Sarcome d’Ewing osseux

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Sarcome osseux rare d’histogenèse encore imprécise, le sarcome d’Ewing a bénéficié au plus haut point des progrès de la chimiothérapie et de la chi­rurgie conservatrice, qui le rendent potentiellement curable en 1989.

Données générales :

Sarcome d'Ewing osseux
ÉTIOLOGIE :

Fréquence :

Le sarcome d’Ewing est une tu­meur rare, dont la prévalence estimée se situe (12, 17, 23, 30) entre 0,5 et 1,5/million par an, soit pour la France entre 25 et 75 nouveaux cas annuels. Il est exceptionnel chez les sujets de race noire.

Âge :

Le sarcome d’Ewing atteint habituellement l’enfant jeune et constitue la tumeur osseuse mali­gne la plus fréquente avant 10 ans. La moyenne d’âge du premier signe est de 17 ans, sa médiane de 15 ans; 75 % des cas surviennent avant 20 ans.

Sexe :

Il existe une prédominance masculine nette, retrouvée dans presque toutes les séries; le sexe ratio est proche de 1,5.

TOPOGRAPHIE :

Tous les os peuvent être atteints, mais le sarcome d’Ewing touche surtout les os plats (bassin, côte. omoplate) et les métaphyses des gros os longs (fé­mur, tibia, humérus).

L’atteinte des diaphyses et des épiphyses n’est pas exceptionnelle, mains et pieds ne sont pas épargnés.

Étude clinique :

SYMPTOMES ET SIGNES :

Les signes d’alarme :

Ils ne sont pas spécifiques.

La douleur constitue le signe révélateur près de huit fois sur dix. La tumeur, qui l’accompagne prés d’une fois sur deux, constitue parfois le motif de consultation. La fracture spontanée est exceptionnellement révélatrice.

Parfois enfin c’est une radiographie fortuite qui révèle une maladie asymptomatique.

L’examen clinique :

Il est habituellement pauvre.

L’interrogatoire précise la date d’apparition des premiers signes, habituellement 3 à 6 mois auparavant.

Il ne faut pas attendre la tumeur des parties molles qui s’accompagne dans certains cas de signes de compression, pour évoquer le diagnostic. Parfois très inflammatoire, elle peut simuler un abcès ou une ostéomyélite chronique d’emblée.

C’est da ns ces cas vus trop tardivement qu’existent les signes généraux (fièvre, asthénie) qui témoignent fréquemment (25 %) de l’évolutivité de la maladie et des localisations secondaires, pulmonaires ou osseuses.

EXAMENS COMPLEMENTAIRES :

Avant la biopsie :

L’examen radiologique standard. Il est essentiel.

Typiquement, les clichés standards montrent l’association habituelle de plusieurs anomalies : modification de la trame osseuse, réaction périostée, rupture de la corticale.

– Les modifications de trame osseuse sont dominées par l’ostéolyse, parfois isolée, irrégulière à limites floues; elle érode souvent d’emblée la corticale. Assez souvent, ces zones d’ostéolyse sont parsemées irrégulièrement de plages de condensation.

– La réaction périostée est très évocatrice quoiqu’inconstante (60%) ou difficile à mettre en évidence (os plats, où l’intérêt des incidences variées est considérable). Tout d’abord simple soulèvement du périoste, puis appositions successives d’os lamellaire, elle réalise parfois (33%) la classique image en bulbe d’oignon.

Sarcome d’Ewing diaphysaire fémoral. Altération de la cavité médullaire. Réaction périostée  « en bulbe d’oignon » avec rupture du périoste et envahissement des parties molles sur la face externe

– La rupture évidente de la corticale ne tarde pas (40%), permettant l’envahissement des parties molles. Dans la très grande majorité des cas (90%), cette invasion des parties molles n’est pas calcifiée et donc peu apparente sur les radiographies standards; parfois au contraire, elle est caricaturale; en feux d’herbe», évoquant plutôt l’ostéosarcome ostéogénique.

   Les formes atypiques ne sont pas rares, dominées par l’ostéolyse isolée ou par la soufflure de l’os, parfois au premier plan et pouvant évoquer le kyste anévrymal.

   Au total, l’examen radiologique standard évoque le diagnostic plus de 7 fois sur 10. Lorsqu’il est trompeur, un certain nombre d’examens complémentaires peuvent aider au diagnostic.

