Le scanner hélicoïdal à acquisition volumique est devenu ces
dernières années le principal mode d’exploration morphologique de
la cavité abdominopelvienne.
La rapidité des acquisitions supprime
les artefacts de mouvement et optimise l’injection de produit de
contraste.
L’acquisition volumique autorise, à partir des données
brutes, la reconstruction différée d’incidences multiplanaires en deux
dimensions (2D) et de reconstructions en trois dimensions (3D) avec
rendu surfacique ou volumique externe ou endoluminal.
Parmi ces
reconstructions, l’une présente des potentialités particulières, c’est
le rendu endoscopique à l’origine de l’endoscopie virtuelle.
Cette
technique a été appliquée pour l’étude bronchique, vasculaire et
urinaire.
Pour le côlon, la coloscopie virtuelle est une méthode non
invasive, bien tolérée, dont la fiabilité dépasse celle du lavement
baryté en double contraste et approche celle de la coloscopie.
Généralités
:
Le cancer colorectal est la seconde cause de mortalité par cancer en
France et dans les pays industrialisés.
La détection et la résection
précoce des polypes coliques est la méthode de choix pour la
prévention de ce cancer.
Malgré ces données scientifiques, plus de
50 % des patients à risque de plus de 50 ans ne sont soumis à aucun
test de dépistage.
La coloscopie, reconnue comme « gold standard »
méconnaît, suivant les séries (10 à 20 %), des lésions muqueuses et
dans 10 à 15 % des cas, la totalité du cadre colique n’est pas
étudiée.
Cette technique impose une consultation et un
environnement anesthésiques, souvent indispensables à la bonne
tolérance de la procédure et à l’origine d’un coût variable avec
accroissement des risques.
À ceci s’ajoute un risque faible, mais non
négligeable, de perforation colique, à savoir une à deux pour 1 000 à
2 000 examens.
De ce fait, le développement de la coloscopie virtuelle, méthode
fiable, sûre, efficace et non invasive, permet d’envisager un
accroissement et un élargissement de la population pouvant
bénéficier d’une exploration colique de dépistage à large échelle afin
de déceler d’éventuels polypes.
Une étude récente tend à
démontrer l’absence de bénéfice financier dans le recours à la
coloscopie virtuelle par rapport à la coloscopie conventionnelle.
En fait, dans cette étude, le surcoût anesthésique n’est pas intégré et
les coûts sont des données américaines différentes de la France.
Pour
être compétitive en coûts par rapport à la coloscopie
conventionnelle, la coloscopie virtuelle doit avoir une acceptabilité
de la part des malades supérieure de 20 % par rapport à la
coloscopie conventionnelle et avoir un coût inférieur de moitié à
celui de la coloscopie conventionnelle.
C’est déjà le cas en France et
les développements techniques futurs réduiront de façon importante
le coût de l’examen, notamment aux États-Unis.
Dès 1993, les premières images d’endoscopie virtuelle sont obtenues
au cours d’examens tomodensitométriques (TDM) et, en 1996, le pneumo-colo-scanner, après insufflation colique, est proposé comme
méthode d’analyse endoluminale colique.
De nombreux organes
sont étudiés par endoscopie virtuelle : bronches, vessie
, artères...
Il est également possible d’effectuer la coloscopie
virtuelle par IRM, mais à l’heure actuelle une seule équipe préconise
cette pratique.
Technique
:
Quelles que soient les équipes, les grandes lignes de la procédure
sont identiques : le côlon est préparé comme pour une coloscopie
conventionnelle.
L’examen commence par une insufflation colique
d’air ambiant, voire de gaz carbonique, jusqu’au seuil de la douleur.
La distension est favorisée par l’administration d’antispasmodiques
intraveineuse (Glucagon, Viscéralgine, Spasfon).
Les acquisitions
volumiques sont ensuite effectuées en apnée à l’aide d’une hélice
unique (25 à 45 s), du diaphragme au périnée ou de deux à trois
hélices successives (20 à 25 s), analysant la partie haute de
l’abdomen, la partie moyenne, puis la partie inférieure avec
chevauchement.
Les scanners récents multibarrettes permettent plus facilement l’acquisition de la totalité de l’abdomen et du pelvis en
une hélice.
Lors des compromis techniques, il est préférable de
réduire l’épaisseur de coupes et d’augmenter le « pitch ».
Les
paramètres sont variables suivant les équipes : épaisseur de coupes
de 1,5 à 5 mm ; reconstruction de 1 à 3mm avec chevauchement ;
pitch de 1 à 2, tension de 110-120 kV avec 70 à 100 milliampères
(mA), temps de rotation 1 seconde.
Pour la plupart des centres,
une seconde étude est effectuée en procubitus afin de mobiliser les
résidus fécaux ou liquidiens éventuels.
Les paramètres
d’acquisition sont identiques. Aucune injection de produit de
contraste n’est effectuée.
