Polypose nasosinusienne chez l’adulte

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Introduction :

Avec une incidence de 1 à 4,3 %, la polypose nasosinusienne (PNS) est une pathologie à laquelle est confronté tout oto-rhinolaryngologiste (ORL).

Polypose nasosinusienne chez l’adulteLongtemps considérée comme une conséquence de l’atopie, elle apparaît aujourd’hui comme une affection complexe dans son déterminisme étiopathogénique.

Sous une symptomatologie relativement stéréotypée se cachent des formes cliniques multiples, notamment dans ses associations syndromiques.

Son diagnostic a grandement bénéficié de l’avènement de l’endoscopie et de la tomodensitométrie.

Concernant son traitement, une meilleure maîtrise de la corticothérapie et de la chirurgie endonasale vidéoendoscopique a permis une prise en charge plus rationnelle de cette affection.

Définition :

La PNS est une maladie inflammatoire caractérisée par la dégénérescence oedémateuse multifocale et bilatérale de la muqueuse des masses latérales de l’ethmoïde.

Elle concourt à la formation de lésions polypeuses lisses, gélatineuses, translucides et piriformes, qui progressivement viennent s’aboucher par les méats ethmoïdaux dans les fosses nasales.

À cet égard, le terme de PNS gagnerait grandement à être remplacé par celui de polypose ethmoïdonasale.

Elle est bénigne, ne dégénère jamais.

Toujours médicale, parfois chirurgicale, elle est éminemment chronique dans son expression et sa prise en charge.

Épidémiologie :

Si la prévalence exacte de la polypose dans la population demeure incertaine, du fait des méthodes diagnostiques employées, il est possible de l’estimer entre 1 et 4,3 %.

Elle est présente dans tous les pays et quel que soit le climat.

Bien qu’aucune étude ne révèle de prédisposition génétique liée au sexe, de nombreuses séries portant sur les PNS opérées mettent en évidence une prédominance masculine, de 54 à 73 %.

Elle prédomine très nettement chez l’adulte.

Les formes pédiatriques doivent conduire à la recherche d’un dysfonctionnement mucociliaire ou d’une mucoviscidose.

Quant à des relations avec certains facteurs génétiques, l’étude du groupe ORLI met en évidence l’importance des antécédents familiaux de PNS dans 58,7 %, d’asthme dans 43,6 % et d’idiosyncrasie dans 12,2 % des cas.

Son affiliation à différentes pathologies a motivé de nombreuses études.

Si la polypose est multifactorielle, certaines sous-populations d’individus paraissent plus exposées :

– la population asthmatique : l’association de la PNS à l’asthme est, depuis longtemps, connue.

La prévalence dans la population asthmatique est de 7 à 16,5 % avec une répartition préférentielle vers 50 ans.

À l’inverse, les patients porteurs d’une PNS sont des asthmatiques dans 26,1 à 45 % des cas.

Ce taux est source de variation suivant les modes de recrutement.

Ainsi pour Larsen, il est de 29,9 % si un spécialiste ORL est consulté en premier et s’élève à 70 % des cas lors d’une consultation pneumologique initiale.

Enfin, quant à la chronologie d’apparition, l’asthme précède le diagnostic de PNS dans 45,7 % des cas ;

– la maladie de Widal : l’association d’une PNS, d’un asthme bronchique et d’une idiosyncrasie à l’aspirine, plus connue sous le nom de maladie de Fernand Widal.

Cette triade est retrouvée dans 15 à 20 % si on utilise un test de provocation à l’aspirine.

Le test à l’aspirine est actuellement abandonné du fait d’un risque d’accident.

L’anamnèse reste à la base du diagnostic.

Enfin, dans une population asthmatique et intolérante à l’aspirine, la polypose est présente dans 60,4 % des cas.

Hypothèse étiopathogénique :

Malgré les progrès réalisés dans les domaines fondamentaux, le mécanisme pathogénique aboutissant au développement de la PNS reste mal connu et probablement plurifactoriel.

Nous synthétiserons les différents facteurs actuels résumés par Coste et Gilain.

A – FACTEURS INTRINSÈQUES :

1- Facteurs histopathologiques :

Comme en témoignent d’une part le rôle actif de l’épithélium nasal sur la prolifération cellulaire, d’autre part la richesse en population cellulaire inflammatoire retrouvée dans les polypes, la physiopathologie de la PNS fait intervenir :

– des facteurs épithéliaux ;

– des facteurs inflammatoires. Bien que l’histologie des polypes soit aspécifique et qu’elle ait été considérée comme monomorphe pendant longtemps, il semble exister un certain polymorphisme dans leur structure.

