Les duplications du tube digestif sont des malformations congénitales
rares, mais potentiellement dangereuses ; celles du côlon et du rectum
sont les moins fréquentes.
L’origine embryologique est encore mal élucidée.
La difficulté diagnostique est en rapport avec le type kystique ou
tubulaire, communicant ou non avec la lumière intestinale, ainsi que la
localisation.
Suspecté ou évoqué par un examen ultrasonographique
anténatal, ou plus souvent encore suite à une symptomatologie variable
apparaissant chez le nourrisson ou dans la première enfance, le
diagnostic n’est souvent établi qu’après l’étude anatomopathologique de
la pièce de résection opératoire.
L’association à d’autres malformations urogénitales, digestives ou vertébromédullaires, nécessite une étude multisystémique dont le pivot
reste l’imagerie.
Embryologie
:
De nombreuses théories ont tenté d’expliquer l’origine embryologique
des duplications coliques.
Les unes mettent en cause une occlusion
vasculaire intra-utérine, les autres une recanalisation aberrante du
tube digestif ou un diverticule foetal.
Toutes ces théories sont à
présent abandonnées.
Actuellement, sont retenues celles qui s’appuient sur une anomalie
chordale à type de dédoublement secondaire à une adhérence entre
chorde et entoblaste ou entre entoblaste et ectoblaste, empêchant la
fusion des deux ébauches cartilagineuses vertébrales latérales et
entraînant, selon son importance et le stade de survenue, des
malformations rachidiennes associées.
Anatomie pathologique
:
A - Formes anatomiques
:
Les duplications coliques sont plus souvent kystiques (95 %) que
tubulaires (5 %) ; elles peuvent être communicantes ou non avec
la lumière intestinale.
Exceptionnellement, la duplication est totalement extra-intestinale et alors intra- ou extramésentérique, le plus souvent elle
est juxta-intestinale et, selon ses rapports avec le tube digestif, elle est
sous-séreuse, intramusculaire ou sous-muqueuse.
1- Formes kystiques
:
Beaucoup plus fréquentes, souvent non communicantes avec la lumière
intestinale, elles augmentent de volume avec l’accumulation de
sécrétion muqueuse faite de liquide clair, séreux ou coloré, pouvant être
hémorragique ou noirâtre en cas d’hétérotopie muqueuse gastrique.
L’hyperpression intrakystique entraîne un amincissement de la paroi
pouvant aboutir à une perforation intradigestive ou en péritoine libre.
La perforation peut également être secondaire à une ulcération sur
muqueuse gastrique hétérotopique.
L’augmentation de volume de la malformation est responsable de
phénomènes compressifs sur les vaisseaux mésentériques et les organes
de voisinages, ainsi que de phénomènes inflammatoires entraînant des
adhérences locorégionales.
2- Formes tubulaires
:
Beaucoup moins fréquentes, elles peuvent se présenter comme un
véritable dédoublement du côlon, duplications « en canon de fusil »,
ou présenter un pédicule plus ou moins long.
Ces formes sont souvent
communicantes et restent longtemps asymptomatiques si la
communication est distale ou double.
B - Vascularisation
:
Siégeant sur le bord mésentérique, une vascularisation commune aborde
la malformation avant le segment colique adjacent.
Ceci a des
implications thérapeutiques importantes.
Rarement, la vascularisation
est propre à la duplication, facilitant l’exérèse.
C - Histologie
:
Telles que définies par Gross, les duplications digestives possèdent une
muqueuse faite de deux couches musculaires lisses et une muqueuse de
type digestif.
Cette muqueuse peut être celle du segment
dupliqué ou, dans 25 à 30 % des cas, hétérotopique et, le plus souvent,
gastrique. Parfois, la muqueuse est difficile à reconnaître parce
que laminée par l’hyperpression et remaniée par l’inflammation.