  La scintigraphie au technetium. Elle est toujours très hyperfixante. Le contraste entre l’absence d’anomalies radiographiques importantes et l’hyperfixation scintigraphique doit inquiéter et faire diriger le malade sur une équipe spécialisée. Elle permet en outre de rechercher une autre localisation osseuse.

Tumeur d’Ewing de la branche ilio-pubienne gauche

L’examen tomodensitométrique :

II est très utile dans le bilan d’extension locale. Il évoque également le diagnostic en montrant facilement la périostose, la rupture de corticale et l’envahissement des parties molles par une tumeur homogène, de densité cellulaire (d=30) bien vascularisée. L’examen tomodensitométrique permet aussi de choisir la voie d’abord de la biopsie, de préciser la réponse à la chimiothérapie, et de définir plus exactement l’étendue de l’exérèse chirurgicale.

Scanographie pelvienne (constantes osseuses). Destruction de la pièce osseuse.

L’examen par résonance magnétique

Cet examen, basé sur l’utilisation de champs magnétiques intenses, permet de visualiser os et parties molles dans les différents plans de l’espace et d’apprécier la vascularisation tumorale, même sans injection de produit de contraste.

Dans le plan transversal, il apporte les mêmes renseignements que l’examen tomodensitométrique, en précisant mieux que celui-ci l’état de la peau et le trajet d’une éventuelle biopsie préalable. Dans les plans sagital et frontal, il permet de mesurer l’envahissement intramédullaire et de dépister une éventuelle métastase diaphysaire à distance de la tumeur principale.

Lorsque l’examen est réalisé avec une antenne de surface, il permet de rechercher un envahissement intra-articulaire, une atteinte des ligaments croisés, et fournit ainsi des arguments objectifs au choix du trajet d’exérèse : «articulation ouverte » ou « articulation fermée».

En cas de grosse tumeur fixée en position vicieuse, l’IRM permet de mesurer plus facilement que le scanner les modifications de taille, de volume et de vascularisation tumorale sous chimiothérapie.

L’angiographie digitalisée. Elle montre l’hypervascularisation tumorale constante dans le sarcome d’Ewing non traité, permet de la silhouetter et de la mesurer ainsi dans les différents plans de l’espace. Elle constitue l’un des meilleurs moyens d’évaluation préopératoire de l’efficacité de la chimiothérapie néoadjuvante. Elle s’impose enfin en préopératoire pour toutes les grosses tumeurs proches des vaisseaux.

La biopsie :

Elle est bien entendu indispensable car elle seule autorise la mise en oeuvre du traitement. Le choix de la voie d’abord tiendra compte du traitement local définitif et de l’envahissement des parties molles mis en évidence par le scanner. Insistons sur l’intérêt de l’examen extemporané des parties molles, de la microscopie électronique, et des cultures de tissu tumoral.

DIAGNOSTIC:

Le diagnostic de sarcome d’Ewing :

Selon la définition de l’OMS le sarcome d’Ewing est une tumeur maligne caractérisée par un tissu d’apparence histologique plutôt uniforme, fait de petites cellules rassemblées en plages compactes avec un noyau rond et sans limite cytoplasmique distincte ni nucléole volumineux. Ce tissu tumoral est souvent divisé en masses irrégulières par des cloisons fibreuses. Le réseau intercellulaire de réticuline est absent. Les cellules tumorales contiennent généralement du glycogène en abondance.

Ce diagnostic est habituellement aisé. Il peut être rendu difficile dans plusieurs circonstances :

– lorsque la nécrose osseuse et tumorale est particulièrement étendue ;

– lorsque la tumeur présente d’importants remaniements hémorragiques;

– devant un aspect histologique particulier correspondant au sarcome d’Ewing à grandes cellules, entité reconnue par Dahlin qui en a publié vingt observations en 1980; dans ce dernier cas : les cellules tumorales ont volontiers un arrangement périvasculaire; les cellules sont plus volumineuses et périomorphes, leurs noyaux sont de plus grande taille, de forme variable, pourvus d’un ou plusieurs nucléoles acidophiles, les mitoses sont fréquentes; le cytoplasme a des limites imprécises, il est clair, peu abondant et contient habituellement du glycogène ; le réseau réticulinique est développé.

a) Image lacunaire, homogène, bien Iimitée, sans réaction effraction du périoste.

b) Aggravation très rapide de l’aspect radiologique un mois après le curetage. Image caractéristique de tumeur d’Ewing

Le diagnostic différentiel :

La forme histologique typique du sarcome d’Ewing ne doit pas être confondue avec une métastase osseuse de neuroblastome. Les cellules tumorales ne contiennent alors pas de glycogène ; leur disposition en rosettes n’est pas un critère histologique formel. Par contre, la mise en évidence de grains de sécrétion intra-cytoplasmiques en microscopie électronique a plus de valeur. Le meilleur moyen de diagnostic reste le dosage des catécholamines, augmentées dans un très grand nombre de cas.