Si la structure fibro-oedémateuse et l’infiltrat inflammatoire restent les caractéristiques histologiques principales des polypes, d’autres anomalies sont classiquement observées :

– des atypies cellulaires associées à des plages de métaplasie ;

– des zones de kératinisation avec métaplasie plate des cellules cylindriques.

Si la classification histologique en polypes oedémateux, glandulaires et fibreux a permis d’élaborer différentes théories concernant leur formation, elle ne semble plus actuellement suffisante pour expliquer la genèse de la maladie.

Des travaux expérimentaux récents ont fait émerger la théorie de la « rupture épithéliale » et d’une réparation anormale de la muqueuse respiratoire.

2- Facteurs cellulaires inflammatoires :

Le facteur commun retrouvé dans toutes les PNS est une inflammation chronique de la muqueuse respiratoire, comme en témoigne l’importante population cellulaire retrouvée dans les polypes et la muqueuse nasale environnante.

L’infiltrat inflammatoire est constitué de types cellulaires différents selon la nature de la polypose.

– Dans les polyposes les plus fréquentes, dites « primitives » et celles associées à la triade de Fernand Widal, l’infiltrat cellulaire inflammatoire est caractérisé principalement par la présence d’éosinophiles activés.

– Dans les polyposes dites « secondaires », rencontrées dans la mucoviscidose et les dyskinésies ciliaires, les polynucléaires neutrophiles prédominent.

Cette subdivision est artificielle et la présence de polynucléaires neutrophiles semble consécutive à l’infection locale fréquemment rencontrée dans les polyposes dites « secondaires », où les processus de défense sont altérés.

* Rôle du polynucléaire éosinophile :

Les éosinophiles sont retrouvés de façon constante dans la PNS dite « primitive », aussi bien au niveau des sécrétions nasales qu’au sein du tissu polypeux.

Ils jouent un rôle actif dans la pérennisation de la réaction inflammatoire, du fait de leur richesse en récepteurs membranaires et en médiateurs actifs.

Le recrutement des éosinophiles sur le site de l’inflammation est un processus complexe dont la régulation est dépendante de cytokines et de chémokines.

L’interleukine (IL) 5 et le granulocyte-macrophagecolony stimulating factor (GM-CSF) semblent jouer un rôle clé dans le recrutement des éosinophiles.

Les mécanismes d’action de ces deux molécules sont :

– l’induction de la prolifération éosinophilique au niveau de la moelle osseuse ;

– la libération des éosinophiles de la moelle osseuse vers le courant sanguin ;

– l’inhibition de l’apoptose (ou mort cellulaire programmée) des éosinophiles.

D’autres molécules, dont les chémokines eotaxin (EO) et la regulated on activation normal T cells expressed and secreted (RANTES), sont présentes au sein des polypes.

Elles recrutent et activent les éosinophiles.

En outre, l’EO jouerait avec l’IL5 un rôle synergique d’activation de la migration tissulaire des éosinophiles.

Le maintien de l’infiltration éosinophilique dans la PNS s’explique par :

– l’inhibition de l’apoptose des éosinophiles ;

– l’action des molécules d’adhésion exprimées au niveau des tissus cibles.

L’intercellular adhesion molecule-1 (ICAM-1) est fortement exprimée à la surface des cellules respiratoires épithéliales activées et constitue le support principal de la fixation des éosinophiles.

L’ICAM- 1 s’exprime sous l’influence de médiateurs pro-inflammatoires libérés par les mastocytes, les éosinophiles, et les cellules épithéliales elles-mêmes.

Il existe, comme pour le recrutement des éosinophiles, une véritable boucle de stimulation de la survie et du maintien des éosinophiles au sein même des polypes.

Plusieurs mécanismes initiateurs de l’éosinophilie tissulaire dans la polypose ont été proposés.

L’allergie est un mécanisme séduisant pour expliquer l’éosinophilie tissulaire dans la polypose, car de nombreux facteurs de recrutement et de maintien tissulaire des éosinophiles, impliquant cytokines et molécules d’adhésion, sont communs aux deux affections.

Ainsi, si l’allergie immunoglobuline (Ig) E-dépendante ne peut expliquer à elle seule le développement d’une PNS, il paraît licite de penser qu’elle puisse contribuer à l’éosinophilie tissulaire de la polypose, quand ces deux affections sont associées.

Cependant, même en cas d’association, la participation des mécanismes allergiques reste pour certains un phénomène mineur de l’éosinophilie tissulaire.

Trois mécanismes liés à l’infection locale nasosinusienne ont été évoqués pour expliquer l’éosinophilie dans la PNS :

– le premier est celui d’une allergie bactérienne développée consécutivement à une infection locale responsable d’une inflammation éosinophilique chronique de la muqueuse nasale ;

– le deuxième mécanisme évoqué est le développement d’une réaction inflammatoire chronique, consécutive à une infection locale par le rhinovirus qui induit, entre autres, une production particulière d’IL8 par les cellules épithéliales nasales.

