Abord chirurgical de l'artère carotide interne intrapétreuse Cours de Chirurgie
Introduction
:
L’abord chirurgical de l’artère carotide interne au niveau de la base du
crâne pour des lésions dysplasiques, anévrismales ou traumatiques
impose le contrôle de cet axe vasculaire dans la portion verticale de son
segment intrapétreux.
La technique la mieux adaptée nous paraît être un
abord infratemporal antérieur, sans dérouter le nerf facial et en
respectant l’oreille externe et moyenne.
Elle impose la collaboration
d’une équipe associant oto-rhino-laryngologues et chirurgiens
vasculaires.
Rappel anatomique
:
L’entrée du canal carotidien se situe à la face inférieure de l’os temporal
.
Le canal osseux qui lui fait suite est composé de trois segments :
– le premier est vertical et court, ne dépassant pas 5 mm de hauteur ;
– le second est un coude au contact de la paroi antérieure de la caisse du
tympan ;
– le troisième segment est plus long, il côtoie médialement le tube
auditif de telle sorte que son abord chirurgical nécessite le sacrifice de
ce dernier ; son orifice supérieur de sortie appelé foramen lacerum se
situe dans l’endocrâne, tout près de l’apex pétreux.
L’orifice du canal carotidien est situé à 1 cm médialement par rapport à
l’apophyse styloïde, au contact de la veine jugulaire interne qui est située
en arrière, alors que la portion rétrécie du foramen jugulaire et donc
l’émergence des nerfs mixtes, sont immédiatement en dedans et en
profondeur.
La portion verticale du canal est séparée de la caisse du tympan par le
tympanal.
Le fraisage de l’apophyse vaginale du tympanal ouvre
la berge postéroexterne de cette portion verticale.
La berge externe de la
portion horizontale est en rapport direct avec la scissure de Glaser et
donc en rapport avec le tube auditif.
Immédiatement en avant de
l’apophyse vaginale se trouve l’épine du sphénoïde, qui constitue un
contrefort en dehors de l’artère méningée moyenne qui pénètre par le
foramen spinosum.
Le dégagement de l’apophyse vaginale doit être
prudent vers l’avant et il faut repérer l’artère méningée moyenne avant
sa pénétration dans son canal osseux.
Plus en avant se trouve le foramen rotondum laissant passage au nerf maxillaire inférieur.
Techniques chirurgicales
:
A - Abord du segment vertical intrapétreux
:
Elle réalise une pétrectomie antérieure.
1- Installation
:
Le patient doit subir un shampooing avec de la bétadine avant de
procéder à un rasage soigneux, périauriculaire, large de 4 cm au-dessus
et en arrière de l’oreille.
En salle d’opération, un nouveau shampoing à
la bétadine est nécessaire.
Les mèches de cheveux sont rabattues en
dehors du champ opératoire et gominées.
Le malade est couché en
décubitus dorsal, la tête dans une têtière ou plus simplement sur le plan
de la table d’opération.
Compte tenu de la durée moyenne de
l’intervention, il est capital de protéger tous les points d’appui avec des
sacs d’eau ou de gel de silicone.
Un matelas chauffant peut être utile.
La
tête est tournée vers le côté opposé.
La région mastoïdienne est
directement placée sour le regard du chirurgien qui est assis à la tête du
patient.
2- Incision cutanée
:
Elle suit un tracé à double courbure de la région temporale jusqu’au cou
.
La partie essentielle de l’incision est sus- et rétroauriculaire ; elle descend en bas dans le cou pour atteindre le bord
antérieur du muscle sterno-cléido-mastoïdien (SCM) jusqu’en regard de
la grande corne de l’os hyoïde ; vers le haut, elle suit à 3 cm au-dessus et
en arrière le sillon sus- et rétroauriculaire.
Au niveau temporal, le
décollement se fait d’emblée jusqu’à l’os pour récliner en bloc les parties
molles en direction du méat auditif externe (MAE).
Ce dernier est
sectionné et le décollement est poursuivi vers l’avant jusqu’à l’aplomb
du condyle mandibulaire.
Ainsi, l’opérateur dispose d’une large voie
d’abord. Les parties molles libérées sont maintenues vers l’avant par des
fils de traction et sont couvertes d’une compresse humidifiée.
Il existe une variante à ce type d’abord cutané qui consiste à réaliser une
voie préauriculaire qui rejoint ensuite le bord antérieur du SCM.
3- Exposition des vaisseaux
:
Le dégagement du bord antérieur du SCM ouvre la gouttière
carotidienne. Au préalable, on aura pratiqué sa désinsertion de
l’extrémité de l’apophyse mastoïde, après avoir réalisé un lambeau
musculopériosté mastoïdien à pédicule postérosupérieur permettant, en
fin d’intervention, son réamarrage.
