Croissance tumorale

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La croissance des cancers comporte 2 étapes :

Croissance tumorale locale : apparition d’un clone tumoral, à partir d’une cellule « transformée », sous l’action d’agents carcinogènes initiateurs et promoteurs.

La prolifération cellulaire aboutit à la constitution de la tumeur.

Dissémination cancéreuse, à partir de la tumeur initiale :soit par dissémination régionale soit par développement de tumeurs secondaires (métastases).

Elle fait la gravité du cancer, car on sait mieux traiter la tumeur primitive, que les métastases.

Notion d’hétérogénéité des populations tumorales :

On considère qu’un cancer dérive d’une seule cellule « transformée » : théorie clonale.

Croissance tumorale

En réalité, les cancers humains et animaux sont constitués de plusieurs populations cellulaires, ayant des aspects et des propriétés parfois très différents :

– morphologie

– caryotype

– prolifération cellulaire

– caractères antigéniques et immunogénicité

– croissance in vitro

– capacité métastatique

– sensibilité à la chimiothérapie.

Cette hétérogénéité reflète l’instabilité génétique des cellules cancéreuses : notion de divergence clonale (apparition de sous-populations cellulaires dérivées du clone initial).

La vitesse de croissance cancéreuse :

Les cancers ont une vitesse de croissance très variable. Notion de temps de doublement d’une tumeur, apprécié cliniquement (palpation, radiographie ..).

Son évaluation est en fait difficile car les tumeurs malignes sont mal limitées, le volume mesuré inclut le stroma la nécrose et les hémorragies …

Le temps de doublement est variable au cours de l’évolution d’un cancer.

La vitesse de croissance dépend : du nombre de cellules prolifératives, engagées dans le cycle cellulaire (phases S + G2 +M) par rapport aux cellules quiescentes (en G0) et des pertes cellulaires : par nécrose ou apoptose.

Il est possible de déterminer l’index de prolifération d’une tumeur :

• Par comptage des mitoses par champ microscopique.

• Par évaluation du nombre de cellules en phase S (synthèse d’ADN) après incorporation de thymidine tritiée ou de 5 bromodeoxyuridine.

• Par analyse en cytométrie de flux du contenu en ADN.

• Par méthode immunohistochimique : nombre de cellules marquées par les anticorps Ki 67 ou PCNA (antigènes exprimés au cours du cycle cellulaire).

L’index de prolifération constitue un élément pronostique dans de nombreux types de cancers et permet d’orienter la thérapeutique (chimiothérapie, radiothérapie).

Les étapes morphologiques de la croissance tumorale :

Des anomalies morphologiques associées à différentes étapes de l’apparition et de l’évolution d’un cancer, sont connues dans de nombreux organes, en particuliers au niveau des épithéliums.

Stades précoces (transformation cell) : dysplasie et cancer débutant (in situ ou intra-épithélial).

La limite est floue entre dysplasie et cancer débutant (morphologiquement).

Invasion : cancer invasif (envahissement du tissu normal voisin) et critères formels de malignité.

Dissémination : métastases. Les étapes morphologiques classiques :

* tissu normal

* dysplasie légère

* dysplasie moyenne

* dysplasie sévère

* cancer in situ

* cancer peu invasif

* cancer invasif

* métastases NB : aucune anomalie morphologique isolée n’est spécifique d’un cancer

L’analyse histologique classique, empirique, est basée sur la connaissance de l’évolution habituelle d’une lésion et ne tient pas compte des mécanismes de la carcinogenèse.

A – Dysplasie et carcinome in situ :

1- Dysplasie : “anomalie du développement ou de la croissance”

Utilisé en cancérologie pour désigner des lésions pré-cancéreuses, observées au niveau des épithéliums, caractérisées par :

• Une désorganisation de l’architecture du tissu, de gravité variable

• Des anomalies de la différenciation cellulaire, d’intensité variable ex : diminution du glycogène dans les cellules épidermoides diminution du mucus dans les cellules glandulaires

• Une irrégularité de taille des cellules et des noyaux

• Une augmentation du nombre de mitoses. Selon la gravité de ces lésions, on distingue selon les épithéliums :

• Dysplasie légère, moyenne ou sévère

• une dysplasie de faible grade ou de haut grade (tube digestif)

• Carcinome in situ ou intra-épithélial :

Tumeur maligne strictement limitée à l’épithélium dans lequel elle a pris naissance.