Cette IL8 participe au recrutement de neutrophiles et conduit à l’installation de la réaction inflammatoire secondaire.

L’infiltration à éosinophiles est donc secondaire à l’infiltrat à neutrophile, et pourrait dans certaines conditions conduire à l’installation d’une polypose ;

– le troisième mécanisme évoqué est celui d’un stress local de la muqueuse nasale.

Il serait induit par une infection responsable d’un afflux d’éosinophiles secondaire à l’expression locale de kinines.

Cette inflammation neurogène associée à une hyperadrénergie nasale conduirait à une infiltration éosinophilique tissulaire, caractéristique du non allergic rhinitis eosinophil syndrome (NARES) dont on connaît le potentiel évolutif vers la polypose.

+ Rôle des leucotriènes :

Son rôle dans la PNS a été évoqué sur la base des mécanismes physiopathologiques rencontrés dans l’intolérance à l’aspirine.

Il s’agit d’un trouble du métabolisme de dégradation des phospholipides membranaires, et plus particulièrement de l’acide arachidonique, ayant pour conséquence une production exagérée de leucotriènes.

Ces derniers, caractérisés par des effets proinflammatoires et vasoactifs, provoqueraient une réaction inflammatoire chronique avec éosinophilie tissulaire.

Il semble que les produits de dégradation de l’acide arachidonique (leucotriènes et prostaglandines) ne jouent qu’un rôle mineur dans la constitution de l’infiltration éosinophilique, observée dans la PNS.

+ Théorie microenvironnementale :

La théorie microenvironnementale de l’éosinophilie tissulaire fait intervenir de façon prédominante les cellules épithéliales, endothéliales et les fibroblastes, dans la genèse et l’entretien de la réaction inflammatoire.

Cet ensemble cellulaire autoactivé participe, grâce à l’expression de facteurs pro-inflammatoires, au recrutement et au maintien de l’éosinophilie au sein du tissu cible.

+ Théorie dite « autocrine » :

La théorie dite « autocrine » d’activation des éosinophiles repose sur un trouble primaire de la physiologie des éosinophiles et aboutirait à leur autoactivation, assurant leur survie et leur maintien au niveau du tissu cible.

L’anomalie primaire pourrait se situer au niveau du récepteur membranaire de l’éosinophile pour l’IL5, et ferait intervenir cette cytokine de manière prédominante dans la théorie « autocrine » de l’éosinophilie tissulaire dans la PNS.

* Rôle des mastocytes :

Le rôle des mastocytes dans la PNS est controversé.

La mise en évidence de facteurs de croissance mastocytaires dont le stem cell factor (SCF) au sein du polype conforte l’hypothèse d’un recrutement et d’une activation mastocytaire participant à l’activation éosinophilique par l’intermédiaire de cytokines pro-inflammatoires.

Cette hypothèse est renforcée par d’autres travaux mettant en évidence une infiltration mastocytaire dans la polypose, indépendamment de toute allergie associée.

* Rôle des lymphocytes :

Le rôle des lymphocytes dans la PNS est également discuté.

Certains travaux avaient avancé une hypothèse dysimmunitaire à médiation cellulaire avec infiltration éosinophilique secondaire.

En réalité, d’autres études n’ont pas permis de confirmer cette hypothèse.

En conséquence, il semble que les lymphocytes dans la polypose soient caractéristiques de la réaction inflammatoire, et non pas de la polypose proprement dite.

* Rôle des polynucléaires neutrophiles :

Comme nous l’avons dit, les polynucléaires neutrophiles pourraient jouer un rôle actif dans les polyposes dites « secondaires » où les surinfections sont fréquentes.

3- Facteurs cellulaires épithéliaux : place de l’épithélium

* Structure et fonction de l’épithélium respiratoire nasal :

Les voies aériennes supérieures sont tapissées par un épithélium de surface de type respiratoire, pseudostratifié, prismatique et cilié (à l’exception de la zone criblée de l’ethmoïde tapissée par le neuroépithélium olfactif).

La composition de cet épithélium varie le long des voies aériennes selon les régions anatomiques, et au moins sept principaux types cellulaires peuvent être individualisés :

– les cellules ciliées, majoritaires en nombre ;

– les cellules caliciformes, riches en granules sécrétoires ;

– les cellules basales, assurant l’ancrage épithélial sur la membrane basale ;

– les cellules intermédiaires, intervenant dans la régénération épithéliale ;

– les cellules séreuses, présentes dans les glandes sous-épithéliales ;

– les cellules en brosse, participant aux échanges hydroélectrolytiques ;

– les cellules neuroendocrines, rares, sécrétant des neuropeptides.

