L’hématurie est un symptôme qui
est le témoin d’une pathologie pouvant atteindre le parenchyme
rénal comme les voies excrétrices urinaires. Un interrogatoire
bien conduit a souvent une forte valeur d’orientation, en
particulier pour suspecter le niveau du saignement dans les
voies urinaires. Néanmoins, des examens complémentaires de base
sont indispensables pour orienter le patient vers le néphrologue
ou l’urologue. L’étiologie qu’il faut constamment éliminer avec
certitude est l’existence d’une tumeur hémorragique, la
cystoscopie est l’examen de routine au moindre doute. Malgré un
bilan exhaustif, environ 10 % des hématuries restent
inexpliquées et justifient une surveillance régulière.
Diagnostic positif :
CIRCONSTANCES DE DÉCOUVERTE :
Motif de consultation :
Soit l'hématurie est le motif de consultation, le patient décrivant
un ou plusieurs épisodes d'émission d'urines sanglantes.
Dépistage par bandelette :
Soit l'hématurie est dépistée par la bandelette urinaire devant un
symptôme évocateur ou dans le cadre de la surveillance médicale.
Les bandelettes urinaires contiennent un mélange de peroxyde et
d'ortholuidine. Leur réaction est fondée sur les propriétés
pseudo-peroxydasiques de l'hémoglobine. Le test détecte
l'hémoglobine des globules rouges lysés ou intacts, ainsi que la
myoglobine.
* Le seuil de détection est de 5 à 15 globules rouges parmm3, ce
qui correspond environ à 5 000 à 15 000 hématies par minute; le
test est donc très sensible.
* Les limites de la méthode consistent en l'existence de faux
négatifs et de faux positifs:
- la sensibilité des bandelettes est diminuée par une urine très
concentrée, longtemps conservée ou une forte protéinurie,
l'hémoglobine et la myoglobine libres.
- ainsi que la présence de substances oxydantes (hypochlorite des
désinfectants ou peroxydases microbiennes au cours des
infections urinaires) positivent la réaction.
CONFIRMER LE DIAGNOSTIC :
L'émission d'urines foncées ou noirâtres ne signifie pas toujours
hématurie.
Étude cytologique urinaire :
L'étude cytologique urinaire permet de faire un diagnostic correct
si le malade est examiné alors qu'il émet encore des urines
foncées.
* La cytologie urinaire quantitative montre la présence des
hématies et permet la numération des éléments.
* Celle-ci est pathologique lorsqu'elle dépasse 10 hématies parmm3
ou 10 000 parml.
Compte d'Addis :
Le débit minute des hématies ou compte d'Addis est la mesure du
débit urinaire des hématies.
Il permet de quantifier l'hématurie microscopique.
Le résultat est pathologique si le débit est supérieur à 10000
hématies par minute.
Diagnostic
différentiel :
Il convient d'éliminer les atteintes citées ci-après.
Urines colorées non hématuriques :
* Par les pigments alimentaires (betteraves, choux rouges,
myrtilles).
* Par les pigments physiologiques (hémoglobine, myoglobine,
porphyrine, pigments biliaires).
* Par les pigments d'origine médicamenteuse (phénindione,
rifampicine, métronidazole, dibencozide, laxatifs contenant de
la dantrone ou de la phénolphtaléine, phénazopyridine et
salazosulfapyridine).
Urétrorragie :
L'urétrorragie survenant en dehors de toute miction.
Chez la femme
Penser aux menstruatrions et aux métrorragies.
Il faut soit refaire l'examen des urines à distance du cycle, soit
refaire les examens en mettant un tampon.
Sondage vésical
Un sondage vésical ôte toute valeur à une hématurie microscopique
et peut gêner l'interprétation d'une hématurie macroscopique.
Démarche diagnostique :
BILAN CLINIQUE :
Interrogatoire :
Chronologie de l'hématurie par rapport à la miction :
* Grâce à un interrogatoire précis et si le saignement persiste à
l'aide de l'examen d'une miction fractionnée, on peut classer
les hématuries comme initiales, terminales ou totales:
- l'hématurie initiale est habituellement urétrale ou prostatique.
- l'hématurie terminale est le plus souvent vésicale.
