de la
moitié des cas il existe une hémolyse auto-immune.
Parmi les maladies auto-immunes, une hémolyse est
fréquente au cours du lupus érythémateux, plus rare
dans la polyarthrite rhumatoïde et la rectocolite hémorragique.
L’association à une thrombopénie immunologique
(syndrome d’Evans) est assez fréquente ; le pronostic de
cette maladie avec double auto-immunisation globule
rouge et plaquette est plus grave que chacune des cytopénies
isolément.
Plusieurs de ces affections autoimmunes
peuvent se succéder ou être observées d’emblée.
Une anémie hémolytique auto-immune, parfois associée
à une autre cytopénie portant sur la lignée plaquettaire
ou granuleuse peut s’observer dans certains déficits
immunitaires génétiques ou acquis (déficit immunitaire
dit commun variable de l’adulte).
Diverses tumeurs solides ont pu être associées à des
hémolyses auto-immunes ; le lien le plus solide concerne
les tumeurs ovariennes qui doivent être systématiquement
recherchées (kyste de l’ovaire) puisque le traitement de
la tumeur peut entraîner une guérison de l’hémolyse
auto-immune.
Les hémolyses auto-immunes coïncidant avec une
maladie infectieuse, habituellement virale prennent
l’aspect d’une anémie aiguë transitoire, surtout chez
l’enfant.
Un titre élevé d’agglutinines froides et (ou) une
pneumopathie orientent vers une affection à mycoplasme ;
des auto-anticorps anti-globule rouge sont fréquents au
cours de la mononucléose infectieuse.
Le plus souvent,
le virus responsable n’est pas identifié.
Quelques cas d’hémolyses auto-immunes se révélant en
cours de grossesse et disparaissant après l’accouchement
ont été signalés.
Diagnostic
:
A - Signes cliniques
:
Le début d’une hémolyse auto-immune est très variable.
Il peut être aigu, l’anémie s’installant en quelques jours
accompagnée de fièvre, de symptômes digestifs et de
signes d’anoxie voire de choc hypovolémique avec
hémoglobinurie.
Ce mode de révélation est fréquent
dans les hémolyses aiguës transitoires de l’enfant.
Habituellement le début est progressif avec des symptômes
liés à l’anémie (asthénie, dyspnée, palpitations,
angor), parfois une fièvre inexpliquée.
Rarement un
ictère ou des urines foncées conduisent à la découverte
de l’anémie.
L’examen clinique révèle pâleur, ictère souvent modéré,
splénomégalie.
Les signes cliniques d’une maladie
associée peuvent être également révélateurs.
Des signes cliniques particuliers sont observés dans la
maladie des agglutinines froides.
Il existe en effet lors
de l’exposition au froid des manifestations vasculaires
des extrémités : syndrome de Raynaud, acrocyanose
provoquée par l’agglutination des hématies dans les
tissus sous-cutanés au niveau du nez, des orteils, des
oreilles, décoloration brutale de la peau accompagnée
d’un engourdissement et parfois de douleurs.
Ces
manifestations sont à l’origine de troubles trophiques
pouvant aller jusqu’à la nécrose.
L’intensité de l’anémie est très variable de 3 à 10 g/dL, normochrome, normocytaire parfois macrocytaire
témoignant de la réticulocytose avec parfois érythroblasto-myélémie.
Une microsphérocytose est évocatrice
d’hémolyse auto-immune.
La réticulocytose est très
franchement élevée entre 100 et 800 000/mm3.
Elle peut
être retardée voire absente dans certaines formes
cliniques où il existe une destruction simultanée des
globules rouges et des érythroblastes, la moelle étant
alors le siège d’une érythropoïèse inefficace. Une érythroblastopénie peut également être d’origine
immunologique ou bien liée à une infection par le
parvovirus B19.
Le myélogramme peut avoir un intérêt
diagnostique lorsqu’il existe une hémopathie lymphoïde
sous-jacente.
