Traitement des lymphomes cérébraux primitifs

0
2318

Introduction :

Les LCP sont des tumeurs lymphomateuses intracérébrales survenant chez un patient sans antécédant de lymphome non hodgkinien et ne présentant pas d’autres localisations lymphomateuses en dehors du système nerveux central, des méninges ou de l’oeil.

Traitement des lymphomes cérébraux primitifsIl s’agit dans 80 % des cas d’un lymphome malin de type B diffus à grandes cellules (classification REAL).

Les LCP sont considérés comme des tumeurs rares.

On estime classiquement qu’ils représentent environ 5 % de l’ensemble des tumeurs cérébrales.

Cependant, les études épidémiologiques récentes mettent en évidence une augmentation importante de l’incidence des LCP dans les pays occidentaux (approximativement d’un facteur 10 sur les années 1980).

L’existence d’une immunodépression est un facteur favorisant clairement établi, qu’elle soit congénitale ou acquise (syndrome de l’immunodéficience acquise [sida], patients transplantés sous immunosuppresseurs, maladies de système).

La propagation de l’épidémie du sida n’explique qu’en partie cette augmentation car elle se retrouve aussi chez les sujets apparemment « immunocompétents ».

Si le virus Epstein-Barr (EBV) semble impliqué dans le développement des LCP du sujet immunodéprimé, la physiopathogénie des LCP du sujet immunocompétent reste mal comprise.

Les LCP sont caractérisés par un polymorphisme clinique et radiologique, et une sensibilité toute particulière aux traitements qui justifient leur place à part au sein des tumeurs cérébrales malignes primitives.

D’excellentes revues générales ont été consacrées aux LCP.

L’objectif de ce chapitre est de faire le point sur la prise en charge thérapeutique des LCP qui a sensiblement évolué ces dernières années. Nous nous intéresserons surtout au sujet immunocompétent.

Spécificités des lymphomes cérébraux primitifs et facteurs pronostiques :

Comme pour les lymphomes systémiques, le traitement repose sur la radiothérapie et la chimiothérapie.

Cependant, les LCP posent des problèmes spécifiques en raison de la barrière hématoencéphalique qui constitue un obstacle à la diffusion des chimiothérapies et la faible tolérance du tissu cérébral à la radiothérapie et a fortiori aux traitements combinés.

En outre, les LCP concernent des populations particulièrement exposées aux complications neurologiques des traitements.

En effet, les patients immunocompétents sont en majorité âgés (âge moyen : 55 ans) et les patients VIH+, s’ils sont plus jeunes, sont généralement à un stade tardif de leur maladie et présentent déjà, pour la plupart, des troubles cognitifs.

L’âge constitue également, avec l’indice fonctionnel de Karnofsky, l’un des deux critères majeurs à prendre en considération dans l’évaluation pronostique des patients.

Un patient âgé de plus de 60 ans ou ayant un indice fonctionnel Karnofsky initial inférieur à 40, a trois fois moins de chance de survie au-delà de 2 ans qu’un sujet de moins de 60 ans ou ayant un score de Karnofsky supérieur à 70.

D’autres facteurs tels que l’existence d’une hyperprotéinorachie ou l’augmentation des lacticodéshydrogénases ont été proposés par certains auteurs comme étant des facteurs de mauvais pronostic, mais méritent d’être confirmés.

L’histologie ne semble pas avoir de valeur pronostique.

Les progrès récents viennent moins de la découverte de nouvelles molécules actives que d’une meilleure définition des stratégies thérapeutiques à adopter dans les LCP.

Chirurgie :

Des observations de patients longs survivants (plusieurs années) ont été rapportées dans la littérature après une simple exérèse chirurgicale sans autres traitements complémentaires.

Mais ces cas demeurent exceptionnels.

La chirurgie d’exérèse ne fait plus partie de l’arsenal thérapeutique des LCP.

En effet, en raison du caractère très infiltrant et multifocal du LCP, la chirurgie n’augmente pas de manière significative la durée de vie des patients.

La médiane de survie ne dépasse pas 3 mois après chirurgie seule.

Corticothérapie :

Les corticoïdes possèdent une activité cytolytique propre sur les cellules lymphomateuses et font partie intégrante de la chimiothérapie des LCP.

Ils entraînent une réponse tumorale objective dans environ un tiers des cas dont 10 % de réponses complètes.

Le délai de réponse peut être très court et varier de quelques heures à plusieurs jours.

En cas de réponse, la symptomatologie clinique s’améliore souvent de manière spectaculaire.

À la phase diagnostique, l’administration de corticoïdes doit donc être évitée dans la limite du possible, car elle peut faire disparaître la cible à biopsier et/ou rendre l’examen anatomopathologique ininterprétable.

La réponse ne persiste pas habituellement au-delà de quelques semaines.

Des rémissions prolongées de plusieurs années ont toutefois été décrites.

Radiothérapie seule :

La radiothérapie est un traitement de référence des LCP.

L’irradiation inclut l’encéphale in toto.

