La morphine reste la substance de référence dans la
famille des morphiniques.
A -
Morphine :
1- Activité antalgique :
La morphine ne constitue pas l’antalgique universel.
Très efficace dans les douleurs sévères par excès de
nociception, elle est d’intérêt plus limité dans les
douleurs neurogènes.
La morphine et les morphiniques sont traditionnellement
reconnus comme des antalgiques d’action centrale.
Les données actuelles reconnaissent un site d’action
spinal et supraspinal, mais une action périphérique est
également évoquée.
Elle est agoniste préférentiel des récepteurs opioïdes
mu, présents avec les récepteurs delta et kappa (sur lesquels
elle se fixe avec une moindre affinité) dans la
corne postérieure de la moelle épinière.
Les récepteurs
mu sont pour partie localisés sur les fibres afférentes
primaires, leur activation par la morphine aboutit alors à
la diminution de la libération de neurotransmetteurs tels
que substance P ou CGRP (calcitonin gene related peptide).
Au niveau post-synaptique, l’activation de ces
récepteurs conduit à une hyperpolarisation des neurones
spinaux à l’origine des voies ascendantes.
La présence
de récepteurs opioïdes dans différentes structures supraspinales suggère que la morphine pourrait exercer
une partie de son effet antalgique en agissant sur ces
cibles.
Ces sites d’action expliquent l’utilisation des
voies d’administration centrales de la morphine et de
certains morphiniques (intrathécale, péridurale, intracérébroventriculaire).
2- Pharmacocinétique :
La morphine, dont la biodisponibilité après administration
orale est de 20 à 40 %, est métabolisée au niveau
hépatique selon trois voies : glucuro-conjuguaison (morphine
3 glucuronide [M3G], morphine 6 glucuronide,
[M6G]), sulfo-conjuguaison et N-déméthylation (normorphine).
La M3G est plus présente que la M6G ; le
rapport de concentration dans le liquide céphalo-rachidien,
après administration répétée, est : [M3G]/M = 7 et
[M6G]/[M] = 0,8. M6G est un puissant analgésique.
L’élimination est urinaire et plus modestement biliaire.
La demi-vie d’élimination plasmatique de la morphine
est de 1,7 h, sa durée d’action d’environ 4 h.
Ces valeurs
limitées ont justifié le développement de formes à
libération prolongée : Moscontin, Skenan, Kapanol.
Récemment, sont également apparues sur le marché des
formes solides de morphine, à libération immédiate, ce
qui n’existait pas dans notre pays (Sevredol,
Actiskenan).
3- Pharmacovigilance :
La constipation est un effet indésirable très fréquent
puisque pratiquement 100 % des sujets traités par morphine
s’en plaignent. À l’effet sur la musculature lisse intestinale,
s’ajoute une réduction des sécrétions digestives.
La morphine est capable d’induire des nausées et des
vomissements lors d’une première administration chez
environ 1 à 2 patients sur 3.
Ces effets peuvent
être prévenus par des neuroleptiques à faibles doses
(halopéridol, dropéridol).
Présente chez à peu près la moitié des patients, la
sédation apparaît assez précocement mais peut être
spontanément résolutive.
On peut observer (moins fréquemment) un prurit, dû à
l’effet histamino-libérateur de la morphine ; des sueurs,
profuses et nocturnes ; des confusions, hallucinations,
cauchemars en particulier avec des doses élevées et chez
le sujet âgé ; voire une rétention urinaire, particulièrement
si l’administration est périmédullaire.
En pratique clinique, la dépression respiratoire est bien
connue des anesthésistes pour qui elle ne pose pas de
problème dès l’instant où le patient est intubé et ventilé.
En cas de dépression respiratoire avérée, le recours à
la naloxone, antagoniste des récepteurs opiacés mu,
permet de corriger cet effet délétère.
Dans le contexte de
la douleur chronique, l’augmentation progressive des
posologies de morphine permet de prévenir ce risque.
Cette précaution, l’existence de la naloxone, le fait que
la douleur soit par elle-même stimulante du système
ventilatoire, permettent de prescrire sans risque majeur
la morphine tant chez l’adulte que chez l’enfant, la
fréquence respiratoire constituant un paramètre simple
de surveillance.
L’effet psychodysleptique traditionnellement décrit pour
la morphine et les morphiniques ne conduit que dans des
conditions particulières à un risque toxicomaniaque.
Plusieurs études ont clairement montré que, lors de l’utilisation
des morphiniques à visée antalgique, le risque
de dépendance psychique était très limité
(1/10 000).
La crainte d’induire une toxicomanie chez
les patients douloureux ne doit donc pas limiter leur
prescription.
Cependant, dans l’hypothèse d’un élargissement
de l’utilisation des morphiniques, par exemple
chez des patients atteints de douleurs rhumatologiques
chroniques ou de douleurs neuropathiques, il est nécessaire
d’appréhender la personnalité, le contexte de vie et
les antécédents d’abus médicamenteux des patients
avant prescription de ces produits.
La pharmacodépendance est également définie par la
dépendance physique, illustrée par le syndrome de sevrage,
qui peut bien sûr exister avec les morphiniques.
La prévention
de son risque lors de l’arrêt d’un traitement prolongé
par morphine impose une réduction progressive des
posologies.
Le phénomène de tolérance traduit la nécessité
d’augmenter les doses pour obtenir le même effet thérapeutique.
