Analgésie et anesthésie foetales Cours de
Gynécologie
Obstétrique
Introduction
:
Le développement des techniques d’exploration et des traitements
invasifs in utero (ponction, injection, drainage, biopsie ou
intervention chirurgicale) a imposé de recourir à une immobilisation,
voire à une véritable anesthésie du foetus, pour limiter les
contraintes ou les complications de ces techniques.
Secondairement,
la question de la perception douloureuse du foetus à l’occasion de
gestes invasifs s’est imposée, d’une part par ses aspects éthiques
indiscutables, et d’autre part par la meilleure connaissance du
retentissement vital ou neurodéveloppemental lié aux réactions
douloureuses ou de stress.
Développement des voies
de conduction de la douleur
chez le foetus :
Le développement très précoce, dès la septième semaine, des
connexions périphériques (récepteurs nociceptifs et voies nerveuses
efférentes) suggère un rôle essentiel du signal nociceptif dans le
schéma du développement neuroanatomique.
Les récepteurs
cutanés apparaissent en premier lieu à la face, aux mains et à la
plante des pieds (15 semaines), puis sur le tronc et les bras, pour
couvrir l’ensemble de la surface cutanée vers 20 semaines.
Les
voies afférentes se mettent en place entre la sixième et la dixième
semaine.
Le processus de myélinisation est plus tardif. Le
développement des structures neuroanatomiques supérieures thalamocorticales se constitue dès la 20e semaine.
Les connexions spinothalamiques sont établies à partir de cette date et leur
myélinisation n’est complète que vers 29 semaines.
Les premières
connexions thalamocorticales sensorielles n’apparaissent au niveau
des régions frontales qu’entre 22 et 26 semaines.
Avant cette
période, il n’a pas d’influx sensoriel transmis au cortex, même si
d’autres connexions neuronales thalamocorticales et corticocorticales
sont en place de façon transitoire entre 20 et 26 semaines.
La
maturation du thalamus est plus précoce que celle des zones
corticales ; 40 % des connexions synaptiques concernent les voies
sensorielles, les 60 % restants sont en rapport avec les voies
descendantes du cortex.
En résumé, avant 22 semaines, les voies neuroanatomiques
ascendantes ne sont pas complètement développées, entre 22 et
26 semaines les connexions augmentent et, à partir de 26 semaines,
les voies de perception sont fonctionnelles.
L’intégrité de l’ensemble
du système, de la périphérie jusqu’au cortex, est considérée comme
nécessaire à la perception de la douleur.
Le développement des systèmes régulateurs, notamment le système
inhibiteur sérotoninergique, suit une maturation plus tardive, après
40 semaines.
Cette immaturité se traduit par une amplification des
signaux nociceptifs.
Enfin, une différence notable par rapport aux
voies sensitives matures concerne l’absence de spécialisation des
fibres de conduction. Les récepteurs cutanés sont connectés aux
voies de conduction spinales de la douleur mécanique.
De plus, la
surface cutanée nécessaire au déclenchement des stimulations est
plus importante : moindre densité des récepteurs et surface afférente
d’une fibre neuronale transmettrice plus grande.
Ces derniers points permettent de comprendre que les réactions
réflexes de retrait restent aspécifiques et qu’elles peuvent être
provoquées par des stimulations nociceptives, mais également par
toutes sortes d’autres stimulations (kinétiques, thermiques).
L’activité électroencéphalographique, qui par certains aspects traduit
l’existence de connexions thalamocorticales, est décelable dès
20 semaines, mais ne commence à être synchrone que vers 26 semaines.
De même, l’étude des potentiels évoqués visuels ou somesthésiques confirme que l’identification de signaux sensoriels
n’est détectée au niveau du cortex que vers 24 semaines et qu’ils ne
deviennent matures que vers 27 semaines.
Réactions foetales aux stimulations :
A - RÉACTIONS NEUROMOTRICES FOETALES :
En période néonatale, l’évaluation de la douleur est fondée sur
l’analyse de critères comportementaux (réactions faciales ou de
gesticulation, cris) ou de critères physiologiques (rythme cardiaque,
oxygénation), ces critères ayant été validés pour des nouveau-nés
très prématurés.
Toutefois, la réponse du foetus aux stimulations douloureuses est
difficile à apprécier, car le développement des réflexes moteurs
concerne à cet âge des voies essentiellement sous-corticales,
spinothalamiques, dont la myélinisation est incomplète.
