Le terme d’acro-ostéolyse décrit la destruction d’une partie de la
phalange distale des doigts et des orteils, le plus souvent bilatérale.
Les rares formes primitives ne doivent être retenues qu’après avoir
éliminé une forme acquise secondaire à une affection médicale, un
toxique ou un traumatisme.
L’enquête clinique et biologique est
fondamentale car les radiographies sont le plus souvent peu
spécifiques.
Pathogénie
:
La pathogénie de l’acro-ostéolyse est encore inconnue.
Les facteurs
délétères sont probablement multiples devant la variété de survenue
après des traumatismes thermiques ou biomécaniques, comme à la
suite d’affections vasculaires ou neurologiques.
L’occlusion
vasculaire joue certainement un rôle majeur dans le développement
de l’ostéolyse.
Clinique
:
Précocement, une acro-ostéolyse peut se révéler par des signes
fonctionnels, comme des acroparesthésies, des douleurs sourdes ou
des modifications vasomotrices des doigts.
Dans les acro-ostéolyses
familiales, la douleur est un signe remarquable.
Le raccourcissement
des phalanges distales donne une apparence de pseudohippocratisme
digital.
Une déformation en pince de l’ongle
est possible après acro-ostéolyse post-traumatique.
Dans les cas
sévères, l’ongle peut être détruit.
Les orteils sont fréquemment
touchés dans les affections avec troubles neurologiques.
La
déformation et la destruction des doigts s’accompagnent de troubles
trophiques et des ulcérations des parties molles.
Radiologie
:
L’aspect radiologique de l’acro-ostéolyse est peu spécifique.
Néanmoins deux variétés doivent être individualisées : l’acroostéolyse
transversale en bande et l’acro-ostéolyse longitudinale.
Elles permettent une ébauche d’orientation diagnostique mais
elles peuvent être associées.
A - FORME TRANSVERSALE
:
Dans la forme transversale, la diaphyse de la phalange distale
présente une ostéolyse en bande, alors que la base et la houppe sont
préservées.
Une fragmentation de la houppe peut entraîner
sa disparition quasi totale, traduisant une acronécrose.
La forme transversale est plutôt évocatrice des intoxications au chlorure de
vinyle et à certains venins, des formes congénitales familiales ou
idiopathiques.
B - FORME LONGITUDINALE
:
Dans l’acro-ostéolyse longitudinale, la résorption de la houppe et de
la diaphyse, qui semblent fondre de façon concentrique, aboutit
progressivement à un aspect en « sucre d’orge sucé » ou en « crayon
taillé ».
Cette variété d’acro-ostéolyse est plus volontiers
retrouvée dans la sclérodermie, l’hyperparathyroïdie primaire ou
secondaire, le rhumatisme psoriasique et les gelures.
L’ostéolyse
peut s’étendre aux métacarpiens et aux métatarsiens dans les
affections avec troubles neurologiques.
C - SIGNES ASSOCIÉS
:
Les éventuelles anomalies associées sur les radiographies des mains
et des pieds peuvent fournir d’importants éléments d’orientation
étiologique (résorption sous-périostée d’une hyperparathyroïdie
, calcinose des parties molles dans le cadre d’une sclérodermie,
arthrite érosive psoriasique ou d’une polyarthrite rhumatoïde...).
Acro-ostéolyses acquises
:
A - HYPERPARATHYROÏDIE PRIMITIVE ET SECONDAIRE
(OSTÉODYSTROPHIE RÉNALE)
:
Les deux formes d’acro-ostéolyse se rencontrent dans ce contexte
avec une plus grande fréquence de l’ostéolyse longitudinale.
Il faut rechercher au début une résorption sous-périostée du bord
radial de la 2e phalange des 2e et 3e doigts.
Des anomalies
associées des articulations acromioclaviculaires, sacro-iliaques ou du
pubis doivent être recherchées en plus de l’étude biologique.
B - RHUMATISMES INFLAMMATOIRES
:
1- Psoriasis
:
Moins de 15 % des formes périphériques de rhumatisme psoriasique
présentent une acro-ostéolyse, plutôt de type longitudinal et associée
à une arthrite interphalangienne distale.
Les articulations interphalangiennes proximales, métatarsophalangiennes et
métacarpophalangiennes peuvent également être atteintes.
Les
lésions sont plus fréquentes aux pieds qu’aux mains.