L’épithélium respiratoire repose sur une membrane basale peu épaisse qui le sépare du chorion sous-jacent.

Ce dernier est riche en vaisseaux sanguins et lymphatiques, nerfs, glandes sous-muqueuses et cellules dites « mobiles », tels que des lymphocytes isolés ou organisés en amas (nasal associated lymphoid tissue, NALT).

Face aux agents contaminants, l’épithélium nasal constitue une barrière physique et fonctionnelle, grâce à des complexes de jonctions.

Les cellules épithéliales sont unies entre elles à leur partie apicale par des jonctions serrées, et à leur partie latérale par des desmosomes qui permettent le maintien de l’intégrité épithéliale, et constituent une barrière physique.

La rupture de l’intégrité de cette barrière épithéliale expose directement les cellules sous-jacentes aux agents toxiques contenus dans l’air, et les cellules ainsi stimulées peuvent initier une réaction inflammatoire.

* Rôle de l’épithélium dans la physiopathologie de la PNS :

Bien qu’étant très « artificielle », la subdivision en polypose primitive à éosinophile et polypose secondaire sans éosinophile permet une étude séparée et plus précise des mécanismes physiopathologiques de la PNS.

+ Polypose à éosinophiles ou primitive :

L’épithélium nasal joue un rôle actif dans la réaction inflammatoire grâce à différents médiateurs.

Ceux-ci vont permettre le recrutement et l’activation des cellules de l’inflammation, qui à leur tour vont sécréter des médiateurs pro-inflammatoires.

Ces molécules participent au recrutement et à l’activation d’autres cellules inflammatoires, tout en agissant sur les cellules épithéliales et structurelles de la muqueuse respiratoire (fibroblastes et cellules endothéliales).

Ainsi, la cellule épithéliale est bien un acteur clé de la réaction inflammatoire, d’autant qu’elle se trouve en première ligne face aux stimuli et agressions de l’environnement.

Les cytokines jouent un rôle central par leur puissante action pro-inflammatoire ou, pour certaines, anti-inflammatoire ainsi que par leur organisation en réseau.

La famille des cytokines est très vaste et s’agrandit de jour en jour.

Très schématiquement, au cours de la réaction inflammatoire, on distingue les cytokines inflammatoires de la réponse précoce, des cytokines de la réponse tardive :

– les cytokines « précoces » des phases d’initiation et de propagation de l’inflammation sont caractérisées par des actions puissantes mais peu spécifiques, IL1 et tumor necrosis factor (TNF-a) ;

– les cytokines de la phase d’amplification ont des actions plus ciblées sur tel ou tel type cellulaire (interférons [IFN], colony stimulating factor [CSF], transforming growth factor [TGF], chémokines, IL3, IL4, IL5, IL6).

L’éosinophile semble être la cellule inflammatoire clé de la PNS primitive.

La plupart des travaux se sont attachés à caractériser l’expression des cytokines les plus spécifiques du recrutement et de l’activation de cette cellule :

– IL3, IL5, IL8 ;

– GM-CSF ;

– RANTES.

L’épithélium pourrait également être impliqué dans l’inflammation des polypes par le biais de la sécrétion de médiateurs distincts des cytokines.

Les cellules épithéliales sécrètent des dérivés de l’acide arachidonique pro-inflammatoires (leucotriènes et prostaglandines).

De même, les cellules épithéliales expriment la forme constitutive de la NO synthétase (enzyme permettant la synthèse du monoxyde d’azote) et sont une source importante de sa production.

Le monoxyde d’azote est un médiateur aux actions variées et notamment impliqué dans l’inflammation.

La surexpression par les cellules épithéliales des protéines de surface du complexe majeur d’histocompatibilité de type II (HLA-DR), ainsi que des protéines d’adhésion cellulaire (ICAM-1) qui attirent localement les cellules inflammatoires, semblent participer à l’action locale.

Au total, les cellules épithéliales ont une place importante dans le réseau complexe des facteurs cellulaires et moléculaires intervenant dans l’inflammation nasale chronique qui caractérise la PNS à éosinophiles.

Ce réseau a été récemment conceptualisé sous la forme d’une théorie dite « microenvironnementale ».

+ Polypose « sans éosinophile » ou secondaire :

Les mécanismes inflammatoires impliqués dans la PNS « sans éosinophile » semblent différents et sont probablement spécifiques des affections sous-jacentes telles que la mucoviscidose ou les dyskinésies ciliaires congénitales.

Ces pathologies représentent des cas particuliers d’inflammation nasale chronique liée à une anomalie congénitale des cellules épithéliales.

