Sarcomes osseux secondaires

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Introduction :

Parmi les sarcomes osseux secondaires, les sarcomes radio-induits et ceux survenant sur maladie de Paget présentent un certain nombre de caractéristiques épidémiologiques et évolutives qui les rapprochent.

Sarcomes osseux secondairesIls surviennent chez l’adulte, sont le plus souvent des ostéosarcomes de haut grade de malignité, volontiers métastatiques dès le diagnostic, et réputés de mauvais pronostic.

Du fait de leur rareté, les séries rapportées sont souvent historiques et les publications récentes sont peu nombreuses.

Un diagnostic précoce grâce à un suivi prolongé des patients à risque et un traitement analogue à celui des sarcomes primitifs semblent pouvoir en améliorer sensiblement la survie.

Sarcomes osseux radio-induits :

A – DÉFINITION :

Des critères proposés en 1948 par Cahan et modifiés en 1971 par Arlen pour caractériser les ostéosarcomes radio-induits, il faut retenir que par convention le diagnostic de sarcome osseux postradiothérapie est admis si ces critères sont remplis :

– la tumeur initiale était osseuse bénigne (tumeur à cellules géantes, dysplasie fibreuse, kyste anévrismal), extraosseuse maligne, ou encore osseuse maligne mais d’un type histologique différent ;

– le sarcome secondaire se développe dans le champ d’irradiation ou à son voisinage immédiat ;

– le délai d’apparition du sarcome secondaire est d’au moins 3 à 4 ans ;

– la preuve histologique du sarcome secondaire est nécessaire, l’aspect radiologique n’étant pas suffisant.

B – ÉPIDÉMIOLOGIE :

Le sex-ratio est de 2,3 femmes pour 1 homme en raison de la fréquence de la radiothérapie des cancers du sein, de l’utérus et du col ; l’incidence des sarcomes radio-induits après cancer du sein est évaluée à 0,3 %, après maladie de Hodgkin à 1 %.

Les tumeurs irradiées chez l’enfant comme les sarcomes d’Ewing, les rhabdomyosarcomes, les néphroblastomes expliquent la survenue de sarcomes radio-induits chez l’adulte jeune.

Si le risque de deuxième cancer après un premier cancer de l’enfance est d’environ 3 % à 20 ans de recul, et de 13 % à 30 ans de recul, ce risque est multiplié par 3 pour les enfants qui ont reçu de la radiothérapie par rapport à ceux qui n’en ont pas eu.

La dose délivrée est directement corrélée au risque de sarcome osseux radio-induit : non significatif pour des doses inférieures à 1 000 rads, le risque est multiplié par 6 pour des doses comprises entre 1 000 et 3 000 rads, par 16,9 entre 3 000 et 4 000 rads, par 21,2 entre 4 000 et 6 000, par 38,3 pour des doses supérieures à 6 000 rads.

L’association à la radiothérapie d’une chimiothérapie par des agents alkylants aggrave encore le risque.

Le type de rayonnement utilisé ne semble pas déterminant dans la survenue de ces cancers ; en effet, les cas les plus récents ont presque tous été traités par hautes énergies et avec des doses le plus souvent inférieures à 55 Gy.

Le délai d’apparition du sarcome radio-induit varie selon les séries de 3 à 50 ans, avec une médiane entre 10 et 15 ans.

Des mutations génétiques ont été mises en évidence dans les sarcomes radio-induits des parties molles : ainsi une mutation du gène p53 a été montrée dans 88 % des sarcomes radio-induits alors qu’elle n’est présente que dans 20 % des sarcomes sporadiques des parties molles ; dans les sarcomes osseux secondaires à la radiothérapie, de pareilles mutations n’ont pour l’instant pas été rapportées.

Quoi qu’il en soit, le risque de sarcome radio-induit n’est pas suffisant pour remettre en cause les indications de radiothérapie dans les pathologies cancéreuses.

C – TOPOGRAPHIE :

La topographie, avec une certaine prédilection pour les os plats, reflète en fait celle des tumeurs initialement irradiées : 26 % au bassin, 24 % au membre supérieur, 21 % au membre inférieur, 12 % à la cage thoracique, 14 % à la face et au crâne.

Ainsi, les sarcomes après radiothérapie pour cancer du sein affectent préférentiellement les clavicules et l’humérus.

D – DIAGNOSTIC :

Le diagnostic est facilement évoqué devant les douleurs et les antécédents de radiothérapie prouvés par les tatouages.

L’aspect radiologique est le plus souvent ostéolytique et l’envahissement des parties molles rapide.

Pour les ostéosarcomes, l’ostéocondensation est la présentation radiologique la plus fréquente ; des plages mixtes avec ostéolyse associée sont possibles.

Les autres sarcomes ressemblent souvent radiologiquement à des métastases.