Certaines équipes recommandent une
injection de produit de contraste intraveineuse lorsque les résidus
fécaux sont nombreux, afin de différencier une selle d’un polype.
Si
une anomalie viscérale est décelée ou si la lésion colique est un
cancer manifeste, une étude avec contraste endoveineux est
effectuée.
En moins d’un quart d’heure, l’examen est réalisé et les
patients considèrent cette exploration comme moins désagréable que
la coloscopie ou le lavement baryté.
Les données acquises au scanner sont ensuite transférées sur une
console de traitement, Sun ou Silicone Graphics.
Les coupes axiales
sont alors traitées afin d’obtenir des images 2D dans les différents
plans de l’espace et des images 3D, notamment avec une vision endoluminale.
Le rendu volumique fournit des images de
meilleure qualité que le rendu surfacique.
La totalité des images
obtenues sont revues coupe par coupe ou avec un mode « cinéloop
». Pour la vision endoluminale, certaines machines (Voyager,
Vitrea) permettent une navigation autonome et interactive.
D’autres nécessitent la détermination du centre de la lumière colique
afin de permettre le cheminement endoluminal de l’endoscopie virtuelle.
L’analyse nécessite une étude complémentaire
simultanée des vues 3D endoluminales et des vues 2D axiales
ou multiplanaires. L’existence d’une image 2D en
cartouche de la vue endoluminale permet de préciser la topographie
exacte de la lésion.
La durée de la manipulation des images
par le médecin varie entre 15 et 45 minutes.
Certaines techniques
informatiques permettent une analyse plus ou moins automatisée
(Automated-Path) de ce chemin endoluminal, réduisant en
conséquence le temps médecin.
Les doses d’irradiation ont été régulièrement réduites et sont
inférieures de 25 à 75 % à un examen scanographique standard
abdominopelvien, car la différence de contraste est élevée entre
la paroi colique et la lumière colique.
Avec deux acquisitions
(procubitus et décubitus), l’irradiation totale est identique à celle
d’un lavement baryté.
Une réduction plus importante des
paramètres d’irradiation entraînerait une dégradation du rapport
signal sur bruit avec perte d’information et de résolution spatiale.
Résultats cliniques
:
Cette méthode a été évaluée par des études in vitro, mais surtout
à partir de séries de malades porteurs de cancers coliques et de
patients présentant des polypes coliques.
Ces études préliminaires
portant sur plus de 2 000 malades démontrent une sensibilité de plus
de 75 % et une spécificité supérieure à 90 % pour des cancers
coliques et les polypes de plus de 10 mm.
La sensibilité chute à 70 %
pour les polypes compris entre 5 et 10 mm et à 28 % pour les polypes de moins de 5 mm.
La sensibilité s’élève à 85 % lorsqu’on
utilise une double acquisition en procubitus et en décubitus.
Des
études récentes prospectives plus larges (100 patients) révèlent une
sensibilité totale de 82 % et une spécificité de 84 %, avec une valeur
prédictive positive de 82 % et négative de 84 %.
Pour les polypes
compris entre 6 et 9 mm, la sensibilité et la spécificité s’élèvent
respectivement à 94 et 92 % et les valeurs prédictives sont de 94 %
pour la positive et 92 % pour la négative.
Pour les polypes
supérieurs à 10 mm, la sensibilité, la spécificité, la valeur prédictive
positive, la valeur prédictive négative sont de 96 %. De plus, ces
études révèlent certains avantages particuliers de la coloscopie
virtuelle par rapport à la coloscopie conventionnelle.
Ainsi, la
coloscopie virtuelle peut étudier le côlon en amont d’une lésion
obstructive et analyser de manière antégrade et rétrograde les
berges des haustrations, révélant des lésions qui peuvent être
méconnues par la coloscopie conventionnelle.
Limites
:
Les principales difficultés diagnostiques sont représentées par les
résidus solides ou liquides à l’intérieur de la lumière intestinale.
Les anomalies sont plus faciles à identifier sur les coupes 2D car sur
les images 3D endoluminales, elles apparaissent comme des
formations en relief endoluminales et donc similaires aux véritables
polypes.
Néanmoins, l’aspect saillant des lésions est souvent
moins net et moins régulier.
La réalisation de deux spirales
en positions différentes permet la mobilisation des résidus
liquidiens.
Ainsi, cette double étude qui accroît l’irradiation améliore
nettement la détection de polypes de 10 mm en passant d’un taux
de détection de 75 à 85 %.
Afin de faire disparaître cette difficulté
en réduisant la contrainte de la préparation pour le malade, des
études sont en cours pour marquer les selles au sulfate de baryum
ou au gadolinium pour la colo-IRM, en donnant à boire au patient
du produit de contraste 1 ou 2 jours avant l’examen.
Pour le
baryum, les résultats ne semblent pas concluants ; pour le
gadolinium, le prix est un obstacle non négligeable et l’efficacité de
la procédure n’est pas encore démontrée.
