Physiopathologie de la maladie d’Alzheimer

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Introduction :

La maladie d’Alzheimer (MA) est une maladie neurodégénérative conduisant progressivement et irréversiblement à la perte de la mémoire (amnésie) et des fonctions cognitives (aphasie, apraxie, agnosie).

Deux sources importantes d’informations permettent de préciser la cascade des dysfonctionnements cellulaires et moléculaires qui caractérisent cette pathologie :

Physiopathologie de la maladie d’Alzheimer– l’analyse spatiotemporelle des deux types de lésions qui envahissent progressivement le cortex cérébral, à savoir les plaques amyloïdes et la dégénérescence neurofibrillaire (DNF) ;

– la découverte des mutations génétiques responsables des formes familiales autosomiques dominantes.

Au total, ces données permettent de proposer un schéma d’ensemble des grandes étapes de la MA, de l’altération moléculaire à l’atteinte des fonctions cognitives.

Cependant, quelques questions de fond n’ont pas encore trouvé de réponses.

Lésions cérébrales de la maladie d’Alzheimer :

Le diagnostic clinique de MA est confirmé lorsque l’examen neuropathologique permet de démontrer la présence de deux types de lésions cérébrales, les plaques amyloïdes et les neurones en DNF, en abondance dans la substance grise du néocortex.

Ces lésions ont été identifiées au début du siècle, grâce aux techniques histologiques d’imprégnation argentique.

La caractérisation immunochimique de ces lésions, à partir des années 1984, permet de distinguer deux processus dégénératifs distincts à l’origine de ces lésions : l’amyloïdogenèse et la DNF.

En parallèle à ces lésions, on peut observer d’autres modifications cérébrales, macroscopiques (atrophie, dilatation ventriculaire) et microscopiques (perte neuronale, réaction gliale et microgliale, altération des microvaisseaux).

A – AMYLOÏDOGENÈSE :

Dans la substance grise du cortex cérébral des patients Alzheimer abondent des dépôts de substance amyloïde, sphériques, plus ou moins compacts.

Il s’agit des plaques amyloïdes, très bien colorées par des colorants tels que le rouge Congo ou la thioflavine.

Les propriétés tinctoriales de la « substance amyloïde » résultent de l’assemblage compact de protéines dénaturées sous forme de feuillets bêta plissés.

À l’échelle de la microscopie électronique, la substance amyloïde est formée de filaments compacts, de 6 à 10 nm de diamètre, situés dans le domaine extracellulaire.

La substance amyloïde de la MA est constituée d’un polypeptide de 39 à 43 résidus d’acides aminés, appelé peptide amyloïde bêta (Ab).

Le peptide Ab est un produit catabolique normal dérivant d’une protéine de grande taille nommée APP.

Des anticorps dirigés contre le peptide Ab synthétique détectent avec une grande sensibilité les plaques amyloïdes, ainsi que des dépôts diffus nommés dépôts préamyloïdes puisqu’ils ne possèdent pas encore les propriétés physicochimiques de la substance amyloïde.

Les dépôts diffus, observés précocement, contiennent essentiellement du peptide Ab 1-42, tandis que le coeur des plaques amyloïdes est formé de Ab 1-40.

Ces dépôts préamyloïdes et amyloïdes envahissent la quasi-totalité du cortex cérébral et diffusent essentiellement dans la substance grise corticale, et plus particulièrement dans les couches néocorticales II et III.

Ils sont également présents dans la région hippocampique.

Le peptide Ab s’accumule également, à des taux variables, dans la paroi des artérioles et des capillaires pour former l’angiopathie amyloïde.

Certaines plaques amyloïdes sont entourées par une couronne de neurites en DNF.

Elles sont nommées « plaques neuritiques » ou « plaques séniles ».

À l’échelle moléculaire, on constate que d’autres protéines sont également présentes dans les plaques séniles.

Certaines démontrent la présence d’une réaction inflammatoire : il s’agit d’antiprotéases tels l’alpha-1-antichymotrypsine, des facteurs du complément (C1q, membrane attack complement [MAC]).

Une trentaine d’autres composés ont été décrits, en particulier la protéine amyloïde P, des héparannes sulfates protéoglycanes, l’apolipoprotéine E (apoE).

B – DÉGÉNÉRESCENCE NEUROFIBRILLAIRE :

La DNF peut être visualisée par les techniques d’imprégnation argentique, mises au point au début du siècle et utilisées par Alzheimer dans sa description princeps.

La DNF correspond à une accumulation intraneuronale de fibrilles formées de filaments très caractéristiques, appelées les paires de filaments appariées en hélice ou paired helical filaments (PHF) des Anglo-Saxons.