Chez les patients cancéreux, lorsque les doses de
morphiniques nécessaires à une sédation de la douleur
doivent être augmentées, il est difficile de faire la part
entre une augmentation liée au phénomène de tolérance
ou secondaire à l’évolution de la maladie tumorale.
Quoi qu’il en soit, les risques de dépendance physique et
de tolérance ne posent pas de problème clinique majeur.
B -
Autres morphiniques :
La classification de ces produits dépend de leur modalité
d’interaction avec les récepteurs opiacés et en particulier
les récepteurs mu.
Seuls sont évoqués ici les produits les
plus courants et les plus récents.
1- Agonistes totaux des récepteurs mu :
• La codéine (Codenfan) et la dihydrocodéine (Dicodin)
sont des dérivés de la morphine, respectivement méthylés
et méthylés et dihydrogénés.
Il semble acquis que la
codéine exerce son activité antalgique par l’intermédiaire
de produits issus de sa biotransformation hépatique.
Dix
pour cent de la codéine est transformée en morphine.
La
transformation de la codéine en morphine se fait sous
l’influence du cytochrome 2D6 soumis à un polymorphisme
génétique.
Dix pour cent de la population caucasienne,
européenne et américaine métabolise lentement
la codéine en morphine.
Cette disparité peut rendre
compte d’une certaine variabilité de la réponse analgésique
à la codéine. Les caractéristiques de la codéine
expliquent sa puissance limitée (doses équi-analgésiques
10 à 12 fois supérieures à celles de la morphine) et sa
moindre efficacité, ainsi que sa durée d’action de 4 à 6 h.
Ces spécificités de la codéine ont justifié son association
avec des antalgiques dits périphériques (Codoliprane,
Efferalgan codéine).
Ainsi, il a été montré que l’association
codéine + paracétamol conduisait à un effet synergique.
Une méta-analyse étudiant l’intérêt de l’association
paracétamol-codéine, dans les douleurs aiguës, a montré
que le nombre nécessaire de patients à traiter pour avoir
un répondeur était à peu près équivalent entre l’association
paracétamol 300 mg + codéine 30 mg et l’administration
de paracétamol 600 mg.
• Le dextropropoxyphène (Antalvic) est un dérivé dextrogyre
de la méthadone.
Ce produit possède une puissance
antalgique qui est la moitié à 2 tiers de celle de la codéine.
Sa durée d’action est d’environ 4 à 6 h, avec un effet
maximum obtenu au bout de 2 h.
Métabolisé au niveau
hépatique, le dextropropoxyphène se transforme pour
l’essentiel en norpropoxyphène qui a une demi-vie
d’élimination plus longue (15 à 30 h) que celle du produit
mère (6 à 20 h).
Le norpropoxyphène présente l’inconvénient
d’induire des tremblements et des convulsions
(phénomène de dépendance à la dose).
Le dextropropoxyphène
est présent dans des associations avec le
paracétamol (Di-Antalvic, Propofan).
Cette association
aboutit également à une augmentation de l’effet individuel
de chacun des produits mais elle est moins
satisfaisante en termes de pharmacocinétique.
Son
risque est, lors de prises rapprochées nécessaires pour
maintenir des taux de paracétamol efficaces, une accumulation
de dextropropoxyphène ou surtout de son
métabolite.
Le dextropropoxyphène peut induire hypoglycémie
et cardiotoxicité.
• Le tramadol (Topalgic, Contramal LP) est une
molécule originale qui possède quelques similitudes
avec la codéine.
Il est agoniste des récepteurs mu
(affinité faible) et inhibe le recaptage de la sérotonine et
de la noradrénaline.
Sa puissance antalgique, inférieure
à celle de la morphine, justifie des doses par prises
4 à 10 fois supérieures en fonction des voies d’administration.
Son efficacité est comparable, voire
supérieure, à celle d’associations aspirine ou paracétamol
+ opiacés tels que dextropropoxyphène ou codéine.
Sa durée d’action est de 4 à 6 h.
Son mécanisme
d’action particulier pourrait justifier une utilisation
du tramadol dans les douleurs neuropathiques, indication
qui reste à valider.
Les caractéristiques de ce produit sont compatibles avec
une administration orale (biodisponibilité de 70 %).
Hydrosoluble, il est également utilisable par voie parentérale.
Sa demi-vie d’élimination est de 5 à 7 h.
Le métabolisme
hépatique peut être soumis également à un
phénomène de polymorphisme génétique ; il implique
en effet le cytochrome 2D6 pour aboutir à un dérivé déméthylé, actif, du tramadol.
Les effets indésirables du tramadol reproduisent avec une moindre fréquence et
une moindre intensité les effets opioïdergiques classiques
de la morphine.
Il peut conduire également, de
façon relativement rare, à des manifestations de type
anaphylactique et des convulsions.
• Les nouveaux morphiniques, agonistes totaux des
récepteurs mu, sont plus nombreux dans d’autres pays
qu’en France.
Deux spécialités sont apparues récemment
dans notre pays : le Durogesic, fentanyl à administration
transdermique, avec une puissance, vis-à-vis du
récepteur mu, 50 à 100 fois supérieure à celle de la morphine.
Le fentanyl est un produit dont la lipophilie est
élevée, ce qui confère à la préparation de Durogesic une
biodisponibilité de 92 %.