L’immaturité des voies de conduction et des systèmes modulateurs
a pour conséquence un seuil réflexe plus bas qu’un système mature.
La réflectivité est d’abord observée au niveau de la bouche, puis
s’ajoute la participation des mains et des pieds vers 14-15 semaines,
avec des mouvements réflexes de large amplitude et de longue
durée.
Si l’expression faciale est un critère bien documenté et
pertinent pour l’évaluation de la douleur en période néonatale, il ne
peut être retenu pour l’évaluation de la douleur foetale.
Les autres
réactions comportementales sont en grande partie de nature réflexe
et sont non spécifiques de la stimulation douloureuse ; elles peuvent
d’ailleurs être observées alors que les connexions cérébrales
corticales sont absentes (décortication).
Ces différences rendent
l’analyse de la concordance entre réactions motrices observées et
intensité de la stimulation douloureuse très incertaine.
B - RÉACTIONS NEUROENDOCRINIENNES :
Les données scientifiques concernant les réactions hormonales au
stress, d’abord déclinées d’études réalisées chez le prématuré,
concernent actuellement les procédures invasives foetales.
L’activation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien peut être
évaluée par le dosage de certaines hormones de stress comme la
noradrénaline, le cortisol et la b-endorphine.
Des dosages effectués
à l’occasion de prélèvements de sang foetal confirment une élévation
de ces marqueurs hormonaux de stress uniquement en cas de
ponction directe du foetus (abord vasculaire portal transhépatique),
alors que la ponction du cordon à distance du foetus n’induit aucune
modification des taux hormonaux.
L’élévation des taux
hormonaux est observée dès la 18e semaine.
La comparaison des
dosages foetaux et maternels montre que la réponse foetale est
indépendante de la réponse maternelle.
Par ailleurs, l’élévation du
taux d’endorphine est constatée dès 18 semaines, de façon
indépendante de l’âge gestationnel, alors que l’élévation du cortisol
est constatée à partir de 20 semaines et reste dépendante de l’âge
gestationnel du fait des processus maturatifs de l’axe hypothalamosurrénalien.
Cependant, l’activation des systèmes hormonaux ou des
neurotransmetteurs est non spécifique de la douleur.
Ces réactions
sont observées chez des patients inconscients ou sous anesthésie,
voire plus simplement au cours de l’exercice physique.
C - RÉACTIONS PHYSIOLOGIQUES OU VÉGÉTATIVES :
L’étude des réactions physiologiques par échographie doppler met
en évidence une remarquable capacité d’adaptation
hémodynamique du foetus, avec notamment redistribution du débit
sanguin vers le cerveau et le coeur, en cas de stress par retard de
croissance ou hypoxémie.
Cette adaptation circulatoire a
également été confirmée à l’occasion de procédures invasives in
utero avec abord direct du foetus (ponction transhépatique, ponction
évacuatrice épanchement thoracique, drainage), alors qu’elles sont
absentes en cas de ponction du cordon ombilical.
Cependant, les
modifications de vélocité au niveau des vaisseaux cérébraux sont
contradictoires, notamment en ce qui concerne des différences selon
le site de ponction.
Le relargage de substances vasoactives a été
suggéré, la faible réponse des foetus hypoxémiques ou acidotiques
pouvant être expliquée par une réponse vasodilatatrice inadaptée.
Les données les plus récentes confirment une réponse
hémodynamique cérébrale consécutive aux actes invasifs de
ponction pariétale du foetus, indépendante de l’âge gestationnel,
observée dès 16 semaines, d’apparition rapide (70 secondes) et
prolongée pendant toute la durée de la ponction.
Les mécanismes
impliqués dans ces processus d’adaptation hémodynamique restent
mal connus.
D - RÉACTIONS FOETALES ET NOCICEPTION :
S’il semble bien établi que les stimulations cutanées douloureuses
vont donner lieu à des réponses physiologiques, comportementales
et métaboliques, dont certaines sont quantifiables, il n’est cependant
pas possible de leur accorder la moindre spécificité.
Les données disponibles suggèrent que l’élaboration de la sensation
douloureuse est fonctionnelle vers 26 semaines et fait appel à des
mécanismes transitoirement différents entre 22 et 26 semaines.