- l'hématurie totale, couvrant la totalité de la miction, a pour
origine le parenchyme rénal (néphropathie glomérulaire) ou la
voie excrétrice haute, y compris les tumeurs du rein.
- la présence de caillots dans les urines plaide pour une origine
urothéliale.
* Si la valeur sémiologique d'une hématurie initiale ou terminale
est considérable, il n'en est pas de même de l'hématurie totale
d'interprétation plus difficile:
- d'une part toute hématurie très abondante peut être totale quel
que soit le siège du saignement.
- d'autre part, l'hématurie totale ne permet pas de distinguer son
origine parenchymateuse ou de la voie excrétrice.
Circonstances d'apparition :
* L'interrogatoire précisera:
- les antécédents personnels et/ou familiaux de polykystose rénale,
de drépanocytose, de colique néphrétique, de surdité (syndrome
d'Alport).
- et les antécédents personnels d'infection récente, de prise
médicamenteuse récente, de pathologie prostatique, de
traumatisme récent, d'un tabagisme...
* Il recherchera des signes fonctionnels comme des douleurs
pelviennes ou lombaires, des troubles mictionnels, l'existence
d'une fièvre, d'une altération de l'état général.
* La prise d'un traitement anticoagulant ou la prise d'aspirine ne
doit jamais faire arrêter le bilan à ce stade.
Examen clinique :
L'examen clinique recherche:
* des signes généraux tels que la fièvre, une perte ou une prise de
poids récente (œdèmes), une hypertension artérielle.
* une masse dans la ou les fosses lombaires donnant le contact
lombaire et témoignant de gros reins.
* une prostate anormale par le toucher rectal (TR). Cet examen doit
être systématique.
* un globe, une masse dure hypogastrique, une anomalie des organes
génitaux externes...
Il est à noter que les hématuries d'origine parenchymateuse sont
cliniquement isolées. Elles:
- sont totales.
- ne s'accompagnent d'aucune douleur, d'aucun trouble mictionnel.
- et ne contiennent jamais de caillot; cela est dû à la présence
d'urokinase rénale mêlée au sang ayant envahi l'urine dès la
traversée tubulaire, assurant la dissolution immédiate des
caillots.
Le reste de l'examen insiste sur l'état dentaire et ORL mais aussi
sur les différents points d'appel possibles.
EXAMENS COMPLEMENTAIRES :
Examens biologiques :
Examen cytobactériologique des urines :
L'ECBU est systématique, l'hématurie ne pouvant être interprétée
qu'en l'absence d'infection urinaire.
Recherche d'une protéinurie et de cylindres hématiques
Deux signes biologiques associés doivent être retenus car ils ont
une signification sans ambiguïté:
* l'un est la recherche d'une protéinurie
- dès qu'elle dépasse 1,5 à 2 g/24 h elle témoigne d'une
néphropathie glomérulaire.
- il faudrait que le saignement dépasse 20ml/24 h pour expliquer à
lui seul une telle protéinurie.Un saignement de cette intensité
est exceptionnel.
* l'autre est la recherche de cylindres hématiques dans le sédiment
urinaire au microscope à contraste de phase.
- les cylindres sont des moules des lumières tubulaires. Ce sont
des masses protéiques dont le squelette est la protéine de Tamm
et Horsfall. Ils ne contiennent aucune inclusion.
- ils ne sont pathologiques que lorsqu'ils contiennent des
inclusions cellulaires comme des hématies.
- les cylindres hématiques apportent la démonstration que les
hématies proviennent du parenchyme rénal.
* l'existence de déformations érythrocytaires au microscope à
contraste de phase est également un argument indirect en faveur
de l'origine glomérulaire de l'hématurie.
Recherche d'une insuffisance rénale
Quant à l'insuffisance rénale, son association évoque une
glomérulonéphrite, mais elle peut avoir pour cause des lésions
des voies excrétrices.
Urographie intraveineuse :
L'UIV est le premier examen à effectuer car elle fournit des
renseignements essentiels sur le haut et le bas appareil
urinaire.
Au terme de ce premier bilan clinique, biologique et radiologique,
soit il existe une orientation vers une cause urologique, soit
vers une cause néphrologique.