Le délai nécessaire pour que le fentanyl soit retrouvé dans le courant circulatoire est de
2 h, le t-max (temps au bout duquel la concentration
plasmatique maximale est atteinte) est de 24 h, un
plateau de concentration est atteint de 24 à 72 h après
l’application.
Le temps de demi-vie d’élimination est
de 17 h.
Ces caractéristiques cinétiques expliquent
que l’analgésie apparaisse avec un délai de 8 à 16 h
et qu’elle persiste pendant 12 à 24 h après
l’ablation du patch.
Cette présentation est donc indiquée
dans la prise en charge des douleurs chroniques,
essentiellement cancéreuses.
Elle est spécifiquement
contre-indiquée dans la douleur aiguë, la douleur
instable, l’allergie cutanée au système d’application.
Des précautions d’emploi, également spécifiques, sont
nécessaires lors d’hyperthermie (une augmentation de
3 °C conduit à une augmentation de 33 % de la concentration
maximale [C-max] secondaire à la vasodilatation
cutanée) et lors d’une exposition à des sources de
chaleur.
Des ajustements posologiques sont possibles en
adaptant la taille des patchs ; il a en effet été démontré
que les concentrations obtenues étaient dépendantes de
la dose et de la taille.
La Sophidone (hydromorphone) qui existe aux États-Unis depuis plusieurs années, vient d’obtenir l’autorisation
de mise sur le marché (AMM) en France dans l’indication
suivante : « traitement de deuxième intention
des douleurs cancéreuses si résistance ou intolérance à
la morphine ».
Elle se présente sous forme de gélules à
libération retardée (12 h).
Il s’agit d’un agoniste des
récepteurs opiacés mu avec une puissance 5 à 7,5 fois
supérieure à celle de la morphine.
Son indication
officielle s’inscrit dans le principe de la rotation des
morphiniques.
2- Agoniste partiel des récepteurs mu :
La buprénorphine (Temgésic) a une puissance antalgique
30 à 40 fois plus élevée que celle de la morphine.
Son action d’agoniste partiel explique l’existence d’un
effet antalgique plafond, qui apparaîtrait en clinique à
une posologie de 3 à 8 mg par voie sublinguale ; la
contre-indication à l’associer à la morphine pour éviter
une réduction de l’analgésie morphinique ; la recommandation
d’un délai de quelques heures pour passer de
la buprénorphine à la morphine.
Son caractère lipophile
explique son absorption par voie sublinguale avec une
biodisponibilité d’environ 55 %.
Ses effets indésirables
sont de type opiacé mais difficiles à antagoniser, si
nécessaire (surdosage), par la naloxone du fait de la
forte affinité de la buprénorphine pour les récepteurs mu.
3- Agonistes kappa et antagonistes mu :
La nalbuphine (Nubain) a des effets opiacés proches de
ceux de la pentazocine (Fortal) avec une puissance plus
élevée, donc des doses moindres.
Sa durée d’action est
de 2 à 4 h après administration parentérale, seule voie
d’administration utilisée pour ce produit (sous-cutanée,
intramusculaire ou intraveineuse).
Ces caractéristiques
justifient son utilisation essentiellement dans les
douleurs postopératoires.
Antalgique d’efficacité intermédiaire,
la nalbuphine est particulièrement utilisée
chez l’enfant.
Elle s’oppose, par son action antagoniste
des récepteurs mu, à l’action analgésique de la morphine
(ou des autres agonistes mu). L’association est donc
contre-indiquée.
Elle peut, par ailleurs, précipiter
l’apparition d’un syndrome de sevrage chez un patient
préalablement traité par morphine.
Elle est, enfin,
susceptible d’induire une dysphorie.
C -
Indications et contre-indications
des morphiniques :
Ces antalgiques sont essentiellement indiqués dans les
douleurs par excès de nociception, qu’elles soient aiguës
ou chroniques, d’origine chirurgicale, traumatique,
tumorale ou autre et de localisation viscérale (crises
hyperalgésiques : coliques hépatiques, néphrétiques,
infarctus du myocarde), articulaire, etc.
Leur niveau
d’efficacité différent conduit à les classer en opiacés
faibles et opiacés forts.
La référence à l’échelle de
l’Organisation mondiale de la santé (OMS),
établie pour la prise en charge de la douleur
cancéreuse, explique le classement, trop souvent utilisé
dans des contextes cliniques inadaptés, en produits de
paliers II ou III.
Plus simplement, ces produits peuvent
être identifiés comme utilisables dans la prise en charge
des douleurs faibles à modérées ou modérées à sévères.
Cette classification, plus thérapeutique, est en harmonie
avec l’une des règles essentielles d’utilisation des
morphiniques : la prescription en fonction de l’intensité
de la douleur et ce en première intention.
Les contre-indications communes à cette classe peuvent
être résumées comme suit : insuffisance respiratoire
décompensée (en l’absence de ventilation artificielle) ;
insuffisance hépatocellulaire sévère ; épilepsie non
contrôlée ; association des agonistes totaux avec les agonistes
opiacés partiels ou agonistes-antagonistes ; association
avec l’alcool, avec les inhibiteurs de la monoamine-oxydase (IMAO) – des accidents sévères
survenus avec la péthidine (Dolosal) explique cette
prudence – ; en administration aiguë, traumatisme
crânien et hypertension intracrânienne en l’absence de
ventilation contrôlée ; allaitement.