D - Localisations
:
Les duplications coliques peuvent siéger n’importe où sur le côlon, elles
peuvent être multiples.
Certaines formes particulières doivent être distinguées : duplications cæcoappendiculaires et colorectales.
Ces dernières
peuvent s’extérioriser au niveau du périnée par une fistule ou un second
anus ; elles sont souvent associées à des duplications ou malformations
urogénitales et à des anomalies vertébromédullaires.
Les
autres anomalies rencontrées sont surtout digestives, telles que l’atrésie
intestinale, le diverticule de Meckel.
Aspects cliniques
:
Les duplications digestives représentent 0,1 à 0,3 % de l’ensemble des
malformations, celles du côlon, les plus rares, représentant 7 %
de l’ensemble des duplications digestives.
Malformations de la
première enfance, les duplications coliques sont souvent découvertes
avant l’âge de 2 ans ; elles sont rares après l’âge de 3 ans, sans
prédominance de sexe.
En dehors des formes découvertes lors d’un
examen systématique pour une autre affection, ou dans le cadre d’un
bilan d’une malformation avec laquelle elle peut s’associer, la
duplication colique peut se présenter schématiquement sous deux
formes.
– Formes chroniques : les symptômes essentiels sont la constipation
chronique, les phénomènes subocclusifs, les vomissements répétés, les
douleurs abdominales ; parfois l’anémie et/ou le retard staturopondéral.
Ailleurs, le seul signe d’appel est la masse abdominale.
– Formes aiguës : représentées essentiellement par la douleur
abdominale aiguë, un tableau d’occlusion intestinale aiguë ou
d’invagination, hémorragie digestive ou péritonite aiguë par perforation.
A - Imagerie
:
Les examens complémentaires permettent seulement d’évoquer le
diagnostic devant des signes souvent peu spécifiques ou indirects.
B - Formes kystiques non communicantes
:
1- Abdomen sans préparation
:
Il peut mettre en évidence une masse de densité hydrique homogène,
avec refoulement des structures digestives adjacentes ou parfois
des signes d’occlusion.
Un cas de calcification pariétale colique a été
rapporté.
2- Échographie
:
Elle montre une formation kystique anéchogène, avec renforcement
postérieur en cas de contenu liquidien, ou une masse échogène avec
renforcement postérieur en cas de contenu mucoïde ou d’hémorragie.
Un liseré interne échogène (muqueux) séparé d’une limite
externe hyperéchogène par un autre liseré hypoéchogène (couche
musculaire) serait un aspect très évocateur du diagnostic de
duplication kystique « muscular rim sign » ; ceci le différencie du reste
des masses kystiques intra-abdominales de l’enfant telles que kystes du
mésentère et de l’épiploon, kystes de l’ovaire, diverticule de Meckel
kystique, kyste omphalomésentérique ou kyste de l’ouraque.
L’examen échographique doit être complété par une étude systématique de l’appareil urogénital, à la recherche d’une malformation congénitale
associée, habituellement fréquente dans les formes kystiques.
Le
diagnostic anténatal des duplications coliques paraît possible pour les
formes kystiques non communicantes, grâce à la mise en évidence, lors
d’un examen échographique, d’une formation transsonique avec
renforcement postérieur.
S’il est facile d’éliminer une dilatation des
voies urinaires supérieures, il paraît beaucoup plus difficile, voire
impossible, d’éliminer l’hypothèse d’un kyste ovarien ou mésentérique,
ou d’un diverticule de Meckel kystique.
3- Transit baryté
:
Il montre une empreinte extrinsèque sur le segment colique adjacent
avec refoulement des anses digestives, parfois un arrêt complet de la
progression de la colonne barytée.
La duplication kystique n’est presque jamais opacifiée ; quand elle l’est,
elle est toujours secondaire à une perforation inflammatoire avec
ulcération et hémorragie.