Le sarcome d’Ewing atypique à grandes cellules pose des problèmes plus délicats, tout d’abord avec le lymphome malin osseux à grandes cellules, puis avec le sarcome ostéogène à petites cellules, et beaucoup plus rarement avec un cancer métastatique indifférencié.

– Microscopiquement, la structure alvéolaire du lymphome malin est moins fréquente; les cellules sont polymorphes, avec un mélange en proportions variables de petites et grandes cellules lymphoïdes, d’éléments histiocytaires ; leurs noyaux sont souvent encochés ou clivés; elles ne contiennent pas de glycogène. Le diagnostic de sarcome ostéogène à petites cellules sera essentiellement basé sur la reconnaissance d’un matériel ostéoïde plus ou moins minéralisé, étroitement associé aux cellules tumorales ; cette ostéogénèse tumorale peut être réduite, rendant difficile un diagnostic pourtant essentiel pour la conduite thérapeutique.

Des précautions simples peuvent aider à résoudre ces difficultés. Elles dépendent essentiellement d’une bonne coordination entre anatomopathologiste et chirurgien orthopédiste.

Présent à l’intervention, l’anatomopathologiste pourra effectuer des empreintes, veiller à la qualité et à la bonne fixation du matériel prélevé, effectuer des prélèvements pour la microscopie électronique et si possible des techniques complémentaires telles que des suspensions cellulaires ou la culture de tissu tumoral permettant de mettre en évidence l’anomalie chromosomique caractéristique de la maladie (réarrangement cytogénétique t 11; 12 – q 24 q 12).
Plus difficile encore est le diagnostic différentiel avec le neuroépithéliome périphérique et la tumeur d’Askin, tumeurs de même origine qui comportent les mêmes anomalies cytogénétiques.

Pronostic – Traitement :

L’ÉVOLUTION :

L’évolution spontanée :

Elle est gravissime : 90 % des enfants meurent dans les deux ans qui suivent le diagnostic, par métastases pulmonaires ou osseuses.

L’évolution sous traitement :

Modalités :

Après traitement local isolé, la survie à 5 ans ne dépasse pas 10 à 20 %, affirmant le caractère très précoce de la diffusion métastatique occulte et l’impérieuse nécessité d’un traitement général précoce.

Depuis l’emploi de polychimiothérapie intensive, la survie avoisine 60 % à 5 ans. Les échecs proviennent de diagnostics tardifs (métastases visibles d’emblée) et des récidives locales après radiothérapie.

Facteurs pronostiques :

Un certain nombre de facteurs pronostiques sont apparus à l’analyse des séries les plus importantes (5, 6, 18, 32, 35).

– L’existence de métastases visibles qui diminue les chances de guérison et la durée des rémissions (6, 15, 17, 18, 20, 21, 28) est évidemment péjorative.

– La grosse masse tumorale (diamètre dépassant 8 cm) fait pass
e r les chances de rémission de 65 % à 30 % dans la série de Graham Pole (19), de 80 % à 30 % dans la série de Hayes (22), tandis qu’un volume supérieur à 100 ml diminue l’espérance de survie de 35 % dans la série de Jurgens (24).

– L’importance de la nécrose tumorale spontanée, témoignant d’un temps de doublement court, a été soulignée par Di Stephani (13).

– La topographie centrale (rachis, pelvis ou côtes) ou proximale (fémur ou humérus) retrouvée dans de nombreuses séries, est un facteur qui disparaît après analyse multifactorielle et ne traduit en fait que la corrélation habituelle gros volume tumoral/siège central. Dans toutes les séries où la régression multifactorielle a pu être réalisée, le siège, à volume égal, ne constitue plus un facteur pronostique notable.

– Il en est de même des signes généraux (fièvre, asthénie) et des signes biologiques (élévation de la vitesse de sédimentation ou des LDH (4) qui ne représentent en fait, le plus souvent que des indices de gros volume tumoral.