Analgésiques non morphiniques :
Il s’agit d’une classification d’exclusion pour une famille pharmacologiquement hétérogène comprenant l’aspirine,
des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), le paracétamol
et quelques autres produits.
Leur seul autre point
commun est l’intensité limitée de leur effet antalgique.
A - Aspirine et anti-inflammatoires
non stéroïdiens :
1- Action antalgique :
Cette propriété s’exerce vis-à-vis des douleurs par excès
de nociception, la douleur inflammatoire étant le prototype
de la douleur sensible à ces produits.
L’hypothèse
traditionnelle concernant le mécanisme d’action de ces
produits est l’inhibition (irréversible pour l’aspirine, mais
pas pour les autres anti-inflammatoires non stéroïdiens)
des cyclo-oxygénases périphériques qui conduit à une
diminution de la synthèse des prostaglandines, connues
pour jouer un rôle sensibilisateur des nocicepteurs aux
médiateurs algogènes (histamine, sérotonine, bradykinine…)
impliqués dans la naissance de l’influx douloureux.
Il convient de préciser ici que l’on a identifié 2 isoformes
de la cyclo-oxygénase, la cox 1 initialement dite
constitutive (présente spontanément dans l’organisme)
et la cox 2 inductible (elle apparaît dans un contexte
d’inflammation, mais est également constitutive dans
certains organes comme le rein par exemple).
Aspirine
et anti-inflammatoires non stéroïdiens inhibent la cox 1
et la cox 2.
Des inhibiteurs spécifiques de la cox 2
(célécoxib, Célébrex ; rofécoxib, Vioxx) sont désormais
commercialisés dans certains pays avec comme indication
le traitement symptomatique de l’arthrose et de la polyarthrite
rhumatoïde. Ils devraient apparaître dans le
courant de l’année 2000 en France.
2- Pharmacocinétique :
Un certain nombre d’éléments généraux peuvent être
retenus : absorption digestive tout à fait compatible avec
une administration orale, métabolisme hépatique,
liaison protéique importante, excrétion rénale.
Le métabolisme
de l’aspirine se fait par hydrolyse intestinale
et hépatique rapide, en acide salicylique, qui se lie
fortement aux protéines plasmatiques et dont la demivie
d’élimination plasmatique est d’environ 2 heures,
alors que celle de l’aspirine est beaucoup plus courte.
3- Pharmacovigilance :
Il ne peut être question de faire une revue exhaustive des
nombreux effets indésirables de l’aspirine et des antiinflammatoires
non stéroïdiens.
Certains sont en rapport
avec l’inhibition de la synthèse des prostaglandines.
Il
s’agit des troubles gastro-intestinaux (avec irritation de
la muqueuse et micro-hémorragie, voire ulcère gastroduodénal).
Si sur muqueuse saine, les inhibiteurs spécifiques
de la cox 2 sont mieux tolérés avec une incidence
bien moindre d’ulcères gastroduodénaux, la surexpression
de la cox 2, à visée correctrice, dans l’ulcère gastroduodénal
et dans les colites ulcéreuses, fait craindre des
risques d’accidents digestifs lors de la prescription de
ces produits chez des patients fragilisés (antécédents
d’ulcère, gastrite, entérocolopathie inflammatoire,
intolérance digestive aux anti-inflammatoires non
stéroïdiens, sujets âgés).
Les autres effets indésirables
de l’aspirine et des anti-inflammatoires non stéroïdiens
sont les suivants : troubles de l’hémostase (en rapport avec le pouvoir antiagrégant plaquettaire) ; accidents
rénaux ; complications foetales, obstétricales et néonatales
(avec risque de fermeture prématurée du canal
artériel, ralentissement du travail, risque hémorragique
du post-partum et chez le nouveau-né) ; interférence
avec l’ovulation et l’implantation de l’embryon (COX2).
D’autres effets indésirables peuvent survenir, sans
relation avec l’influence sur la synthèse des prostaglandines.
Des accidents immuno-allergiques ont été rapportés,
allant jusqu’au choc anaphylactique bien connu avec
l’aspirine, et incluant des accidents cutanés (urticaire,
rash, prurit, éruptions bulleuses : Stevens-Johnson,
Lyell); des troubles sensoriels (acouphènes, vertiges,
céphalées) et psychiques ; des troubles hématologiques
de type cytotoxique ; des troubles hépatiques (hépatite
cytolytique ou cholestatique); des néphrites interstitielles.
La fréquence de ces effets indésirables varie d’un
produit à l’autre, les plus anciens étant généralement
les plus incriminés.
D’autres classes (par exemple les arylcarboxyliques) sont considérées comme mieux
tolérées.
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens, même
présentés uniquement comme antalgiques, peuvent
potentiellement provoquer les effets indésirables cités,
en particulier ceux liés à l’inhibition de la synthèse des
prostaglandines.
Cette notion doit être connue du
prescripteur, du pharmacien et du patient compte tenu
de la fréquence de l’automédication.
4- Indications et contre-indications :
Aspirine (0,5 à 3 g, toutes les 4 à 6 h) et anti-inflammatoires
non stéroïdiens sont indiqués dans les douleurs
par excès de nociception d’intensité faible avec ou sans
composante inflammatoire.