Ces filaments pathologiques sont d’excellents marqueurs ultrastructuraux du processus dégénératif de type Alzheimer.

Les PHF sont également observés dans les neurites en dégénérescence qui abondent dans le neuropile et à la périphérie des plaques amyloïdes.

Les PHF sont constitués par l’assemblage de protéines microtubulaires Tau.

Dans le neurone normal, les protéines Tau stabilisent les microtubules qui sont des filaments du cytosquelette jouant un rôle prépondérant dans les mécanismes de transport intraneuronal.

Au cours de la MA, les protéines Tau s’agrègent sous forme de PHF. Ces protéines sont anormalement phosphorylées.

Des anticorps dirigés contre les sites de phosphorylation anormale des protéines Tau permettent une visualisation et une quantification spécifique de la DNF sur les plans histologique et biochimique.

La DNF est un processus dégénératif qui s’installe progressivement dans les différentes aires cérébrales, selon une séquence et une hiérarchie qui ont été précisées par les neuropathologistes et les biochimistes.

Tout d’abord, la DNF est un processus qui semble lié à l’âge et à la région hippocampique (cortex transentorhinal, entorhinal et CA1 de l’hippocampe). Des neurones en DNF peuvent être visualisés dans la région hippocampique parfois dès l’âge de 50 ans et sont observés systématiquement dans la population normale à l’âge de 75 ans.

La DNF peut s’étendre dans d’autres régions cérébrales voisines (pôle temporal, temporal inférieur, temporal moyen) sans manifestations cliniques évidentes.

La phase clinique correspond à la présence de la DNF dans les régions corticales associatives polymodales (temporal supérieur, pôle frontal, cortex pariétal).

Aux derniers stades de la maladie, la DNF peut envahir la totalité des aires cérébrales et de nombreux noyaux sous-corticaux.

Les anticorps anti-Tau permettent également de révéler une signature biochimique de la DNF et d’en établir une cartographie biochimique cérébrale.

La technique des immunoempreintes met en évidence un triplet de protéines Tau pathologiques dans la MA (Tau 60, 64, 69).

L’approche biochimique permet de distinguer dix stades qui correspondent à dix régions cérébrales qui sont touchées successivement par la DNF au cours de la MA et de distinguer trois groupes : le vieillissement « normal » (stades S0 à S3) avec une atteinte systématique de la région entorhinale pour les témoins non déments âgés de plus de 75 ans (S1 à S3) ; une phase infraclinique allant jusqu’au stade S6, pour les patients qui possèdent de nombreuses plaques amyloïdes ; une phase clinique (stades S7 à S10).

C – PERTE NEURONALE :

La perte neuronale est, pour diverses raisons méthodologiques, difficile à quantifier.

L’épaisseur du cortex est peu modifiée, ce qui suggère qu’il y a plutôt une disparition de colonnes corticales et une diminution de la longueur du ruban cortical.

D – GLIOSE RÉACTIONNELLE :

Une réaction gliale importante est observée parallèlement à la perte neuronale.

Elle est visualisée sur coupe histologique par la présence d’astrocytes hypertrophiques et démontrée biochimiquement par l’augmentation considérable des taux de glial fibrillary acidic protein, protéine de base des filaments gliaux. Le rôle des astrocytes au cours de la gliose est principalement de phagocyter les neurones morts.

On observe également une importante concentration de cellules microgliales, qui ont un rôle de phagocytose des lésions cérébrales et participent à la réaction inflammatoire.

Atteinte des systèmes de neurotransmetteurs :

A – SYSTÈME CHOLINERGIQUE :

C’est le système qui est le plus précocement atteint.

L’activité de l’enzyme de synthèse de l’acétylcholine, la choline acétyltransférase (ChAT), est anormalement basse dans le cerveau des patients Alzheimer, surtout dans les régions affectées par la maladie comme l’hippocampe et le cortex cérébral.

Les neurones cholinergiques sont situés essentiellement dans le septum avec des projections vers l’hippocampe ou dans le noyau basal de Meynert avec des projections diffuses vers le cortex.

Les biopsies corticales pratiquées au stade précoce de la MA ont révélé essentiellement un déficit cholinergique.

L’acétylcholine-estérase dégrade l’acétylcholine au niveau de la fente synaptique.

Les molécules qui inactivent cette enzyme augmentent les taux d’acétylcholine, avec un effet bénéfique sur la stimulation des fonctions cognitives, voire comportementales, des patients Alzheimer.

Ces molécules (tacrine, rivastigmine, donepezil) sont la base des traitements symptomatiques actuels contre la MA.