Cause urologique :
Éléments d'orientation :
* La coexistence de douleurs lombaires unilatérales, de signes
fonctionnels urinaires, l'absence de protéinurie, des anomalies
urographiques, orientent vers une affection urologique.
* Selon le contexte, le bilan initial est complété par:
- une échographie rénale.
- un scanner rénal.
- une cystoscopie si possible en période hématurique afin de
localiser un saignement sus-vésical.
- voire une urétro-pyélographie ascendante ou, mieux, une
urétéropyéloscopie.
- l'étude de la cytologie urinaire peut être utile à la recherche
de cellules anormales.
Tumeurs rénales :
* Les tumeurs rénales susceptibles de saigner sont:
- soit bénignes tels les kystes de la polykystose rénale,
l'angiomyolipome (densité tumorale graisseuse à l'examen
scanographique).
- soit malignes, comme les cancers du rein.
* Un kyste banal du rein ne peut être responsable d'une hématurie,
il faut alors rechercher une autre cause.
* La polykystose rénale est une affection médicale,
exceptionnellement chirurgicale à l'occasion de certaines
complications.
Tumeurs urothéliales :
* Les tumeurs urothéliales peuvent siéger au niveau des cavités
rénales, calices ou bassinets, et de l'uretère. Ces dernières
sont assez rares et sont d'un pronostic sombre.
* Les tumeurs vésicales sont plus fréquentes, notamment chez le
sujet âgé, cas où elles représentent la première cause
d'hématurie. La cystoscopie permet d'en faire le diagnostic et
la résection endoscopique, l'examen histologique.
Tumeurs prostatiques :
* L'hématurie peut révéler un cancer de la prostate, voire un
adénome prostatique. Mais c'est un mode de révélation rare et il
vaut mieux poursuivre les investigations afin d'éliminer les
autres causes d'hématurie.
* La chute d'escarres, une huitaine de jours après une résection de
prostate, peut s'accompagner d'une hématurie.
Lithiase urinaire :
* La plus fréquente des manifestations cliniques reste la colique
néphrétique, traduisant la distension aiguë de la voie
excrétrice.
* Elle peut s'accompagner d'une hématurie macroscopique, mais elle
est très fréquemment associée à une hématurie microscopique.
Infection urinaire :
* L'infection urinaire est suspectée sur les signes habituels et
confirmée par l'ECBU. Le traitement de l'infection doit
entraîner la disparition de l'hématurie.
* La persistance de celle-ci doit conduire à poursuivre les
investigations.
* Parmi les infections, on peut rechercher plus spécifiquement,
lorsque le contexte est évocateur, une bilharziose ou une
tuberculose urinaire.
Causes traumatiques :
* Le contexte des causes traumatiques est généralement évident.
* La présence d'une hématurie conduira à un bilan lésionnel précis
débuté par uneUIV.
Malformations vasculaires rénales :
Dans les malformations vasculaires rénales, la réalisation
d'artériographies et de phlébographies rénales sélectives a mis
en évidence des anévrismes artério-veineux ou des angiomes chez
des malades hématuriques dont l'UIV et la cystoscopie étaient
normales.
Cause néphrologique :
Éléments d'orientation :
* C'est la présence d'une protéinurie, de cylindres hématiques, et
éventuellement d'une HTA, d'œdèmes, d'une insuffisance rénale
associés à l'hématurie, alors que l'UIV est normale, qui
orientera vers une cause néphrologique.
* La cystoscopie, lorsqu'elle est effectuée, montre une éjaculation
sanglante bilatérale.
* Dans ce contexte, se discute la réalisation d'une biopsie rénale.
Les causes sont multiples.
Glomérulonéphrites aiguës :
Les glomérulonéphrites aiguës peuvent être:
* des glomérulonéphrites postinfectieuses et sont en général
post-streptococciques. Elles surviennent 10 à 15 jours après une
infection ORL:
- l'hématurie s'intègre dans un syndrome néphritique aigu, les
composants C3 et C4 du complément sont abaissés.
- l'évolution est le plus souvent favorable.
* il peut aussi s'agir de glomérulonéphrites rapidement
progressives ou associées à une maladie générale comme le lupus
érythémateux aigu disséminé ou le purpura rhumatoïde. La biopsie
rénale doit être souvent effectuée en urgence.