Pas d’invasion du tissu normal : la membrane basale de l’épithélium est respectée.

Les anomalies de l’architecture tissulaire et des cellules (différenciation, noyaux, mitoses) sont importantes, mais de même nature que dans la dysplasie.

La distinction entre dysplasie sévère et carcinome in situ est ainsi difficile, voire impossible.

Notion de « néoplasies intra-épithéliales », appliquée aux muqueuses épidermoides en gynécologie (col utérin, vulve)

Au niveau des muqueuses glandulaires du tube digestif, de structure histologique complexe, comportant un chorion conjonctif entre les cryptes glandulaires, il n’est pas possible de différencier la dysplasie sévère et le carcinome intra-épithélial.

Le diagnostic de cancer débutant se fait alors au stade de cancer intra-muqueux, envahissant le chorion, mais restant localisé à la muqueuse (pas d’envahissement de la sous-muqueuse : intégrité de la muscularis mucosae).

a- Problèmes posés par la dysplasie :

Diagnostic histologique parfois difficile avec des anomalies épithéliales régénératives (ulcères, inflammations chroniques).

Reproductibilité du classement histologique assez mauvaise entre plusieurs observateurs –> confrontation

L’évolution des dysplasies reste mal connue : elle est probablement très variable: une dysplasie (et même un cancer in situ) peut rester stable de façon très prolongée (de nombreuses années): observations faites au niveau du col utérin, de l’estomac …

Des cas de régression spontanée de dysplasie sévère ont été rapportés.

Il est cependant admis que les lésions de dysplasie évoluent le plus souvent vers l’aggravation et l’apparition d’un cancer : séquence dysplasie-cancer.

Cela pose les problèmes :

– du pouvoir évolutif propre de la lésion – du rôle des facteurs d’environnement (agents promoteurs)

– de la capacité de défense anti-tumorale de l’hôte, faisant intervenir des facteurs génétiques.

b- Intérêt du dépistage des dysplasies et cancers in situ :

La découverte des lésions à ce stade permet d’obtenir la guérison par un traitement local.

Ex : dépistage précoce du cancer du col utérin par des frottis vaginaux ou dépistage des dysplasies et cancers précoces de l’estomac au Japon.

2- Cancer invasif :

L’invasion tumorale est dûe à la prolifération des cellules cancéreuses, à leur mobilité et la sécrétion d’enzymes protéolytiques, entraînant la destruction et l’envahissement des tissus sains.

Pour les épithéliums, la 1ère étape est le franchissement de la membrane basale.

L’extension tumorale locale se fait dans le tissu conjonctif, où les cellules cancéreuses arrivent au contact de vaisseaux sanguins et lymphatiques, de nerfs.

2 stades sont distingués :

a- Carcinome peu invasif ou Carcinome micro-invasif :

Sa définition est assez imprécise.

Dans un épithélium malpighien on parle de carcinome micro-invasif.

Il franchit la membrane basale et comporte une invasion débutante du chorion conjonctif.

Dans une muqueuse glandulaire du tube digestif on a défini l’adénocarcinome superficiel : il n’atteint pas la musculeuse.

Le pronostic est meilleur que celui des carcinomes infiltrants.

b- Cancer invasif

L’examen anatomique permet de faire le constat de l’extension tumorale, essentielle pour l’estimation du pronostic.

L’examen macroscopique des pièces opératoires a ici une importance capitale.

• Taille de la tumeur

• Degré d’infiltration (ex: paroi digestive)

• Envahissement des vaisseaux lymphatiques, veineux, ou des filets nerveux

• Métastases ganglionnaires à proximité et à distance de la tumeur

• Envahissement des organes de voisinage

• Métastases séreuses et viscérales

• Etude des limites de résection.

Ex : Etapes morphologiques de l’apparition d’un cancer colique

B – Valeur de la morphologie dans l’évaluation pronostique d’une tumeur :

La morphologie ne permet qu’une estimation du risque évolutif d’une tumeur donnée (bénigne ou maligne), sans pouvoir prédire avec certitude son évolution.

Elle ne tient pas compte des stades moléculaires de la carcinogenèse actuellement connus.