Cette action bénéfique est possible parce que les récepteurs muscariniques situés sur les neurones postsynaptiques sont relativement épargnés. Les récepteurs muscariniques sont liés aux protéines G.

Ils jouent un rôle important dans la mémoire de travail. Les récepteurs nicotiniques sont des canaux ioniques, situés essentiellement du côté présynaptique, avec une action sur le relargage d’acétylcholine.

Les agonistes muscariniques et nicotiniques pourraient avoir une activité pharmacologique intéressante, en cours d’exploration actuellement.

À noter qu’il semble exister un lien entre les métabolismes de l’APP et de l’acétylcholine.

B – AUTRES SYSTÈMES DE NEUROTRANSMETTEURS :

La DNF va s’étendre rapidement à de nombreuses régions corticales et sous-corticales, ce qui explique que de nombreux systèmes de neurotransmetteurs soient atteints.

À vrai dire, aucun système ne semble épargné, qu’il soit glutamatergique, monoaminergique ou acide gamma-amino-butyrique (GABA)-ergique.

Les neurones corticaux pyramidaux de projection (projections corticocorticales ou sous-corticales) synthétisent des aminoacides excitateurs comme le glutamate ou l’aspartate qui leur servent de neurotransmetteurs.

Ces grandes cellules pyramidales atteintes d’une manière privilégiée par la DNF sont glutamatergiques.

Les interneurones synthétisant des neuropeptides tels la somatostatine ou le corticotropin releasing factor (CRF) semblent particulièrement affectés, en particulier les neurones GABA-ergiques qui contiennent de la somatostatine.

Il existe un déficit des systèmes monoaminergiques dont les corps cellulaires d’origine sont situés dans le tronc cérébral (systèmes noradrénergiques ou sérotoninergiques).

Ces systèmes appartiennent, comme les voies cholinergiques, à la catégorie des systèmes à projections diffuses.

En effet, ces réseaux neuronaux innervent de vastes régions du cerveau, dont le cortex et l’hippocampe.

Leur atteinte semble moins constante que l’atteinte des systèmes cholinergiques et peut être limitée aux formes à début précoce, toujours sévèrement affectées.

Les taux de noradrénaline sont abaissés dans le cortex et il existe une perte neuronale variable, parfois importante dans le locus coeruleus, où sont situés les corps cellulaires d’origine des voies noradrénergiques.

Cette perte neuronale a été corrélée avec l’existence clinique d’une dépression.

De même, une perte neuronale dans les noyaux du raphé entraîne une baisse de taux de sérotonine dans le cortex.

La DNF est également présente dans la substance noire et affecte le système dopaminergique. Au total, on observe un effondrement progressif des systèmes de neurotransmetteurs qui suit la progression du processus dégénératif.

Cette progression s’effectue à partir de certaines populations neuronales très vulnérables (cortex entorhinal, hippocampe, amygdale et noyau basal de Meynert), pour s’étendre vers les régions néocorticales associatives, selon des voies corticocorticales puis cortico-sous-corticales.

Le chemin de cette dégénérescence est inverse à celui de la myélinisation.

Physiopathologie :

Deux sources importantes d’informations permettent de préciser la cascade d’événements qui vont provoquer la destruction de nombreux réseaux neuronaux et l’atteinte des fonctions intellectuelles.

A – DONNÉES GÉNÉTIQUES :

Elles indiquent que l’étiologie de la MA résulte d’un dysfonctionnement du carrefour métabolique des protéines APP, préséniline 1 (PS1) et préséniline 2 (PS2).

Des mutations pathologiques sur trois gènes sont directement responsables de formes familiales autosomiques dominantes de la MA.

Ces mutations sont observées sur les gènes de l’APP, de la PS1 et de la PS2 situés respectivement sur les chromosomes 21, 14 et 1.

Les mutations pathologiques sur APP et PS1 provoquent inexorablement l’apparition de la MA entre 30 et 55 ans.

Les formes familiales présentent un tableau neuropathologique similaire aux formes dites « sporadiques », ce qui suggère un dysfonctionnement physiologique similaire.

Dans les formes familiales, ainsi que dans les modèles cellulaires (cellules transfectées avec le gène de l’APP ou de PS1 mutée) et animaux (animaux transgéniques avec le gène muté), les mutations pathologiques de chacun des trois gènes provoquent une augmentation de la production de Ab et du rapport Ab 1-42 sur 1-40.

De plus, les souris transgéniques avec ces mutations développent fréquemment de nombreuses plaques amyloïdes.

Nous pouvons en conclure que ces trois gènes agissent sur le même carrefour métabolique où la protéine APP joue un rôle central.