Leur activité antalgique
limitée justifie leur classement au palier I de l’échelle de
l’Organisation mondiale de la santé, pour les douleurs
cancéreuses.
Leurs contre-indications sont étroitement liées à leurs
propriétés pharmacologiques et à leurs effets indésirables
: ulcère gastroduodénal évolutif ; maladies
hémorragiques ; à partir du 6e mois de grossesse ;
antécédents d’hypersensibilité ; certaines associations
médicamenteuses.
Chez l’enfant atteint de virose, il est
légitime de préconiser le paracétamol aux dépens de
l’aspirine, susceptible d’induire, dans ces conditions, un
syndrome de Reye.
B -
Paracétamol :
La fiche d’identité traditionnelle du paracétamol est
celle d’un antalgique périphérique à efficacité modérée,
inhibiteur des cyclo-oxygénases, possédant une action
antipyrétique, bien toléré, avec un risque de toxicité
hépatique en surdosage.
Cependant, les effets thérapeutiques
du paracétamol et de l’aspirine diffèrent quant à
l’activité inflammatoire et antiagrégante plaquettaire ;
leur pharmacovigilance n’est pas du tout comparable.
On peut donc légitimement penser
que leurs mécanismes d’action diffèrent et qu’il s’agit
finalement d’antalgiques de classes différentes.
1- Mécanisme de l’action antalgique :
Le paracétamol est un faible inhibiteur des cyclooxygénases.
La pharmacocinétique du paracétamol,
composé lipophile, plaide pour une diffusion facile de la
barrière hémato-encéphalique comme l’ont montré des
résultats précliniques et cliniques.
Un effet central est
confirmé par l’efficacité du paracétamol dans des
modèles de douleur expérimentale non inflammatoire,
chez l’animal comme chez l’homme, après administrations
systémiques et centrales.
Les mécanismes de cet
effet central pourraient être, à côté de l’effet inhibiteur
des cyclo-oxygénases sans doute limité, de nature sérotoninergique.
Les données disponibles sont suffisantes
pour remettre en cause la notion d’effet périphérique.
2- Pharmacocinétique :
Les caractéristiques essentielles de la pharmacocinétique
du paracétamol sont : bonne disponibilité par voie orale
(70 à 90 %), faible liaison protéique (10 %), excrétion
rénale importante (90 %), temps de demi-vie plasmatique
d’environ 2 à 3 h.
Son métabolisme est hépatique.
Ce
produit, potentiellement toxique pour les cellules hépatiques,
est neutralisé dans les conditions d’utilisation
thérapeutique par le glutathion donneur de radicaux SH.
Lors de surdosages, le glutathion endogène n’est plus
suffisant et la prévention du risque de nécrose hépatique
passe par l’utilisation de N-acétylcystéine (précurseur
du glutathion).
3- Pharmacovigilance :
Le paracétamol est globalement caractérisé par une
bonne tolérance.
Ses effets indésirables, très rares aux
doses thérapeutiques, sont des manifestations cutanées à
type de rash avec érythème, urticaire et (ou) prurit.
D’autres effets indésirables apparaissent de façon
exceptionnelle aux doses thérapeutiques : bronchospasme,
accidents hématologiques (anémie hémolytique, thrombopénie).
La bonne tolérance du paracétamol en fait
l’antalgique de choix chez le jeune enfant et chez la
femme enceinte.
Si la toxicité hépatique ne s’observe
qu’en cas de surdosage, ce risque potentiel impose des
précautions chez les patients atteints d’insuffisance
hépatocellulaire, chez les sujets dénutris ou encore chez
les enfants et les personnes âgées, pour lesquels les
posologies doivent être bien adaptées.
L’hépatotoxicité
survient pour des doses ingérées supérieures à 10 g chez
l’adulte ou 125 mg/kg chez l’adulte et chez l’enfant.
4- Indications et contre-indications :
Le paracétamol (0,5 à 4 g, toutes les 4 à 6 h) est indiqué
dans les douleurs d’intensité faible, qu’elles soient
bénignes ou non.
Son association avec des opiacés faibles
(codéine ou dextropropoxyphène présents dans plusieurs
spécialités) a un effet synergique.
L’existence d’une prodrogue
(propacétamol), hydrosoluble, permet le recours
à la voie parentérale, en postopératoire par exemple.
Ses contre-indications sont limitées aux antécédents
d’hypersensibilité et à l’insuffisance hépatocellulaire.
C -
Autres antalgiques
:
Les autres antalgiques, dénués de propriétés antiinflammatoires,
et traditionnellement classés dans les
antalgiques purs sont : la floctafénine (Idarac), la noramidopyrine
(Novalgine, Avafortan à la noramidopyrine,
Viscéralgine forte à la noramidopyrine) et le néfopam
(Acupan).
Ce sont tous des antalgiques utilisables dans
les douleurs d’intensité faible, voire faible à modérée.
Leur mécanisme d’action n’est pas élucidé.
La floctafénine appartient au groupe des fénines, elle
peut provoquer des réactions d’hypersensibilité.
La
noramidopyrine, dérivé des pyrazolés, est à l’origine
d’agranulocytose et d’état de choc lors d’utilisations par
voie intraveineuse.
L’agranulocytose, indépendante de
la dose, peut être mortelle et est imprévisible ; cela
conduit à rejeter la noramidopyrine en traitement de première
intention.