En l’absence d’étude comparative contrôlée, les doses optimales à délivrer restent à déterminer.

Quand la radiothérapie est exclusive, la majorité des auteurs délivrent une dose totale comprise entre 40 à 50 Gy avec un fractionnement classique (dose par fraction quotidienne de 1,8 à 2 Gy).

Certains auteurs recommandent de réaliser un complément sur le lit tumoral afin d’atteindre une dose supérieure à 50 Gy en cas de lésion unique.

La seule étude prospective de valeur est celle du Radiation Therapy Oncology Group (RTOG) ; la radiothérapie délivrait une dose de 40 Gy sur l’encéphale in toto avec un complément de 20 Gy sur le lit tumoral.

Malgré un taux de réponse objective d’environ 80 % (60 % de réponses complètes), la rémission a été peu durable et la médiane de survie ne dépassait pas 12 mois.

Le contrôle local était clairement insuffisant, puisque plus de huit tumeurs sur dix rechutaient dans le site tumoral initial qui avait pourtant reçu la dose maximale de 60 Gy.

Les autres études de la littérature sont basées pour la plupart sur des données rétrospectives avec des protocoles d’irradiation variés ; les médianes de survie varient entre 8 et 21 mois.

Le taux de survivants à 5 ans se situe entre 5 et 15 %.

Une irradiation spinale complémentaire n’est pas recommandée car son efficacité n’est pas démontrée en termes de contrôle local ou de survie ; en revanche, elle compromet la tolérance d’une chimiothérapie ultérieure.

Chimioradiothérapie :

Les résultats décevants de la radiothérapie exclusive ont amené certaines équipes à proposer des traitements combinant chimiothérapie et radiothérapie dès la phase initiale.

Cependant, les premières études combinées furent décevantes, expliquant que la chimiothérapie ait longtemps occupé une place de second plan dans le traitement des LCP.

En réalité, la plupart des chimiothérapies utilisées comportaient des drogues, comme l’adriamycine ou le cyclophosphamide, connues pour leur activité antilymphomateuse mais pénétrant difficilement la barrière hématocérébrale.

Si celle-ci apparaît clairement rompue au niveau de la prise de contraste tumorale à l’imagerie, elle demeure intacte dans les régions adjacentes et à distance également infiltrées par des cellules lymphomateuses.

De surcroît, une étude de PET scan a montré que la barrière hématocérébrale initialement altérée dans le lit tumoral retrouvait très rapidement une perméabilité comparable à celle du tissu cérébral normal après la réduction tumorale.

Ainsi, les protocoles de type CHOP, combinés à la radiothérapie n’apparaissent pas supérieurs à la radiothérapie exclusive.

Le mérite revient à l’équipe du Mémorial de NewYork (MSKCC) d’avoir montré de manière convaincante l’intérêt de privilégier des agents capables d’atteindre des concentrations thérapeutiques dans le tissu cérébral et les méninges. De nombreuses études ont depuis confirmé l’intérêt d’une telle stratégie.

Les meilleurs résultats ont été obtenus avec des protocoles utilisant une polychimiothérapie à base de méthotrexate (MTX) intraveineux à forte dose (supérieure à 1 g/m2).

Celle-ci était administrée avant la radiothérapie afin de réduire le risque de neurotoxicité retardée.

La médiane de survie obtenue par la plupart de ces protocoles varie de 2 à 4 ans. Dans les études qui ont le plus long recul, le taux de survivants à 5 ans est voisin de 20 à 30 %.

L’association PCV (procarbazine, CCNU, vincristine) utilisée classiquement dans les gliomes malins a été proposée comme traitement adjuvant après radiothérapie et hydroxyurée avec des résultats encourageants.

Cependant, l’évaluation de l’activité spécifique du PCV est difficile à apprécier car la chimiothérapie est administrée après la radiothérapie.

Dans une stratégie de traitement combiné chimioradiothérapie, le protocole de radiothérapie optimal à utiliser après la chimiothérapie n’est pas non plus connu.

Il semble possible de réduire significativement la dose d’irradiation sur l’ensemble de l’encéphale.

Une étude limitant la dose sur l’encéphale à 20 Gy avec une surimpression de 30 Gy sur le lit tumoral a donné des résultats encourageants.

Chimiothérapie intrathécale :

À la phase diagnostique, des cellules lymphomateuses sont identifiées dans le LCR dans 10 à 30 % des cas selon les séries.

Ces taux sous-estiment probablement la fréquence exacte de la dissémination méningée.

Dans certaines séries autopsiques, l’existence d’une infiltration des méninges est quasi constante.

Cette observation justifie l’attitude thérapeutique qui consiste à associer au traitement une chimiothérapie intrathécale (MTX et/ou cytarabine [ara-C]) par voie lombaire ou ventriculaire.

L’injection intraventriculaire par l’intermédiaire d’un réservoir d’Ommaya présente le double avantage d’une meilleure distribution du médicament dans les espaces méningés et de concentrations plus élevées dans le liquide intraventriculaire.