* Intervention directe des cellules épithéliales dans le développement des polypes :

Les mécanismes de formation et de croissance des polypes nasosinusiens sont encore discutés.

L’hypothèse actuelle est basée sur la notion primitive de rupture de la continuité épithéliale et de la membrane basale.

Alors que le tissu conjonctif contenant les fibroblastes et les cellules inflammatoires s’infiltre à travers cette rupture, l’épithélium progresse à partir des berges du defect dans les deux directions :

– d’une part, il tapisse la hernie conjonctive ;

– d’autre part, il s’enfonce dans la lamina propria et se creuse de microcavités.

Ces microcavités s’agrandissent et fusionnent, alors que leur épithélium se différencie avec apparition de cellules ciliées et sécrétrices.

En fusionnant, ces cavités vont cliver l’épithélium puis aboutir à l’individualisation d’un polype.

Au vu des travaux expérimentaux réalisés chez l’animal et des modifications observées in situ dans les polypes, le développement des polypes nasosinusiens pourrait correspondre à un phénomène « exagéré » de réparation tissulaire.

Ce mécanisme impliquerait :

– les cellules inflammatoires ;

– les cellules mésenchymateuses et endothéliales ;

– mais aussi et surtout les cellules épithéliales.

La dysrégulation du processus de réparation est complexe. Schématiquement, différents facteurs de croissance sont sécrétés de façon inadaptée par les cellules inflammatoires, épithéliales et mésenchymateuses de la muqueuse nasale, et aboutissent à la formation de polypes.

Inflammation et réparation épithéliale étant intimement liées, ce processus de réparation exagérée pourrait être intégré au concept de la théorie microenvironnementale qui conceptualise l’emballement de l’inflammation dans la PNS.

Ainsi, inflammation chronique et développement des polypes seraient deux mécanismes physiopathologiques interdépendants dans lesquels les cellules épithéliales ont un rôle majeur.

B – FACTEURS EXTRINSÈQUES :

Ce chapitre a pour but de préciser l’influence que peuvent avoir sur la PNS certains facteurs environnementaux, notamment le climat, la pollution, le tabac, les allergènes.

Bien que certains patients se disent améliorés ou aggravés par des facteurs climatiques, ces derniers paraissent avoir un rôle négligeable, la PNS ne répondant à aucun critère d’unité de lieu.

Si l’influence de la pollution sur les maladies allergiques d’une part et les rhinites d’autre part a fait l’objet de quelques études, une seule porte sur la PNS.

Ce travail prospectif multicentrique français a permis de préciser la responsabilité de facteurs environnementaux tels que la pollution urbaine.

Aucune différence significative entre l’incidence de la PNS en milieu rural ou urbain n’a été mise en évidence ; la pollution ne semble donc pas être un facteur déterminant.

Si, depuis Younge en 1907, la polypose a été souvent associée à l’allergie, il est actuellement admis qu’elle n’est pas une maladie atopique.

Tout au plus cet élément peut être considéré comme un facteur aggravant.

L’augmentation des IgE constatée dans certaines PNS pourrait être une conséquence de la polypose et non une cause : pour certains, l’existence dans les polypes de surfaces épithéliales abrasées faciliterait la sensibilisation aux pneumallergènes.

D’autres mettent en cause l’existence même d’une abrasion épithéliale.

L’âge d’apparition tardif de la PNS, le caractère fréquemment intrinsèque de l’asthme, la précession par un Nares ne plaident pas en faveur d’une l’hypothèse allergique.

En définitive, l’hypothèse allergique ne pourrait être le facteur physiopathologique principal que dans un très faible pourcentage de cas, tel que celui des sinusites fongiques allergiques.

A contrario, de nombreux travaux actuels soulèvent le rôle de l’allergie microbienne dans la genèse de certaines PNS.

Au total, la responsabilité des facteurs extrinsèques dans la PNS ne remporte pas l’adhésion de la majorité des auteurs, si ce n’est comme facteurs aggravants.

C – INTOLÉRANCE À L’ASPIRINE :

Elle est à l’origine de la triade de Widal que nous aborderons dans les formes cliniques.

Depuis sa découverte en 1899, l’aspirine (acide acétylsalicylique) a été largement employée pour ses propriétés antipyrétique, analgésique et anti-inflammatoire.

Cette molécule présente nombre d’effets secondaires tels que des éruptions cutanées, de l’asthme et des angio-oedèmes.

La première description de l’intolérance à l’aspirine fut réalisée par Hirschberg en 1902 à propos d’une urticaire et d’un angio-oedème associés à une obstruction nasale apparue au décours d’une prise d’aspirine.

À cette période, l’intolérance fut considérée comme rare (0,3 % de la population) et uniquement liée à la prise d’aspirine.