De toute manière, ces facteurs classiques du pronostic s’effacent progressivement devant les facteurs thérapeutiques principaux qui sont, en 1989 : la résection chirurgicale du primitif et l’efficacité de la chimiothérapie néoadjuvante.

LE TRAITEMENT :

Les traitements locaux :

L’amputation. Elle a constitué le premier espoir thérapeutique. Le contrôle local était obtenu au prix d’une mutilation que ne justifiait pas le faible taux de survie à cinq ans (inférieur à 10 % dans la majorité des séries de malades traités sans chimiothérapie). Aussi s’est on rapidement orienté vers la radiothérapie.

La radiothérapie classique

La radiothérapie aux hautes énergies a longtemps représenté la base du traitement local. Une dose de 45 à 60 grays délivrée à raison de 2 grays par jour, 5 jours par semaine, constituait le traitement de base. Le champs d’irradiation devait tenir compte de l’extension intra et extra osseuse visualisée en tomodensitométrie et en IRM, mais aussi des organes critiques : parenchyme pulmonaire, intestin, moelle épinière dans les localisations centrales, cartilages de conjugaison des gros os longs des membres. Si la radiothérapie avait le mérite d’éviter l’amputation aux malades qui allaient mourir rapidement, ses complications et ses insuffisances sont devenues évidentes dès que les chimiothérapies efficaces ont permis une survie prolongée à la majorité des malades.

– Les complications fonctionnelles de la radiothérapie sont la conséquence de la sclérose des tissus mous, de la stérilisation des cartilages de conjugaison et de la fragilisation osseuse :

1) fibrose cutanée et atrophie musculaire constantes représentent des séquelles minimes;

2) l’insuffisance du retour veineux, les raideurs articulaires (par rétraction musculaire et synéchies articulaires) et les attitudes vicieuses, entrainent une gêne fonctionnelle plus notable;

3) les désaxations et les raccourcissements importants, les fractures radiques, constituent des séquelles graves dont le traitement chirurgical ne permet pas toujours d’éviter l’évolution vers l’amputation. La fréquence et la gravité de ces complications, souvent sous-estimées en France, ont été bien étudiées par Lewis (27) et Treff (42).

Elles dépendent de l’âge du malade, du siège et du volume de la tumeur, et de la dose administrée :
1) la stérilisation radique des cartilages de conjugaison, constante dès que la dose dépasse 45 grays, est d’autant plus lourde de conséquences que l’enfant est plus jeune;

2) les séquelles trophiques sont d’autant plus lourdes que la dose administrée est élevée et administrée sur un champ large;

3) au membre supérieur, les raccourcissements, les désaxations et même les pseudarthroses sont compatibles avec une fonction moyenne ; par contre, l’évolution des tumeurs du membre inférieur de l’enfant jeune est compliquée de raccourcissement important plus d’une fois sur deux, de fracture près d’une fois sur trois, et d’amputation pour séquelles fonctionnelles une fois sur quatre, les membres conservés restant exposés au risque de sarcome radioinduit et de récidive locale.

– Les récidives locales après radiothérapie sont en effet beaucoup plus fréquentes qu’on ne le pense généralement (Tableau 1). Souvent précoces, dans les deux années qui suivent la fin de la chimiothérapie, les récidives naissent souvent au centre de la tumeur malgré le surdosage habituel. Compte tenu du faible taux de survie des séries anciennes, l’estimation du taux d’échec local doit être réalisée en actuariel (sur les malades survivants avec un membre conservé); dans ces conditions, l’analyse des séries de la littérature montre que ce risque de récidive locale après radiothérapie est considérable : 25 % dans la série de Mardsen et dans notre protocole SE 4; 33 % dans la série de Boyer; 40 % dans la série de Daugaert (6); 43 % dans la série de Rosen (39); 50 % dans les séries de Jenkin (23), Freeman (17), Bacci (2); 52 % dans la série de Mac Intosh (28). L’augmentation des doses de radiothérapie et l’adjonction de polychimiothérapies plus efficaces ont fait espérer une diminution du risque de récidive locale autour de 15 % (15, 37, 43); en fait, l’effectif, le recul ou le taux global de rémission des séries optimistes étaient trop faibles, l’analyse des séries les plus récentes (aux résultats globaux meilleurs) montre que le risque de récidive locale après radiothérapie reste élevé : 30 % dans la série de Campanacci (5); 36 % dans la série de Hayes (22); 46 % dans la série de Jurgens (24). Dans toutes ces séries la récidive locale constitue d’ailleurs la cause principale des échecs thérapeutiques; en effet, le pronostic des récidives locales est grave : elles s’accompagnent de métastases visibles dès le premier bilan dans la moitié des cas, et lorsqu’elles apparaissent isolées, l’inefficacité habituelle des chimiothérapies de reprise aboutit, malgré le contrôle chirurgical local, à la mort par métastases tardives. Le seul traitement efficace des récidives locales est préventif, par chirurgie extratumorale systématique (2, 4).