Notons la fréquence sur l’hémogramme
d’une hyperleucocytose avec formule sanguine normale
et d’une thrombocytose témoignant d’une régénération médullaire intéressant certes la lignée érythroblastique
mais aussi les autres lignées myéloïdes.
D’autres signes
biologiques témoignent de la destruction des hématies,
augmentation de la bilirubine non conjuguée qui
cependant est inconstante ; son degré est fonction de
l’intensité de l’anémie et de la sévérité de l’hémolyse.
Les urines contiennent de l’urobiline, de l’hémoglobine
dans les hémolyses aiguës.
La chute de l’haptoglobine
est proportionnelle au degré d’hémolyse, quasiment
constante, témoignant, quels que soient le mécanisme et
le siège de la destruction des globules rouges d’une
destruction intravasculaire reflétée également par
l’augmentation du taux des lacticodéshydrogénases.
Lorsque les examens cliniques et paracliniques ne
permettent pas d’affirmer formellement une hémolyse
auto-immune, l’étude de la durée de vie des hématies du
malade, comme celle d’hématies normales allogéniques
de même phénotype, révèle une destruction périphérique
des hématies, en principe immunologique ; cet examen
peut aussi renseigner sur le siège de la destruction,
splénique, hépatique ou bien mixte.
B - Diagnostic immuno-hématologique :
Il repose sur le test de Coombs direct qui, du fait de sa
simplicité et de sa sensibilité, est l’examen déterminant
mais également sur l’étude de l’éluat des globules
rouges et sur la caractérisation des anticorps sériques.
Ces examens doivent permettre d’affirmer la présence
d’auto-anticorps dirigés contre un antigène des globules
rouges et identifier leur spécificité.
1- Test de Coombs :
Le test de Coombs direct détecte à la surface des
hématies des auto-anticorps anti-globule rouge ou des
fractions du complément.
Les réactifs utilisés sont
des antiglobulines dites polyspécifiques contenant des
anticorps dirigés contre les différentes classes d’immunoglobulines
humaines ainsi que contre différentes fractions
du complément (deux antiglobulines polyvalentes
méritent d’être utilisées car la qualité de ces réactifs est
variable) ; une antiglobuline dirigée contre les immunoglobulines
IgG humaines, caractéristiques des anémies
hémolytiques auto-immunes à anticorps chauds et une
antiglobuline reconnaissant les fractions du complément,
notamment C3d, C3b, C4d.
Les autres réactifs ne
sont utilisés que dans des situations rares (antiglobuline
réagissant avec les IgM ou les IgA, rarement en cause
dans les hémolyses auto-immunes).
La technique classique est basée sur l’agglutination des
hématies du malade après lavages.
La réaction d’agglutination
se fait sur plaque, en tube ou peut être sensibilisée
par des macromolécules (technique sur auto-analyseur).
La limite inférieure de détection des molécules d’IgG
fixées à la surface des globules rouges est d’environ une
centaine par hématie.
Le test de Coombs direct connaît cependant certaines
limites ; il existe des anémies hémolytiques auto-intraimmunes
à test de Coombs négatif que la densité des
auto-anticorps à la surface du globule rouge soit faible
ou bien que le réactif (antiglobuline) ait une qualité
insuffisante.
En second lieu, la positivité d’un test de Coombs peut s’observer en dehors d’une hémolyse
auto-immune après transfusion sanguine (les hématies
transfusées étant sensibilisées par des allo-anticorps
produits par le receveur), à la suite d’injections de
produits thérapeutiques d’origine humaine (immunoglobulines
intraveineuses) ou animale (sérum antilymphocytaire).
Il est exceptionnel d’observer un test de Coombs positif en l’absence d’hémolyse auto-immune
bien que la présence d’IgG ou de certaines fractions du
complément ait pu être décrite chez des sujets normaux.
2- Étude de l’éluat :
L’élution a pour but de détacher de la surface des hématies
les anticorps fixés afin de permettre d’étudier leur
spécificité.
Elle est réalisée par des méthodes physiques
ou chimiques (chaleur, éther). Elle peut être positive
alors que le test de Coombs direct est négatif.