Ex : dans la séquence polype adénomateux-adénocarcinome du colon, il y a accumulation d’anomalies génétiques successives : 2 à 4 pour les adénomes, au moins 5 pour les carcinomes activation d’oncogène: Ki-ras inactivation de gènes anti-prolifératifs : APC, MCC, DCC, p53 parfois, anomalies des systèmes de réparation de l’ADN (dans certains cancers familiaux )

L’ordre d’apparition de ces anomalies est variable <=> l’histoire naturelle d’un cancer est variable.

Deux lésions de même histologie peuvent être liées à des mécanismes en partie différents avec une évolution ultérieure variable.

La morphologie (associée à la clinique) reste la méthode la plus rapide et la plus fiable pour reconnaître un cancer ou une lésion précancéreuse et préciser son stade évolutif.

Mais l’étude conjointe d’autres paramètres (génétiques, moléculaires, immunologiques) permettra : d’améliorer l’estimation du pronostic (stade de la progression tumorale) et de dépister les sujets à risque (détection des états et lésions précancéreux).

Etats précancéreux :

Lésions non tumorales associées à une augmentation du risque de cancer.

Leur détection permet des mesures de prévention (exérèse) ou de surveillance régulière.

En particulier dans les états précancéreux à transmission héréditaire :

ex : Neurofibromatose de Von Reckinghausen : neurofibromes (tumeurs nerveuses bénignes) multiples. transformation cancéreuse assez rare.

Par transmission d’un gène anti-prolifératif muté NF-1.

Polypose adénomateuse colique : par mutation germinale du gène anti-prolifératif APC, entraînant une hyperprolifération épithéliale colique dès l’enfance.

Suivie de l’apparition d’autres anomalies génétiques → adénomes, puis adénocarcinome

Syndrome de néoplasies endocrines multiples Xeroderma pigmentosum

Mais aussi dans certains états précancéreux acquis : souvent d’origine inflammatoire → régénération ex: cystite de la bilharziose (parasitose) → cancer de vessie fréquent rectocolite hémorragique (maladie inflammatoire chronique du colon)

La dissémination cancéreuse : stade des métastases

Développement à distance de la tumeur initiale, d’autres foyers cancéreux (tumeurs secondaires).

Elle fait toute la gravité du cancer : après l’éxerèse de la tumeur, la persistance et la survie de cellules cancéreuses permettent le développement des métastases.

A – Mécanismes cellulaires des métastases :

1- Les cellules cancéreuses doivent franchir plusieurs étapes :

• Effraction de vaisseaux sanguins et lymphatiques

• Survie et circulation dans le sang ou la lymphe

• Implantation et croissance dans un tissu.

2- Elles doivent avoir acquis des propriétés particulières :

• Perte de l’ancrage cellulaire, par modifications de molécules d’adhésion

• Acquisition de la mobilité cellulaire (expression de facteurs de mobilité souvent autocrines, action de facteurs chimiotactiques)

• Protéolyse: destruction des membranes basales et de structures intercellulaires (production par les cellules tumorales de collagénases)

• Capacité d’adhérence à l’endothélium capillaire, par des récepteurs spécifiques (intégrines)

• Capacité de croissance dans le site d’implantation, avec induction d’un stroma et néoangiogenèse (rôle de facteurs de croissance et de facteurs angiogéniques locaux, systémiques ou autocrines).

Chaque étape du processus métastatique ne peut être franchie que par un petit nombre de cellules tumorales qui ont acquis les propriétés nécessaires.

Ces cellules doivent aussi être capables de resister à la défense immunitaire antitumorale : cellules NK, lymphocytes T cytotoxiques.

L’acquisition de la capacité métastatique nécessite, après la transformation cellulaire, des anomalies génétiques supplémentaires.

Ces anomalies sont acquises par certaines cellules tumorales de façon transitoire, en raison de leur instabilité génétique.

Ex : l’expression de l’oncogène H-ras peut induire la capacité métastatique (transfection de fibroblastes).

La transformation cellulaire et la capacité métastatique comportent des mécanismes communs et d’autres différents.

– Perte du contrôle de la prolifération cellulaire (en commun)

– Propriétés anormales de mobilité et de protéolyse (métastases).

Il n’a pas été identifié jusqu’ici de gènes responsables de l’acquisition du phénotype métastatique.

Le développement de thérapeutiques permettant d’interférer avec chacun des phénomènes du processus métastatique peut être envisagé :

ex: Agents anti-angiogéniques, inhibiteurs protéolytiques.