Le traitement classique par radiothérapie exposait en outre le malade en rémission au risque de sarcome radioinduit tardif dont la fréquence est évaluée à : 1,2 % dans l’étude de l’ISS1 (37); 2,5 % dans l’étude de Daugaerdt (6) ; 5 % dans l’étude de Rosen (40) ; 15 % dans le relevé de Chan (2,5).

Insuffisamment efficace sur la tumeur, source de séquelles fonctionnelles lourdes et de sarcome radioinduit, la radiothérapie exclusive ne devrait pas être utilisée en 1989 dans le traitement du sarcome d’Ewing, à l’exception de la localisation rachidienne. La persistance de ses indications traduit dans la plupart des cas la méconnaissance des possibilités actuelles de la chirurgie conservatrice.

La chirurgie conservatrice

L’intérêt de la chirurgie dans le traitement du sarcome d’Ewing a été suggéré dès 1975 par Pritchard (35), après analyse rétrospective de 228 malades traités sans chimiothérapie ; dans cette série, l’inclusion d’une séquence chirurgicale dans le protocole thérapeutique faisait passer le taux de guérison de 10 % à 34 %. A cette époque, les indications chirurgicales étaient pourtant limitées à la résection des os sans rôle mécanique important (côte, clavicule, crête iliaque, pubis, péroné) et à l’amputation. Les progrès de la chimiothérapie préopératoire, de l’imagerie médicale et des techniques de reconstruction, permettent maintenant de l’envisager dans tous les cas. La chirurgie constitue en effet l’arme la mieux adaptée contre les cellules hypoxiques qui peuplent habituellement le centre des grosses tumeurs, alors que la radiothérapie et la chimiothérapie exercent leur efficacité maximale sur les cellules bien oxygénées de la maladie métastatique.

La résection tumorale, pour être carcinologique, doit être monobloc extratumorale et enlever la tumeur osseuse, les muscles envahis, la voie d’abord et la cicatrice de la biopsie, le trajet et l’orifice du redon, entourés d’une couche suffisante de tissus sains.

– L’efficacité remarquable de la chimiothérapie préopératoire explique les difficultés considérables d’appliquer à cette chirurgie la classification d’Ennecking; en effet, la chimiothérapie efficace fait généralement disparaître la tumeur sans laisser de traces permettant de reconnaître les limites de la pseudo-capsule tumorale. Vouloir classer l’exérèse réalisée en marginale ou large correspond ici le plus souvent à évaluer l’efficacité de la chimiothérapie néoadjuvante : en cas de bonne réponse (aucune cellule résiduelle) l’exérèse paraît être toujours large.

– Dans notre expérience, la valeur carcinologique de l’exérèse repose sur la qualité de l’imagerie préopératoire (TDM et IRM) qui permet de ,choisir le niveau de résection osseuse; sur l’expérience manuelle du chirurgien (qui apprécie au palper l’épaisseur de muscles sains qu’il laisse sur la tumeur) et sur l’efficacité de la chimiothérapie (qui doit éradiquer les micronodules de perméation régionaux). Lorsque ces conditions sont réunies, la chirurgie conservatrice du sarcome d’Ewing non précédemment traité est toujours possible, le risque de récidive locale est inférieur à 5 % et la valeur fonctionnelle du membre le plus souvent supérieure à celle qu’aurait obtenue la radiothérapie classique.

L’amélioration de l’espérance de guérison par l’inclusion de la résection chirurgicale du primitif est retrouvée par tous les auteurs qui l’ont récemment étudiée : 20 % pour Neff (31); 25 % pour Rosen (38); 28 % pour Jurgens (24); 31 %.pour Hayes (22) ; 33 % pour Matojewsky (30). Elle est maximale pour les grosses tumeurs costales (11) et pelviennes (15) mais s’observe aussi dans les autres localisations, expliquant l’élargissement progressif des indications chirurgicales (3, 8, 24, 29, 36).