Les présénilines agissent directement ou indirectement sur le catabolisme de APP, en favorisant son clivage en gamma.

Les présénilines sont des gammasécrétases, ou des activateurs de la gammasécrétase.

Les présénilines sont également apoptotiques.

Au total, tous les acteurs génétiques connus de la MA sont liés au métabolisme de la protéine APP.

B – SIGNES CLINIQUES :

Ils sont liés à l’extension de la DNF dans les régions corticales associatives.

La plupart des études de corrélation entre plaques amyloïdes, DNF et signes cliniques indiquent que ce qui est véritablement corrélé aux manifestations cliniques correspond à la DNF dans les régions associatives.

Des dépôts amyloïdes sont observés fréquemment chez les non-déments.

Ils peuvent correspondre à la phase infraclinique de la MA.

De même, la DNF n’est corrélée à la démence que si un certain seuil de destruction neuronale est atteint, lorsque le système de compensation par les neurones encore fonctionnels ne peut plus suppléer.

Les plaques séniles (plaques neuritiques) sont également très bien corrélées à la démence, mais on peut noter qu’elles correspondent à la coexistence de deux types de lésions : il s’agit de dépôts d’Ab entourés de neurites en dégénérescence marqués par les anticorps anti-Tau.

Ces plaques neuritiques indiquent bien que la MA résulte de la coexistence, ou de la succession, de deux processus pathologiques : l’amyloïdogenèse et la DNF.

C – QUELLE EST LA CAUSE PRÉCISE DE LA MORT NEURONALE ?

Il s’agit du coeur du problème, discuté âprement par les spécialistes qui ne sont pas tous du même avis.

Deux hypothèses s’affrontent :

– pour certains, la DNF et la mort neuronale résultent de la neurotoxicité du peptide Ab ; après plusieurs milliers de publications sur le sujet, rien n’est tranché ; de plus en plus souvent, il est mentionné que ce n’est pas le peptide Ab des plaques séniles qui serait toxique, mais l’Ab intracellulaire, lors de sa production ;

– pour d’autres, la dégénérescence pourrait être due à une altération des fonctions physiologiques de l’APP, modulée par PS1 ou PS2 ; l’amyloïde Ab ne serait qu’un reflet et une conséquence de ces dysfonctionnements.

La réponse viendra d’une meilleure connaissance du fonctionnement normal de ces protéines, nouvellement découvertes et encore relativement inconnues.

D – PEUT-ON AVOIR UNE VUE D’ENSEMBLE DE LA CASCADE PATHOLOGIQUE CONDUISANT À LA MALADIE D’ALZHEIMER ?

Hormis le problème du peptide Ab, agent neurotoxique causal ou marqueur d’une perte ou d’un gain de fonction des protéines APP, PS1 et PS2, nous disposons actuellement de données suffisamment solides pour proposer un schéma d’ensemble des réactions successives qui vont provoquer la démence de type Alzheimer.

Ce schéma doit prendre en compte les dysfonctionnements moléculaires au niveau intracellulaire (le peptide Ab intracellulaire est-il toxique ?), cellulaire (quelles sont les cellules qui produisent le peptide Ab : les neurones, les astrocytes ou les cellules endothéliales ?), tissulaire et des ensembles neuronaux (quelles sont les premières régions touchées, y a-t-il un chemin de la dégénérescence neuronale ?).

Le schéma récapitulatif doit tenir compte de la spécificité (souvent limitée) de chaque processus physiopathologique (par exemple, la DNF est observée dans de nombreuses pathologies neurodégénératives et la substance amyloïde est observée parfois dans les démences avec corps de Lewy).

Ce schéma doit tenir compte de l’évolution de la maladie dans le temps et dans l’espace.

Le facteur temporel concerne l’installation de la maladie (phase asymptomatique) et ses différents stades.

Le facteur spatial concerne l’implication des différents types cellulaires, puis des différentes régions cérébrales dans l’expression clinique.

Enfin, le seuil des manifestations cliniques est modulé par de nombreux facteurs, dont certains sont indépendants de la pathologie Alzheimer tels les pathologies associées ou les phénomènes de compensation.

E – FACTEURS ET COFACTEURS DE LA MALADIE D’ALZHEIMER :

Pour établir ce schéma, il convient de faire un bilan du rôle précis joué par chaque facteur de la cascade physiopathologique.

Ce bilan étant fait, l’écriture de l’histoire naturelle (et moléculaire) de la MA devient possible.

1- Facteurs génétiques :

* Mutations pathologiques :

Elles indiquent incontestablement l’origine de la pathologie et démontrent que les gènes APP, PS1 et PS2 jouent un rôle central dans plus de 75 % des formes familiales.