3- Étude du sérum :
Elle permet, par une réaction de Coombs indirecte, de
confirmer la présence d’un auto-anticorps, de préciser la
nature de l’anticorps en cause (IgG ou IgM), d’analyser
l’optimum thermique et l’amplitude thermique de l’anticorps,
d’étudier la spécificité de l’auto-anticorps, de
rechercher la présence d’hémolysine, d’apprécier dans
le temps le titre de l’auto-anticorps et d’en suivre
l’évolution sous traitement.
L’absence d’auto-anticorps
sérique ne permet pas d’écarter la nature auto-immune
d’une hémolyse.
Les agglutinines froides sont recherchées
par une réaction d’agglutination en tube à + 4 °C.
Classification immunohématologique
:
A -
Auto-anticorps chauds
:
Ils sont essentiellement de nature IgG, leur capacité
de fixer du complément varie selon la sous-classe d’IgG
et la quantité d’auto-anticorps présente à la surface des
hématies.
Le test de Coombs direct est le plus souvent
de nature IgG, plus rarement de type IgG et complément.
Il existe à titre plus exceptionnel des auto-anticorps
chauds de nature IgM fixant le complément qui est alors
détecté par le test de Coombs direct, les anticorps IgM
sont mis en évidence dans le sérum plus rarement dans
l’éluat.
Une activité hémolytique (hémolysine chaude)
peut également être mise en évidence.
Les anticorps IgG
sont dirigés contre des épitopes exprimés par le complexe
antigénique Rh (seules les hématies n’exprimant pas le
complexe Rh sont négatives dans le test de Coombs).
Certains anticorps IgG reconnaissent des antigènes
parfaitement identifiés du locus Rh (e, c, E, C).
Les
autres spécificités antigéniques sont rares.
B - Auto-anticorps froids
:
Il s’agit d’auto-anticorps d’optimum thermique bas
(+ 4°C), de nature IgM et fixant le complément. Leur
amplitude thermique est variable et peut atteindre 37 °C.
Cette amplitude joue un rôle dans l’expression clinique
de ces auto-anticorps.
Il peut s’agir d’auto-anticorps
IgM polyclonaux (maladie aiguë avec agglutinines
froides) ou bien d’anticorps IgM monoclonaux
(maladie chronique des agglutinines froides).
Le test
de Coombs est positif, de type complément seul.
Les auto-anticorps sont rarement présents dans l’éluat,
ils sont détectés par contre, à un titre élevé, dans le
sérum.
La spécificité de ces auto-anticorps IgM est
dirigée habituellement contre le groupe sanguin Ii (seuls
les anticorps anti-I entraînent une hémolyse puisque
les hématies adultes sont dépourvues habituellement
de l’antigène i).
La spécificité pour le groupe sanguin Pr n’est pas exceptionnelle.
Les auto-anticorps (ou hémolysines) « biphasiques »
sont rares ; il s’agit d’anticorps de nature IgG fixant le
complément.
Le terme biphasique est utilisé par référence
à la technique en 2 temps nécessitant leur mise en évidence
in vitro : fixation de l’anticorps à basse température,
incubation à 37 °C avec élution de l’anticorps et activation
du complément.
Le test de Coombs direct est en général
de type complément, plus rarement de type IgG complément.
La spécificité de cette hémolysine biphasique est
dirigée contre un antigène du groupe P ; l’hémolysine
est responsable des anémies aiguës, habituellement postinfectieuses
de l’enfant.
Cette classification des anémies hémolytiques autoimmunes
est utile pour le diagnostic, le pronostic et le
traitement des malades.
L’association anticorps chauds
et froids n’est pas exceptionnelle.
Le test de Coombs est
alors positif de type IgG et complément. Il existe des
anticorps froids de grande amplitude thermique.
Habituellement l’hémolyse est sévère.
Anticorps chauds
et anticorps froids peuvent se succéder dans le temps
chez un même malade.
Traitement
:
A - Hémolyse à anticorps « chauds » :
Les corticostéroïdes (Cortancyl) représentent un traitement
efficace mais ne permettent que rarement une guérison.