Après résection tumorale, une reconstruction osseuse est nécessaire dans près de 80 % des cas, et de sa qualité dépend en grande partie la valeur fonctionnelle du membre conservé. Cette reconstruction squelettique doit être adaptée aux topographies particulières de l’Ewing, à l’âge des malades (prothèse de croissance) et aux nécessités d’une chimiothérapie prolongée. L’usage d’allogreffes massives, de .prothèse en titane longue queue sur mesure et de montage composite ciment/vis, assure un résultat fonctionnel satisfaisant.

Tableau 1 : Risque de récidive locale après traitement radiothérapique exclusif

AUTEURS ANNÉE NOMBRE DE MALADES % DE RÉCIDIVE LOCAL % DE RÉMISSION COMPLÈTE
TELLES 1978 20 65% série anatomique
POLE 1979 21 19% 38 % à 5 ans
GASPARINI 1981 34 12% 53 % à 3 ans
PEREZ 1981 271 11% 38 % a 5 ans
HOSFELD 1982 14 30% 60 % à 3 ans
ZUCKER 1983 30 17% 49 % à 5 ans
JURGENS 1988 33 46% 55 % à 5 ans
DELEPINE 1988 16 25% 40 % à 5 ans
CAMPANACCI 1988      
– Protocole A
– Protocole B
– Protocole C
        80
58
37
43%
27%
30%
37 % à 3 ans 50 % à 3 ans 60 % à 3 ans
HAYES 1989 50 36% 63 % à 5 ans

Le traitement général. Le sarcome d’Ewing étant une maladie diffuse d’emblée dans près de 90 % des cas, la cible thérapeutique prioritaire reste la maladie générale, son stade occulte le moment privilégié d’efficacité thérapeutique, et la chimiothérapie l’arme principale.

Produits efficaces en monothérapie

   Le traitement des métastases mesurables a permis de sélectionner les produits les plus régulièrement efficaces en monothérapie (ceux dont le taux de réponse objective TRO est le plus élevé) : Cvclophosphamide (T-RO 61 %), Iphosphamide (TRO 75 9 ), Adriamycine (TRO 60 %), Vincristine (TRO 50 %), Fluorouracil (TRO 50 %) et à un moindre degré Actinomycine D, BCNU et VP 16 (TRO compris entre 30 et 45 %).

   L’emploi préventif’ de monothérapie dans les cas d’Ewing non métastatique a montré un allongement significatif des durées de rémission et de survie, mais sans amélioration des taux de guérison. L’usage de polychimiothérapies préventives s’est donc imposé rapidement.

Sarcome d’Ewing de la 11° côte droite, 12 ans.

Sarcome d'Ewing osseux - 5

A) Radiographie standard initiale : opacité des 2/3 inférieurs de l’hémithorax droit avec réaction pleurale, seule la tumeur des parties molles est visible: discret fuseau paravertébral dorsal inférieur gauche (<—) correspondant à l’extension controlatérale de la tumeur des parties molles.

Sarcome d'Ewing osseux - 6

B) Après 4 mois de chimiothérapie : masse résiduelle entraînant une irrégularité de la coupole diaphragmatique droite (∆), ligne bordante pleurale (—>).

Polychimiothérapies

   Associant les drogues les plus actives, elles permettent de potentialiser leurs effets en diminuant leur toxicité propre. Au prix d’une surveillance hématologique, cardiaque et rénale étroite, ces polychimiothérapies obtiennent des taux de survie en rémission à 3 ans de 30 à 60 % (1, 16, 26, 34, 43), le problème étant moins celui du choix des drogues efficaces qu’à l’optimalisation de leur technique d’administration : avant, pendant, ou seulement après traitement du primitif ; en association lourde (quatre drogues mensuelles) ou bidrogues (une semaine sur deux).

Les chimiothérapies néoadjuvantes

se sont imposées car la plupart des protocoles actuels prévoient une phase d’induction par chimiothérapie exclusive précédant le traitement local (chimiothérapie néoadjuvante) et suivie d’une chimiothérapie d’entretien (Tableau 2). Une telle attitude permet de vérifier l’efficacité de la chimiothérapie d’induction, facilite le traitement local et sélectionne les patients nécessitant un renforcement thérapeutique (7, 9, 32).