4- Examen tomodensitométrique (TDM)
:
Il montre une formation kystique, de taille variable, avec réhaussement
de la paroi après injection intraveineuse de produit de contraste,
contiguë à un segment d’intestin normal.
La présence
d’hémorragie intrakystique peut réaliser l’aspect d’une masse tissulaire
ou d’une tumeur nécrosée.
La localisation de la duplication par
rapport au tube digestif et l’absence de contact avec les autres organes
abdominaux sont des éléments importants du diagnostic différentiel
avec les autres formations kystiques intra-abdominales.
La TDM peut
également être utile dans la surveillance évolutive, en détectant
d’éventuels signes de dégénérescence : apparition de zones denses ou
épaississement pariétal.
5- Imagerie par résonance magnétique (IRM)
:
Elle paraît très utile dans le diagnostic différentiel des formes
colorectales avec les masses présacrées rétrorectales, telles que le
neuroblastome, le tératome kystique ou la méningocèle présacrée
antérieure.
6- Scintigraphie au pertechnétate 99mTc
:
Elle permet le repérage de la muqueuse hétérotopique gastrique au sein
de la duplication en montrant des zones d’hyperfixation.
C - Formes tubulaires communicantes
:
Le diagnostic repose sur l’opacification des deux côlons.
Quand la duplication communique par son bout proximal avec un bout
distal borgne, elle se présente comme une masse contenant de l’air et
des stercolithes sur le cliché d’abdomen sans préparation.
Elle est le plus
souvent opacifiée sur les clichés tardifs du transit du grêle.
Dans les formes communiquant par les deux bouts ou le bout distal, le
diagnostic est très difficile et la duplication habituellement méconnue.
L’existence d’un second anus ou d’une fistule nécessite l’opacification
des deux côlons par deux contrastes de densité différente.
Dans les formes tubulaires isolées, les examens s’attachent à éliminer
une cause beaucoup plus fréquente, la maladie de Hirschsprung, par un
lavement opaque, la recherche du réflexe anal inhibiteur, une biopsie
rectale.
Traitement
:
Lésion bénigne pouvant se compliquer et mettre en jeu le pronostic vital,
une duplication colique diagnostiquée doit être opérée.
Le diagnostic
préopératoire, bien que de plus en plus souvent évoqué grâce au
développement des techniques d’imagerie médicale, reste rarement
posé ; l’exploration peropératoire bien conduite est alors nécessaire
avant de recourir à des gestes définitifs.
La technique chirurgicale est
tributaire des caractères anatomiques de la malformation, en particulier
sa vascularisation.
Si la vascularisation de la duplication permet rarement l’énucléation de
celle-ci, le plus souvent, l’exérèse complète nécessite une résection
du segment colique adjacent en raison de la vascularisation commune.
L’exérèse subtotale, avec excision ou destruction de la muqueuse
restante de la duplication, est préférable s’il y a des risques liés
à la topographie.
L’anastomose côlon-duplication et la mucosectomie par stripping sont
utilisées dans les formes tubulaires longues, pour éviter une résection
colique trop importante.
La meilleure technique reste celle qui supprime la malformation en
laissant en place un côlon sain, bien vascularisé.
Les résultats du traitement des duplications coliques sont le plus souvent
bons, mises à part les formes colorectales associées aux malformations
urinaires et/ou vertébromédullaires dont les résultats sont décevants.
Les complications augmentent la mortalité et rendent la chirurgie
difficile.
La duplication est une affection rare qui, malgré sa bénignité, a
souvent une évolution naturelle grevée de complications pouvant
mettre en jeu le pronostic vital.
Cette malformation doit être discutée devant toute formation
kystique intra-abdominale de découverte anté- ou postnatale.
L’analyse échographique de la paroi kystique est un élément
important d’orientation.
Connaître les duplications digestives en
général et coliques en particulier, c’est avant tout éviter d’omettre
le diagnostic et, par conséquent, réduire la morbidité et la
mortalité de cette affection.