Les réactions périostées, les calcifications de la matrice tumorale sont moins fréquemment observées.

L’association ostéolyse et masse des parties molles, très fréquente et bien visible au scanner, est hautement évocatrice d’une dégénérescence sarcomateuse.

Les modifications radiologiques consécutives à l’ostéite radique s’installent dans les 2 ans qui suivent l’irradiation ; aussi, toute ostéolyse d’apparition plus tardive doit faire suspecter une récidive ou un sarcome radio-induit.

Histologiquement, les ostéosarcomes (50 %) et les fibrosarcomes (40 %) prédominent largement ; les histiocytofibromes malins et les chondrosarcomes sont plus rares.

E – PRONOSTIC ET PERSPECTIVES THÉRAPEUTIQUES :

Le pronostic est sombre, du moins pour les séries historiques de la littérature : des taux oscillant entre 10 et 30 % de survie à 5 ans ont été rapportés.

Le pronostic des ostéosarcomes serait plus mauvais que celui des histiocytofibromes malins radio-induits.

Ce mauvais pronostic des sarcomes radio-induits est en partie expliqué par ses localisations rendant difficile la chirurgie d’exérèse : il a été rapporté des résultats similaires dans les ostéosarcomes des os plats, réputés pour leur traitement chirurgical difficile, et dans les ostéosarcomes secondaires quelle que soit leur localisation.

Peu de publications font état d’un traitement moderne associant chimiothérapie néoadjuvante, chirurgie carcinologique et chimiothérapie postopératoire adaptée, comme dans les ostéosarcomes primitifs.

Récemment, des résultats encourageants ont pourtant été publiés, du moins pour les ostéosarcomes radio-induits du sujet jeune, avec des taux de survie à 8 ans de 50 % pour la survie globale et de 41 % pour la survie sans maladie ; dans cette courte série rétrospective de 23 ostéosarcomes radio-induits, il a pu être obtenu 15 rémissions complètes alors qu’un traitement palliatif était décidé pour sept patients métastatiques au moment du diagnostic ou pour une lésion au-dessus de toute ressource chirurgicale ; sur ces 15 patients, dix sont en vie sans maladie évolutive à 8 ans de recul.

Le traitement chirurgical repose sur la résection carcinologique de la tumeur ce qui, compte tenu de l’irradiation antérieure et de ses séquelles, impose plus souvent que pour les sarcomes primitifs une chirurgie mutilante, ne serait-ce que pour assurer la fermeture cutanée.

L’importance du contrôle local apparaît bien dans une série récente de 30 ostéosarcomes correspondant à une seconde tumeur et dont plus de la moitié étaient radio-induits : chez les patients où une chirurgie carcinologique a pu être effectuée, la survie globale est de 63 % et la survie sans maladie de 38 % à 7 ans de recul, contre 50 % et 30 % pour la série globale.

Même dans les sarcomes radio-induits de la tête et du cou où les difficultés chirurgicales sont majeures, compte tenu des structures nobles de voisinage et du terrain irradié, des taux de survie à 5 ans sans maladie ont pu être rapportés.

Au niveau de la paroi thoracique, la chirurgie large avec reconstruction est également proposée même si les résultats semblent plus mitigés avec 27 % de survie à 5 ans sans maladie.

Sarcomes sur maladie de Paget :

A – ÉPIDÉMIOLOGIE :

La maladie de Paget affecte de 3 à 5% de la population au-delà de 40 ans ; elle est susceptible de dégénérer dans 0,1 à 1 % des cas, c’est dire la rareté des sarcomes survenant sur os pagétique. Après 40 ans, 20 % des ostéosarcomes seraient toutefois secondaires à une maladie de Paget.

La prédominance masculine est classique, avec un ratio de 2/1, contrairement à ce que l’on observe pour les sarcomes radio-induits.

L’âge moyen de survenue est supérieur à 60 ans. La maladie de Paget est préalablement connue dans la moitié des cas et elle est plus volontiers polyostotique.

La découverte d’un ostéosarcome chez une personne âgée doit faire rechercher des localisations de la maladie de Paget sur d’autres segments osseux, comme dans notre observation.

Une délétion a été récemment mise en évidence sur la portion terminale du chromosome 18q à la fois chez des patients présentant une maladie de Paget familiale et chez des patients présentant un ostéosarcome sporadique ; il semblerait qu’une double délétion sur deux gènes voisins favoriserait la survenue d’un ostéosarcome secondaire.

B – TOPOGRAPHIE :

La distribution topographique reflète la localisation habituelle du Paget : 36 % au bassin, 25 % au membre inférieur, surtout au fémur, 24 % au membre supérieur, surtout à l’humérus, 14 % à la face et au crâne.

La dégénérescence des localisations rachidiennes est possible.

L’atteinte du radius, du cubitus ou du péroné, rare dans le Paget non compliqué, n’est pas inhabituelle.