Les formes familiales pures (autosomiques dominantes) sont rares et ne représenteraient que 0,3 à 1 % de l’ensemble des cas.

La neuropathologie des cas familiaux et sporadiques étant identique, ces formes familiales nous indiquent précisément le point de départ de la pathologie, aussi bien pour les cas sporadiques que familiaux : le carrefour métabolique de la protéine APP.

Ceci est conforté par les modèles expérimentaux, qui montrent que des souris transgéniques avec les gènes APP ou APP + PS développent de nombreuses plaques amyloïdes.

* Facteurs de risque génétiques :

L’apoE existe sous trois isoformes protéiques principales, E2, E3, E4, produit génique des allèles e2, e3, e4, donnant les génotypes suivants : e2e2, e2e3, e3e3, e3e4, e4e4. La fréquence des allèles varie selon les populations, toutefois l’allèle e3 est le plus fréquent.

L’allèle e4 de l’apoE est retrouvé plus fréquemment chez les patients Alzheimer, par rapport à une population témoin appariée en fonction de l’âge.

L’augmentation de l’allèle e4 dans la population alzheimérienne suggère que l’apoE E4 est un facteur de risque de la MA.

Des concentrations familiales de MA peuvent être parfois observées, suite à une ségrégation du génotype e4e4 parmi les membres de la famille.

Cependant, l’allèle e4 de l’apoE n’est qu’un facteur de risque et non un dysfonctionnement génétique dominant comme les mutations sur les gènes APP, PS1 et PS2, car les porteurs du génotype e4e4 ne développent pas nécessairement la MA.

En contrepartie, l’allèle e2 de l’apoE serait un facteur neuroprotecteur.

Le rôle de l’apoE peut s’expliquer à plusieurs niveaux.

En particulier, l’apoE interagit avec les agrégats de peptide Ab et favorise la formation des dépôts d’amyloïde.

De plus, l’apoE est une lipoprotéine synthétisée par les astrocytes et impliquée dans la neuroprotection, en transportant les matériaux lipidiques nécessaires à la réparation neuronale. Une synthèse par les neurones peut également être envisagée.

2- Lésions amyloïdes :

Le dysfonctionnement de la protéine APP, dont le rôle trophique semble bien établi, ou la neurotoxicité du peptide Ab vont altérer le fonctionnement neuronal. Les agrégats d’amyloïde peuvent altérer l’intégrité de la membrane cytoplasmique, générer la production de radicaux libres.

Le fragment C-terminal de la protéine APP pourrait également être toxique.

Au total, la protéine APP étant ubiquitaire et les dépôts d’amyloïde étant observés précocement dans la totalité des régions cérébrales, on peut penser que le fardeau « amyloïde » pèse sur la totalité du tissu cérébral, mais que l’impact porte essentiellement sur les régions les plus vulnérables.

La diffusion générale des plaques amyloïdes dans le néocortex alors que la DNF affecte des régions cérébrales bien précises indique que la réalité de la MA est plus complexe que la simple relation entre la présence de dépôts amyloïdes toxiques et l’induction d’une dégénérescence des neurones environnants.

3- Vulnérabilité neuronale :

Le dysfonctionnement général de l’APP devrait se porter en priorité sur les cellules les plus vulnérables du cerveau : celles de la région hippocampique.

C’est cette même région qui va présenter systématiquement une DNF (parfois sans plaque amyloïde) à partir de l’âge de 75 ans.

4- Facteurs de la dégénérescence neurofibrillaire :

La DNF n’est pas spécifique à la MA.

Elle est observée dans d’autres pathologies (trisomie 21, syndrome de Guam, Parkinson postencéphalitique, maladie de Niemann-Pick type C).

D’autres pathologies neurodégénératives peuvent être affectées par la DNF, mais les signatures biochimiques sont différentes : doublet Tau 64, 69 de la dégénérescence corticobasale et de la paralysie supranucléaire progressive, doublet Tau 60, 64 de la maladie de Pick.

Nous savons également que les maladies dégénératives frontotemporales liées au chromosome 17 résultent de mutations sur le gène tau.

Toutes ces pathologies nous indiquent que la DNF n’est pas spécifique à la MA, mais qu’elle est toujours étroitement associée aux troubles cognitifs lorsqu’elle est présente dans les régions corticales associatives.

Il faut constater qu’il faut sept régions cérébrales touchées successivement pour voir obligatoirement une expression clinique patente.

Ceci veut dire que la notion de seuil est importante et que les phénomènes de compensation jouent un grand rôle.