Pourtant, en marquant
aussi les selles, il serait possible de réaliser en même temps un
effacement électronique automatique de celles-ci.
L’analyse endoluminale nécessite une bonne distension de la lumière colique
car l’endoscope virtuel doit être éloigné de la lésion endoluminale
pour permettre une meilleure analyse endoluminale.
De plus,
l’épaississement pariétal colique ne peut être affirmé que si la
distension luminale est optimale.
Il existe des artefacts liés aux caractéristiques de reconstruction, c’est
notamment le cas de l’artefact de balayage qui produit des cercles
concentriques sur les parois coliques. Il est facilement traité
par lissage de l’image.
En diminuant l’épaisseur de coupe et en
réduisant le pitch, ces cercles concentriques sont réduits.
Les
artefacts de mouvement donnent naissance à une image linéaire, en
relief sur les images endoluminales.
Les contours coliques
apparaissent également flous.
Le baryum et les corps métalliques
qui modifient brutalement l’atténuation des rayons X entraînent des
artefacts sur les contours coliques.
Lors de l’analyse des images obtenues, l’étude des reconstructions
2D et 3D est effectuée simultanément.
Une anomalie décelée
sur une vue 2D axiale est immédiatement contrôlée par une vue endoluminale.
L’épaississement pariétal colique peut être
également contrôlé et étudié par simple basculement ou rotation de
la lumière colique selon les modes de reformatations multiplanaires.
Une étude comparant l’apport des images 2D et 3D confirme
leur complémentarité indispensable, avec une sensibilité voisine
pour chaque analyse.
Les limites actuelles de la coloscopie virtuelle sont celles d’une
préparation colique insuffisante. Un défaut d’insufflation
et de distension colique limite également l’évaluation endoluminale
virtuelle.
La tolérance clinique est généralement bonne,
supérieure à la coloscopie, mais l’irradiation (voisine d’un lavement
baryté en double contraste) est un facteur à intégrer, surtout dans
une perspective de dépistage chez des sujets jeunes.
Le temps
médecin nécessaire pour effectuer l’endoscopie virtuelle avec quatre
études successives coliques complètes, à savoir déplacement
antérograde et rétrograde, en incidences de décubitus et de procubitus sur la console de travail, est un facteur limitant
important.
Place et avenir
:
Par ses qualités, la coloscopie virtuelle peut être envisagée comme
une méthode de dépistage des polypes coliques.
La coloscopie
serait alors réservée aux patients suspects de polypes à la coloscopie
virtuelle.
Il est difficile actuellement, avec le nombre de scanners
disponibles, d’envisager de remplacer toutes les coloscopies de
dépistage par une coloscopie virtuelle.
Néanmoins, les résultats des études comparatives actuelles permettent d’envisager cette
hypothèse, surtout si les développements informatiques
raccourcissent les temps de traitement et permettent le
développement d’une endoscopie virtuelle automatique, avec peut être
également une détection automatique des polypes par système
expert.
En dehors du dépistage des polypes, où les États-Unis semblent
largement impliqués, les autres applications de la coloscopie
virtuelle que l’on peut envisager sont les échecs et les insuffisances
de l’endoscopie par anomalie anatomique ou lésionnelle.
Les lésions sténosantes rendent plus difficile la vacuité colique d’amont ;
néanmoins, dans 75 % des cas, une étude endoscopique virtuelle
d’amont est possible.
La coloscopie virtuelle peut
également être envisagée en complément de l’endoscopie en cas de
lésion endoluminale décelée à la coloscopie, mais dont l’étiologie
exacte reste indéterminée : lésion muqueuse, sous-muqueuse
vasculaire ou pariétale ?
L’analyse complète de la paroi colique peut
faciliter le diagnostic.
Il est ainsi possible d’apprécier les lésions péricoliques comme les abcès et les fistules.
Contrairement à la
bronchoscopie où le franchissement virtuel de la paroi bronchique
permet de placer l’endoscope virtuel dans un environnement aérique identique, le franchissement de la paroi colique ne
permet pas une véritable étude endoscopique de l’espace
péricolique.
La coloscopie virtuelle, ou plutôt l’étude scanographique du côlon, peut également être envisagée chez les
personnes âgées peu valides où la coloscopie ou le lavement opaque
sont difficiles à réaliser.
Dans cette situation, les images 2D sont alors
essentielles.
Enfin, dans une optique futuriste, il est possible d’envisager que la
coloscopie virtuelle devienne le mode de formation des endoscopies
et peut-être même qu’elle permette le téléguidage automatique de la
coloscopie réelle pour la résection des polypes.
Conclusion
:
La coloscopie virtuelle reste une technique en période d’évaluation. Les premières études, notamment américaines, confirment les espoirs
investis dans cette technique pour le dépistage des polypes, mais des
séries plus importantes restent nécessaires.
En dehors de cette
importante contribution en cancérologie, la coloscopie virtuelle permet
déjà, de manière ponctuelle, d’améliorer la qualité de l’étude standard
du côlon au scanner.