Exceptionnellement, l’acro-ostéolyse est isolée sans atteinte
articulaire.
2- Polyarthrite rhumatoïde et vascularite
:
L’ostéolyse, de type longitudinal, a été décrite en cas de vascularite
avec polyarthrite rhumatoïde.
Le contexte
clinique, biologique et l’atteinte radiologique d’autres
articulations permettent le diagnostic.
3- Réticulohistiocytose multicentrique
:
Des lésions cutanées vésiculeuses s’associent aux lésions des mains,
caractéristiques de la réticulohistiocytose multicentrique (ou dermoarthrite
lipoïde).
Elles sont présentes chez plus de 75 % des patients associant une atteinte bilatérale et symétrique des interphalangiennes distales.
Les érosions marginales sont plus
habituelles que l’acro-ostéolyse.
Le squelette axial peut être atteint
(sacro-iliaques, articulations costotransversaires et surtout
articulation atlas-axis).
Cette pathologie est associée à un cancer
dans 25 % des cas (carcinomes coliques, bronchiques ou
mammaires).
C - CONNECTIVITES ET ATTEINTES VASCULAIRES
OU MÉTABOLIQUES :
1- Sclérodermie
:
L’ostéolyse des phalanges distales est notée dans 40 à 80 % des
sclérodermies.
Il s’agit soit d’une résorption des houppes débutant
à la face antérieure, soit d’une ostéolyse transversale ou oblique
isolant un fragment distal irrégulier.
Le contexte clinique (jeune
femme, syndrome de Raynaud, sclérose cutanée à début digital) et
les éventuels signes radiologiques associés (atrophie des parties
molles avec diminution de l’index pulpaire, calcinose) orientent le
diagnostic (CREST syndrome : calcinose, Raynaud, oesophage, sclérodermie,
télangiectasie).
2-
Syndrome de Raynaud idiopathique :
Il est
responsable d’une ostéolyse des phalanges distales dans les
formes sévères, de même que les artérites oblitérantes des
extrémités.
3- Pycnodysostose
:
La pycnodysostose associe un nanisme avec ostéopétrose et acroostéolyse
(maladie de Toulouse-Lautrec).
D - AFFECTIONS NEUROLOGIQUES
:
1- Neuro-arthropathies du diabète, de la syringomyélie,
du tabès et de l’indifférence congénitale à la douleur
:
Ces affections s’accompagnant d’une diminution, voire une perte de
la sensibilité à la douleur peuvent présenter une acro-ostéolyse de
type longitudinale.
Radiologiquement, elles associent des lésions
ostéolytiques importantes, responsables de déformations avec subluxation, des fractures, des fragments osseux intra-articulaires et
des constructions ostéophytiques.
La hanche, le genou, la cheville et
le rachis sont les localisations les plus fréquentes dans le tabès,
l’épaule, le coude, le poignet et le rachis dans la syringomyélie, les articulations métatarsophalangiennes, métacarpophalangiennes
et interphalangiennes dans le diabète, le tarse
dans l’indifférence congénitale à la douleur.
Une acro-ostéolyse peut
être révélatrice d’une dysraphie rachidienne.
2- Lèpre
:
Les lésions
ostéolytiques sont dues à une dénervation sensitive et motrice,
plus rarement directement à une infection.
Elles
touchent les métatarsiens et les phalanges proximales du pied,
mais aussi les phalanges distales des mains et des pieds.
3- Acropathie ulcéromutilante
:
Plus fréquente chez la fille que le garçon, la maladie de Thévenard
se manifeste entre 14 et 20 ans par un raccourcissement et un
épaississement d’un ou plusieurs orteils.
La forme de l’adulte,
décrite par Bureau et Barrière, est considérée comme une forme
sporadique de la maladie de Thévenard et se révèle tardivement et
quasi constamment chez les éthyliques.
Les radiographies
montrent dans les têtes des deux premiers métatarsiens et dans la
base de la phalange qui leur fait face de fines images vacuolaires
qui se multiplient et aboutissent à la fonte de l’os.
La phalange
s’effile en flammèche et la diaphyse métatarsienne s’amincit et se
termine en biseau.
L’ostéolyse s’étend aux articulations métatarsophalangiennes voisines puis au tarse, aboutissant au pied
cubique.