Enfin, la DNF touche séquentiellement les régions cérébrales, selon un chemin précis, invariable, prédictible.

L’explication la plus logique à cette observation est que le début de déstabilisation des populations neuronales dans la région hippocampique va se poursuivre et se propager ensuite vers la région voisine.

La région hippocampique affectée ne va plus produire les facteurs trophiques nécessaires à la survie des neurones connectés.

Ceci va entraîner une vulnérabilité, suivie d’un processus dégénératif, qui va s’étendre progressivement à d’autres populations neuronales, comme une réaction en chaîne.

Ce processus d’expansion peut avoir sa propre dynamique, relativement indépendante de la cause même de la maladie.

Ralentir cette dynamique est certainement une cible thérapeutique intéressante, puisqu’elle est liée aux manifestations cliniques.

5- Phénomènes inflammatoires :

La présence d’une réaction gliale et microgliale et de protéines du complément C1q et MAC souligne que ce processus peut être un cofacteur important du processus dégénératif. Certains parlent de boucle autotoxique de l’inflammation.

La réaction microgliale peut être médiée par le peptide Ab, via son domaine de liaison HHQK.

Les antiinflammatoires non stéroïdiens semblent ralentir le cours de la MA.

La cyclo-oxygénase 2 (Cox-2), qui est inductible par les médiateurs de l’inflammation, est augmentée dans le cortex des patients Alzheimer. Elle peut être une cible pharmacologique intéressante.

6- Autres cofacteurs :

La MAest une maladie qui se développe sur de nombreuses années.

Elle est complexe parce qu’elle est l’aboutissement de plusieurs phénomènes : une altération fonctionnelle, un processus dégénératif qui va s’étendre, une plasticité neuronale compensatrice et des mécanismes de réparation, et une altération des systèmes neurochimiques.

Chaque étape peut être modulée par de nombreux facteurs, neuroprotecteurs ou neurotoxiques. Ainsi, l’apoE est un facteur de risque important, bimodal, qui semble jouer un rôle dans les phénomènes de réparation : l’apoE E2 est plus efficace dans ce rôle que l’E4.

De même, tous les facteurs qui interviennent sur la survie neuronale vont moduler la pathologie.

On peut ainsi comprendre le rôle des neurostéroïdes et en particulier des oestrogènes.

Plusieurs études indépendantes indiquent une réduction du risque de MA chez les femmes ménopausées recevant une oestrogénothérapie substitutive.

Une grande étude prospective est en cours aux États-Unis.

Au cours de la MA, la production de radicaux libres et un processus de glycation ont été démontrés.

Ceci sous-entend que le stress oxydatif est un des cofacteurs de la MA et que des traitements antioxydants pourraient ralentir le développement de la pathologie.

Enfin, d’autres facteurs liés au bon développement cérébral, à l’éducation et au total à la réserve neuronale sont, en toute bonne logique, des facteurs neuroprotecteurs.

Au total, les progrès dans le domaine de la génétique et des marqueurs moléculaires ont conduit à l’identification des étapes physiopathologiques de la MA.

Ceci a permis d’éliminer un certain nombre d’hypothèses étiologiques telles que l’aluminium, l’hypothèse virale, un rôle des prions ou une origine auto-immune.

La longue et complexe cascade de dysfonctionnements moléculaires, cellulaires, tissulaires sur les plus de 20 à 40 ans de la phase infraclinique est modulée par de nombreux cofacteurs.

La liste de ces cofacteurs est vraisemblablement très longue.

Cependant, le poids de chaque facteur est différent et peut être variable selon les individus, expliquant la microhétérogénéité de la MA.

7- Bilan des différents facteurs :

Ces constats objectifs basés sur les travaux d’équipes nombreuses et d’horizons différents nous amènent à suggérer que la MA est d’abord un dysfonctionnement du carrefour métabolique APP.

Ceci va influer sur la région hippocampique et accélérer sa vulnérabilité naturelle au phénomène de DNF.

Ce phénomène va s’amplifier et gagner d’autres régions, sous la pression constante du dysfonctionnement de l’APP.

Lorsque le nombre de neurones affectés a dépassé un seuil, lorsque les mécanismes de compensation dus à la plasticité neuronale sont débordés, apparaissent les premiers signes cliniques.

Mais le processus de DNF va continuer son chemin et toucher au fur et à mesure toutes les régions cérébrales et même de nombreux noyaux sous-corticaux.

Modélisation de la physiopathologie Alzheimer :

A – MODÈLES ANIMAUX :

Certaines souris transgéniques avec les gènes APP ou APP + PS1 mutés développent de nombreuses plaques amyloïdes.