Cependant, l’intégration corticale de la douleur ne représente pas
l’aspect exclusif du problème, mais aussi le retentissement de ces
différentes réactions foetales, notamment physiologiques et
métaboliques, à une phase du développement cérébral
particulièrement vulnérable.
Conséquences des réactions de stress
ou de perception douloureuse :
Le développement normal du cerveau est un long processus
caractérisé par l’expression transitoire d’un programme de
croissance : mise en place du tube neural, prolifération des neurones
et des cellules gliales, taille et type de neurones, mort cellulaire
programmée, interactions neurones/glie, synaptogenèse,
stabilisation des synapses et myélinisation.
La modulation de ce
programme est dépendante de facteurs de croissance d’origine placentomaternelle ou foetale, d’hormones et de certains
neurotransmetteurs et/ou récepteurs qui jouent le rôle de
morphogènes.
Les facteurs régulant l’apoptose jouent un rôle
déterminant dans le développement des voies somesthésiques.
Ce
processus débute vers 13 semaines et se poursuit jusqu’au terme.
L’activation du système excitotoxique et des récepteurs N-méthyl-Daspartate
(NMDA), dont la densité est maximale aux phases du
développement cérébral sensibles, est impliquée dans la genèse des
phénomènes de sensibilisation centrale lors des stimulations
nociceptives intenses et prolongées.
Les études animales
confirment la vulnérabilité du développement du système
nerveux.
La stimulation douloureuse répétée induit des
modifications comportementales contemporaines de remaniements
structuraux au niveau de la corne dorsale de la moelle.
Ces
données expérimentales ont conduit à élaborer une hypothèse
physiopathologique faisant intervenir, au niveau de certaines zones
cérébrales, l’activation des processus excitotoxiques responsables de
phénomènes apoptotiques à l’origine de remaniements structuraux
et fonctionnels du cerveau immature.
Ce concept
d’hyperstimulation répétée ou aiguë permet d’établir un lien entre
les altérations induites à une phase précoce du développement
cérébral et le retentissement à long terme.
Le suivi à long terme
des nouveau-nés exposés à un stress néonatal confirme la relation
entre l’exposition à des douleurs répétées précoces et des altérations neuropyschologiques complexes.
Les réactions comportementales
à la douleur et le seuil de perception sont différents.
Par ailleurs,
il apparaît indiscutable que le stress et la douleur, en période
néonatale, ont également d’autres conséquences neurocomportemenales
à long terme : troubles cognitifs, difficultés
d’attention, troubles du comportement.
Les conséquences des réactions de stress commencent a être bien
étudiées chez le nouveau-né.
La réponse physiologique associant
fluctuation de la fréquence cardiaque, de la pression artérielle, du
débit sanguin cérébral, est considérée comme un des facteurs de
risque de morbidité ou de mortalité néonatale, en particulier par
son implication dans les mécanismes lésionnels cérébraux hémorragiques ou
ischémiques.
L'ensemble de ces arguments suggère que l'expérience douloureuse
répétée ou intense, ou les phénomènes de stress concomitants, ont
un retentissement a long terme.
Les études menées en période néonatale confirment que ces complications peuvent
être diminuées
ou prévenues par une prise en charge thérapeutique antalgique
adaptée.
Si la justification d'une prise en charge thérapeutique lors de gestes
invasifs chez le foetus a partir de 24-26 semaines est soutenue par
une argumentation neuroanatomique et neurophysiologique
indiscutable, avant cette date, les avis sont controverses.
Moyens disponibles
:
Plusieurs techniques peuvent etre proposées : l'anesthésie peut être
obtenue via la mère par diffusion transplacentaire, ou par
administration foetale.
La plupart des agents pharmacologiques disponibles ne sont pas ou
très rarement employés en période anténatale.
Les données
pharmacodynamiques ne peuvent pas être complètement extrapolées du prématuré au foetus en raison de
caractéristiques métaboliques et hémodynamiques très différentes.
Par ailleurs, les études de pharmacodynamique foetale sont difficiles et celles
réalisées au cours des échanges transfusionnels sont en partie
biaisées, car une quantité variable du produit est soustraite au cours
des échanges.
La dose administrée n'est pas toujours bien corrélée
au poids foetal dont l'estimation peut être difficile.