Cette chimiothérapie est recommandée quand la dose de MTX administrée par voie veineuse ne dépasse pas 3 g/m2 ; en effet, de telles doses ne garantissent pas l’obtention d’une concentration thérapeutique efficace dans le liquide céphalorachidien.

Chimiothérapie seule :

Si le traitement combiné chimioradiothérapie a permis au moins de doubler la survie des patients atteints de LCP ainsi que le nombre de longs survivants par rapport à la radiothérapie exclusive, il expose au risque de survenue d’une leucoencéphalopathie retardée.

Celle-ci peut s’exprimer dès les premiers mois qui suivent la fin du traitement et se présente sous la forme d’une démence sous-corticale sévère qui altère considérablement la qualité de vie des patients par ailleurs en rémission et compromet leur pronostic vital.

Ce risque apparaît particulièrement important chez les personnes âgées de plus de 60 ans où il est évalué à plus de 50 %.

C’est pourquoi certaines équipes ne proposent plus de radiothérapie à ces patients et se limitent à une chimiothérapie seule à base de MTX à forte dose.

Le taux de réponse objective à la chimiothérapie est supérieur à 80 %.

Les résultats en terme de survie semblent comparables à ceux du traitement combiné mais avec une meilleure préservation des fonctions cognitives et une meilleure qualité de vie.

D’autres études suggèrent que cette stratégie thérapeutique pourrait être étendue à tous les patients y compris les sujets jeunes.

Malgré un taux de réponse élevé et une amélioration souvent spectaculaire des patients, une rechute survient dans la majorité des cas.

Celles-ci restent cantonnées dans le système nerveux central (plus de 90 % des cas), et intéressent dans plus de la moitié des cas des régions à distance du (ou des) foyer initial.

Une rechute oculaire isolée ou non s’observe dans 10 à 20 %des cas ; les localisations systémiques (ganglionnaires, testiculaires, médullaires, hépatiques) sont plus rares (5 à 10 % des cas).

Le pronostic global des LCP reste bien inférieur à celui des lymphomes systémiques de même type. Ceci souligne la nécessité d’améliorer l’efficacité de la chimiothérapie.

Si le MTX intraveineux à forte dose semble clairement être une drogue de choix de la chimiothérapie des LCP, la dose et la séquence d’administration idéale restent à déterminer.

Le choix du MTX en monochimiothérapie ou dans le cadre d’une polychimiothérapie et celui des meilleures drogues à associer restent débattus. Afin d’augmenter la diffusion de la chimiothérapie dans le parenchyme cérébral, l’équipe de Neuwelt à Portland a développé un protocole de chimiothérapie après rupture osmotique de la barrière hématoencéphalique.

Après administration de mannitol, du MTX est injecté par voie intra-artérielle, en plusieurs temps, dans chacune des carotides et par voie vertébrale afin d’intéresser la totalité du tissu cérébral.

La tolérance cérébrale à long terme semble bonne et la survie est comparable à celle des meilleurs protocoles combinés chimiothérapieradiothérapie.

L’intérêt de la voie intra-artérielle par rapport à la voie intraveineuse reste à démontrer.

L’intérêt d’une intensification de la chimiothérapie avec greffe de cellules souches périphériques dans les LCP chimiosensibles constitue également une perspective thérapeutique intéressante en cours d’évaluation.

Traitement des lymphomes cérébraux primitifs du sida :

Les LCP des patients atteints du sida surviennent à une phase tardive de la maladie.

La radiothérapie demeure le traitement de choix de ces LCP, la chimiothérapie risquant de majorer l’immunodépression.

La médiane de survie est voisine de 3 à 5 mois ; la majorité des patients décèdent d’une infection opportuniste.

Des survies prolongées ont néanmoins été rapportées chez des patients traités par un traitement combiné radiochimiothérapie ou par chimiothérapie seule.

La chimiothérapie peut être proposée chez des patients sélectionnés dont l’état général et immunitaire est encore satisfaisant (CD4 supérieur à 200/mm3).

Les LCP du sujet immunocompétent, dont l’incidence augmente pour des raisons obscures, posent des problèmes thérapeutiques spécifiques par rapport aux lymphomes systémiques en raison de la barrière hématoencéphalique et de la faible tolérance du tissu cérébral à la radiothérapie et aux traitements combinés.

Si la chimiothérapie et la radiothérapie sont des thérapeutiques de référence, le traitement optimal reste à déterminer.

Des questions aussi capitales que celles portant sur le choix des meilleurs agents cytotoxiques à utiliser, des doses de radiothérapie à utiliser ou de l’intérêt d’une chimiothérapie seule par rapport à un traitement combiné chimioradiothérapie à la phase initiale, restent débattues.

Pour répondre à ces questions capitales, il est indispensable d’inclure les patients dans des essais thérapeutiques prospectifs.

Une attention toute particulière devra être portée sur la tolérance neurologique et de manière plus générale sur la qualité de vie des patients.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.