Le néfopam, antalgique injectable, sans
propriété antipyrétique ou anti-inflammatoire, semble
posséder un mécanisme d’action central non encore élucidé.
Antidépresseurs et antiépileptiques :
A -
Antidépresseurs
:
Les antidépresseurs sont efficaces dans le traitement
des douleurs chroniques bénignes, mais cet effet reste
partiel.
Les douleurs neuropathiques représentent le
contexte pathologique le plus sensible à leurs effets ; les
effets analgésiques sont observés indépendamment de
l’effet thymo-analeptique et en général à doses
inférieures ; les antidépresseurs tricycliques, inhibiteurs
mixtes du recaptage de la sérotonine et de la noradrénaline,
sont plus efficaces que les inhibiteurs spécifiques
de la recapture de sérotonine.
1- Mécanisme d’action :
Les antidépresseurs ont un effet analgésique propre, qui
pourrait passer par une inhibition du recaptage des
mono-amines libérées par les voies descendantes bulbospinales
inhibitrices de la transmission médullaire du
message douloureux.
La meilleure efficacité des antidépresseurs
mixtes pourrait s’expliquer par
les interactions entre sérotonine et noradrénaline dans
la modulation de la douleur.
D’autres mécanismes ont
été évoqués.
2- Pharmacovigilance :
Les produits de référence dans la prise en charge des
douleurs chroniques sont les antidépresseurs tricycliques,
dérivés de l’imipramine (Tofranil) [amitriptyline,
Laroxyl ; clomipramine, Anafranil].
Ces produits présentent
l’inconvénient d’induire des effets indésirables
de nature anticholinergique (constipation, sécheresse
buccale, dysurie voire rétention urinaire, troubles de l’accommodation…)
et une cardiotoxicité en surdosage.
Leur tolérance quotidienne n’est donc pas satisfaisante.
Les inhibiteurs spécifiques du recaptage de la sérotonine
(Floxyfral, Prozac, Séropram, Zoloft, Déroxat) sont
mieux tolérés, mais sont moins efficaces que les tricycliques.
La mise sur le marché de produits, non imipra-miniques, à action mono-aminergique mixte et mieux
tolérés (Effexor, Ixel), pourrait constituer un progrès à
condition qu’ils manifestent une activité
antalgique franche.
B -
Antiépileptiques :
La première démonstration clinique de l’efficacité antalgique
d’un antiépileptique a été faite en 1942 avec la phénytoïne (Di-Hydan) dans la névralgie du trijumeau.
Depuis on a assisté à la large utilisation de la carbamazépine
(Tégrétol) dans cette indication, à l’élargissement
de l’utilisation des antiépileptiques comme antalgiques
dans des douleurs neuropathiques et à la naissance de
nouveaux antiépileptiques.
Une méta-analyse a conclu positivement dans les indications
suivantes : neuropathie diabétique, névralgie du trijumeau,
prophylaxie de la migraine.
Le degré d’efficacité
était au moins égal à celui des antidépresseurs, par
exemple dans la neuropathie diabétique douloureuse.
Des résultats positifs ont également été obtenus dans les
douleurs post-zostériennes.
Il est habituel de considérer
que les antiépileptiques sont particulièrement efficaces
dans les composantes lancinantes de ces douleurs.
1- Mécanisme d’action :
Dans les douleurs neuropathiques, des décharges
électriques spontanées apparaissent le long des fibres
nerveuses altérées.
Ces phénomènes semblent liés à la
surexpression de canaux sodiques.
Les antiépileptiques
préviennent la génération de décharges spontanées ;
plusieurs d’entre eux bloquent le fonctionnement des
canaux sodiques.
Ce mécanisme d’action n’exclut pas
d’autres cibles potentielles et particulièrement au niveau
de la corne postérieure de la moelle.
2- Pharmacovigilance :
Les effets indésirables des antiépileptiques sont assez
inhomogènes.
Le valproate de sodium (Dépakine) a une
bonne tolérance.
La carbamazépine (Tégrétol) est à
l’origine de troubles digestifs et hématologiques qui
peuvent être gênants, associés à une action d’induction
enzymatique.
Cet effet inducteur enzymatique, source
d’interactions médicamenteuses, est retrouvé avec
d’autres produits comme la phénytoïne (Di-Hydan).
Des
antiépileptiques plus récents ont montré une efficacité
dans les douleurs neuropathiques ; il s’agit par exemple
de la gabapentine (Neurontin), dont la tolérance est
satisfaisante ; de la lamotrigine (Lamictal) qui présente
le risque d’induire des syndromes de Lyell.
Règles d’utilisation, posologies :
A -
Antalgiques
:
Le choix de l’antalgique dépend de la nature et de
l’intensité de la douleur.
Il faut rejeter, quel que soit le
contexte douloureux et même pour des douleurs
« banales », l’analgésie à la demande, c’est-à-dire sans administration systématique des produits.
La fréquence
de l’administration doit dépendre de la durée d’action
des produits.
L’efficacité de la prescription doit être
régulièrement évaluée.
Le risque d’effet indésirable doit
être intégré et des attitudes curatives voire préventives
doivent permettre d’en limiter les désagréments.