Ainsi, les foetus
les plus jeunes ont-ils un risque d'être surdoses. Inversement, les
plus ages peuvent etre sous-doses.
La prédiction du poids foetal tient
compte habituellement d'une équation incluant le diamètre bipariétal, le
périmètre abdominal et la longueur fémorale (formule
de Haddock).
En cas d'anasarque, ces paramètres peuvent être
modifies, et dans ce cas la valeur de poids estime correspond au 50e
percentile pour l'age gestationnel.
A - AGENTS ANESTHESIQUES INHALES
AU COURS D'UNE ANESTHESIE MATERNELLE
:
Les agents anesthésiques inhales (halothane, isoflurane) présentent
un excellent passage transplacentaire car ce sont des substances non
ionisées, très liposolubles.
Les effets anesthésiques sur le foetus
s'expliquent par une bonne captation foetale, un rapport veine
ombilicale/artère ombilicale égal a 2,9 et une élévation rapide de la
concentration au niveau cérébral.
Les concentrations foetales sont
donc directement liées aux concentrations maternelles et a la durée
de l'anesthésie maternelle.
Cependant, l'accumulation dans le
compartiment foetal est progressive et peut être perturbée par
certaines conditions métaboliques ou hémodynamiques.
Au cours
de la chirurgie foetale, l'anesthésie maternelle n'est pas toujours
suffisante pour anesthésier le foetus de façon adéquate, ce qui a
conduit a des techniques complémentaires d'analgésie avec injection
directe de morphinique et de curare au cordon.
B - ADMINISTRATION DE MORPHINIQUE
OU DE SEDATIF A LA MÈRE :
Le passage transplacentaire des opiaces est faible, 30 % pour le
fentanyl 10 minutes après l'injection d'une dose de 1 µg/kg.
L'obtention d'effets chez le foetus n'est possible qu'en augmentant
les doses administrées a la mère et en risquant de l'exposer a un
risque dépresseur respiratoire.
Toutefois, l'administration prolongée,
telle qu'elle peut être constatée en clinique lors de la prise régulière
de benzodiazépines, permet un taux d'équilibre stable entre les
compartiments foetaux et maternels.
La sédation peut être réalisée par administration maternelle de
benzodiazépines ou de barbituriques, mais les résultats sont
décevants.
Les barbituriques, très liposolubles, présentent un
excellent passage transplacentaire (molécule non ionisée), mais la
concentration dans la circulation foetale baisse très rapidement en
raison d'une redistribution vers le compartiment maternel.
L'augmentation des doses fait courir un risque de dépression
respiratoire ou d'hypotension artérielle pour la mère.
Par ailleurs, les données disponibles sur les mécanismes du transfert
placentaire concernent plutôt la fin du troisième trimestre, a une
période ou les mécanismes de diffusion passive par gradient sont
maximaux.
Plus précocement dans la grossesse, la plupart des
mécanismes mis en jeu ont pour conséquence un taux de transfert
réduit.
C - INJECTION INTRA-AMNIOTIQUE :
Les données expérimentales ne sont pas concluantes.
L'absorption cutanée est insuffisante pour permettre un taux
thérapeutique
correct.
D - ANESTHESIE LOCALE :
L'anesthésie locale est théoriquement praticable pour la plupart des
effractions cutanées et pariétales (ponctions, drains).
L'infiltration de lidocaine (Xylocainet), a la dose de 3 a 5 mg/kg, s'accompagne
d'une absorption très rapide.
Les effets hémodynamiques délétères
ne s'observent que pour de fortes doses.
Si l'anesthésie locale
maternelle est toujours proposée en l'absence d'anesthésie générale,
en revanche, aucune description d'anesthésie locale foetale n'est
décrite dans la littérature.
L'injection sous-cutanée ou
intramusculaire semble en effet peu pratique car elle implique un
geste supplémentaire, éventuellement douloureux, avec un risque
lésionnel non négligeable.
E - IMMOBILISATION FOETALE :
Il s'agit, pour ce type d'agents, d'une administration directe au
foetus.
Les faibles doses utilisées, compte tenu du poids foetal, ne
sont pas dangereuses pour la mère en cas d'injection accidentelle.
Le faible passage transplacentaire n'expose pas non plus a un risque
de redistribution vers le compartiment maternel après injection
foetale.