L’atteinte des membres supérieurs est rare et secondaire à
celle des membres inférieurs.
Les troubles trophiques à type de
maux perforants plantaires siègent en regard de l’articulation
atteinte ; ils précèdent ou sont contemporains de l’ostéolyse.
Des
troubles de la sensibilité de type syringomyélique sont fréquemment
associés.
E - TRAUMATISME, BRÛLURE, GELURE
:
Une acro-ostéolyse peut être secondaire à une brûlure des doigts
(chaleur, électricité) ou à des engelures.
L’extrémité des
pouces, protégée dans le poing fermé, est préservée en cas de
traumatisme par le froid. Des microtraumatismes répétés, comme
chez les joueurs de guitare, peuvent être responsables d’une acroostéolyse.
F - TOXIQUE
:
L’acro-ostéolyse peut être due aux vapeurs de matières
synthétiques.
Elle est reconnue comme maladie professionnelle
chez les ouvriers affectés au nettoyage des autoclaves servant à la
polymérisation du chlorure de vinyle.
Le début est insidieux
marqué par des douleurs sourdes et une déformation progressive
des ongles parfois accompagnées par des modifications cutanées de la face dorsale des doigts, un syndrome de Raynaud ou un
syndrome du canal carpien.
Les signes radiologiques sont
retardés et comportent une ostéolyse transversale d’une ou plusieurs
phalanges distales des mains.
Les clichés évolutifs montrent
le déplacement du trait d’ostéolyse vers la base de la phalange
distale.
L’arrêt de l’exposition stoppe l’évolution et une réparation
avec cal osseux peut s’observer.
L’atteinte des pieds est moins
fréquente que celle des mains, mais réalise un aspect radiologique
semblable.
Des atteintes
viscérales ont été rapportées, en particulier des angiosarcomes
hépatiques.
Des acro-ostéolyses ont été rapportées après intoxication au venin
de serpent ou de scorpion, ainsi qu’après certaines prises
médicamenteuses (phénytoïne, ergot de seigle).
G - AUTRES
:
Citons quelques pathologies rarement associées à une acro-ostéolyse,
comme la pachydermopériostose, la goutte, la sarcoïdose,
les infections, les métastases osseuses, le choc septique, l’acrodermie
extensive de Hallapeau et Hébra, la maladie d’Ehlers-Danlos, la
porphyrie congénitale.
Acro-ostéolyses idiopathiques
:
A - À DÉBUT DISTAL
:
Parmi les acro-ostéolyses à début distal, citons le syndrome de
Hajdu-Cheney, comportant des formes familiales de transmission
autosomique dominante et des formes sporadiques.
Ce syndrome
associe une acro-ostéolyse des mains et des pieds, des malformations
craniofaciales et une ostéoporose chez des sujets de petite taille.
Des
ulcérations plantaires, une atrophie ou des ulcérations des extrémités
des doigts sont fréquemment retrouvées dans ces formes à début
distal chez un adulte de 20 à 30 ans.
Le bilan biologique est négatif,
en particulier la fonction rénale n’est pas altérée.
L’acro-ostéolyse
débute le plus souvent vers la dixième année.
Radiologiquement,
elle réalise une ostéolyse transversale des phalanges distales avec
parfois résorption du fragment distal.
L’ostéolyse reste stable ou, au
contraire, s’étend sur plusieurs années aux autres phalanges, aux
métacarpiens et métatarsiens qu’elle effile en « crayon taillé », et aux
os de l’avant-bras.
L’ostéolyse peut aussi toucher les branches de la
mandibule.
Les manifestations craniofaciales sont constamment
retrouvées : crâne allongé dans le sens antéropostérieur avec saillie
de l’occiput, oreilles bas implantées, élargissement des sutures
lambdoïdes et présence d’os wormiens, platybasie fréquente, à
l’origine de complications neurologiques, édentation précoce par résorption alvéolaire des maxillaires, impression basilaire et selle
turcique élargie.
L’ostéoporose généralisée apparaît dès l’enfance
avec cyphose dorsale et déformations vertébrales en diabolo.
Quant à l’hyperlaxité ligamentaire et à la surdité de transmission,
elles sont inconstantes.
B - À DÉBUT CARPOTARSIEN
:
Ces formes ne concernent pas les phalanges distales et se révèlent
par des troubles de la marche, un pied creux ou des tuméfactions
des poignets.