B -
Modalités de prescription
de la morphine et des morphiniques :
1- Voies d’administration et administration
autocontrôlée par le patient :
Différentes voies sont utilisables : la voie orale privilégiée
pour les douleurs chroniques, en particulier en cancérologie,
les voies intraveineuse, sous-cutanée, péridurale
et plus exceptionnellement les voies directement centrales
(intrathécales ou intra-cérébro-ventriculaires), l’administration
transcutanée.
Pour la morphine, la voie orale
doit être privilégiée, pour sa facilité d’utilisation.
L’administration sous-cutanée peut être intéressante par
exemple dans le contexte des soins de fin de vie où la
voie orale peut être problématique.
La voie transcutanée
a révélé son intérêt avec le fentanyl.
La nécessité de maintenir une couverture antalgique
préventive efficace a conduit à développer le concept
d’administration autocontrôlée par le patient (patient controlled analgesia, PCA).
Cette méthode possède
3 caractéristiques importantes :
– dès que le patient ressent une douleur, il peut déclencher
lui-même une injection de morphiniques ;
– elle permet d’utiliser une administration intraveineuse
de morphiniques assurant une analgésie rapide ;
– elle permet l’utilisation de faibles doses de morphiniques
par voie intraveineuse, du fait de la possibilité
de répéter souvent les injections.
Cette technique est principalement utilisée en postopératoire
avec la morphine.
Le contrôle médical s’exerce
par la détermination des paramètres de la pompe que
sont : la dose de bolus, la période d’interdiction, pendant
laquelle la pompe n’est pas fonctionnelle, et la dose
maximale pour une période de 4 h.
Des protocoles doivent
être établis concernant la prescription, la surveillance
et le traitement des effets indésirables.
2- Modalités de prescription :
Les modalités de prescription des morphiniques varient
en fonction du contexte pathologique.
Elles seront illustrées
dans les douleurs aiguës et chroniques pour les posologies
de la morphine.
• Dans la douleur aiguë, le recours aux morphiniques
dépend de l’intensité de la douleur, qu’il s’agisse d’une
douleur postopératoire ou de douleurs de polytraumatisés,
abdominales, d’infarctus du myocarde.
Si celle-ci
l’impose, la morphine peut être prescrite.
Elle est utilisée
par voie intraveineuse.
La titration se justifie par la nécessité d’adapter individuellement
les doses de morphine du fait de la variabilité
interindividuelle de la concentration minimale efficace, analgésique.
En pratique, on injecte une dose de charge
à intervalles réguliers, de façon séquentielle (0,03 mg/kg
toutes les 10 min), jusqu’à l’obtention d’une analgésie
sans apparition de sédation ou de dépression respiratoire.
L’administration peut se poursuivre par pompe autocontrôlée
ou par injections à intervalles réguliers.
Pour
la morphine, la dose de charge est comprise le plus souvent
entre 5 et 10 mg et ensuite relayée par des injections
itératives de 5 à 10 mg toutes les 3 à 4 h par voie intraveineuse
ou sous-cutanée.
Les règles de surveillance
sont les suivantes : surveillance hémodynamique, du
degré de somnolence, de la fréquence respiratoire et de
l’analgésie avant chaque injection.
Si le patient présente
une sédation importante et une fréquence respiratoire
inférieure à 9 cycles/min : administration d’oxygène et
utilisation de la naloxone (Narcan, une demi-ampoule
de 0,4 mg par voie intraveineuse directe).
La voie intraveineuse présente une sécurité plus importante
que la voie intramusculaire, dont la résorption est imprévisible.
En effet, lors d’une injection intraveineuse de 2,5 à
5 mg, l’effet maximal apparaît après 15 min environ ainsi
que les effets secondaires (bradypnée).
Par voie intramusculaire,
l’effet maximal peut n’apparaître que 30 à 40 min après
l’injection et une bradypnée peut ainsi passer inaperçue.
• Dans la douleur chronique d’origine cancéreuse, la
prescription des morphiniques répond en théorie au
schéma de l’échelle de l’Organisation mondiale de la
santé, mais l’escalade progressive ne constitue pas une
réponse pertinente à toutes les situations douloureuses.
Ainsi, devant une douleur intense, le recours d’emblée à
un morphinique majeur est légitime.
Outre l’intensité
de l’effet obtenu, ce recours permet une adaptation posologique que ne permet pas aussi facilement
l’emploi des opiacés faibles et peut assurer un rapport
bénéfice-effet indésirable supérieur à celui de fortes
doses d’opiacés faibles.
Le recours à la morphine dans les douleurs cancéreuses
est habituel.
La posologie doit être adaptée à chaque
sujet.
La dose initiale, administrée par voie orale, est de
60 mg/j répartis en 6 prises, s’il s’agit d’une forme à
libération immédiate, ou en 2 prises pour Moscontin et
Skenan.
En cas d’insuffisance de soulagement lors de la
première journée de traitement, des doses intermédiaires
de 10 mg de morphine à libération rapide peuvent être
administrées.
La posologie du lendemain correspond, si
la sédation de la douleur a été satisfaisante, à la dose
totale reçue le premier jour, répartie en 6 ou 2 prises en
fonction des formes prescrites. Dans l’hypothèse inverse,
la posologie est augmentée de 50 %, jusqu’à obtention
d’une analgésie correcte.
Cette augmentation doit bien
évidemment tenir compte de l’état clinique du patient,
des effets indésirables éventuels, du niveau de doses où
l’on se situe.