L'utilisation des curares chez le foetus est particulière, car
la maturation des voies de transmission neuromusculaire est
incomplète : la vitesse de conduction nerveuse est ralentie, la
jonction neuromusculaire est peu ramifiée et la quantité
d'acétylcholine disponible au niveau de la synapse est limitée. Les
principaux produits utilises sont des curares non dépolarisants.
Ils
agissent en compétition avec l'acétylcholine au niveau des
récepteurs de la membrane postsynaptique.
L'agent le plus utilise
est le vecuronium bromure (Norcuront).
Cette molécule est peu liée
aux protéines plasmatiques (25 %), son métabolisme est
principalement hépatique et son élimination est biliaire.
Le délai
d'action est très bref (1 a 3 minutes) et la durée d'action est de
30 minutes en moyenne.
Le métabolisme et le mode d'élimination
doivent être pris en considération si la fonction hépatique est
perturbée (curarisation pour transfusion en raison d'une anémie
foetale allo-immune).
La tolérance cardiaque du vecuronium
bromure semble satisfaisante, aucun changement significatif du
rythme cardiaque foetal n'est observe.
F - ADMINISTRATION FOETALE DE MORPHINIQUES :
Les données de pharmacocinétique concernant les morphiniques
commencent a être mieux connues chez le nouveau-né et le
prématuré.
Les effets secondaires, en particulier la dépression
respiratoire, n'ont aucune incidence lors d'une administration
anténatale.
L'injection directe en bolus a doses thérapeutiques n'a
pas de retentissement hémodynamique.
La réduction de la
reponse métabolique et endocrinienne au stress est certainement d’un grand intérêt pour les gestes les plus invasifs.
Les deux
produits de référence sont le fentanyl et le sufentanil.
Le fentanyl est un produit liposoluble.
Sa pharmacocinétique est
dépendante de la fonction hépatique, ce qui explique une demi-vie
prolongée chez le prématuré (6 à 32 heures).
La posologie préconisée
est de 2 à 5 µg/kg.
Le sufentanil est le morphinique de synthèse le plus puissant.
Il est
également très lipophile et se distribue rapidement dans tous les
tissus.
Sa pharmacocinétique est identique à celle du fentanyl.
La
posologie recommandée est de 0,1 à 0,3 µg/kg.
Implications pratiques
:
Plusieurs champs d’application de l’anesthésie ou de l’analgésie
foetale peuvent être envisagés.
Certains sont relativement explorés
et mis en oeuvre en pratique, même si les indications restent rares,
comme la chirurgie foetale.
D’autres ont été nécessaires pour
améliorer les conditions techniques d’examens réalisés en
anténatal, comme l’immobilisation par sédation ou curarisation du
foetus.
Le chapitre encore débattu concerne l’utilisation d’une
analgésie lors des procédures invasives foetales et en cas
d’interruption de la grossesse avec foeticide.
Les recommandations
du Royal College of Obstetricians and Gynaecologists suggèrent que
la question d’un traitement analgésique doit être prise en compte à
partir de 24 semaines.
Les données cliniques sont encore très
limitées.
L’analgésie est proposée systématiquement par certains.
D’autres équipes soulignent les difficultés de l’évaluation de ce type
de thérapeutique et la nécessité de poursuivre des études dans ce
domaine.
La faisabilité technique ne semble pas le problème
principal, mais bien l’évaluation de l’efficacité, de la voie
d’administration optimale, de la posologie et, en dehors de
l’indication pour arrêt de vie foetale, de l’absence de retentissement
ultérieur sur le développement des structures cérébrales.
A - TECHNIQUES D’IMAGERIE IN UTERO
:
L’imagerie par résonance magnétique (IRM) intra-utérine est
perturbée par les mouvements foetaux. L’utilisation d’un curare,
administré par voie funiculaire, permet d’améliorer la qualité de
l’examen.
Néanmoins, les complications de la cordocentèse font
discuter la justification d’une curarisation foetale pour IRM, d’autant
que de bons résultats sont rapportés après sédation maternelle.
B - TRANSFUSION OU EXSANGUINOTRANSFUSION
IN UTERO
:
Le premier objectif des opérateurs a été d’obtenir une immobilité
foetale afin de réduire le risque lésionnel, de déplacement de
l’aiguille ou de ponctions répétées.
Dans cette indication, ce sont
exclusivement les curares qui sont utilisés.