Ces résultats confirment que le dysfonctionnement du carrefour métabolique APP est central à l’étiologie de la MA.

Cependant, on peut noter que ces souris qui ont une surcharge en peptide Ab 20 fois supérieure au cerveau « alzheimérisé » ne développent pas de véritable processus de DNF.

Par ailleurs, les animaux âgés ne développent pas véritablement de DNF comparable à ce qui caractérise l’espèce humaine.

Afin de peaufiner le modèle animal, des souris transgéniques avec des combinaisons de gènes humains mutés de l’APP, PS1 et tau sont en cours d’étude.

Le gène tau humain fait l’objet de plus en plus d’attention, dans la mesure où des mutations pathogéniques dans les régions introniques et exoniques du gène tau (situé sur le chromosome 17) ont été décrites, responsables des frontotemporal dementia with parkinsonism linked to chromomosome 17, ainsi que des polymorphismes associés à des démences « Parkinson + » avec DNF.

B – MODÈLES CELLULAIRES :

Ces modèles visent à vérifier certaines hypothèses pathogéniques, tels la neurotoxicité du peptide Ab, le métabolisme de l’APP et des présénilines, le rôle des cofacteurs comme l’apoE ou la phosphorylation ou l’agrégation des protéines Tau.

Cette approche est donc très utile.

Cependant, une modélisation parfaite de la MA, qui reste à mettre au point, devrait comporter une modification représentative du dysfonctionnement de l’APP et le déclenchement d’un processus dégénératif avec formation de protéines Tau pathologiques.

Ce type de modèle reste à élaborer.

Au total, l’ensemble de ces approches expérimentales permettra peut-être la modélisation globale des processus dégénératifs observés dans la MA, qui est absolument nécessaire pour développer efficacement les approches thérapeutiques.

Physiopathologie et diagnostic de la maladie d’Alzheimer :

La bonne connaissance de la physiopathologie de la MA permet d’affiner les différentes approches diagnostiques, qui du point de vue moléculaire sont neuropathologiques, biochimiques, biologiques et génétiques.

A – DIAGNOSTIC NEUROPATHOLOGIQUE :

Le diagnostic de MA certaine nécessite impérativement un examen neuropathologique.

Les critères de diagnostic évoluent en fonction des connaissances théoriques.

Le groupe de travail organisé par le National Institute of Aging (NIA) et l’Association Nancy et Ronald Reagan a récemment posé des jalons solides concernant les critères à retenir : le diagnostic neuropathologique doit mettre en évidence la présence de nombreuses plaques amyloïdes corticales, comptabilisées selon les critères du CERAD, et une DNF observée dans la région hippocampique, le cortex temporal et les aires corticales associatives, selon les stades V et VII de Braak.

B – DIAGNOSTIC BIOCHIMIQUE :

D’une manière similaire au diagnostic neuropathologique, il est possible de quantifier les deux processus dégénératifs de la MA, l’amyloïdogenèse et la DNF, par un dosage biochimique effectué sur des prélèvements de tissu cérébral. Il s’agit de quantifier le peptide Ab insoluble des plaques amyloïdes et les protéines Tau pathologiques de la DNF.

Cette approche permet de distinguer le vieillissement cérébral « normal » des stades infracliniques de la MA.

Ceci est important pour la recherche de nouveaux marqueurs, ainsi que pour les études de corrélation entre les manifestations cliniques et organiques.

C – DIAGNOSTIC BIOLOGIQUE :

Selon le groupe de travail du NIA et l’Association Nancy et Ronald Reagan, ce diagnostic devrait être basé en premier lieu sur la démonstration d’antigènes des lésions cérébrales dans les liquides périphériques.

Dans le cas de la MA, les marqueurs biologiques les plus logiques sont ceux qui sont en rapport avec les deux processus dégénératifs caractérisant cette pathologie : l’amyloïdogenèse et la DNF.

Par ailleurs, c’est le liquide céphalorachidien (LCR) qui est le plus susceptible de contenir ces antigènes pathologiques puisqu’il est en relation étroite avec le parenchyme cérébral par l’intermédiaire de la barrière hématoencéphalique.

Le LCR devrait pouvoir donner des informations précieuses sur la pathologie et son évolution.

Les résultats actuels vont dans ce sens.

En effet, les résultats de nombreuses équipes indiquent qu’il y a une augmentation significative des protéines Tau et une diminution significative du peptide Ab 1-42 dans le LCR des patients Alzheimer.

Cependant, la spécificité et la sensibilité ne sont pas encore suffisantes pour aider véritablement le clinicien.