Il faudra attendre les publications de Samter, Settipane, Slavin et Szczeklik pour que cette intolérance soit élargie à la totalité des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et à d’autres substances.

Si la théorie allergique fut longtemps mise en exergue, elle est actuellement abandonnée au profit d’un mécanisme biochimique faisant intervenir la cyclo-oxygénase ou COX.

1- Symptômes liés à l’intolérance :

L’intolérance à l’aspirine peut être divisée en trois catégories :

– type A (15 % des cas) : caractérisé par des symptômes respiratoires (asthme et rhinite) ;

– type B (75 % des cas) : caractérisé par une urticaire et un angio-oedème ;

– type C (10 % des cas) : représenté par des formes cliniques particulières telles qu’érythème, exanthème, syndrome de Stevens-Johnson ou syndrome de Lyell.

Les symptômes peuvent être cutanés et/ou respiratoires (ORL et bronchiques) et surviennent 1 heure et demie après l’ingestion d’une dose de 10 à 100 mg.

Dans les types A, une obstruction nasale, suivie d’une rhinorrhée, d’une hyperhémie conjonctivale, d’une toux quinteuse et d’un bronchospasme sont fréquemment retrouvés et peuvent conduire à l’arrêt cardiorespiratoire.

Si la forme princeps est liée aux AINS, d’autres substances peuvent être responsables de ces symptômes.

Il semble exister une prédominance liée au sexe, les femmes étant plus fréquemment atteintes, excepté pendant la petite enfance.

Des antécédents familiaux d’idiosyncrasie sont retrouvés dans un tiers des cas.

2- Pathogénie :

La théorie actuelle accorde un rôle prépondérant à la COX de types 1 et 2.

Les AINS inhibent les COX, ce qui engendre un déséquilibre du métabolisme de l’acide arachidonique au profit d’une des voies accessoires, responsable :

– d’une inhibition de la synthèse des prostaglandines ;

– d’une activité excessive de la 5-lipo-oxygénase responsable d’une production accrue de leucotriènes (LTC4, LTD4 et LTE4), médiateurs puissants de l’inflammation ;

– d’une expression accrue de la LTC4 synthétase.

Cette accumulation de leucotriènes est responsable des manifestations cliniques.

D – POLYPOSE NASOSINUSIENNE ET ALLERGIE FONGIQUE :

Historiquement, la sinusite fongique fut décrite par Safirstein en 1976.

Cet auteur admet l’existence de formes associant PNS et infections mycosiques intrasinusiennes.

Il fait un rapprochement avec la bronchopneumopathie allergique aspergillaire révélée par Hinson.

Il faudra attendre les années 1980 pour voir naître le concept de sinusite fongique allergique ou syndrome de Katzenstein.

La sinusite fongique allergique est classiquement décrite comme une affection chronique, résistante au traitement médical ou chirurgical.

La présence de « mucine allergique » contenant cristaux de Charcot-Leyden et filaments mycéliens ainsi que l’identification d’éléments mycosiques à l’examen direct et en culture permettent le diagnostic.

Une revue de la littérature anglo-saxonne met en évidence, sur 263 cas, 168 cultures positives avec 87 % de Dematiae et 13 % d’Aspergillus.

Ces valeurs sont confirmées par Percodani qui retrouve jusqu’à 94 % de Dematiae.

Aspects physiopathologiques :

D’un point de vue physiopathologique, de nombreuses incertitudes persistent.

Pour la plupart des auteurs, cette affection est en rapport avec une réaction d’hypersensibilité à l’élément fongique initial par combinaison de réactions immunologiques de type I (IgE) et III (complexes immuns) de la classification de Gell et Coombs.

Il semblerait possible d’imbriquer un mécanisme allergique et infectieux dans la genèse de cette pathologie.

Au départ de la maladie, il est retrouvé l’inhalation et le trapping de spores fongiques par le mucus sinusien.

La libération du matériel antigénique stimule la production d’IgE, IgG et IgA.

En conséquence, les antigènes aspergillaires réagissent au contact des cellules mastocytaires sensibilisées aux IgE.

La réaction antigèneanticorps induit alors la dégranulation mastocytaire avec libération des médiateurs de l’inflammation.

Ces réactions allergiques entraînent oedème et inflammation responsables de l’obstruction ostiale et de la stase intrasinusienne.

Cette situation est idéale pour la prolifération fongique qui à son tour augmente la quantité d’antigènes, générant ce qu’il est convenu d’appeler un cercle vicieux aboutissant à la formation de mucine.

Pourtant, certaines questions demeurent quant à la nature allergique de l’affection : pourquoi la pathologie peut-elle être unilatérale ?

Pourquoi le taux d’IgE reste-t-il élevé ?