Les posologies proposées
sont faibles et ne présentent aucun danger pour la mère, même en
cas d’injection accidentelle.
Le vécuronium bromure a également été
utilisé avec succès dans cette indication (exsanguinotransfusion), à
la dose de 75 à 150 µg/kg.
Le délai d’action est bref (77 secondes
en moyenne) et la durée d’action excède rarement 45 minutes
(23 ± 7 minutes), ce qui est suffisant pour l’exsanguinotransfusion.
Cette courte durée d’action a plusieurs avantages :
– elle permet une récupération rapide de la perception des
mouvements actifs par la mère, alors que cet élément clinique est
perturbé de façon prolongée avec les autres agents myorelaxants ;
– le risque de malpositions foetales (lésions squelettiques, flexion
marquée du rachis ou des extrémités), secondaires à une paralysie
prolongée, est théoriquement évité, bien qu’il semble peu probable
après une curarisation unique ;
– en cas d’accouchement prématuré compliquant la ponction foetale,
la paralysie respiratoire est levée à la naissance ou de courte durée,
voire accessible à des traitements antagonistes.
L’adjonction d’un morphinique en cas d’abord vasculaire transhépatique peut être réalisée dans le même temps, sans geste
supplémentaire.
C - PONCTION. DRAINAGE. BIOPSIE :
Dans ces indications, en dehors de l’anesthésie locale maternelle, le
plus souvent aucun agent anesthésique n’est utilisé.
Il semble
légitime de proposer l’adjonction d’un traitement analgésique dans
les indications suivantes : ponctions pariétales avec une aiguille de
gros calibre et effractions profondes.
D - ANESTHÉSIE MATERNOFOETALE À LA NAISSANCE
:
Une autre approche thérapeutique a été proposée en cas
d’épanchement pleural foetal abondant : la thoracocentèse,
réalisée sous anesthésie générale maternelle (passage
transplacentaire des drogues anesthésiques), juste avant l’extraction
par césarienne pour éviter les difficultés de la réanimation néonatale.
Une autre série confirme l’intérêt de cette technique lorsqu’une prise
en charge immédiatement à la naissance doit être envisagée :
réduction des troubles hémodynamiques et de l’aérophagie chez des
foetus porteurs d’anomalies dépistées in utero (hernie
diaphragmatique, omphalocèle, malformation adénomatoïde
pulmonaire...).
E - CHIRURGIE FOETALE À UTÉRUS OUVERT
:
Les données expérimentales animales de chirurgie in utero
confirment l’existence d’altérations hémodynamiques profondes
secondaires à la décharge de catécholamines d’origine endo- ou
exogène.
Ces réactions peuvent être diminuées par une anesthésie
spinale foetale ou par l’usage de morphiniques.
La prise en charge anesthésique, lors d’une chirurgie foetale in utero,
répond à plusieurs objectifs :
– assurer la sécurité maternelle ;
– permettre la chirurgie foetale ;
– éviter l’hypoxie foetale peropératoire ;
– assurer le confort et la sécurité postopératoires maternels.
L’anesthésie maternelle comporte une induction par fentanyl (2 à
3 µg/kg), thiopental (6 mg/kg) et Célocurinet (1,5 mg/kg).
La
ventilation en oxygène pur permet d’optimiser l’oxygénation foetale.
L’entretien de l’anesthésie peropératoire est réalisé avec un gaz
halogéné (isoflurane).
L’anesthésie foetale est en grande partie liée
au bon passage transplacentaire des agents halogénés maternels.
Les
autres agents anesthésiques ne sont pas suffisants et les curares non
dépolarisants ne permettent pas d’assurer une paralysie foetale
correcte.
Certaines équipes se contentent de l’anesthésie foetale
assurée par le passage des agents halogénés, d’autres complètent
cette anesthésie par une véritable anesthésie foetale : injection
funiculaire de curare (vécuronium bromure 100 µg/kg) et de
fentanyl (10 µg/kg).
F - ANALGÉSIE ET INTERRUPTION MÉDICALE
DE GROSSESSE
:
Une interruption médicale de grossesse peut être décidée pour des
raisons maternelles ou foetales.
Dans un premier temps, les objectifs
prioritaires ont été d’élaborer une thérapeutique efficace, avec un
délai d’expulsion rapide et qui permette une grossesse ultérieure le
plus proche possible de la « normale ».