Les corticoïdes pourraient diminuer la synthèse des auto-anticorps, modifier l’affinité de l’anticorps pour
l’antigène cible sur l’hématie, enfin, modifier la clairance
des cellules sensibilisées par le système macrophagique.
La corticothérapie est utilisée, sauf contre-indication
formelle, à une posologie de 1 à 2 mg/kg ; la diminution
de l’hémolyse s’observe entre 1 et 6 semaines avec
ascension du taux d’hémoglobine et diminution des
signes indirects d’hémolyse.
L’utilisation de fortes
doses de cortisone administrées en bolus par voie intraveineuse en cas d’hémolyse grave peut être envisagée.
La diminution de la posologie doit être prudente,
débutée lorsque le taux d’hémoglobine atteint 11-12 g/dL
et se déroule en 6 à 12 mois.
En cas de rechute, une
posologie plus élevée peut être prise, elle s’avérera
habituellement efficace et une diminution encore plus
progressive devra être tentée.
Dans plus de 80 % des cas,
la corticothérapie ne peut être abandonnée et un traitement
d’entretien est poursuivi à une posologie variable
entre 0,1 et 0,2 mg/kg.
Les limites de la corticothérapie amènent fréquemment
à envisager une splénectomie, efficace dans environ
50 % des cas.
Cependant, des rechutes précoces ou
tardives peuvent s’observer. Une corticothérapie peut
être nécessaire lorsque la rémission est incomplète.
Les échecs ou les contre-indications de la corticothérapie
et (ou) de la splénectomie peuvent conduire à un
traitement immunosuppresseur qui, dans ces situations,
sera forcément prolongé et l’on peut utiliser l’azathioprine
(Imurel) ou le cyclophosphamide (Endoxan).
Ce traitement immunosuppresseur efficace chez le tiers
des malades peut aussi permettre une « épargne »
cortisonique.
Les autres traitements envisageables sont le danazol,
androgène synthétique à activité androgénique faible ou
l’utilisation des immunoglobulines intraveineuses à
fortes doses.
Les résultats à court et à long terme de ces
traitements restent très incertains.
Le traitement des affections associées, notamment
proliférations lymphoïdes malignes ou maladies autoimmunes,
influent peu sur l’attitude thérapeutique ; il est
cependant légitime, notamment dans ces dernières
affections, d’essayer de traiter de manière efficace la
maladie sous-jacente.
Le traitement symptomatique de l’anémie peut exiger
des transfusions de concentrés globulaires.
Ce traitement
est envisagé en cas d’anémie extrême ou de résistance
au bout de quelques jours ou d’inefficacité initiale de la
corticothérapie.
Les caractéristiques des auto-anticorps
ne permettent pas d’éviter l’hémolyse des globules
rouges transfusés et il faut donc adapter les transfusions
au retentissement fonctionnel de l’anémie (anoxie, angor).
Rarement l’ablation d’une tumeur ou une colectomie
dans la rectocolite hémorragique permettent la guérison
de l’hémolyse.
B - Hémolyse à anticorps « froids » :
La corticothérapie est habituellement inefficace sauf
peut-être lorsque le titre d’agglutinines froides est faible
et l’amplitude thermique très large, entre 4 et 37 °C.
La
splénectomie est habituellement inefficace puisque la
destruction des hématies s’effectue dans le foie.
Dans la
maladie chronique des agglutinines froides, lorsqu’il
existe une hémopathie lymphoïde associée, la chimiothérapie
permet une réduction du clone B synthétisant
les auto-anticorps, par conséquent une réduction du titre
des agglutinines froides et une atténuation voire une disparition de l’hémolyse.
Lorsqu’il n’existe pas
d’hémopathie lymphoïde associée, ce traitement est
plus rarement efficace.
Lorsque l’hémolyse est
modérée, un traitement symptomatique, des précautions
de bon sens pour éviter les accidents liés à l’exposition
au froid doivent être conseillés.
En cas de poussée
hémolytique, des transfusions de sang réchauffé à 37 °C
sont justifiées.