– Le protocole CESS8I rapporté par Jurgens en 88 comporte une chimiothérapie néoadjuvante de 18 semaines de VACA (VCR CPX ADR) suivie du traitement local (chirurgical ou radiothérapique, ou l’association des deux) et de 18 semaines complémentaires de la même chimiothérapie. Sur 93 malades suivis avec un recul médian de 29 mois, le taux actuariel de rémission complète atteint 60 % à 3 ans et 55 % à 5 ans. Les échecs du CESS8I proviennent essentiellement des récidives locales des malades encore traités par radiothérapie exclusive (46 % de récidive locale et seulement 38 % de DFS) et de l’absence de renforcement de la chimiothérapie chez les malades mauvais répondeurs à la chimiothérapie d’induction (30 % de DFS).

– Les trois protocoles successifs de l’Institut Rizzoli rapportés en 1988 par Campanacci confirment eux aussi la nécessité du traitement chirurgical si possible extra tumoral large, l’intérêt de la chimiothérapie préopératoire pour faciliter la chirurgie conservatrice, et l’insuffisance fréquente de la chimiothérapie par VAC (VCR ADR CPX). La survie en rémission du protocole le meilleur ne dé-passe pas les 60 % à 3 ans, montrant la nécessité d’inclure de nouvelles drogues (Holoxan, Cisplatin, VP 16) dans le traitement.

– L’un des meilleurs protocoles publiés, le T11 de Rosen, associe 4 à 5 cycles de chimiothérapie néoadjuvante au traitement local (aussi chirurgical que possible) et une chimiothérapie complémentaire de près d’un an : la survie en rémission à 30 mois atteint 75 %.

– Le protocole le plus prometteur paraît actuellement être celui de Hayes, dont la phase initiale de chimiothérapie est remarquablement efficace. Elle associe Endoxan per os (150 mg/M2/j) 7 jours de suite et Adriamycine le 8e jour (35 mg/M2) à 5 reprises, puis traitement local conservateur si possible chirurgical, suivi d’une chimiothérapie de maintenance associant VCR BCNU ACT D sur 12 semaines, puis à nouveau 5 cures de CPX-ADR. Sur 50 malades non métastatiques, ce protocole obtient 65 % de rémission complète à 3 ans. Les échecs proviennent pour les ¾ des récidives locales des malades traités par radiothérapie, alors que les malades traités par chirurgie ont une espérance de survie en rémission de 91 %.

– Notre protocole SE 4 a repris la phase initiale de chimiothérapie du protocole de Hayes et en a confirmé tout l’intérêt.

Il obtient très régulièrement une amélioration clinique, radiologique, tomodensitométrique et angiographique spectaculaire de l’Ewing après 3 ou 4 cures, sans que cette rémission clinique et radiographique ne préjuge toujours de la réponse histologique et donc de l’évolution ultérieure. Cette phase d’induction permet une chirurgie précoce sur une tumeur nécrosée ou disparue et un os d’apparence quasi normale, alors que d’autres protocoles utilisant les mêmes drogues en administration plus espacées (toutes les 3-4 semaines) n’obtiennent pas une telle réponse. Cette discordance a été particulièrement frappante chez un certain nombre de malades atteints de compression médullaire, dont l’évolutivité se poursuivrait malgré une chimiothérapie quadridrogues mensuelle et qui ont été rapidement mis en rémission clinique après 2 cures du protocole de Hayes.

La chimiothérapie post-opératoire est discutée.

– Si la phase initiale de la chimiothérapie néoadjuvante du sarcome d’Ewing est résolue par le protocole de Hayes, si le traitement par chirurgie monobloc extratumorale s’impose dans tous les cas (excepté la localisation rachidienne), la 3e phase du traitement qui est celle de maintenance et de renforcement chez un malade apparemment en rémission n’est pas encore réglée.

– Notre protocole DD2, qui prévoit un renforcement postopératoire par Adriamycine, Cisplatyl, Iphosphamide (IPA), semble apporter une solution efficace puisque sur 23 malades ayant subi une résection monobloc extratumorale, 22 sont en première rémission complète (taux de survie actuariel : 94 % à 30 mois).