Une alternative à cette théorie a été proposée par l’équipe de la Mayo Clinic qui démontre, dans un premier temps, que les éléments fongiques sont présents chez 93 % des patients atteints de sinusites chroniques.

Ainsi pour cette équipe, il ne s’agit pas d’une réaction inflammatoire IgE-dépendante mais du résultat d’une action conjointe du chimiotactisme des éosinophiles et d’une réaction inflammatoire induite par les lymphocytes T.

Diverses interrogations demeurent, tant sur la méthodologie que sur le rapport existant entre le nombre élevé de culture fongique retrouvé et la rareté de la sinusite fongique allergique.

Dès lors, si la forme clinique est criante, il persiste des zones d’ombre quant à sa physiopathologie.

Enfin, la réponse inflammatoire à éosinophiles ne serait qu’un des facteurs parmi lesquels interviendraient :

– l’atopie ;

– l’expression de certains récepteurs HLA sur les lymphocytes T ;

– l’exposition à des éléments fongiques particuliers ;

– la réaction aberrante de défense de la muqueuse nasosinusienne.

Ainsi, Marple propose un schéma physiopathologique faisant intervenir différents paramètres.

Formes typiques :

Dans la majorité des cas, le diagnostic clinique, la conduite des examens complémentaires et la prise en charge thérapeutique de la PNS sont stéréotypés.

Nous prendrons comme description de référence la PNS isolée bilatérale de l’adulte.

A – DIAGNOSTIC ET BILAN :

D’un point de vue clinique, la symptomatologie de la PNS est stéréotypée, dominée par l’anosmie et l’obstruction nasale.

1- Interrogatoire :

Il permet d’apprécier :

– les antécédents ;

– l’histoire de la pathologie rhinosinusienne ;

– la symptomatologie fonctionnelle.

* Antécédents :

Ils déterminent le passé personnel et familial du patient quant à l’asthme, l’allergie et la PNS.

* Histoire de la maladie :

Elle définit le début des symptômes, leur chronologie et les traitements antérieurs.

Dans la majorité des cas, il s’agit d’une pathologie s’installant à partir de 40 ans.

La symptomatologie inaugurale d’entrée dans la pathologie rhinosinusienne est dominée par la rhinorrhée (44,7 %) et l’obstruction (36 %).

L’infection et l’hyposmie représentent chacune 9,7 % des symptômes initiaux.

2- Symptomatologie fonctionnelle :

Elle se résume en l’acronyme ADORE : A pour anosmie, D pour douleur, O pour obstruction, R pour rhinorrhée et E pour éternuement.

* Anosmie – A :

Il convient d’apprécier l’importance des troubles de l’odorat (normo-, hypo- ou anosmie) qui représentent la doléance principale de la part des patients.

* Douleurs de la face – D :

Elles sont rarement au premier plan de la symptomatologie fonctionnelle, mises à part les poussées de sinusite aiguë, ou les complications chirurgicales (sténose du canal nasofrontal, mucocèle).

Elles se projettent sur l’aire nasale ou sinusienne et sont le plus souvent à type de pesanteur.

Le siège des manifestations algiques est préférentiellement maxillaire ou médiofacial.

* Obstruction nasale – O :

Elle n’est pas obligatoirement présente initialement mais elle le deviendra lors de l’évolution de la pathologie.

Elle est alors typiquement bilatérale, permanente et majorée en décubitus dorsal.

* Rhinorrhée – R :

Elle est un symptôme variable en intensité mais fréquemment retrouvée à l’interrogatoire, bilatérale et le plus souvent postérieure.

La rhinorrhée est claire, mais susceptible de se surinfecter épisodiquement.

* Éternuements – E :

Ils sont le témoin d’une hyperréactivité de la muqueuse nasale et se manifestent par des salves stertuérales.

Le saignement n’est pas pris en compte dans l’évaluation fonctionnelle de cette pathologie rhinosinusienne compte tenu de sa faible incidence.

Pour la majorité des auteurs, il n’est jamais un symptôme initial lié à la maladie.

3- Signes physiques :

Ils sont recherchés dans le même temps de consultation, à l’optique rigide 30° sans préparation de la fosse nasale.

Ils permettent de poser le diagnostic devant la présence de polypes bilatéraux des fosses nasales, de définir le stade de la PNS et de rechercher des modifications cliniques responsables d’une majoration de l’obstruction nasale (valve narinaire étroite, déviation septale et hypertrophie turbinale).

* Polypes :

Ils apparaissent classiquement comme des grains de raisins de couleur jaune et rosée, présentant parfois à leur surface de fines vascularisations.

Le mucus apparaît filant et épais, ayant perdu ses caractéristiques rhéologiques.