C – DIAGNOSTIC :

Le maître symptôme de la dégénérescence est la douleur puisque la transformation pagétique de l’os est classiquement indolore, du moins au stade de début, avant les déformations osseuses : une douleur sévère d’installation récente, une douleur chronique qui s’exacerbe, une douleur dont les caractères changent doivent donc attirer l’attention.

L’apparition d’une tuméfaction ferme qui grossit traduit l’infiltration sarcomateuse des parties molles.

Les fractures pathologiques affectent 30 à 50 % des sarcomes pagétiques.

L’absence de consolidation d’une fracture a priori banale sur os pagétique doit attirer l’attention, faire évoquer la dégénérescence et conduire à la biopsie.

La survenue d’un sarcome sur un site osseux fracturé 15 ans plus tôt a été publiée.

Les complications neurologiques ne sont pas rares : inhabituelles dans la maladie de Paget non compliquée, elles doivent alerter et faire pratiquer les examens radiologiques nécessaires.

Les métastases sont fréquentes et un tiers des patients sont métastatiques au moment du diagnostic.

La scintigraphie au 99mTc n’est évocatrice que lorsqu’il existe un développement extraosseux.

Elle est d’interprétation délicate en cas de fracture ou de déformation importante.

La scintigraphie au citrate de gallium ou mieux encore au Tl-201 serait plus spécifique de la dégénérescence sarcomateuse.

La biologie est de peu d’intérêt, l’élévation des phosphatases alcalines n’étant pas significativement différente de celle des maladies de Paget non sarcomateuses.

D – RADIOLOGIE :

La radiographie met en évidence des lésions le plus souvent ostéolytiques, mais les lésions mixtes lytiques et condensantes, voire condensantes pures peuvent se rencontrer.

La destruction corticale et l’absence de réaction périostée sont constantes pour certains auteurs.

Mais la simple apparition de zones d’ostéolyse avec disparition de la structure fibrillaire typique de l’os pagétique doit suffire pour évoquer le diagnostic.

L’élément le plus évocateur de dégénérescence est l’atteinte corticale et l’infiltration des parties molles au mieux appréciées au scanner.

L’imagerie par résonance magnétique (IRM) semble assez univoque, que les lésions soient condensantes ou lytiques : signal d’intensité hétérogène en séquences pondérées T1, rehaussement après injection de gadolinium, signal hyperintense en séquences T2.

Les localisations lombosacrées, à la fois condensantes et lytiques, mal analysables sur les radiographies standards, sont au mieux explorées au scanner ou en IRM.

E – ANATOMIE PATHOLOGIQUE :

Histologiquement, l’ostéosarcome représente 60 à 80 % des cas ; fibrosarcome, histiocytofibrosarcome, chondrosarcome sont les autres types de sarcomes osseux possibles.

Un sarcome indifférencié du cubitus a été décrit.

F – DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL :

Le problème essentiel n’est pas tant de méconnaître le diagnostic de dégénérescence sarcomateuse que celui de ne pas évoquer la métastase d’épithélioma sur os pagétique.

Cette éventualité, certes rare, est de diagnostic difficile, la présentation radiographique n’ayant rien de spécifique, le plus souvent ostéolytique, mais parfois ostéocondensante et associée à une réaction périostée.

Au moindre doute, la biopsie redresse le diagnostic.

Il ne semble pas que l’hypervascularisation pagétique soit l’élément favorisant, mais plutôt que les localisations préférentielles sur le squelette de la maladie de Paget et des métastases osseuses d’épithéliomas soient semblables.

G – TRAITEMENT :

Comme pour les sarcomes radio-induits, le traitement associe actuellement chirurgie, radiothérapie (et chimiothérapie si toutefois l’âge du patient est compatible avec ce type de traitement).

Il est trop tôt, eu égard au faible nombre de cas récents publiés, pour dire si ces protocoles permettent d’améliorer le très sombre pronostic de ces sarcomes.

Le pronostic semble rester mauvais, au moins pour les localisations crâniennes.

Dans certaines séries, la survie ne dépasse pas 2 ans.

Un diagnostic précoce et une localisation anatomique permettant une chirurgie radicale sont des facteurs pronostiques favorables.

L’amputation est parfois la seule solution dans des formes évoluées chez le sujet âgé.

Autres sarcomes secondaires :

Les sarcomes secondaires sur dysplasie fibreuse sont classiques et sont traités dans le chapitre consacré à cette pseudotumeur.

Les sarcomes osseux secondaires développés sur une ancienne ostéomyélite chronique sont exceptionnels, nettement moins fréquents que les carcinomes spinocellulaires se développant sur le trajet fistuleux.

Leur pronostic est plus grave en raison des métastases présentes dans plus de la moitié des cas.

Leur traitement consiste habituellement en une amputation.

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