D – DIAGNOSTIC GÉNÉTIQUE :

Le diagnostic génétique est applicable aux formes familiales autosomiques dominantes, qui sont relativement rares (1 000 cas familiaux détectés en France).

Il s’agit de détecter des mutations pathologiques sur les gènes de APP, PS1 et PS2.

La connaissance du génotype de l’apoE peut-elle améliorer le diagnostic clinique de MA ?

Il est bien reconnu que l’apoE de type E4 est un facteur de risque important, mis en évidence par les études épidémiologiques.

Cependant, au niveau d’un diagnostic clinique individuel, l’apport est très limité.

Physiopathologie et thérapie de la maladie d’Alzheimer :

L’analyse objective de la physiopathologie de la MA permet de retenir trois pistes thérapeutiques intéressantes, deux liées à l’amyloïdogenèse, une liée à la DNF et à l’extension du processus dégénératif.

A – RÉGULATION DU MÉTABOLISME DE L’« AMYLOID PROTEIN PRECURSOR » :

Une correction du métabolisme de la protéine APP pourrait s’effectuer par une modulation des sécrétases impliquées dans les coupures en alpha, bêta et gamma.

La découverte récente des bêtasécrétases (BACE…) et le rôle direct ou indirect de la préséniline comme gammasécrétase laissent entrevoir une telle possibilité.

B – NEUTRALISATION DU PEPTIDE Ab :

La neutralisation du peptide Ab neurotoxique permettrait d’enrayer la pathologie.

La difficulté est grande car les molécules anti-Ab doivent passer la barrière hématoencéphalique.

Certains peptides, nommés antifeuillets bêta, sont capables de s’associer au peptide Ab in vitro) pour casser leur structure secondaire.

L’application à l’homme semble difficile. Une autre piste paraît plus prometteuse.

Il s’agit de la vaccination utilisant le peptide Ab comme antigène.

En effet, il a été démontré que cette vaccination supprimait la présence des plaques amyloïdes qui apparaissent systématiquement chez les souris transgéniques avec le gène APP comportant la mutation suédoise.

Il reste à démontrer que ce principe peut s’appliquer à l’homme.

Les essais thérapeutiques nous donneront rapidement une réponse.

C – NEUROPROTECTION :

La physiopathologie de la MAdémontre que la neuroprotection peut ralentir d’une manière très significative la MA.

En effet, nous savons que le processus dégénératif envahit progressivement toutes les régions cérébrales, selon un chemin bien précis.

Il y a un phénomène de compensation jusqu’au stade 7, qui correspond à l’invasion des régions corticales associatives polymodales par la pathologie Tau.

Ce stade, qui correspond au seuil des manifestations cliniques patentes, est dans une phase d’équilibre instable, avec d’une part la poussée du processus neurodégénératif et d’autre part la réaction de compensation.

Cet équilibre instable est facilement modulable dans un sens ou dans un autre.

C’est à ce stade que d’autres pathologies ou d’autres événements vont aggraver rapidement la maladie (anesthésie, autre pathologie [métabolique, vasculaire, infectieuse], stress affectif ou autre).

C’est à ce stade qu’une neuroprotection pourrait être efficace, en maintenant cet équilibre et en évitant le déclin brutal.

Les molécules neuroprotectrices en cours d’étude sont les oestrogènes, les antistress oxydatifs (vitamines E, A), les antiinflammatoires (Cox, AINS), les protecteurs du système vasculaire cérébral.

Les neuroprotecteurs de demain seront ceux issus de la recherche fondamentale, et en particulier des connaissances concernant la dynamique d’extension du processus de DNF.

On peut penser d’abord aux facteurs de croissance, mais également à tous les cofacteurs impliqués dans la MA, tels l’apoE, les modulateurs de la réaction gliale ou microgliale, les neurostéroïdes, etc.

Conclusion :

Le début du siècle a été caractérisé par la découverte de la MA, maladie neurodégénérative, maladie organique.

La fin du siècle a été marquée par une explosion des connaissances dans de nombreux domaines et en particulier dans le domaine moléculaire (génétique, biochimique) et les premiers médicaments symptomatiques.

Ces connaissances laissent présager des espoirs sérieux concernant le ralentissement de l’expression clinique de la MA.

Le nouveau siècle qui commence sera celui de la connaissance du génome, qui apportera son lot important de possibilités thérapeutiques.

Mais la maîtrise des maladies neurodégénératives nécessitera d’explorer le postgénomique, et en particulier des phénomènes biologiques encore peu connus et extrêmement complexes, tels l’établissement et le maintien des réseaux neuronaux.

Au total, la recherche médicale apportera tôt ou tard les moyens d’enrayer ce terrible fléau social, familial, économique qu’est la MA.

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