Le plus souvent les polypes sont bilatéraux, à l’instar de la symptomatologie fonctionnelle, mais ils peuvent également prédominer d’un côté.

* Stade :

L’examen endoscopique permet d’évaluer la polypose à l’aide d’une échelle comprenant trois stades :

– stade 1 : polypes localisés au méat moyen ;

– stade 2 : polypes développés dans la fosse nasale ne dépassant pas la limite supérieure du cornet inférieur ;

– stade 3 : polypes atteignant le plancher des fosses nasales.

* Conditions anatomiques endonasales :

Il convient de rechercher systématiquement :

– des anomalies anatomiques constitutionnelles ;

– des anomalies acquises par des interventions antérieures.

La présence d’une unilatéralité impose la réalisation d’une biopsie afin d’éliminer tout processus tumoral.

* Examen clinique ORL complet :

Il évalue l’existence d’autres pathologies associées.

4- Bilan complémentaire :

Il se résume, dans les formes isolées, à la tomodensitométrie et à un avis pneumoallergologique.

* Bilan pneumoallergologique :

L’inventaire pneumoallergologique est indispensable à ce stade afin de faire le bilan d’un asthme patent, de dépister une hyperréactivité bronchique latente et de chercher un terrain atopique.

Le Phadiatopt, les tests cutanés à la recherche d’une hypersensibilité de type I et une épreuve fonctionnelle respiratoire (EFR) avec un test à la métacholine sont réalisés en fonction de l’avis spécialisé.

Tout antécédent d’intolérance à l’aspirine, à un AINS ou à un conservateur ou colorant alimentaire nous fait suspecter et considérer le patient comme intolérant.

* Tomodensitométrie :

Le bilan morphologique est dominé par la tomodensitométrie ; elle est effectuée selon un mode haute résolution avec acquisitions spiralées et reconstructions axiales, coronales et sagittales sans injection de produit de contraste, en fenêtre osseuse.

Elle doit être considérée comme essentielle à plusieurs titres :

– elle précise l’envahissement sinusien de la polypose et permet d’apprécier la réponse au traitement médical ;

– elle guide le geste à effectuer ;

– elle met en évidence l’existence d’anomalies anatomiques sinusiennes qui représentent autant d’écueils à la chirurgie endoscopique ;

– elle est considérée comme ayant une valeur médicolégale.

Parmi les différentes variations que l’on peut rencontrer, nous retiendrons principalement :

– les déhiscences spontanées de la lame papyracée.

Toujours unilatérales, ces déhiscences se caractérisent par une véritable hernie du contenu orbitaire dans la cavité ethmoïdale.

Elles sont en règle exclusivement localisées à l’ethmoïde antérieur et sont chiffrées à moins de 1 % des cas.

Toutefois, de telles anomalies peuvent donner le change avec un diagnostic trop hâtif de sinusite ethmoïdale et posent d’autant plus de problèmes de reconnaissance qu’elles sont associées à une pathologie chronique ;

– les différences de hauteur entre les deux toits des masses latérales de l’ethmoïde.

Une telle variation présente une incidence de 10 % des cas.

Il est remarquable que dans huit fois sur dix, c’est le toit ethmoïdal droit qui est plus bas situé que le gauche, avec une différence pouvant aller jusqu’à 7 mm.

Il est intéressant de rapprocher ces constatations avec le fait que les complications chirurgicales décrites par plusieurs auteurs (Friedmann, Kern, Lawson) apparaissent avec une différence statistiquement significative plus fréquemment du côté droit que du côté gauche.

Ces auteurs avaient notamment incriminé l’inconfort ressenti par un chirurgien droitier opérant un côté droit.

Bien que cette explication reste possible, nous pouvons soulever l’hypothèse selon laquelle un toit ethmoïdal plus bas situé est plus rapidement atteint par le chirurgien, et donc plus facilement exposé à des lésions ;

– les procidences intrasphénoïdales de l’artère carotide interne.

Leur incidence est appréciée entre 12 et 25 % des sinus sphénoïdaux examinés.

Il est intéressant de noter que dans 10 % des cas, la carotide interne fait saillie sur plus de la moitié de la circonférence.

Elle devient alors particulièrement exposée à une blessure chirurgicale.

Dans tous les cas, il a été mis en évidence une fine lamelle osseuse d’une épaisseur supérieure à 1 mm entourant la carotide interne.

Aucune procidence de ce type n’est décrite au niveau des cellules ethmoïdales postérieures ;

– la protrusion du nerf optique dans le sinus sphénoïde.

Le nerf optique fait saillie dans la cavité sphénoïdale sur une surface égale au moins à la moitié de sa circonférence dans 8 % des cas.

Généralement unilatérale, cette procidence est parfois bilatérale et associée alors à une déhiscence des deux carotides internes.

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