L’utilisation de
prostaglandines a permis de faire disparaître les hystérotomies du
deuxième trimestre, sources de césariennes itératives.
Dans un
second temps, les psychiatres nous ont aidés à prendre conscience
de la nécessité pour le couple de bénéficier d’un encadrement
psychologique adapté, avec le développement de la notion de deuil
anténatal et de ses conséquences.
Le déclenchement du travail au troisième trimestre aboutit à la
naissance d’un enfant vivant, pour lequel l’euthanasie active est à la fois illégale et insupportable.
Certaines situations exceptionnelles
amènent parfois à discuter, en concertation avec les parents, un
accompagnement néonatal vers le décès de l’enfant.
Le plus
souvent, il est donc indispensable d’éviter cette situation par un
geste prénatal d’arrêt de vie in utero.
Les interruptions médicales
de grossesse tardives ont particulièrement sensibilisé les équipes
médicales qui souhaitent éviter toute agression foetale inutile.
Une
enquête récente, sous l’égide du Club francophone de médecine
foetale, permet de décrire les aspects pratiques de la prise en charge
des interruptions médicales de grossesse.
Les résultats confirment
qu’un geste foeticide est réalisé in utero par la majorité des équipes,
le plus souvent réalisé après 24 semaines, parfois associé à une
analgésie préalable funiculaire ou intracardiaque.
Une analgésie
maternelle obstétricale par voie péridurale est le plus souvent
effectuée.
La pratique habituelle de l’arrêt de vie consiste en l’injection de
chlorure de potassium dans le cordon ou en intracardiaque.
L’injection de chlorure de potassium hypertonique peut induire des
phénomènes douloureux.
Les ponctions intracardiaques sont
vraisemblablement douloureuses, car parfois difficiles et itératives.
Les pratiques anesthésiques concernant la mère sont actuellement
assez bien codifiées : une analgésie péridurale, associée à une
sédation légère, assure un confort maternel lors de ce geste, tout en
évitant les risques d’une anesthésie générale.
L’alternative en cas de
contre-indication à l’analgésie péridurale consiste à administrer des
morphiniques en intraveineux par une pompe d’analgésie
autocontrôlée.
Des sédatifs doivent être éventuellement être
ajoutés.
Cependant, la qualité de l’analgésie foetale procurée par
la sédation maternelle reste incertaine et probablement insuffisante.
L’abord vasculaire foetal est une technique de pratique courante en
médecine foetale.
La confirmation et l’identification du vaisseau
ponctionné sont possibles grâce aux techniques de doppler haute
résolution.
À partir de 24 semaines, après abord vasculaire au
niveau du cordon, l’analgésie et l’injection foeticides peuvent être
réalisées lors de la même procédure : l’injection d’un morphinique
puissant (fentanyl ou sufentanil) peut être proposée en préalable à
l’injection de chlorure de potassium.
Aucune complication
maternelle, notamment compte tenu du risque théorique de gradient
de diffusion passif du potassium, n’a été relevée au cours de telles
procédures, pratiquées par des équipes entraînées (communication
personnelle Y Ville, MV Senat).
L’indication d’un traitement anesthésique foetal semble également
justifiée dans les situations, certes exceptionnelles, où une
malformation foetale non viable (hydrocéphalie majeure, anasarque
sévère...) risque de poser un problème dystocique et impose de
réaliser, avant l’expulsion, un morcellement foetal.
Conclusion
:
Les données expérimentales confirment l’existence de réactions
hormonales comparables à celles observées chez l’enfant et l’adulte lors
de procédures douloureuses.
La réalisation de gestes techniques invasifs,
même s’ils sont effectués chez des foetus en grande détresse vitale,
impose, comme cela a été fait chez le nouveau-né et le prématuré, de
prendre en compte la réaction neurosensorielle et de réfléchir au bénéfice
d’une thérapeutique anesthésique adaptée.
Des recherches doivent être entreprises pour mieux connaître le passage transplacentaire des analgésiques au cours du deuxième trimestre et les
effets à long terme des gestes thérapeutiques in utero.
Les autres sujets
d’étude, dont certains peuvent bénéficier des données cliniques de la
période néonatale, concernent l’évaluation des traitement antalgiques et
la meilleure connaissance des effets à long terme sur le développement
cérébral.