Tableau 2 : Résultats récemment publiés

  NOMBRE DE MALADES RECUL MÉDIAN SURVIE EN RÉMISSION
GRAHAM-POLE
(Université de Floride)
42 36 mois 54 % à 3 ans
BOVE (Institut Gustave Roussy Adultes) 18 2 ans 39 % à 2 ans
OBERLIN (Institut Curie + Institut G. Roussy Enfants) 63 2 ans 68 % à 2 ans
CAMPANACCI <C> (Institut Rizzoli) 37 30 mois 60 % à 3 ans
JURGENS (CESS 81) 93 29 mois 60 % a 3 ans
55 % a 5 ans
ROSEN T 11 (Memorial Hospital New-York) 51 30 mois 76 % à 3 ans
HAYES (Memphis) 50 39 mois 82 % à 3 ans
69 % à 5 ans
DELEPINE DD2 24 30 mois 94 % à 3 ans 1/2

Sarcome d’Ewing de l’aile iliaque droite. 15 ans

Sarcome d'Ewing osseux - 7

A) Coupe tomo­densitométrique (TDM) pour ap­précier l’extension dans les parties molles : tumeur volumineuse des parties molles en regard de l’at­teinte osseuse (*).

Sarcome d'Ewing osseux - 8

B) Coupe TDM après chimiothéra­pie : disparition de la tumeur des parties molles (à).

Schéma thérapeutique pour 1989 :

Modalités

   Le traitement du sarcome d’Ewing est une urgence multidisciplinaire.

– Toute symptomatologie ou image radiologique pouvant évoquer le sarcome d’Ewing justifie des examens complémentaires, et en particulier une scintigraphie osseuse et un examen tomodensitométrique ou une IRM en urgence. Ces examens permettent en effet de concevoir l’exérèse future et de choisir la technique de la biopsie la mieux adaptée.

– La biopsie avec examen extemporané devra être suivie aussi vite que possible (dans notre pratique, en moyenne 2 jours) par le début de la chimiothérapie néoadjuvante, comprenant 3 cures hebdomadaires (Endoxan, Adriamycine), reprise après une semaine de repos.

– Le traitement local est toujours chirurgical et conservateur. Dans les localisations vertébrales et sacrées, on se limitera à une exérèse complète. Toutes les autres localisations se feront par résection monobloc extratumorale et reconstruction immédiate selon des techniques adaptées à l’âge et à la localisation.

– Une chimiothérapie periopératoire suivra l’intervention dans les 24-48 heures, afin de tenter de détruire les cellules mises en phase par la chirurgie et l’anesthésie.

– La chimiothérapie post-opératoire comporte une alternance de cures d’IPA, de VCR-BCNU, et se termine par une phase de rappel de la chimiothérapie d’induction.

– Une radiothérapie locale complémentaire est nécessaire en cas de limites de résection incertaines. Sa dose sera adaptée à l’âge du malade, aux sréquelles possibles et à la réponse Histologique évaluée sur la totalité de la pièce de réèction.

– Un tel traitement multidisciplinaire permet de transformer le pronostic de l’Ewing et le rend potentiellement curable : nos résultats actuels confirment et améliorent ceux de Hayes : 94 % de première rémission à 30 mois chez les patients non métastatiques non précédemment traités, ayant bénéficié d’une chirurgie extratumorale.

Les métastases initiales des malades non précédemment traités ne doivent plus entraîner la résignation. Avec un protocole plus court et plus léger que le nôtre, Hayes parvient à maintenir en rémission 50 % de ces malades; son recul médian est de 4 ans. L’efficacité de notre protocole DD2 est telle que les malades métastatiques non précédemment traités peuvent pratiquement tous être mis en rémission et qu’il n’est généralement plus nécessaire d’opérer les métastases pulmonaires. L’espérance de survie en rémission de nos malades initialement métastatiques atteint 85 % à 18 mois.

   Par contre, les échecs locaux après radiothérapie et les métastases apparues pendant une chimiothérapie restent pour l’instant de très mauvais pronostics. Ceci souligne l’importance cruciale de la prise en charge initiale immédiate par une équipe multidisciplinaire au recrutement suffisant.

   Au total. Le pronostic de cette tumeur ne dépend plus en 1989 ni du siège de la tumeur ni de son volume, peu de l’existence de métastases visibles, mais beaucoup du moment de prise en charge par une équipe multidisciplinaire au recrutement suffisant. Traiter un sarcome d’Ewing sans expérience suffisante entraîne une perte de chance de survie de 30 à 40 %.

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