Glomérulonéphrites chroniques :
Dans les glomérulonéphrites chroniques:
* il s'agit essentiellement de la glomérulopathie à dépôts
mésangiaux d'IgA ou maladie de Berger:
- c'est la glomérulopathie la plus fréquente en France.
- elle est responsable d'épisodes d'hématurie macroscopique qui
surviennent au cours même d'une pathologie ORL.
- entre les épisodes macroscopiques persiste fréquemment une
hématurie microscopique, associée à une protéinurie typiquement
modérée.
* l'hématurie s'observe également dans de nombreuses
glomérulopathies.
Nécrose papillaire :
Une nécrose papillaire:
* se révèle de façon aiguë par une douleur lombaire unilatérale, de
la fièvre, une hématurie et souvent une poussée transitoire
d'insuffisance rénale:
- le fragment papillaire nécrosé peut migrer le long de l'uretère
et être mis en évidence dans les urines.
- l'UIV montre la destruction ou le séquestre d'une région
papillaire.
* elle survient dans des conditions particulières:
- comme l'infection urinaire chez le diabétique.
- au cours des néphropathies dues à l'abus d'analgésiques.
- au cours de certaines pyélonéphrites aiguës graves.
- lors de la drépanocytose
Infarctus rénal :
L'infarctus rénal:
* doit être évoqué devant la coexistence d'une hématurie et d'un
syndrome douloureux lombaire ou abdominal.
* il peut être secondaire:
- à la thrombose d'un anévrisme au cours d'une angéite nécrosante,
à une thrombose distale au cours de l'HTA sévère, à une
dissection aortique de l'artère rénale (spontanée ou
traumatique).
- ou à une embolie à partir d'une pathologie artérielle ou d'une
cardiopathie emboligène.
Néphropathies interstitielles :
Les néphropathies interstitielles sont très rarement responsables
d'hématurie en dehors de certaines néphrites interstitielles
aiguës, notamment d'origine immuno-allergique.
Absence de signes
d'orientation :
Hématurie macroscopique :
Ni la clinique, ni le contexte, ni l'UIV n'ont montré de point
d'appel et l'hématurie est macroscopique:
* la cystoscopie est l'examen fondamental:
- réalisée au mieux en période hématurique, en demandant
éventuellement au patient de revenir en période hématurique, et
répétée au besoin.
- elle permet d'orienter les investigations ultérieures,
néphrologiques ou urologiques.
* la cytologie urinaire peut également être utile.
Hématurie microscopique :
Il s'agit d'une hématurie microscopique chez un malade qui n'a
aucun antécédent uro-néphrologique, dont l'examen clinique et le
TR sont normaux, la protéinurie nulle, les urines stériles et la
créatinine plasmatique normale:
* l'UIV et l'échographie sont également normales.
* la gravité des cancers de vessie conduit à proposer une
cystoscopie à partir de 45 à 50 ans, voire plus tôt s'il existe
des facteurs de risque.
* la biopsie rénale est rarement envisagée, si l'hématurie reste
strictement isolée.
Cas particuliers :
Hématurie chez l'enfant :
Étiologies les plus fréquentes :
Les étiologies les plus fréquentes chez l'enfant sont:
- les syndromes néphritiques.
- les causes urologiques (lithiase, cystite, uropathie) nécessitant
la réalisation d'uneUIV.
- les troubles de la coagulation (hémophilie);
- le syndrome hémolytique et urémique.
Syndrome d'Alport :
L'hématurie peut s'intégrer dans le cadre d'un syndrome d'Alport,
maladie héréditaire autosomique dominante.
Ce dernier associe une néphropathie révélée par des épisodes
hématuriques dans l'enfance, une surdité bilatérale de
perception et une atteinte oculaire plus inconstante.
Hématurie chez le sportif :
La pratique du sport de compétition peut aboutir, dans certains
cas, à un épisode de myoglobinurie.
Une hématurie vraie, microscopique, a été observée chez les
coureurs à pied; une des explications est l'existence de
microtraumatismes vésicaux répétés.
Hématurie et anticoagulants :
Rappelons qu'une hématurie survenant au cours d'un traitement
anticoagulant doit faire rechercher un surdosage, mais sera
explorée de la même manière que celle survenant chez un malade
ne recevant pas de traitement anticoagulant.