L’identification des gros vaisseaux
se fait en amont de la zone pathologique en même temps que les nerfs
crâniens X, XI et XII sont repérés.
Le tronc rétroparotidien du nerf facial est repéré dans l’angle dièdre qui
se dessine entre la face antérieure de la mastoïde et la face inférieure du
MAE.
Il est disséqué dans la parotide jusqu’à sa bifurcation, on poursuit
cette dissection au niveau de sa branche inférieure cervicofaciale. La
veine intraparotidienne est sectionnée.
On aborde ensuite l’espace sousparotidien
postérieur.
Le muscle digastrique est désinséré dans sa
rainure et refoulé vers l’avant.
La glande parotide au niveau de son pôle
inférieur est libérée tout en contrôlant le rameau mentonnier du nerf
facial qui est mobilisé vers le haut.
L’apophyse styloïde est sectionnée
après avoir été ruginée à la pince gouge. Le rideau des muscles styliens est dégagé en faisant attention de ne pas traumatiser le nerf
glossopharyngien.
On réalise ensuite la luxation de l’articulation temporomandibulaire (ATM).
Cette manoeuvre commence par le
dégagement de la face antérieure du MAE et de l’arcade zygomatique.
À l’aide d’une rugine de Tessier, on effectue une dissection souspériostée
de la cavité glénoïde au-dessus et en arrière du ménisque de
l’ATM.
Ce temps chirurgical est parfois hémorragique, il est essentiel si
on veut obtenir une luxation maximale qui ouvre au mieux l’accès à
l’espace interjugulocarotidien.
Pour maintenir cet écart, on met en place
un écarteur spécial à crémaillère (MicroFrance).
Au cours de cette
manoeuvre, il faut faire très attention à ne pas étirer le tronc du nerf facial.
On peut ensuite commencer l’exposition de la fosse intratemporale.
Le
tronc du nerf facial est dégagé jusqu’à sa sortie du trou stylomastoïdien.
La partie sous-faciale de la glande parotide est enlevée.
La dissection
dégage la partie inférieure du MAE puis se porte au niveau de
l’apophyse vaginale en avant qui est progressivement exposée jusqu’à
l’épine du sphénoïde ; à ce niveau est repérée l’artère méningée
moyenne qui pénètre dans l’endocrâne par le foramen spinosum.
La partie haute de l’artère carotide interne est recherchée au-dessus et
en avant du nerf glossopharyngien.
Elle est profonde et oblique en haut
et en arrière. À ce niveau, sa dissection est souvent rendue difficile par
les modifications induites par la pathologie carotidienne.
Il faut donc se
porter sur le canal carotidien, ce qui conduit à l’exposition de l’artère
carotide interne dans son segment vertical intrapétreux jusqu’à son coude.
On réalise, sous microscope opératoire, une pétrectomie de
l’apophyse vaginale du tympanal après squelettisation du MAE aux
niveaux antérieur, inférieur et postérieur.
Celle-ci est
effectuée à l’aide d’une fraise coupante puis diamantée, en passant audessus
du tronc du nerf facial qui barre la région.
Le fraisage de
l’apophyse vaginale ouvre la face externe de la portion verticale, il
remonte en haut jusqu’à l’ouverture du tube auditif.
Il est
poursuivi en avant au niveau de l’épine du sphénoïde afin de dégager
l’artère carotide interne sur la berge antérieure.
Le fraisage n’atteint
cependant pas le foramen spinosum, mais peut dégager le coude et se
poursuivre sur le début de la portion horizontale.
Durant tout ce temps osseux de fraisage, il faut faire très attention à ne
pas traumatiser le tronc du nerf facial.
Certains recommandent une fraise
longue gainée ; on peut également, comme nous le faisons, protéger
le nerf au moyen d’une petite lame malléable.
Le fraisage de la paroi
antérieure du tympanal doit absolument respecter la cavité tympanique
mais être suffisamment large (demi-circonférence) pour permettre la
mobilisation de l’artère carotide intrapétreuse.
B - Variantes techniques
:
L’exposition de l’artère carotide interne, dans son segment intrapétreux,
peut se faire par d’autres approches qui vont s’accompagner
obligatoirement d’une exclusion de l’oreille moyenne et d’une
déroutation antérieure du nerf facial.
Elle donne un abord excellent à la
portion verticale et au coude de la carotide interne intrapétreuse.
Il existe deux variantes aux voies infratemporales de Fisch :
– la voie de typeApermet l’abord de la portion verticale et du coude de
l’artère carotide interne intrapétreuse ; elle comporte le déroutement de
la deuxième et de la troisième portion du nerf facial, du trou
stylomastoïdien au ganglion géniculé, et le sacrifice de l’oreille
moyenne ; malgré cela, elle ne donne qu’un jour limité en avant au
niveau de l’artère carotide interne ;
– la voie de type B permet d’exposer la portion horizontale de l’artère
carotide interne intrapétreuse ; elle comporte l’abaissement du condyle
mandibulaire après désinsertion du muscle temporal, le fraisage de
l’oreille moyenne, le déplacement du nerf facial.