B – Aspects généraux de la dissémination métastatique :

1- Les voies de cheminement :

2 voies principales: lymphatique et sanguine

a- Dissémination lymphatique :

La présence de cellules cancéreuses est pratiquement constante dans les vaisseaux lymphatiques poches de la tumeur.

Leur devenir est variable : mort cellulaire dans le vaisseau lymphatique pénétration dans les ganglions satellites de la tumeur destruction des cellules tumorales dans ces ganglions persistance prolongée de cellules tumorales quiescentes dans ces ganglions, avec possibilité de prolifération ultérieure développement précoce d’une métastase ganglionnaire drainage de cellules tumorales vers d’autres ganglions plus éloignés puis vers le canal thoracique et la circulation artérielle sanguine.

Parfois; les premiers relais ganglionnaires sont sautés, avec envahissement de ganglions plus éloignés.

L’importance et le siège des métastases ganglionnaires sont des facteurs pronostiques importants d’un cancer.

Certains cancers ont une dissémination lymphatique fréquente : cancers du sein, testicule, thyroide, col utérin, langue, mélanome malin.

La lymphangite carcinomateuse correspond à un envahissement métastatique massif des lymphatiques, visible en particulier dans le poumon, la plèvre.

b- Dissémination sanguine (ou hématogène) :

Elle se voit dans les carcinomes et les tumeurs conjonctives malignes (sarcomes).

Elle fait suite à la pénétration des cellules cancéreuses dans les vaisseaux sanguins avec dissémination dans les viscères par voie veineuse :

• Métastases hépatiques provenant de la veine porte

• Métastases pulmonaires provenant de la veine cave

• Dissémination dans la grande circulation provenant des veines pulmonaires.

c- Voies accessoires :

• Espaces méningés: propagation des tumeurs cérébrales

• Voies urinaires

• Cavité péritonéale. ex: cancer de l’ovaire

• Cavité pleurale

• Voie trachéo-bronchique

d- Notions classiques sur la dissémination métastatique basées sur les observations anatomopathologiques sur des expérimentations animales :

Injection massive de cellules cancéreuses dans la circulation.

Injection sous-cutanée de cellules cancéreuses : développement d’une tumeur primaire et étude de sa capacité métastatique.

On admet que de nombreuses cellules cancéreuses pénètrent dans les vaisseaux et parviennent dans des viscères.

Beaucoup sont détruites.

Certaines cellules seulement seront à l’origine d’une métastase, dans certains organes : théorie du seed and soil (Paget 1889) « une graine ne peut pousser que sur un terrain qui lui est favorable ».

Il existe en effet des organes fréquemment colonisés par des métastases (foie, poumon, os, surrénales) et des organes rarement atteints par des métastases (rate, rein, muscle)

Il existe aussi une certaine spécificité de l’organe-cible en fonction du type de la cellule tumorale (origine fréquente des métastases osseuses : cancer du rein, de la thyroide, de la prostate, du sein).

Ces notions anciennes rejoignent les données biologiques récentes : certaines cellules cancéreuses seulement ont acquis le phénotype métastatique, par des anomalies génétiques supplémentaires.

La croissance métastatique dans l’organe cible fait intervenir des facteurs locaux (adhésion aux cellules endothéliales, facteurs de croissance, facteurs angiogéniques …).

2- Chronologie des métastases :

Elles sont découvertes à des moments très variables de la maladie cancéreuse :

• Métastases révélatrices, la tumeur primitive n’étant pas connue

• Métastases comtemporaines de la tumeur primitive (découvertes lors du bilan d’extension)

• Métastases survenant de façon précoce ou tardive au cours de l’évolution du cancer.

3- Macroscopie :

• Souvent nodulaires

• Unique ou multiples (poumon: aspect radiologique de « lâcher de ballons »)

• De taille très variable

• Souvent nécrotiques et hémorragiques.

• Rarement infiltrantes.

4- Histologie :

La métastase peut être :

• Identique à la tumeur primitive

• Moins bien différenciée

• Mieux différenciée.

Quand la métastase est révélatrice, l’histologie permet d’orienter la recherche de la tumeur primitive.

Si la morphologie est peu caractéristique (tumeur indifférenciée), l’immunohistochimie permet de rechercher des marqueurs épithéliaux, conjonctifs, leucocytaires, des marqueurs tumoraux …

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