Des produits à cinétique de libération du
principe actif plus lente (Durogesic, Kapanol) peuvent
être utilisés comme traitement de fond.
L’obtention d’un
niveau d’analgésie stable n’exclut pas la nécessité de
l’évaluer régulièrement.
La morphine n’a pas d’effet
plafond ce qui explique que des doses importantes
(1 000 mg ou plus) puissent quelquefois être atteintes,
certes progressivement.
Outre les doses intermédiaires utilisées en début de
traitement, une stratégie thérapeutique consiste à ajouter
sur un traitement morphinique de fond des doses ponctuelles
(interdoses) dans l’objectif de mieux couvrir
d’éventuels paroxysmes douloureux, qu’il s’agisse de
prévenir une douleur provoquée (soins, mobilisation) ou
de soulager un accès installé.
• Ces interdoses permettent de ne pas augmenter la
posologie du traitement continu, suffisante pour neutraliser
le fond douloureux, et d’éviter ainsi la survenue
d’effets indésirables.
Les nouvelles formes de morphine
à libération immédiate sont particulièrement opportunes
ici.
La dose pour chaque prise est de 10 % de la dose
quotidienne.
Le délai entre 2 interdoses ne doit pas être
trop court, au moins supérieur à 1 h.
Le traitement de
fond doit bien sûr être modifié si la plainte douloureuse
justifie un nombre trop élevé d’interdoses (4/j ou plus).
• La rotation des opioïdes est une stratégie thérapeutique
mise en oeuvre dans le cadre de la douleur cancéreuse,
qui consiste à remplacer un morphinique par un
autre dans l’objectif d’améliorer le rapport bénéficerisque.
Deux situations cliniques peuvent expliquer un
mauvais rapport bénéfice-risque : une analgésie inefficace
malgré l’augmentation des doses (reflet d’une possible
tolérance), la survenue d’effets indésirables trop
intenses.
Le rationnel pharmacologique de cette stratégie
tiendrait d’une part à l’existence d’une tolérance croisée
incomplète entre les morphiniques, la réduction d’effet
observée avec un morphinique peut ne pas se
reproduire (ou partiellement) avec un autre ; d’autre part
à des profils pharmacologiques légèrement différents
entre les morphiniques, liés à l’existence de variants de
récepteurs opiacés (par exemple mu) vis-à-vis desquels
les produits n’auraient pas la même affinité ; enfin, à des
différences de métabolisme.
Les recommandations actuelles sont de ne pas galvauder
cette stratégie et de ne pas confondre rotation d’opioïdes
avec « valse » des opioïdes.
Ce changement ne doit
s’effectuer qu’après analyse précise de la situation
clinique et exploration préalable de toute autre alternative
(évaluation de la progression de la maladie, correction
d’éventuelles anomalies organiques ou biologiques, évaluation
et correction éventuelle des effets indésirables et
des interactions médicamenteuses).
En conclusion, si la
rotation des opioïdes est une stratégie supplémentaire
pour la prise en charge de la douleur cancéreuse, on doit
rester prudent dans ses indications et vigilant lors du
changement pour assurer un bon ajustement des doses
pour chaque patient.
En France, on ne dispose que de
2 produits pour assurer le changement de la morphine :
l’hydromorphone et le fentanyl en patch.
• Dans des douleurs chroniques non cancéreuses qui
touchent une sous-population de patients, celle-ci peut
bénéficier de l’administration d’opiacés au long cours avec
une bonne efficacité et une amélioration de la qualité de vie.
L’ensemble de ces douleurs regroupe les douleurs ostéoarticulaires,
neurogènes et dermatologiques.
Concernant les douleurs rhumatologiques, le Cercle
d’étude de la douleur rhumatologique a élaboré en 1999
des recommandations sur l’utilisation de la morphine en rhumatologie non cancéreuse « recommandations de
Limoges ».
Bien que ces recommandations n’aient pas
été validées, elles sont le reflet d’une modification des
mentalités pour permettre d’utiliser la morphine d’une
façon plus rationnelle et d’améliorer la prise en charge
des patients douloureux chroniques en rhumatologie.
Elles orientent la prescription comme suit : « la dose
initiale préconisée se situera entre 10 et 30 mg de sulfate
de morphine à libération prolongée, administrée par
voie orale 2 fois/j à horaire fixe, en tenant compte du terrain.
Des posologies faibles seront instituées chez les
sujets âgés, insuffisants rénaux ou hépatiques.
Un ajustement posologique se fera par paliers (lors de chaque
consultation prévue) en augmentant au plus de 50 % la
dose journalière.
Une surveillance rapprochée, au minimum
à J14 et J28, sera instituée pour apprécier les effets
indésirables et l’efficacité de la morphine jusqu’à obtention
d’une posologie optimale.
Un complément antalgique
sera prescrit dans le cas de douleurs fluctuantes
(paracétamol, morphine à libération immédiate). »
Concernant les douleurs neurogènes, on sait aujourd’hui
que les morphiniques peuvent être utiles dans un certain
nombre de cas, mais il n’existe aucune étude permettant
d’identifier des types de douleurs ou des caractéristiques
précises de la douleur (allodynie ou hyperalgésie, par
exemple), prédictifs d’une réponse favorable.
Les
recommandations pour une utilisation au long cours des
morphiniques dans les douleurs neurogènes chroniques
sont superposables aux recommandations de Limoges.