Le fraisage par rapport
à la voie A est poursuivi au niveau de la fosse mandibulaire et de la
grande aile du sphénoïde.
La section de l’artère méningée moyenne et
du nerf mandibulaire permet d’abaisser davantage le condyle à l’aide
d’un écarteur pour gagner de l’espace ; il faut veiller à ne pas trop tendre
le tronc rétroparotidien du nerf facial.
Le fraisage ainsi terminé permet
d’exposer la portion horizontale de l’artère carotide interne jusqu’au
niveau du foramen lacerum.
C - Suites opératoires et complications
:
La sortie du patient a lieu 6 à 8 jours après l’intervention, l’ablation d’un
drainage se faisant 3 jours après l’intervention.
Une parésie de la branche mentonnière du facial est souvent retrouvée
mais celle-ci est transitoire.
Sur plus de 25 cas opérés, dont huit
concernant des anévrismes post-traumatiques, nous n’avons à
déplorer aucune atteinte auditive, seul un calibrage par lame de Silastict
et un otodrain imprégné d’antibiotiques au niveau du MAE est
nécessaire pendant 15 jours, temps de cicatrisation dû à sa section.
À 1 mois, tous les patients présentent une fonction faciale de grade I
selon la classification de House et Brackmann.
Il n’y a aucune séquelle secondaire à l’ouverture du tube auditif de même
qu’après la luxation de l’articulation temporomandibulaire.
À partir du
dixième jour, nous recommandons une mécanothérapie mandibulaire au
patient opéré.
L’artère carotide interne cervicale haute, profondément enfouie
sous la base du crâne, est d’un abord difficile.
Contrairement aux
procédés décrits, l’exposition du segment vertical et
du coude du canal carotidien est possible sans avoir à sacrifier
l’oreille moyenne, qui engendre une surdité de transmission, et
sans devoir dérouter le nerf facial dans ses deuxième et troisième
portions, ce qui est responsable de séquelles définitives de
grade II, voire III, de la classification de House et Brackmann.
La qualité de l’exposition repose sur deux éléments essentiels. Le
premier est la luxation de l’articulation temporomandibulaire qui
donne un accès direct sur l’espace interjugulocarotidien et qui
permet d’exposer l’apophyse vaginale du tympanal.
Sa reposition en fin d’intervention, grâce à une dissection sous-périostée de la
cavité glénoïde ne laisse aucune séquelle à la mastication, à
l’opposé des techniques sacrifiant le condyle mandibulaire.
Le
deuxième élément est le fraisage et l’exposition de la région haute
et basicrânienne de l’artère carotide interne de part et d’autre du
tronc rétroparotidien du nerf facial.
Ce dernier doit être
parfaitement dégagé et libre du tissu glandulaire parotidien afin
d’éviter toute manoeuvre d’étirement du nerf lors de la mise en
place de l’écarteur et lors des manoeuvres effectuées pendant le
temps de restauration vasculaire.
Le contrôle de l’artère carotide interne dans le canal intrapétreux
permet d’aborder et de traiter, par chirurgie artérielle
reconstructrice, des lésions jugées inopérables jusqu’à ces
dernières années.
En effet il est possible, grâce à ce type de voie d’abord, de traiter
des lésions traumatiques ou des anévrismes qui affleurent la base
du crâne, voire qui intéressent le premier segment vertical du
canal carotidien.
Il a été clairement établi que pour ce type de
lésion, la chirurgie restauratrice était préférable à la
simple ligature.
Vers l’amont, l’artère carotide interne peut être
abordée soit dans l’espace sous-parotidien, soit au niveau de son
origine.
Cette deuxième solution est préférable lorsqu’elle est
possible car elle évite une dissection trop poussée des nerfs
crâniens (IX, X, XII).
Nous avons en effet observé que ce type de
dissection et la mobilisation de ces nerfs, même en préservant
l’intégrité de leurs troncs, déterminent régulièrement des troubles
dont la régression est très longue, voire incomplète.
Il s’agit en
particulier de troubles de la mobilité du larynx et de troubles
secondaires à une parésie du IX.
La connaissance de ces voies qui ne peut se concevoir qu’en
collaboration avec une équipe oto-rhino-laryngologiste rodée à ce
type de chirurgie, élargit encore le champ de la chirurgie
restauratrice de l’artère carotide interne, en particulier dans le cas
de certaines lésions traumatiques, ce qui est d’autant plus
intéressant que ces lésions surviennent généralement chez des
sujets jeunes.